
Alliance & Rencontre 4/4 ✔️
Les grognements se firent plus insistants, au diapason de l'angoisse grandissante qui tenaillait Jaya. Son cœur s'emballait à un tel point qu'il allait probablement exploser. Que faisait-elle encore là ? Pourquoi avait-elle été si bête au point de partir du château ? Les regrets la submergeaient. C'est alors que deux orbes rougeoyantes s'illuminèrent dans les fourrés, non loin d'elle.
Puis quatre... et six...
Jaya était cernée. Son souffle, haletant et angoissé, ne parvenait plus à calmer les battements frénétiques de son cœur. Ses jambes, désobéissantes, la guidèrent instinctivement sur la gauche, empruntant un sentier qui devait mener à la ville. Elle courait, sans relâche, engloutissant des bouffées d'air glacé qui lui déchiraient les poumons. Derrière elle, des hurlements inhumains se faisaient entendre.
Ils l'avaient prise en chasse ; elle était le menu du soir.
De lourdes enjambées écrasèrent les branches tordues qui craquèrent sous un poids colossal. Jaya évita les ronces avec difficulté et sauta les obstacles en aveugle, sans prêter attention à ce qui se trouvait de l'autre côté. La neige l'engloutissait, la ralentissant dans sa course effrénée vers la vie. Elle était résolue à sauver sa peau, mais...
Ces choses étaient déterminées à lui prouver le contraire.
Soudain, la respiration de la princesse fut coupée net lorsqu'elle fut violemment tirée en arrière. Elle s'effondra sur le dos, étranglée par une pression sur sa cape. Ses cris stridents déchiraient l'air alors qu'elle se débattait avec force, tentant désespérément de s'agripper à tout ce qui se trouvait à portée de main pour retarder son inéluctable destin. En vain. Son corps fut traîné sur plusieurs mètres dans la neige, tel une poupée de chiffon, avant qu'un énorme museau ne surgisse au-dessus d'elle.
Par Ymos... C'était un loup géant. Non, trois loups gigantesques...
Du haut de leurs trois mètres, ils se dressaient sur leurs deux pattes, voûtés et menaçants. L'un d'entre eux se tenait à l'extrémité de la cape de Jaya, la maintenant fermement dans sa large gueule garnie de dents aiguisées, tandis que les deux autres la surveillaient de leurs yeux luisants et affamés. Suffocante, Jaya se débattait avec plus de ferveur, tentant désespérément de défaire l'attache de sa cape, sans succès. Elle manquait cruellement d'air.
C'était de vrais monstres ! Leur corps était si décharné que les côtes ressortaient de leur chair presque dépourvue de poils. Jaya n'avait jamais vu de telles créatures lors de ses parties de chasse. Elle n'était pas physiquement, ni mentalement préparée à cela. Elle n'avait ni arme, ni défense. Ses poings seuls seraient un bien piètre soutien face à ces crocs pointus.
L'un d'eux s'approcha de la malheureuse en se léchant les babines. Son haleine empestait la mort.
La peur glaça la jeune femme, la paralysant à tel point qu'elle n'osa plus se débattre. Seuls ses tremblements l'accompagnaient désormais dans son dernier voyage. C'était la fin... Elle allait être dévorée par une meute de bêtes sanguinaires, une mort terrible qui semblait injuste pour une princesse telle qu'elle. Sa désolante naïveté avait été fatale, et elle ne pouvait s'empêcher de regretter ses choix imprudents.
Tiordan... Était-il possible qu'il ait également croisé leur chemin ? Qui pourrait le dire ? Peut-être allait-elle le retrouver dans l'au-delà... Et peut-être serait-ce préférable à ses yeux.
La bête lâcha un grognement sourd en posant sa patte énorme sur la jambe de Jaya, la coinçant sous sa masse. La jeune femme hurla de douleur, ressentant la pression écrasante sur ses os. Le loup ouvrit sa gueule, exposant ses canines jaunies et les coulées de salive qui s'en échappaient, quand soudain...
Un couinement survint.
Jaya sentit un relâchement sur sa cape, l'aidant à retrouver un fil d'air. Les animaux hurlaient, grognaient et aboyaient sur quelque chose derrière elle. La jeune femme n'eut le temps de se retourner qu'une silhouette vola presque au-dessus du cadavre de la créature. Un trou béant dans le dos, du sang empourprait la pureté de la neige.
La silhouette drapée d'ombre se précipita avec fureur vers les autres loups. D'un coup violent d'épée, maculée de sang, il transperça son ennemi le plus proche à la poitrine. L'autre bête se jeta sur l'homme, qui l'évita avec une roulade millimétrée, laissant Jaya bouche bée. Toutefois, le loup se montra coriace et bondit pour surplomber son adversaire au sol, amorçant un furieux corps-à-corps.
L'homme, allongé sur le dos, déployait toute la force de ses bras pour dresser une barrière avec son épée appuyée sous la gorge du prédateur. Le loup claquait des dents, brûlant d'un désir ardent de refermer ses mâchoires sur ce vil insecte. D'un puissant coup de patte, il lacéra l'épaule du combattant, faisant éclore une fleur de sang dans la blancheur immaculée. Malgré ses râles de douleur et d'effort, l'homme continua de lutter. Enfin, d'un coup de pied bien placé dans l'estomac, il repoussa la créature qui chuta en arrière.
Plongée dans le noir, Jaya ne percevait que des ombres se mouvoir. Cependant, au moment où le loup se rua à nouveau vers sa proie, une lueur bleue jaillit du cœur de la mêlée. Cette dernière prit de l'ampleur, aveuglant la jeune femme dont les yeux s'étaient habitués à la nuit. Elle se vit contrainte de couvrir son visage de ses mains afin de mettre un terme à l'agression.
Quelle était cette lumière ? D'où provenait-elle ?
Les deux loups restants couinèrent de peur, brûlés par ce feu d'azur qui illumina les arbres. La lueur se fana enfin, évanescente, jusqu'à redonner toute sa place à l'obscurité. Lorsque Jaya osa ouvrir les yeux, elle assista à la fuite des créatures. La queue entre les jambes, ils coururent dans l'épaisse sylve, abandonnant le corps sans vie de leur camarade pour complètement disparaître.
Que venait-il de se passer ?
Toute retournée, les idées de Jaya étaient embrouillées. Elle finit par se redresser, l'homme lui tournant le dos pour ranger son épée dans son fourreau. Il... Il l'avait sauvée d'une mort certaine. Dans le feu de l'action, elle n'y avait pas prêté attention, mais plus elle l'observait, plus la cape de fourrure qu'il portait lui semblait familière. Lorsqu'il l'honora de son profil couvert de sang animal, tous les doutes s'évanouirent.
Vadim...
Était-il venu jusqu'ici pour la chercher ? Risquer sa vie dans cette forêt maudite ? Muette, elle ne parvint pas à soutenir son regard. Était-ce par honte de ses actes ou à cause des horribles cicatrices qui zébraient son visage ? Maintenant qu'il l'avait retrouvée, le soulagement de Vadim fit place à l'agacement. Ses yeux jugeaient la jeune femme inconsciente de bêtise, étendue sur le sol.
— Comment m'avez-vous retrouvée ? lui demanda-t-elle, avec audace.
— Les cris que vous avez poussé ont été un bon guide pour moi.
Il soupira.
— Eh bien, quelle politesse. Je n'ai même pas un pauvre merci de votre part ?
— Merci... lui lâcha-t-elle, froidement.
Décidément, elle était têtue...
— On va dire que ça fera l'affaire. Allez, relevez-vous, je vous ramène au château.
Il tendit une main secourable qu'elle hésita à saisir. La tête baissée, elle finit par l'accepter et se laissa hisser. Cependant, Vadim grimaça et la lâcha brusquement, la faisant retomber lourdement dans la neige. Un cri de douleur lui échappa, puis se transforma en un mécontentement évident.
— Vous ne pouvez pas faire attention ! Quelle rudesse !
Vadim osa ricaner, malgré les ridules de douleur marquant son visage.
— Je suis navré, princesse. Au moins, en retombant sur votre fessier, vous ne vous êtes pas tant fait mal que ça.
Quel toupet ! Jaya fronça les sourcils, vexée, et s'apprêta à exiger du respect quand elle remarqua du sang. Un lambeau de sa cape était déchiré et imbibé d'un liquide poisseux. À travers la déchirure, elle pouvait distinguer une franche lacération. Le lycan l'avait touché au bras...
— Tout va bien ? osa-t-elle demander, calmée par la vue du rouge.
— J'ai déjà vu bien pire, ce n'est pas très grave. Allez, venez, nous devons sortir d'ici.
Il avait raison. Elle ne pouvait rester une seconde de plus ici. Cette fois, Jaya se redressa seule. Elle ne voulait pas risquer que son bras se déchire et reste accroché au sien. Vadim partit sans l'attendre. Elle dut faire preuve de rapidité pour le rattraper, jetant un dernier coup d'œil effrayé au cadavre géant du loup. Cette vue lui donna la chair de poule.
Très vite, des lumières surgirent des ténèbres. Des cris et des appels résonnèrent dans la nuit, tous cherchant la princesse. Le mur se dévoila à une cinquantaine de mètres. Cependant, en y songeant, une honte immense obligea Jaya à s'arrêter. Quelle serait la réaction du roi face à son comportement et ses actes irréfléchis ?
— Princesse ?
Vadim s'était arrêté lui aussi, l'interrogeant du regard. Que pouvait-elle lui dire ? C'était de sa faute si elle avait agi ainsi. Lui et lui seul !
— S'il vous plaît... Ne dites rien à mon père.
C'était une demande déconnectée de toute logique, elle le savait pertinemment. Cependant, elle n'avait pas d'autre choix. Jaya avait désobéi par simple caprice. Si le roi venait à découvrir qu'elle était venue ici de son plein gré, transgressant ainsi l'interdiction de franchir le mur, elle serait sévèrement punie. Il y avait de fortes chances qu'elle soit enfermée dans sa chambre sous surveillance stricte, ou même envoyée au couvent royal.
— Rien n'excuse mon geste, mais si le roi sait que je suis venue ici...
La suite se figea dans sa gorge. Elle était incapable de terminer, d'autant plus qu'elle implorait un homme qui cherchait à la priver de sa précieuse liberté. Vadim la jaugeait en silence, attisant son impatience. Ce mutisme était insupportable ! Elle aurait préféré une réponse nette et claire, qu'il s'agisse d'un oui, d'un non, ou même d'un simple « débrouillez-vous ». Mais qu'il cesse de la faire languir ainsi !
Elle ne voulait pas finir au couvent !
Avec lenteur, Vadim retira son masque de sous sa cape et le replaça sur son visage. Les cris s'intensifièrent, accompagnés d'une course effrénée. Le prince s'avança vers Jaya, qui fut pétrifiée sur place lorsqu'il passa derrière elle et posa ses grandes mains sur ses épaules.
— Laissez-moi parler. Ne dites rien.
Elle n'eut le temps de rétorquer que les premiers gardes débarquèrent devant eux, se ruant vers la fille du roi.
— Princesse Jaya, loué soit Ymos ! Vous êtes là !
— Elle n'a rien, les prévint Vadim.
— C'est un miracle !
Vadim la confia aux bons soins des gardes qui les escortèrent jusqu'au château en toute sécurité. Arrivés dans le hall, le roi Frost et les Blanchecombe les y attendaient. En apercevant Jaya, débraillée et transie de froid, le preux souverain fit fi de toutes ses exigences et se précipita vers elle pour l'étreindre tendrement.
— Jaya, ma petite, tu nous as fait une peur bleue ! Qu'est-ce qui t'es arrivé ? Où étais-tu passée ?
— Nous l'avons retrouvée dans la Forêt des Murmures, mon roi. Le prince l'a ramenée jusqu'au mur.
Les affirmations du garde balayèrent lentement l'affection de Frost, le poussant à jeter un œil glacial à sa fille. Qu'avait-elle fait ? Elle était si honteuse qu'elle ne pouvait relever les yeux et se résoudre à affronter le roi et ses convives.
— Qu'est-ce que tu faisais là-bas ? Tu sais très bien que c'est interdit ! Qu'est-ce qui t'es passé par la tête ?
Son cri fit trembler les murs et agita le corps frêle de la jeune femme. Les mains épaisses de son père se resserrèrent sur ses bras, cherchant à lui arracher une réponse. Les larmes aux yeux, elle bégaya des phrases inaudibles, dénuées de sens et de toute défense. C'en était fichu d'elle... Le couvent lui ouvrirait bientôt ses portes.
— Un homme l'a emportée là-bas...
Apportant un vent d'incompréhension sur le château, Vadim arriva à leur hauteur, attirant tous les yeux, dont ceux éberlués de Jaya.
— Nous avons eu un accrochage dans le hall, tout à l'heure. La princesse est partie dehors pour se calmer et je n'ai pas osé la suivre dans l'immédiat. C'est lorsque je l'ai entendue crier que je me suis mis à courir. Elle a fuit vers les écuries, car un homme étrange la suivait et l'a attrapée pour la traîner de force dans la forêt.
— Mais comment ? Il y a des gardes devant la sortie arrière menant à la forêt. Ils l'auraient vu et intercepté ! contra le roi.
— Il y a un trou dans votre mur, à quelques mètres au-delà des écuries. Ils ont passé par là et moi aussi. Je me suis battu avec l'homme et il m'a blessé, ce qui lui a permit de fuir. Je n'ai pas vu son visage, il portait une cape noire.
Bouche bée...
Jaya en était totalement bouche bée. Venait-il réellement de monter une histoire de toute pièce pour sauver son honneur ? Il avait osé mentir impunément au roi... pour elle ?
— Un homme près des écuries ? Se pourrait-il qu'il s'agisse de celui qui a assassiné mon garde ?
— Un homme étrange venant des Montagnes Boréales rôde dans votre ville, Northwall ? Ce n'est pas prudent pour organiser un mariage, intercepta le père Blanchecombe, suivi de son aîné.
— N'ayez crainte, Byron, nous bouclerons le périmètre et clôturerons chaque entrée de la ville pour que personne n'en sorte, ni ne rentre. La mariée doit être épousée sur sa terre natale, tel est le souhait d'Ymos. Ça ne me plait pas du tout que l'on puisse s'en prendre à ma ville et à mon enfant. Gardes ! Nous devons déployer une milice aux abords du mur afin de surveiller les mouvements suspects. Appelez une soigneuse pour le prince Vadim et pour ma fille. Si cet homme revient dans les parages, nous le trouverons et nous le tuerons !
Dans les bras de son père, Jaya ne pouvait quitter Vadim des yeux. Ses mensonges avaient fonctionné, elle n'arrivait pas à y croire. Malgré tout ce qu'elle avait pu penser durant le trajet du retour, il ne l'avait pas trahie. Une preuve sincère de respect ? Ou un moyen de la manipuler ? Elle l'ignorait, mais n'arrivait pas à lui faire confiance. La cruauté était peut-être exagérée, mais sa liberté lui hurlait tel un chien aux aboies de s'éloigner de lui et son aura étrange.
Une domestique arriva au chevet de Jaya pour l'emporter promptement à l'infirmerie. Pendant ce temps, une autre prit Vadim à part et l'emmena dans une direction opposée. La brune croisa une dernière fois le regard translucide du blond. Il lui offrit un faible sourire, tel un secret.
Malgré le fait qu'il l'avait sauvée, cet homme ne rentrait pas dans son cœur.
Les pleurs de sa vie gâchée ne l'acceptaient pas.
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