Garder le Secret 6/7 ✔️
— Votre fille s'est montrée fort insolente face à moi, Frost.
Dans l'antre seigneurial, en plein milieu de la nuit, les deux souverains alliés se tenaient face à face, éclairés par la timide lueur d'une chandelle. À la réflexion de Byron, Frost serra les dents. Certes, la surprise et le dépit devant le comportement impétueux de Jaya l'avaient envahi, mais le roi d'Alhora avait rapidement retrouvé son calme en la voyant au plus mal. Il était vrai qu'il ne l'avait pas éduquée de la sorte, lui inculquant une discipline stricte et un profond respect pour les aînés. Toutefois, comment lui en tenir rigueur lorsqu'elle déployait tant d'ardeur pour apaiser les tensions de ce conflit ?
Frost la savait terrorisée par ce qu'il se passait, et il aurait souhaité qu'elle puisse s'épanouir dans la sérénité d'une paix qu'elle avait toujours connue, non aux prises avec les affres de la guerre. Toutefois, lorsque les choix se révélaient étriqués, ils ne pouvaient que se plier à l'inéluctable, d'autant plus lorsque leurs alliés étaient impliqués. Néanmoins, Frost éprouvait un vif regret quant à la manière dont il s'était adressé à Jaya après l'attaque. La crainte et l'embarras engendrés par la perspective de la voir ainsi défier l'autorité avaient ébranlé sa contenance.
Byron devait comprendre cela.
— Je m'excuse si cela ait pu vous atteindre, mais Jaya est ainsi, elle parle avec franchise et spontanéité quand la peur s'empare d'elle. Ça ne fait pas d'elle une mauvaise fille. Je la connais, elle ne cherchait qu'à aider.
— Peu importe ! Mes garçons ne vous ont jamais manqué de respect, je souhaite qu'il en soit de même pour elle à mon égard. Elle n'aurait jamais dû se mêler, ce n'est pas sa place. Je déteste que l'on conteste mes décisions. Parler de guerre n'est pas pour les femmes !
— Je pensais votre ville plus ouverte sur le droit des femmes qu'Alhora, Byron, mais j'ai l'impression de me tromper. Personnellement, mon épouse était très impliquée dans le milieu de la guerre et en connaissait parfaitement les ressorts pour avoir elle-même combattu dans les rangs de sa famille, lors de l'affrontement lointain entre Alhora et Thorimay.
— Ce n'est pas la question. Votre fille m'a manqué de respect, et j'espère que ça ne se reproduira pas. Vous n'imaginez pas à quel point ce conflit me met hors de moi. Savoir que ma cité, mes terres, mes fils et maintenant votre fille dont j'ai une part de la responsabilité, sont menacés de la sorte sonne le glas en moi. Je ne laisserai Starania s'en tirer à si bon compte. Ils m'ont provoqués, sont venus chez moi. Et pour ça, je vais avoir besoin de vous, Frost.
— Notre alliance est une bague nous liant. Vous savez que vous pouvez compter sur moi et mon armée.
— Je le sais, mais pour le moment, j'aurais surtout besoin de vos métaux pour fabriquer une nouvelle artillerie d'armes pour renflouer les troupes. Plus nous en aurons, plus vite nous serons parés à toute éventualité.
— Je fournirais le nécessaire. Dès demain, je retournerai à Alhora pour préparer des convois d'acier, de fer et de cuivre en direction de Cassandore.
— Très bien. Lorsque nos deux armées serons prêtes, nous rendrons à Starania une petite visite de courtoisie. Cassandore ne peut se développer et exister avec la menace constante que ces fourbes vont planer sur nous. Nous avons jusqu'à présent défendu l'intégrité de notre cité-état. S'ils résistent, je n'aurais aucun scrupule à occuper le territoire staranien et leur montrer par la force que l'on ne se frotte pas à la famille Blanchecombe. Et pour les villages alentours qui seraient tentés d'intervenir, de nous entraver et prendre le parti de nos ennemis, ces fous recevront également une réponse immédiate. Comme jamais ils ne connaîtront au cours de leur histoire.
Par la fenêtre, les yeux de Byron brillaient d'un incroyable éclat de détermination. Il ne reculerait devant rien. Tout pour la cité, jusqu'au sang de l'ennemi peint sur son étendard. Derrière lui, Frost le fixait, là, noyé dans la robe luminescente de la lune. Une seule phrase s'extirpa hors de sa barbe, à l'égard de son homologue :
— La guerre est donc déclarée ?
Byron le gratifia d'un œil rutilant.
— Plus que jamais.
❅
Un crépitement.
Une agréable chaleur qui se répandait.
Bougeant doucement dans son lit, Jaya se réveilla. Papillonna des paupières, avant de les refermer. L'incommensurable fatigue qu'elle ressentait la trainait dans la paresse. Son corps encore endolori par sa dernière aventure conjugale lui sommait de replonger dans ses doux rêves. Quelle heure était-il ? Sûrement très tard. S'étirant comme un chat, elle se tourna avec l'espoir d'y trouver un corps brûlant qu'elle pourrait tendrement enlacer. Non... La place d'à côté était vide. Vadim n'était plus là.
Déverrouillant un œil, elle soupira. Où était-il encore parti ?
Une lumière ambrée émanait du coin est de la chambre, frétillante et enjouée. Une flamme y brûlait, chantante au cœur de la cheminée. Devant celle-ci, à moitié noyée dans la pénombre de la chambre, une silhouette se tenait debout, fixant les branches s'embraser et le bois craquer sous l'intense chaleur.
Elle ne l'avait qu'à peine cherché. Il n'était pas parti très loin.
Son mari se découpait dans les ombres comme un tableau de maître, les yeux rivés vers l'or rutilant dans l'âtre. Les mains dans les poches, il semblait ailleurs, pensif. Tirée de son état lunaire, Jaya se redressa sur un coude, faisant légèrement glisser le drap cachant son corps dénudé.
— Vadim ?
Comme tiré de sa transe par ce murmure éraillé, le blond se tourna et croisa le regard d'un tendre morceau d'amour.
— Je t'ai réveillée ? Excuse-moi...
— À vrai dire, je ne t'ai même pas senti sortir du lit.
— Ce n'est pas étonnant, tu es épuisée. Tu t'es endormie en à peine cinq minutes tout à l'heure.
Elle étira un sourire doux et gêné, le nez dans l'oreiller. En même temps, il ne lui avait laissé aucun répit... Comme toujours.
— Quelle heure est-il ?
— Il ne doit pas être loin de quatre heures du matin. Rendors-toi. Je t'ai allumé un beau feu, j'ai trouvé qu'il faisait un peu froid, ce soir. Je connais madame assez frileuse.
Son sourire augmenta en brillance. À croire qu'il connaissait tout d'elle, jusqu'à ses moindres petits détails. Attiré vers son adorable minois encore épris de la fatigue, Vadim vint s'asseoir au bord du lit. Il glissa une main tendre dans le dos de sa femme, filant vers la cambrure de ses reins. Ses doigts écartèrent un pan de la couverture pour libérer son magnifique fessier portant encore les traces rouges de ses élans de fougue. Il le caressa comme une œuvre d'art, précieuse et fragile. Sa douceur et sa rondeur lui rappelait à quel point il pouvait aimer cette partie d'elle.
Malgré ça, son attention ne resta que peu attachée à cette beauté éreintée. Un point invisible à ses pieds comptait bien davantage. Jaya se redressa en position assise, penchant légèrement la tête sur le côté pour tenter de capturer son regard. Quelque chose le travaillait à n'en point douter.
— Pourquoi tu es habillé ? Qu'est-ce qui se passe ?
Cette fois, elle réussit à rattraper l'œil de son époux. Soucieux, les épaules tendues, il s'ébroua.
— Mon père m'a convoqué, il y a un peu plus d'une heure, pour me parler de l'incident du mur. Après que tu sois emmenée à l'infirmerie, il a mené son enquête sur le terrain avec Leftheris et Horngrad. Grâce aux sources de notre messager, et d'après ce qu'ils ont découvert suite à l'interrogatoire des prisonniers, Starania serait bien responsable de l'embuscade. Les fragments de grenades retrouvés dans notre carrosse détruit sont les mêmes que ceux qu'on lancé les staraniens sur la muraille de Cassandore. Zeph a menti pour pénétrer nos terres en éclaireur et probablement récolter des informations nous concernant.
— Quelles informations ? susurra Jaya, les sourcils se fronçant de plus en plus face à ce récit.
— Probablement la solidité de nos murs, combien de gardes sont apposés dans les guérites pour surveiller les horizons, quelles armes nous utilisons et à quelle fréquence... Des détails qui permettraient de préparer une invasion à notre encontre.
Elle inclina doucement la tête, traversée d'un frisson. Une invasion ? Cela serait sans doute le pire des scénarios, et peut-être était-il sur le point de se réaliser. Sa poitrine se contracta, sa respiration s'intensifiant soudainement. Comment retrouver le sommeil après ça ?
Raccrochant son attention à lui, Vadim fit tendrement glisser une mèche de ses cheveux noirs derrière son oreille.
— C'est pour cela qu'il faut se préparer et rester sur nos gardes, on ne sait pas ce qui peut se passer dans les semaines à suivre. Mon oncle, Zeph, est un puissant fidèle du roi Kyos depuis de longues décennies. Il lui voue une loyauté indéfectible. À tel point qu'au moment où sa sœur s'est unie à mon père, il s'est aussitôt dressé contre notre famille, conscient des préjudices qu'avaient causés les guerres passées à la lignée de son souverain. Jamais il ne nous a porté dans son cœur, que ce soit moi, Leftheris ou mon père. Depuis la disparition tragique de ma mère, il voue une aversion sans bornes à Cassandore et s'est opposé à nous malgré l'alliance entre les Vangellart et les Blanchecombe. Mon oncle est un homme dont la tête mériterait de rouler à terre... C'est lui-même qui a ordonné l'arrestation d'Amaros... son propre fils. Si je pouvais l'abattre de mes propres mains, je le ferais sans hésiter.
Il fulminait en silence, ses yeux hurlaient comme le feu de bois, reflétant toute sa rage quand il pensait à son oncle. S'il continuait ainsi, il allait exploser, elle en était certaine. Avant qu'il ne le fasse, Jaya le retint d'une caresse sur le bras. Grappillant les quelques centimètres la séparant de lui, elle écrasa un baiser sur son épaule afin de le calmer.
Cette petite fée si fragile, elle n'avait plus peur de sa colère. Elle l'aspirait, comme si ses mains débarbouillaient l'encre dans son âme d'un simple geste.
Il ne pouvait la quitter des yeux, là, nue dans son lit. Si belle, parfumée à l'eau de rose, à l'amour qu'il usait sur elle. Un être tombée du ciel, directement sur son cœur, qu'il approcha lentement. Ses lèvres se posèrent sur sa pâle clavicule. Sa main effleura la douceur de sa peau.
— Qu'est-ce que tu m'as fait, Mëyrtania ? Tu n'as qu'un geste à faire et toute ma colère disparaît...
Sa main cajola le flanc de la jeune brune quand il descendit ses baisers sur sa poitrine, esquivant la larme sur son buste. Un soupir d'aise au bord des lèvres, Jaya entoura sa nuque pour nicher son nez dans les cheveux blonds au sommet de son crâne. Elle respira son parfum qu'elle aimait tant, les sels marins rehaussés par la senteur du feu de bois.
Relevant le visage de Vadim vers elle, la princesse le prit en coupe pour le regarder. Ce regard... Autrefois si perforant, se révélait plus amoureux que jamais. Il paraissait vert dans la lumière de la cheminée.
Il était si beau, si parfait comme il était.
Soudain, les mots de Varvara lui revinrent en mémoire : « en étant mariée, vous allez devoir offrir une descendance au prince pour perpétuer la famille Blanchecombe. ». Un écho d'Omaima dans son esprit, de ce qui se tramait dans son corps. Tout ce qu'elle lui avait dit à l'infirmerie ressortit en elle face aux sphères turquoises.
Elle aimerait tant que l'enfant qu'elle portait en secret ressemble à Vadim.
Jaya posa délicatement ses lèvres sur le front de son mari qui ferma les yeux sous ce doux contact. Elle trébucha sur son nez, sa joue marquée, puis ses lèvres qu'elle recouvrit d'amour.
Elle était si affectueuse, tellement douce, qu'il avait l'impression que les flammes dans l'âtre s'étaient détachées de leur caverne pour venir brûler sur lui. En lui. Dans cette passion inouïe qu'elle éveillait, Vadim la renversa sur le lit, son torse chaud la surplombant comme un coucher de soleil.
Les doigts câlins du mâle écartèrent complètement les draps pour atteindre la tendresse de sa cuisse qu'il palpa sur toute sa longueur. Mettant fin au baiser, Jaya lui appuya un œil rond.
— Vadim... Encore ?
— C'est toi qui a commencé.
— Jamais de la vie...
— Oh que si... Tu as toi-même taquiné l'animal, tu vas devoir te montrer docile et obéissante si tu ne veux pas qu'il te morde.
Ce sourire... Jaya ne pouvait y résister bien longtemps, si bien qu'elle le rejoignit dans ce bonheur partagé quand il descendit ses lèvres le long de son ventre, s'attardant un instant sur son nombril. S'il savait ce qui grandissait ici, actuellement...
Au fond d'elle, Jaya voulait tellement qu'il soit au courant. Qu'il prenne conscience que dans quelques mois, il deviendrait père. Imaginer son sourire, sa joie à l'idée de voir poindre ce tendre fruit de leur amour si intensément partagé, l'emplissait de tendresse.
Mais, il était encore bien trop tôt pour étaler au grand jour ce petit bout de leur union. Tellement tôt...
❅
Cette nuit-là, un soupir éreinté se fit entendre sur la passerelle princière.
Après son entretien avec son père qui s'était étendu jusqu'à tard, Leftheris regagnait sa chambre avec l'espoir de glaner un brin de sommeil. Sa longue silhouette s'extirpa de l'ascenseur, presque invisible dans la noirceur nimbant le Beffroi. Les uniques sources de lumière se présentaient sous la forme de rayons lunaires passant par les nombreuses lucarnes.
Cela faisait des jours qu'il ne dormait pas comme il le souhaitait. Ce soir, il aurait encore probablement du mal à cause de sa blessure à l'épaule qui le tirait quand il se mouvait un peu trop vite. Il ignorait comment son corps pouvait être encore debout avec tous les tracas qu'il renfermait. Les responsabilités, le stress, la gestion de l'armée, Jaya...
Oui, ce jour-là, il avait eu la peur de sa vie lorsqu'il l'avait vue tomber au sol. Son esprit trop vif avait d'abord cru que Vadim la frappait. Dans ce cas de figure, il n'aurait pas hésité à bondir sur son frère. Or, il avait vite compris à sa pâleur qu'elle avait succombé au trop plein d'adrénaline emmagasiné durant l'attaque. Heureusement, les dernières nouvelles étaient bonnes et Jaya semblait remise d'aplomb, même si elle n'était pas venue dîner.
Il regretta de l'avoir prise avec lui, il avait été stupide. Tout aurait pu dégénérer si vite. Seulement, Jaya ne lui avait pas laissé le choix, autant elle, que ce qu'il ressentait à son égard.
Depuis cette danse à la réception et, plus récemment, ce tête à tête au salon de thé, il ne faisait que d'y penser. Seul dans son lit, constamment, n'en trouvant plus le sommeil. Jaya était l'une des sources de son tourment, de sa perte de contact avec la réalité. Il ne devrait pas, c'était un pied vers l'interdit, vers les grilles qu'on lui avait ordonné de ne pas franchir. Vers une discorde aussi bien fraternelle que paternelle. Et ça... Il ne le supportait pas. C'était plus fort que lui, plus fort que tout ce qu'il avait pu connaître dans sa vie. Plus fort que pour n'importe quelle femme...
Il avait tant entendu ses cris d'amour ces dernières semaine, sur la passerelle voisine. Une habitude malsaine prise malgré lui. En plein cœur de la nuit, Jaya l'en réveillait... Ses gémissements entraient en lui et démolissaient ses barrières.
Savoir que Vadim était à l'origine de ces divins élans de voix parachevait la destruction. Comment pouvait-il ? Pourquoi le laissait-elle lui faire de... telles choses ? Elle qui, pourtant, disait qu'il l'effrayait ? À croire qu'elle avait changé d'avis... ou qu'il la forçait, peut-être...
Il en revenait à la même conclusion dans les deux cas... Ne réalisait-elle pas que les murs avaient des oreilles, tout comme les voisins de passerelle ?
À moins qu'elle n'en avait cure...
Cela faisait quelques jours qu'il n'avait rien entendu. Il avait beau tendre l'oreille, pas un son n'était arrivé jusqu'à lui. C'était peut-être mieux, il allait peut-être pouvoir dormir un peu sans être dévoré par la jalousie et la rage de savoir son frère en si bonne compagnie. De plus, avec ce que Jaya lui avait confié concernant les possibles badinages de son cadet, il comprenait qu'elle ne veuille plus s'abandonner à un homme si irrespectueux. Tellement irrespectueux...
Vadim ne méritait pas qu'elle s'offre à lui de la sorte. Cela le dégoûtait rien que d'y penser.
Tournant les talons vers la passerelle de droite en direction de ses quartiers, Leftheris s'immobilisa brusquement. Des bruits lui parvinrent, lointains, fluctuant d'intensité par moment.
Ça y est, ils avaient repris... Il aurait mieux fait de la fermer.
Extériorisant un soupir, le vice-général jeta un regard noir vers la porte de la chambre de Vadim. Ne la laissait-il jamais tranquille, même à cette heure indue ? À ce rythme, il était bon pour passer une nouvelle nuit blanche.
Non... pas cette fois !
D'un pas irascible, Leftheris rebroussa chemin pour entrer sur la passerelle de gauche, bien décidé à les faire taire. En arrêt devant la porte, il leva son poing, prêt à l'abattre sur le bois, mais un souffle coincé dans sa poitrine l'en dissuada.
Il déglutit... Jamais il n'avait entendu les gémissements de Jaya d'aussi près. Presque comme si elle était à côté de lui, se lamentant à son oreille.
Son poing tomba le long de son corps tremblant. Face à la porte, Leftheris perdait la totalité de ses moyens, jusqu'à ne plus pouvoir bouger du tout. Cette voix l'ensorcelait, l'hypnotisait... Il aurait pu l'écouter durant des heures sans discontinuer. Une lumière dorée émanait de sous la porte et de la serrure.
Cette serrure... Il ne pouvait la quitter des yeux.
Non, il ne devrait pas avoir de telles pensées, c'était mal, si mal pour un respectable prince de sa trempe. Mais... ces lamentations... ces variations de timbre pour fondre dans un désir à nul autre pareil. Elles pénétraient son âme et pervertissaient son esprit. Il brûlait sur place, du feu dans le corps, à l'idée de voir ce qu'il se passait de l'autre côté de cette porte.
Il devrait... ou peut-être pas... Si...
Non !
Leftheris recula d'un mètre, se mordant la lèvre à sang pour réprimer cette envie insensée.
Non, abstiens-toi, général... Tu vaux mieux que ça. Retourne sur tes pas et va te coucher...
Une nouvelle supplication, plus belle et sensuelle que les autres le pétrifia. Une mélodie maléfique. Tout semblait planifié par un sinistre maître du jeu, comme si lutter n'était qu'un leurre amer contre lequel il demeurait faible. Sa raison partit au gouffre, cédant à la plus malsaine des obsessions.
Juste un coup d'œil... Un minuscule coup d'œil...
Le cœur torturé par des battements incontrôlables, Leftheris soupira et se pencha lentement sur la serrure. La lueur tamisée dans la chambre était trouble, il ne voyait pas grand chose. L'œil grand ouvert, il chercha le bon angle jusqu'à tomber sur l'objet de sa tentation.
Jaya...
Nue, elle ondulait sur le corps de son frère. Leftheris hoqueta et recula jusqu'à en perdre l'équilibre. Une main à plat sur le sol, il avait manqué de tomber lamentablement. Son souffle erratique se perdait dans une honte monumentale. Qu'est-ce qui lui prenait ? Était-il devenu fou ? Épier les gens dans cette situation tirait de la perversité, de l'immoralité, il ne devait pas faire ça. Bien davantage sachant qu'il s'agissait de son frère et sa belle-sœur.
Ressaisis-toi ! se répétait-il inlassablement dans sa tête.
Il ferma les yeux un infime instant pour calmer son rythme cardiaque qui ne consentait à ralentir. Le souvenir du corps de Jaya le hantait. Ces courbes qu'il n'avait eu le temps d'analyser en détail... Cette réalité brutale lui tordait l'estomac et rugissait telle une némésis allant jusqu'à ruiner le peu d'espoir qu'il conservait à l'idée de rester droit.
Il voulait la revoir, juste une seconde... une petite seconde...
Ce serait son inavouable secret...
Se mordillant la lèvre d'hésitation, Leftheris osa se pencher à nouveau sur la serrure. Il tremblait de tout son être, la respiration prenant des chemins biscornus pour entrer dans ses poumons.
Elle était là... Cette merveille...
Les lèvres entrouvertes et les cheveux sauvages, elle se trémoussait d'avant en arrière dans un mouvement lent et lascif. L'ombre et la lumière dessinaient des fresques majestueuses sur ses formes ; des courbes démoniaques qui hachèrent son souffle. Elle était face à lui... Sublime lorsqu'elle prenait du plaisir, encore bien plus qu'il ne l'aurait jamais cru. Oui... Elle en prenait. Pas une seule fois elle tentait de se dérober des mains de son frère caressant ses hanches et ses cuisses.
Cela dépassait tout ce qu'il avait pu s'imaginer d'elle, plantant une douleur incommensurable dans sa cage thoracique. Il peinait à trouver son souffle. Les cris muets d'agonie qu'il hurlait vers Jaya lui grignotaient l'esprit. Ses entrailles s'ouvraient sur un brasier incompréhensible, des images promenant leur langueur qui le marquait au fer rouge. Douloureusement, érotiquement, invraisemblablement.
Leftheris mourrait à petit feu, crevant devant ce corps si parfait et ces seins magnifiques qui bondissaient à chaque instant, si ronds, soyeux, au galbe sans pareil.
Inconsciemment, sa main glissa sur l'encadrement de la porte. Il la touchait à travers le bois, effleurait cette peau de lune de ses doigts envieux.
Fermer les yeux et il la verrait, plus belle que la vie rosée à ses joues, dénudée comme le ciel un jour sans nuages. Toucher cette peau interdite qui le tenait à la gorge... Celle qu'on avait donné à Vadim...
À lui... Ce satané marqué...
Quand son cadet redressa le haut de son corps pour prendre sa femme dans ses bras et l'embrasser à pleine bouche, Leftheris recula. L'indésirable venait de lui gâcher le spectacle...
Jaya l'entourait avec tant d'amour, le regardait si tendrement... Pourquoi ? Pourquoi, alors qu'il la faisait souffrir depuis le début de leur mariage ? Pourquoi, alors qu'il l'avait rendue si malheureuse, ce jour-là, dans le salon de thé ? Pourquoi lui pardonner ? Pourquoi l'aimer ?
On ne pouvait aimer un homme comme Vadim... Il n'avait rien d'un prince digne d'une telle princesse.
Une souffrance pulsa en lui, le forçant à prendre appui sur la rambarde de la passerelle. Le front plaqué entre ses mains, il étouffa un râle. Plongé dans la pénombre, il ressemblait à un fantôme meurtri, échappant des goulées d'air glaciales. Cette envie... Il avait beau tenter de l'oublier, mais sans succès. Jaya avait réveillé ce qu'il tentait d'endormir depuis des semaines grâce à l'abstinence.
Continuer d'entendre ses gémissements ne l'aiderait pas. Comment éteindre cet incendie dans lequel il perdait doucement la vie ?
Son regard s'égara dans le vide en dessous ses pieds, une idée germa dans sa tête brisée par les pensées impures. Il n'y avait qu'un moyen d'apaiser son mal avant qu'il ne se jette par dessus ces maudites barrières.
Un seul moyen pour ne pas céder à la tentation de défoncer cette porte la séparant de lui.
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