𝟎𝟑 ¦ 𝐓𝐇𝐄𝐘 𝐖𝐄𝐑𝐄 𝐍𝐄𝐈𝐆𝐇𝐁𝐎𝐑𝐒
𝐉𝐎𝐔𝐑 𝟎𝟑 ━ 𝟓,𝟕𝐊 𝐦𝐨𝐭𝐬
sommeil, voisin, pantin
Il faisait à peine jour au-dehors lorsque les paupières de Marco commencèrent à frémir. Le corps du jeune homme s'agita dans son lit avant que celui-ci n'ouvre prudemment les yeux, l'air grognon. Les iris chocolat scrutèrent l'intérieur de l'appartement avec méfiance ; or la pièce était encore plongée dans une semi-obscurité agréable. Mais si le soleil ne l'avait pas réveillé, alors qui était responsable de cette offense ?
Marco n'eut pas besoin de mener une enquête approfondie. À vrai dire, il n'eut même pas besoin de sortir de son lit ! Car il devina rapidement que le bruit étouffé qui lui martelait les oreilles ne ressemblait pas vraiment au gazouillis habituel des oiseaux ou au ronronnement d'un moteur de voiture... Non, c'était un son beaucoup plus désagréable. Il était bref, mais se répétait selon une fréquence précise, si bien qu'il en devenait rapidement entêtant. Terriblement agacé, Marco remonta la couette au-dessus de sa tête. Malheureusement pour lui, ce semblant de barrière n'empêcha pas l'horripilant bruit de se faufiler jusqu'à ces oreilles. Découragé, le jeune homme comprit qu'il ne parviendrait pas à se rendormir ce matin. Alors même si son réveil n'avait pas encore sonné, il se résigna à sortir de son lit douillet pour prendre son petit-déjeuner.
Voilà près de dix-huit mois que Marco avait emménagé dans cet appartement pour suivre plus sereinement ses études à l'université de lettres du coin. Le logement était presque neuf et paraissait drôlement spacieux, même s'il ne faisait finalement que vingt mètres carrés. Plus qu'une certaine indépendance, Marco recherchait avant tout le calme et la tranquillité. Sans surprise, c'était donc le silence de sa propre compagnie qu'il avait immédiatement apprécié.
Cependant, cette quiétude si chère à son cœur se trouvait aujourd'hui gravement menacée par quelqu'un ou quelque chose qu'il peinait encore à identifier. Car chaque matin, ou presque, Marco était systématiquement réveillé par un étrange bruit. Le phénomène durait depuis quelques semaines déjà et, au plus grand désespoir de celui qui le subissait, il ne semblait pas prêt de s'arrêter. Le jeune homme s'était évidement questionné sur sa nature et son origine. À force de l'entendre, Marco lui trouvait des similitudes avec une sonnerie de réveil. En se déplaçant aux quatre coins de la pièce, il avait eu l'impression que le bruit provenait de l'appartement voisin. Mais qui laisserait un réveil faire pareil boucan, pendant plus d'une demi-heure, sans prendre la peine de l'éteindre ?
Cela n'avait vraiment aucun sens ! Et n'ayant jamais jugé utile de se présenter aux autres locataires de la maison, Marco se trouvait franchement embarrassé à l'idée de frapper à la porte voisine pour en accuser lae propriétaire de gâcher son sommeil. Il pourrait même s'avérer que cette personne ne soit pas du tout à l'origine de ces satanés bruits. Et dans cette hypothèse, Marco aurait vraiment l'air malin ! Voilà pourquoi le jeune homme n'avait menée aucune action concrète contre le trouble dont il était victime. Il priait simplement pour que celui-ci s'arrête aussi soudainement qu'il était apparu.
Seulement, les semaines passaient, et les nerfs de Marco commençaient sérieusement à s'échauffer. Ces derniers temps, il repoussait la confrontation car il craignait d'empaler saon voisin‧e sur un pic à brochette dès que cellui-ci lui ouvrirait la porte... Alors qu'il terminait son délicieux chocolat chaud, le jeune homme se demanda s'il ne ferait pas mieux de prendre quelques cours de yoga pour calmer ses nerfs.
En claquant la porte de son appartement, une bonne heure plus tard, il eut un regard noir en direction de l'autre logement qui occupait la moitié de ce deuxième étage. Mais en descendant les escaliers, Marco s'efforça de se ressaisir. Après tout, un mauvais réveil n'était pas synonyme d'une mauvaise journée. Il n'allait quand même pas laisser cette pauvre broutille gâcher indéfiniment sa bonne humeur ! Ce fut imprégné de ce noble état d'esprit que le jeune étudiant entra à l'intérieur de l'amphithéâtre où il aurait bientôt cours.
Malheureusement pour lui, Marco passa effectivement une sale journée. D'abord, il n'avait pas compris grand-chose au cours magistral du matin, dont il était ressorti le corps plus raide qu'un mort. La faute aux inconfortables bancs en bois de l'amphithéâtre, qui maltraitaient les derrières endoloris des étudiant‧e‧s depuis plus de trente ans... Arrivé au restaurant universitaire, le jeune homme avait eu la mauvaise surprise de voir son paiement décliné. Il avait évidement oublié de recharger le compte lié à sa carte étudiante, ce qu'il s'était alors empressé de faire pour éviter de payer plein tarif son maigre repas. Et pour couronner le tout, Marco avait reçu une note médiocre à une interrogation réalisée en travaux dirigés qu'il pensait pourtant avoir réussie. Bref, la totale !
En fin d'après-midi, il ne fut pas fâché de retrouver le confort de son appartement. À peine fut-il arrivé qu'il s'installa sur son lit, son ordinateur portable sur les genoux. En quelques minutes, son esprit s'égara dans un autre monde, laissant derrière lui la mauvaise journée qu'il venait de vivre. Ses doigts pianotaient agilement sur le clavier de l'appareil qui inscrivait chaque petit symbole à l'écran. Le fichier sur lequel travaillait Marco avec tant d'enthousiasme contenait déjà près de trente milles mots. Il ne s'agissait évidemment pas d'un quelconque devoir universitaire, mais bien d'un roman dont il avait récemment commencé l'écriture. Ce n'était pas le premier, car le jeune homme avait quelques histoires à son actif, bien cachées au fond de son ordinateur. Mais ce nouveau projet était de loin le plus abouti, et si le manuscrit final s'avérait satisfaisant, Marco aurait beaucoup aimé le faire lire à quelques ami‧e‧s afin de recueillir leurs avis.
Le jour déclina au-dehors à mesure que les heures passèrent. Dans la soirée, le jeune écrivain prit tout de même le temps de manger un morceau et de prendre une douche avant de se replonger dans son roman, bien décidé à terminer son chapitre avant d'aller se coucher. Lorsqu'il y posa un point final, Marco ne retint pas un énième bâillement. Il n'était pas si tard que cela, mais le jeune homme avait passé une si mauvaise journée qu'il se sentait exténué. Quelques secondes plus tard, il éteignit sa lampe de chevet et s'allongea sous sa couette. Ce soir, il avait la ferme intention de refaire le plein d'énergie en passant une très bonne nuit. Demain serait un jour nouveau ; et il comptait bien le rendre plus agréable que la veille !
Mais le sommeil réparateur qu'il avait tant espéré lui fila entre les doigts. Car le lendemain matin, vers six heures, Marco fut encore réveillé par cet étrange bruit qui coupa court à sa nuit. Le pauvre garçon laissa échapper un grognement désespéré avant même d'ouvrir ses paupières. Bon sang ! Mais qui diable s'amusait à le torturer de la sorte ? Voilà des semaines qu'il n'avait pas pu profiter d'une grasse matinée correcte, et cette foutue sonnerie qui en était la cause directe commençait sérieusement à lui taper sur le système.
Marco avait l'habitude d'être grognon au réveil. Mais ce matin-là, il se sentit plus remonté que jamais. S'il avait jusqu'alors subi sans broncher, il était visiblement arrivé à la limite de ce qu'il pouvait supporter. Au lieu de se recroqueviller sous sa couette, le jeune homme s'en débarrassa d'un coup de pied ferme afin de quitter la chaleur de son lit. Son poing s'abattit rageusement sur l'interrupteur de l'ampoule qui éclaira la pièce de sa lumière aveuglante. Sans faire preuve de davantage de douceur, Marco tourna le verrou de sa porte qu'il ouvrit à la volée. Trois secondes plus tard, la paume de sa main frappait contre celle de l'appartement voisin.
Marco eut tout le loisir de remettre en cause sa décision durant les minutes qui suivirent, car on ne se pressa pas pour lui répondre. Pourtant, maintenant qu'il se trouvait sur le pallier de son étage, il était absolument certain que l'horrible bruit provenait de cet endroit précis. Ce constat l'encouragea à insister, si bien qu'il martela la porte de plus en plus fort, en priant pour que quelqu'un finisse par l'entendre.
Le jeune homme patienta bien cinq minutes sur le seuil avant de percevoir de l'agitation à l'intérieur. Lorsqu'il entendit enfin le verrou tourner, Marco sentit son rythme cardiaque s'accélérer. À cet instant précis, il était tiraillé par des émotions contraires : l'exaspération, l'appréhension, et même l'embarras. D'un côté, il avait envie de prendre ses jambes à son cou pour éviter la confrontation imminente qui s'avérerait probablement très gênante. D'un autre, il était vraiment à deux doigts de sauter à la gorge de cellui qui l'empêchait de dormir correctement depuis trop longtemps.
Seulement, Marco était un garçon bien élevé. Il allait donc s'efforcer de réprimer ces légères pulsions meurtrières pour ne pas causer d'esclandre de si bon matin. Tandis que la porte s'ouvrait lentement, il s'empressa de revêtir un sourire de façade (qu'il espérait poli) pour accueillir sa voisine ou son voisin. Ce fut finalement un jeune homme qui apparu devant lui, le bras négligemment appuyé contre l'encadrement. Le détail qui sauta aussitôt aux yeux de Marco, c'était que ce garçon ne portait pas de pantalon. Il venait, dans le plus grand des calmes, d'ouvrir sa porte à un inconnu alors qu'il n'était couvert que d'un tee-shirt et d'un pauvre caleçon. Une fois la surprise passée, le regard de Marco remonta très vite de l'endroit où il était parti se perdre. Il n'était pas venu pour reluquer les longues jambes de son voisin, merde !
— Salut ! se lança-t-il rapidement, espérant briser l'étrange atmosphère qu'il sentait s'installer. Désolé de te déranger de si bon matin, mais j'ai cru entendre un genre de... sonnerie ? C'est comme un bruit de fond qui vient de chez toi...
Le court silence qui suivit fut assez gênant pour Marco. L'espace de quelques secondes, il se sentit dévisagé par son voisin, qui ne se pressa pas pour lui répondre. Derrière les mèches claires qui retombaient sur son front, des sourcils froncés surmontaient une paire d'yeux ambrés plissés par la fatigue. Il avait l'air d'analyser la question qu'on lui posait, laquelle n'était pourtant pas très compliquée à comprendre !
— Ah, lâcha-t-il enfin. C'est probablement mon réveil.
Le jeune homme semblait fonctionner au ralentit. Entre ce manque crucial d'énergie et son apparence négligée, Marco se demanda s'il venait de le tirer du lit. Le bâillement auquel il assista ne fit que renforcer cette hypothèse, mais celle-ci n'avait pourtant pas de sens ! Car s'il avait entendu ce supposé réveil sonner ce matin, il devrait en être de même pour son voisin. Comment celui-ci pouvait-il tout juste se réveiller alors que le bruit s'était étiré pendant quinze longues minutes avant que Marco ne se présente à sa porte ? En tendant l'oreille, le jeune homme réalisa qu'il n'entendait plus rien du tout... Ce casse-tête commençait vraiment à lui donner la migraine.
— Écoute, craqua-t-il, je vais être honnête avec toi. Ça fait des semaines que j'entends ton réveil sonner tous les matins pendant une demi-heure. J'ai l'impression qu'il n'est pas très efficace sur toi, mais je t'assure qu'il fonctionne très bien sur moi ! Ça me gêne beaucoup de me pointer devant toi pour me plaindre alors qu'on ne se connaît pas du tout, mais j'aimerais vraiment pouvoir dormir sereinement. Et donc... Tu penses que ce serait possible de faire quelque chose ?
Sa tirade, qui avait commencé sur un ton plutôt énervé, s'acheva telle une supplique. Voilà qui représentait fidèlement l'état d'esprit de Marco, qui ne demandait qu'à pouvoir profiter de ses matinées en paix. Il guetta la réaction de son voisin qui se fit encore attendre. Pourtant, lorsque l'information monta enfin à son cerveau, celui-ci sembla soudain très préoccupé.
— Attends, attends, que je sois sûr de comprendre... marmonna-t-il en se frottant les tempes. Tu peux entendre mon réveil depuis chez toi ? Et ça t'empêche de dormir le matin ?
— C'est ça, acquiesça laconiquement Marco.
— Merde, je ne savais pas du tout ! Je suis vraiment, vraiment désolé, s'excusa aussitôt l'autre. Je vais... Je vais essayer de baisser le son, bien sûr. Si tu l'entends toujours demain matin, tu pourrais venir me le dire ?
Tout en s'excusant à nouveau, son voisin ajouta même qu'il ne devait pas hésiter à frapper fort (très fort) contre sa porte pour se faire entendre. Quoiqu'un peu surpris, Marco bafouilla qu'il le ferait. Il ne s'attendait pas forcément à ce que le jeune homme prenne autant à cœur son problème, si bien qu'il s'en trouva presque gêné... Lorsqu'il fut de retour dans son lit douillet, quelques minutes plus tard, il réalisa qu'il en avait même oublié de demander au voisin son prénom !
Trois jours après cet incident, Marco se tenait de nouveau devant la porte de son cher voisin qu'il martelait de coups. Quand celui-ci lui ouvrit enfin, il lui adressa un sourire désolé.
— On dirait que ça ne marche pas non plus...
Le jeune homme avait beau diminuer le volume sonore de son réveil, étouffer son téléphone sous son oreiller ou même déplacer son lit de l'autre côté de la pièce, le bruit continuait de percer jusqu'à l'appartement voisin.
— C'est à se demander si les murs sont fabriqués en papier mâché, maugréa-t-il. T'es vraiment pas bruyant, alors je n'avais jamais remarqué que l'insonorisation était aussi mauvaise. Je crois même qu'on peux s'entendre éternuer !
— C'est clair, souffla Marco.
Lui non plus n'y avait pas prêté grande attention jusqu'à présent, probablement car il lui arrivait souvent de passer des journées entières affublé de son casque audio.
— La puissance du réveil en elle-même n'est peut-être pas le problème, songea-t-il soudain. Après tout, s'il était bref, je n'aurais probablement pas le temps de l'entendre. Les murs ne sont pas si fins. Au pire, je pourrais me rendormir. Ce qui est plus embêtant, c'est la période sur laquelle le réveil sonne.
Marco jeta un coup d'œil vers son voisin qui était redevenu silencieux suite à ses observations plus que légitimes. Il avait esquivé le sujet jusqu'à présent, mais il ne pourrait pas nier cette anomalie éternellement. Car qui pouvait laisser sonner un réveil pendant une longue demi-heure sans se lever pour l'éteindre ? Comment était-ce même possible ? Au moment même où ces interrogations se matérialisaient autour d'eux, la fameuse sonnerie repris de plus belle. Marco vit son voisin se retourner pour aller l'éteindre sur son téléphone.
— Merde, constata-t-il, je vais être en retard !
Il se passa une main dans ses cheveux châtain, l'air hésitant. Puis il finit par pousser un soupire résigné.
— Dis, tu veux bien repasser ce soir ? Je t'expliquerais tout, promis. On va bien finir par trouver une solution.
Le sourire qu'il lui adressa encouragea Marco à accepter cette proposition. Bien qu'intrigué, il s'abstint de tout autre commentaire. Ses questions, il les garderait donc pour ce soir. Peut-être pourrait-il également en profiter pour lui demander pourquoi diable son voisin ne prenait jamais la peine d'enfiler un pantalon avant de venir lui ouvrir la porte...
Dans la soirée, Marco se présenta donc chez son voisin qui le fit aussitôt entrer. C'était la première fois qu'il le voyait vêtu de la tête aux pieds. Le châtain se dandina légèrement, ne sachant visiblement pas comment commencer cette étrange conversation. Son invité préféra s'en charger.
— Au fait, avec toute cette histoire, je crois qu'on ne s'est même pas présenté. Je m'appelle Marco.
— Moi, c'est Jean, lui répondit son voisin en souriant. Je peux te proposer quelque chose à boire ?
Une fois qu'ils furent tous deux installés autour de la petite table de cuisine, le dénommé Jean se racla la gorge. Il était grand temps d'aborder le sujet qui les intéressait, et à la surprise de son invité, qui s'attendait peut-être à une certaine retenue, le châtain ne s'embêta pas à passer par quatre chemins.
— Je suis hypersomniaque, lâcha-t-il.
Cette déclaration laissa Marco perplexe. Ses yeux chocolat se plissèrent alors qu'il hochait lentement la tête, signe qu'il n'avait absolument rien compris. Il était bien sûr familier avec le terme d'insomnie, lequel désignait des problèmes de sommeil qui en diminuait la qualité ou la quantité. Mais c'était probablement la première fois qu'il entendait parler d'hypersomnie. Au vu de leur étymologie, ces deux pathologies devaient être en quelque sorte opposées.
— Donc... Tu dors beaucoup ? supposa-t-il.
— C'est l'idée, admis Jean. Concrètement, il me faut au moins dix heures de sommeil par nuit. Et malgré ça, je somnole souvent en journée. Il m'arrive même de faire des siestes en plus. Quant au réveil... Disons que c'est très compliqué.
Les pièces du puzzle s'emboîtèrent dans l'esprit de Marco. L'explication de son voisin tenait parfaitement la route.
— D'où la sonnerie que tu n'entends pas, soupira-t-il.
— J'en ai peur, confirma le châtain avec un sourire embarrassé. Je suis vraiment, vraiment désolé.
Marco lui assura qu'il était tout excusé. Après tout, Jean n'avait pas agi dans l'intention de lui nuire. Il ne pouvait pas savoir que son réveil sonnait aussi fort et aussi longtemps chaque matin ou même que l'insonorisation était aussi mauvaise. Ce n'était finalement que la conséquence malheureuse d'un trouble du sommeil qui, à bien y penser, devait sérieusement lui compliquer la vie au quotidien.
— Mais alors comment tu fais ? Pour te réveiller.
— J'essaie de me coucher tôt et je prévoie plusieurs sonneries le matin, expliqua Jean. Mais ce n'est pas toujours suffisant. Je peux être au lit dès vingt-et-une heures, et ne me réveiller qu'à huit ou neuf heures le lendemain. Pour être honnête, je suis presque systématiquement en retard !
Le jeune homme abordait le sujet en riant, mais on pouvait aisément imaginer à quel point cela devait être embêtant. Pour lui comme pour son entourage, d'ailleurs. Après tout, c'était précisément la raison pour laquelle Marco se retrouvait ici ce soir, dans l'espoir de trouver une solution à leur problème.
— J'ai effectivement l'impression que les sonneries ne fonctionnent pas sur toi, attesta-t-il avec embarras. Est-ce qu'il existerait des méthodes plus... efficaces pour te réveiller ?
— Eh bien... hésita Jean. C'était beaucoup plus facile quand je vivais encore chez ma mère. Elle me réveillait en même temps qu'elle. Quitte à me tirer du lit par les oreilles...
Marco prit le temps de réfléchir. Une aide extérieure avait le mérite d'agir sur davantage de sens qu'une pauvre sonnerie... En effet, il semblait plus facile de réveiller quelqu'un en lui parlant directement, voire même en le secouant un peu.
— Je pourrais peut-être venir te réveiller.
Jean cligna plusieurs fois des yeux.
— Tu... Tu ferais ça ? s'étonna-t-il.
— Pourquoi pas ? Tu pourrais me donner ton emploi du temps. Et un double des clés. Quitte à retourner me coucher juste après au besoin. Le plus important, c'est que je n'aurais plus à entendre cette horrible sonnerie !
Jean acquiesça silencieusement. Il reconnaissait qu'une telle méthode pourrait être la solution à leurs problèmes mutuels. Seulement, il s'en voulait un peu de forcer ainsi son voisin à faire office de réveil-matin pour lui...
— On peut toujours essayer, lui assura Marco. Si ça ne nous convient pas, on réfléchira à autre chose.
Jean hésita une dernière fois. Mais à défaut d'une meilleure idée, il finit par accepter la proposition du jeune homme.
Fidèle à lui-même, Marco grogna lorsque la sonnerie désagréable de son réveil mit fin à son précieux sommeil. Il tendit le bras hors des couvertures, cherchant à tâtons son téléphone posé au sol. Le silence reprenant rapidement ses droits, il soupira d'aise. Bien qu'encore endormi, Marco se redressa aussitôt dans son lit pour étirer ses membres amorphes. Il ne pouvait pas risquer de se rendormir, d'autant plus qu'il avait désormais une mission à accomplir !
À peine fut-il levé que le jeune homme tourna le verrou de sa propre porte. Il attrapa les clés qui pendaient sur la poignée et en utilisa une pour entrer à l'intérieur de l'appartement voisin. Cette succession de gestes lui était progressivement devenue naturelle à force de les répéter. Car voilà déjà plusieurs semaines que Marco se chargeait de réveiller Jean, et ce petit arrangement leur convenait toujours aussi bien.
Comme chaque matin (ou presque), Marco commença par ouvrir les volets roulants de la pièce. Il s'attaqua ensuite au plus gros du travail : réveiller le locataire des lieux. Car en dépit de la lumière du soleil qui commençait à réchauffer l'appartement, Jean dormait encore profondément au milieu de son grand lit. Marco n'hésita pas lorsqu'il attrapa la couette et l'envoya voler aux pieds du jeune homme, dévoilant ainsi son corps étalé sur le matelas, telle une véritable étoile de mer. Mais ce petit changement de température ne suffirait pas à tirer Jean de son sommeil. Ce n'était qu'une première étape.
À vrai dire, Marco aurait pu passer de longues minutes à secouer son voisin, à lui chatouiller les flancs ou même à lui faire renifler un vieux morceaux de fromage. Au fil des semaines, il avait appris à faire preuve d'ingéniosité pour comparer l'efficacité de différentes méthodes et (plus simplement) pour se divertir. Seulement, ce matin, Marco manquait de sommeil. Il était donc vraiment pressé de retourner dans son propre lit pour y dormir encore un peu.
Au diable l'ingéniosité, il décida ainsi d'opter pour une méthode simple, mais redoutable ! En trois pas, il atteignit la cuisine et, plus précisément, le lavabo où il fit couler un peu d'eau. Lorsqu'il retourna auprès de Jean, ce fut sans état d'âme que Marco remonta légèrement son t-shirt pour poser ses mains horriblement glacées sur le ventre de l'endormi. Ce dernier fut parcouru d'un frisson. Et quelques secondes plus tard, deux yeux ambrés se posèrent sur le propriétaire des doigts gelés.
— Je déteste quand tu fais ça, grogna Jean.
Marco s'esclaffa, ce qui donna envie à sa victime de gommer ce sourire victorieux de son visage. Jean n'était jamais très vif au réveil, mais son adversaire était lui-même trop fatigué pour esquiver les doigts vengeurs qui s'enfoncèrent dans un endroit très stratégique, situé juste sous ses côtes. Dans un réflexe, Marco se plia en deux pour échapper à l'agression. Jean en profita pour attraper ses cheveux bruns qu'il ébouriffa.
— T'as l'air drôlement claqué, remarqua-t-il.
— Je crois que j'ai du sommeil à rattraper, soupira Marco. Heureusement que je n'ai aucun cours aujourd'hui...
La tête du jeune homme était désormais appuyée contre le matelas, à quelques centimètres du corps de Jean. Le châtain eut tout le loisir de constater que ses paupières peinaient à rester ouvertes. Marco semblait vraiment épuisé.
— Tu peux rester dormir ici, si tu veux, proposa soudain Jean. Mon lit est beaucoup plus confortable que le tien.
L'idée était plus que tentante. Car même si son propre appartement n'était qu'à deux pas d'ici, Marco n'avait plus envie de bouger ne serait-ce que son petit orteil. De toute façon, il n'eut pas le temps d'hésiter ; Jean l'avait déjà attiré sur le grand matelas douillet. Son corps disparu presqu'entièrement sous la couverture qui fut rabattu dessus.
Autour de lui, Jean s'affaira. Le jeune homme prit son petit déjeuner, puis il termina de se préparer dans la salle de bain. Avant de partir, il informa Marco qu'il rentrerait d'ici quatre heures, une fois son cours magistral terminé. Mais à en juger par le manque de réaction de son invité, il songea que celui-ci devait déjà s'être endormi. Jean referma doucement sa porte derrière lui. Sur le pallier, il n'oublia pas de refermer aussi celle de l'appartement voisin, que Marco avait laissé ouverte.
Cet incident, s'il était le premier de ce genre, ne fut pas le dernier. Les semaines passèrent, et Marco continuait de venir réveiller Jean au petit matin. Mais leurs rapports ne s'arrêtaient plus qu'à ce simple arrangement, car les deux jeunes hommes s'étaient beaucoup rapprochés. Puisqu'ils habitaient à quelques mètres seulement, ils en avaient naturellement profité pour passer quelques soirées ensemble autour d'un repas. Jean et Marco avaient ainsi eu le temps de faire vraiment connaissance, au point de devenir très bons amis.
Leur relation, qui avait commencé d'une bien étrange façon, ne cessait de s'améliorer. Ces derniers temps, Marco était presque toujours fourré chez Jean. Ils cuisinaient et mangeaient ensemble presque quotidiennement. Et lorsqu'ils avaient un peu de temps libre, ils en profitaient toujours pour regarder un film ou une série. Parfois, ils ne faisaient que discuter pendant des heures, tout simplement. Ces derniers temps, il leur arrivait régulièrement de vaquer silencieusement à leurs occupations respectives, sans que l'idée ne leur vienne de se séparer. C'était dire à quel point ils appréciaient la compagnie de l'autre !
Pour une raison qu'il n'aurait pas vraiment su expliquer, Marco aimait beaucoup écrire chez Jean. Son appartement n'offrait pourtant pas un cadre si différent du sien. Ce n'était donc pas vraiment une question d'espace ou de lumière, mais davantage une histoire de ressenti. Marco s'y sentait bien pour la simple raison que cet appartement était celui de Jean. Il aimait se trouver dans son espace, à tel point qu'il commençait à se demander s'il n'y passait pas un peu trop de temps...
Le jeune homme haussa les épaules, chassant ses idées de sa tête. Du moment que cette situation leur convenait à tous les deux, il n'y avait probablement pas lieu de la remettre en question. Marco préféra se reconcentrer sur l'écran de son ordinateur, qui affichait le dernier chapitre en date de son roman. Ses doigts se remirent à pianoter sur le clavier, faisant apparaître de nouveaux mots à un rythme plutôt irrégulier.
Lorsqu'il était lancé, Marco pouvait écrire des pages et des pages sans s'arrêter. Mais il lui arrivait fréquemment de rencontrer des obstacles dans sa progression. Au fil du temps, Jean avait appris à déduire l'état d'esprit de son ami grâce au seul cliquetis de ses doigts sur les touches. C'était là un talent qu'il n'hésitait pas à mettre à profit. Devinant que Marco se trouvait présentement face à l'une de ces impasses, Jean se pencha par dessus son épaule pour essayer de décrypter ce qu'il était en train d'écrire... Mais l'écran se referma aussitôt.
— Quand est-ce que tu me laisseras enfin te lire ? rouspéta-t-il à l'attention de l'écrivain en herbe. Même un petit bout...
— Pas encore ! Il est loin d'être fini, lui rappela Marco.
Jean fit la moue. Son menton se posa au sommet de la tête de son ami, qu'il écrasa gentiment de son poids.
— Tu mets ma patience à rude épreuve. En plus, je pourrais peut-être t'aider lorsque tu es bloqué, lui glissa-il l'air de rien. C'est important d'avoir un regard extérieur.
Sa remarque sembla faire mouche, car Marco prit quelques secondes pour la considérer. Il était vrai que Jean pouvait peut-être lui apporter quelques références en la matière... Le jeune écrivain soupira, s'avouant partiellement vaincu.
— J'ai une scène précise en tête, mais j'ai du mal à visualiser la position des personnages, expliqua-t-il. Ça m'empêche de savoir comment les décrire correctement.
— Que font exactement tes personnages ?
Sans rentrer dans les détails de l'intrigue, Marco s'efforça de lui exposer très brièvement la scène qu'il voulait représenter. Il était notamment question de la manière dont pouvait s'articuler un bras et sa conséquence sur l'étendue du champ visuel. Après l'avoir écouté attentivement, Jean invita son ami à se lever pour le rejoindre au milieu de la pièce.
— Le meilleur moyen de comprendre les rouages du corps humain, c'est d'observer ses mouvements, affirma-t-il avec assurance. Ce sera comme faire du théâtre !
Marco se garda bien de dire que, en tant que bon introverti qui se respectait, il avait horreur de se mettre en scène de la sorte... Il fut rassuré de comprendre que Jean se chargerait lui-même de jouer les acteurs, tout en laissant à Marco le rôle du metteur en scène. Quoi qu'un peu gêné par la chose, celui-ci lui répéta ses instructions avec davantage de précision. Il observa longuement la position adoptée par Jean, puis entreprit d'y apporter quelques petits changements qu'il estimait nécessaire. Enfin, il se positionna lui-même à différents endroits de la pièce afin de délimiter jusqu'où son acteur pouvait voir.
Marco se surprit à trouver cette technique drôlement efficace. Il était beaucoup plus facile pour lui de s'appuyer sur un modèle extérieur, car il avait l'habitude de visualiser ainsi toutes les scènes de ses histoires. Et à la différence d'une image, il pouvait librement faire adopter une autre position à Jean pour déterminer celle qui lui convenait le mieux. Satisfait, Marco retrouva sa place derrière son ordinateur dont il écrasa aussitôt les touches. Le jeune homme releva momentanément la tête pour s'adresser à Jean, qui le regardait en souriant.
— Merci beaucoup, lui glissa-t-il.
— À ton service, comme toujours.
Assis en tailleur sur sa chaise de bureau, Jean planchait sur un devoir universitaire. Il devait rendre son travail d'ici deux petits jours, mais il avançait si lentement qu'il craignait de ne pas réussir à le rendre à temps... Les murs de son appartement semblèrent lui renvoyer l'écho de son soupir. En réalité, il s'agissait plutôt de celui que venait justement de pousser Marco au même moment. Jean tourna la tête vers son ami qui, bien calé au fond de son propre lit, avançait encore sur son roman. Depuis qu'il avait commencé l'écriture des tous derniers chapitres, le jeune écrivain se montrait de plus en plus exigeant sur la qualité de ses phrases. Ce qui lui valait de buter encore plus régulièrement sur des passages qu'il n'arrivait pas à décrire correctement. Marco releva la tête, croisant ainsi le regard de Jean. Le sourire de celui-ci s'agrandit lorsqu'il vit son ami s'extirper des couvertures pour s'avancer vers lui.
— Tu veux que je me lève ?
— Ce ne sera pas la peine.
Marco se plaça derrière Jean, ce qui ne permit pas à ce dernier de suivre ses gestes de ses yeux curieux. Sans un mot, le jeune écrivain attrapa délicatement les poignets de son acteur, lesquels se retrouvèrent maintenus dans son dos d'une main habile. Grâce à l'autre, Marco saisit la mâchoire de Jean entre ses doigts afin d'incliner sa tête en arrière. Sa nuque se retrouva contre le dossier de la chaise, tandis que ses yeux ambre rencontrèrent leurs homologues sombres.
Jean retint son souffle. Le visage de Marco n'était qu'à quelques centimètres seulement du sien, ce qui mettait son cœur à rude épreuve. Le jeune homme n'avait vraiment aucune idée de la tête qu'il pouvait bien faire à cet instant précis. Il espérait simplement que toutes ses pensées ne transparaissaient pas sur son front, au quel cas il aurait été très embarrassé. Et Marco qui continuait de le regarder en silence... Bon sang, mais qu'était-il exactement en train d'écrire ? Quelques secondes plus tard, l'écrivain en herbe le libéra de son emprise. Mais après cet incident, Jean n'avait vraiment plus la tête à la réalisation de son devoir. Le jeune homme dut se faire violence pour chasser les papillons qui s'étaient invités dans son esprit.
Depuis ce fameux jour où il avait proposé à Marco de l'aider, son ami requérait ses services à intervalles de plus en plus réguliers. Mais si le jeune écrivain se montrait beaucoup moins embarrassé lors de leurs mises en scène, ce n'était plus tout à fait vrai pour Jean. Ces derniers temps, il avait l'impression que ces petits jeux de rôle se faisaient de plus en plus audacieux. Marco n'hésitait plus à le toucher lorsqu'il en avait besoin, quitte à prendre les devants comme il venait de le faire. Entre ses doigts, Jean avait parfois l'impression de devenir un pantin désarticulé qui obéissait à ses moindres gestes... Et cette idée, qui était loin de lui déplaire, faisait frissonner le jeune homme pour des raisons très variées.
Mais à sa grande surprise, Marco abordait toujours un visage impassible lors de ces moments parfois très intimes. Peut-être cachait-il bien son jeu... Jean le soupçonnait plutôt de ne pas en avoir conscience, tout du moins tant que celui-ci gardait son masque d'écrivain. C'était comme des lunettes magiques qui lui permettait de se distancer par rapport au monde réel. Ce que Jean voulait découvrir, c'était tout ce qui pourrait se passer lorsque ce masque tomberait... Et il avait bien quelques idées qui pourraient justement conduire Marco à regagner ses sens. En parlant du loup ; le jeune écrivain avait à peine retrouvé sa place sous les couvertures qu'il les quittait déjà pour s'approcher à nouveau de son ami, dont la présence était devenue indispensable à son processus d'écriture. Jean prit un air amusé. Il avait comme l'impression qu'il n'avancerait pas beaucoup sur son devoir aujourd'hui...
— Et cette fois, tu veux que je me lève ?
Marco hocha la tête. Quand son modèle fut debout, il prit sa place sur la chaise de bureau. Ses mains attrapèrent à nouveau les poignets de Jean, qui ne se retrouvèrent pas derrière son dos, mais de chaque côté de l'assise qu'occupait son ami. Cette position l'obligeait à se pencher considérablement vers le corps de Marco, tout en lui étant inférieur. Le trouble de Jean ne s'arrangea pas lorsque l'écrivain l'invita, d'un doigt sous son menton, à relever la tête pour le regarder dans les yeux. Voilà qui était, sans aucune doute possible, très dangereux.
De son côté, Marco ne paraissait pas tout à fait satisfait de cette position. Cette proximité, cette intimité, ce n'était pas exactement ce qu'il avait imaginé. Dans son esprit, les personnages conservaient une distance plus raisonnable. Cette scène devait dégager un rapport de force. Le personnage qui était debout devait garder une certaine hauteur par rapport au personnage qui se trouvait assis. Cette supériorité ne transparaissait pas du tout dans la position actuelle de Jean, dont la tête se trouvait tout juste au niveau de son menton. Celui-ci devait même lever les yeux pour le regarder...
Non, ce n'était définitivement pas l'image qu'il avait à l'esprit. À vrai dire, Marco commençait à se sentir quelque peu troublé de l'ambiance qu'il avait lui-même inconsciemment fait naître. Le jeune homme cligna plusieurs fois des yeux, se demandant pourquoi il avait soudainement du mal à respirer. L'air n'était-il pas devenu plus lourd autour d'eux ? Face à lui, Jean se délecta de voir tomber le masque de l'écrivain. Il ne bougea pas d'un poil, laissant à Marco tout le loisir de prendre conscience de la position légèrement compromettante dans laquelle il se trouvait ; et des effets étourdissants que cette proximité avait sur leurs deux corps respectifs. Après quelques secondes passées dans un silence des plus religieux, Jean adressa un sourire espiègle à celui qu'il avait fait prisonnier.
— Est-ce que ça fait toujours partie du script ? murmura-t-il.
— Non, souffla Marco, ça n'en fait certainement pas partie.
Ils échangèrent un dernier regard ; un seul, qui lui fit néanmoins l'effet d'un véritable déclic. Car l'instant d'après, Marco attirait Jean à lui pour l'embrasser. Le jeune homme comprit enfin ce qui semblait lui échappait depuis des mois : il était tout simplement tombé amoureux de son voisin.
Nᴏᴛᴇ ᴅᴇ Lʏᴀ
Figurez-vous que ce one-shot est le tout premier que j'ai écrit ! Il traîne dans mes tiroirs depuis plus d'un an maintenant... Oui, vous pouvez me jeter des tomates.
Je réalise que la plupart des one-shots de ce recueil n'ont finalement pas trait à la romance. C'est un peu cocasse, pour une fanweek ! Profitez donc de cette touche de douceur.
Pour la petite anecdote, ce récit s'inspire partiellement d'une situation que j'ai vraiment vécue. Il y a deux ans maintenant, j'entendais systématiquement le réveil de mon voisin sonner très tôt le matin. Je n'ai évidement jamais eu les couilles de toquer à sa porte pour me plaindre... RIP mon sommeil.
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