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𝟎𝟑 ¦ 𝐋'𝐀𝐅𝐅𝐀𝐈𝐑𝐄 𝐃𝐄𝐒 𝐑𝐎𝐈𝐒

𝐉𝐎𝐔𝐑 𝟎𝟑 ━ 𝟔,𝟗𝐊 𝐦𝐨𝐭𝐬
couronne, magie, homicide

     Marco flânait dans le centre-ville de la capitale, laissant traîner ses yeux et ses oreilles autour de lui. Voilà trois jours déjà que les crieurs de rues répétaient en boucle la même nouvelle : celle de l'assassinat du Roi Fritz. Selon la version officielle qu'on se murmurait, le souverain du royaume d'Eldia se serait étouffé en avalant la fève d'une galette, lors du dernier banquet donné en son honneur. Les responsables ayant déjà été appréhendés, les sujets de sa Majesté n'avaient pas à s'inquiéter car justice serait faite. Mais, bien sûr, les rumeurs allaient bon train entre les commères du pays entier.

     Le Roi est mort, vive le Roi ! Le petit peuple ne pleurerait pas longtemps le vieux Fritz, qui n'était guère aimé. Indifférent à la souffrance de ses sujets, l'ancien souverain préférait organiser des banquets où il se gavait à foison, alors qu'on mourait de faim dans les rues. L'aristocratie regretterait peut-être l'opulence et l'exubérance qui avaient marqué son règne, mais certainement pas son manque de courtoisie. Le Roi Fritz était un homme détestable que personne n'avait jamais véritablement apprécié. On trinquait probablement à sa mort dans les tavernes comme aux tables les plus nobles.

     Une fois qu'il se fut imprégné de l'ambiance de la ville, Marco remonta la rue principale qui menait tout droit au château. Suivant les indications qu'on lui avait fourni, il n'entra pas dans la cour mais bifurqua à droite pour longer l'un des remparts. Marco aperçu bien une porte, une cinquantaine de mètres plus loin, contre laquelle il frappa trois coups. Le jeune homme se glissa à l'intérieur de l'ouverture, se retrouvant face à face avec la personne qu'il venait retrouver : Hanji Zoë, lae médecin de la cour royale.

     — Merci de vous être déplacés, le salua-t-iel.
     — J'imagine que c'est important.
     — En effet. Cela concerne cette affaire de régicide.

     Marco comprit au ton qu'employa Hanji que cellui-ci nourrissait également quelques doutes concernant cet étrange assassinat qui survenait à point nommé. Chaque année, la couronne organisait un grand banquet en l'honneur des liens qui l'unissait aux mages. Les Rois Mages étaient alors invités à venir rendre hommage au Roi Fritz, notamment en lui apportant une galette des Rois. Contrairement à celles que dégustaient le petit peuple, cette galette ne contenait pas de fève, car seul le Roi pouvait être couronné en son château.

     Un banquet de ce genre fut tenu, quelques jours plus tôt. On raconte qu'à peine servi, le Roi Fritz se serrait effondré au sol, sa part de galette entamée à la main. Les témoins accusèrent aussitôt les Rois Mages d'avoir glissé une fève dans la galette, brisant ainsi huit cent ans de tradition dans l'objectif morbide d'assassiner leur souverain. Les trois hommes furent emprisonnés sur le champ dans l'attente de leur procès, mais tout le monde les savait déjà promis à une mort certaine.

     — J'ignore s'il y a vraiment quelque chose de louche derrière tout cela, comme on se le murmure en ville. Ce que je sais, expliqua Hanji à voix basse, c'est qu'on me refuse d'examiner la dépouille du Roi. Et en tant que médecin, il est de mon devoir de m'assurer que cet homme est bien mort en s'étouffant sur une fève. Il en va de la survie de ce royaume.
     — Qu'attendez-vous exactement de moi ? s'enquit Marco.
     — J'aimerais que vous enquêtiez sur cette affaire. En toute discrétion, cela va de soit. On m'a dit que vous excellez dans votre domaine. Votre prix sera donc le mien.

     Marco prit le temps de la réflexion. Il s'agissait là d'un engagement particulièrement risqué, car il serait amené à fouiller au cœur d'un potentiel complot. Au moindre faux pas, c'était la potence qui l'attendait pour l'envoyer aux côtés de ce cher Roi Fritz. Seulement, le jeune homme reconnaissait avoir lui-même envie de découvrir le fin mot de cette histoire... Lae médecin attendait impatiemment sa réponse, les yeux plissés derrière ses étranges lunettes. Et Marco finit par accepter.

     Une fois qu'il eu serré la main d'Hanji, scellant leur accord, Marco reprit le même chemin qu'il avait emprunté pour venir, mais en sens inverse. Derrière son attitude nonchalante, il restait sur ses gardes, priant pour ne pas faire de mauvaises rencontres. En dépit de ses sens aiguisés par l'habitude, quelqu'un parvint à s'approcher de lui, sans se faire remarquer, et glissa son bras sous le sien. Marco sursauta, mais il se calma de suite en reconnaissant le sourire enjoué de Jean.

     — Qu'est-ce que tu fais là ? Je t'avais dit que j'irais seul !
     — Ne t'énerve pas ! Je voulais juste prendre l'air.

     Marco soupira devant l'air nonchalant de son compagnon.

     — Tu ne devrais pas sortir aussi imprudemment par les temps qui courent, lui reprocha-t-il. Si la magie n'avait déjà plus très bonne réputation, cela ne risque pas de s'améliorer.

     Jean fit la moue, mais il savait que Marco avait probablement raison. Avec l'assassinat du Roi Fritz par les Rois Mages, la couronne pouvait décider à tout moment d'engager une traque contre les mages. En dépit des banquets annuels et des belles paroles, celleux qui, comme lui, pratiquaient la magie, n'étaient pas toujours les bienvenu‧e‧s au royaume d'Eldia. Les mages subissaient déjà bon nombre de persécutions, et beaucoup redoutaient une potentielle purge.

     Marco aurait pu continuer de lui faire la morale des heures durant, mais il s'en abstint heureusement. Mieux valait garder profit bas en ville, où leurs propos pouvaient tomber dans de mauvaises oreilles. Pour lui faire comprendre qu'il n'était pas vraiment fâché, mais simplement inquiet, Marco entrelaça ses doigts à ceux de Jean. Il glissa leurs mains jointes dans la poche de sa cape, à l'abri des regards indiscrets.

     Marco attendit de retrouver l'intimité de la chambre d'auberge qu'ils louaient pour confier à Jean les détails de sa nouvelle mission. Tous deux commencèrent immédiatement à envisager différentes hypothèses. Leurs soupçons se portèrent naturellement sur Rhode Reiss, fort prompt à assurer la régence. Le Roi Fritz n'ayant aucune descendance, la couronne revenait de droit à la seconde branche de la famille. Marco commença sa réflexion en réfléchissant à voix haute.

     — Quand bien même Reiss aurait voulu régner sur ce royaume, pourquoi se précipiter ? songea-t-il. Le Roi Fritz était vieux et seul. Il ne laisse aucune femme, aucun enfant, aucun sympathisant. Reiss était premier dans l'ordre de succession.

     Le nouveau Régent n'avait vraisemblablement aucun intérêt à agir de la sorte. Quelles que fussent les ambitions qu'il eut nourries, il n'aurait eut qu'à attendre patiemment le dernier soupir du vieux Fritz. L'ancien souverain était tant détesté qu'il pourrait s'avérer difficile de reconstituer précisément les circonstances de son décès fulgurant. Marco soupira.

     — Si seulement je pouvais interroger les Rois Mages... Je serais curieux d'entendre leur version de l'histoire.
     — Ils sont probablement enfermés au plus profond des souterrains, dans des cellules faites pour contenir la magie... grâce à la magie. Peu de personnes sont capables de supporter une telle pression. Mais tu pourrais y arriver.
     — Tu penses que l'endroit n'est pas surveillé ?
     — Les gardes doivent être stationnés à l'entrée des cachots. Je peux t'aider à te faufiler jusque là et à les mettre hors d'état de nuire, suggéra Jean. Ensuite, tu n'auras plus qu'à descendre.

     Deux nuits plus tard, Marco s'introduisit dans le château. Il longea les murs, enveloppé dans une longue cape sombre, de manière à être aussi discret qu'une ombre. Il rejoint sans trop d'encombres les cachots, où il utilisa une amulette bourrée de plantes dont les propriétés soporifiques avaient été décuplées par les talents de Jean. Marco la fit rouler sur le sol et resta à bonne distance, veillant à ne pas en respirer les effluves. Il parvient ainsi à endormir les quelques hommes qui montaient la garde, et s'enfonça dans les souterrains miteux.

     Il resta silencieux, veillant à ne pas alerter les prisonniers qui dormaient. La descente ne fut pas très longue. Marco sut qu'il n'était plus très loin lorsqu'il commença à ressentir une étrange pression sur ses épaules : celle de la magie. Celle-ci se fit de plus en plus prononcée, ainsi se demanda-t-il s'il serait vraiment capable de la supporter. Heureusement, il arriva bientôt aux fonds des souterrains, face à trois cellules distinctes dans lesquelles la couronne retenait captif les Rois Mages. Conscient qu'il ne disposait que de peu de temps, Marco ne s'embêta pas de courbettes inutiles et en vint droit aux faits.

     — Vos Altesses me trouveront peut-être effronté de me présenter ainsi devant vous avec de telles accusations, mais je dois le demander : avez-vous orchestré la mort du Roi Fritz ?
     — Jeune homme, je peux vous assurer qu'il n'y avait pas l'ombre d'une fève dans cette galette, dénia aussitôt l'un des Rois Mages. C'est à n'y rien comprendre !
     — Dans ce cas, racontez-moi ce qu'il s'est passé.

     Les trois prisonniers lui rapportèrent en détails les évènements du banquet au terme duquel on les avait arrêtés. Comme trop souvent ces dernières années, la cérémonie avait commencé dans une ambiance pesante. Les rapports entre la couronne et le monde magique s'étaient dégradés, ainsi personne ne comprenait vraiment pourquoi l'on s'entêtait à faire perdurer cette tradition annuelle.

     En dépit de leur scepticisme, les Rois Mages s'étaient pliés à la volonté du Roi Fritz en se rendant à ce banquet. Ils avaient tous trois déclamé les serments habituels avant de s'approcher de la table où siégeait les membres de la famille royale pour y déposer la fameuse galette. Rhode Reiss s'était levé pour couper la première part, qu'il avait évidement donné au Roi Fritz. Le souverain s'était empressé de planter ses dents gourmandes dans la pâte fourrée à la frangipane. Quelques secondes plus tard, il portait ses mains à sa gorge, les yeux écarquillés, la bouche grande ouverte, et tomba, raide mort.

     Marco écouta le récit des Rois Mages, songeur. Il y avait indéniablement quelque chose d'étrange dans cette histoire, mais quoi ? Marco sentait que la réponse était là, devant lui, pourtant il ne parvenait pas à mettre le doigt dessus. Il releva néanmoins un détail qui pouvait s'avérer important.

     — Rhode Reiss a lui-même coupé la part du Roi Fritz ?
     — Tout à fait. Il a insisté pour être celui qui le servirait.
     — C'est bien vrai, confirma un autre Roi Mage. Je m'en souviens car il a sortit de sa poche un magnifique couteau au manche de jade afin de couper la galette.

     Marco aurait voulu leur poser d'autres questions dans l'espoir de glaner un ou deux renseignements utiles, mais il sentait son corps faiblir. La magie l'écrasait à feu doux. Le temps venait à lui manquer. Plus il s'attardait, plus il risquait de se faire prendre ; et il ne donnait pas cher de sa peau. Choisissant la prudence, Marco s'excusa auprès des Rois Mages, à qui il promit de faire de son mieux dans sa quête de vérité, et remonta à pas de loups les souterrains. C'était avec soulagement qu'il sentit la magie se dissiper. Il passa devant les gardes, encore endormis, et rejoignit la surface.

     Marco se fit néanmoins repérer aux abords des remparts par une patrouille. Il sursauta lorsqu'on lui ordonna de s'arrêter, ce qu'il ne fit évidemment pas. Le temps que les gardes descendent jusqu'à l'endroit où ils avaient aperçu l'ombre de sa silhouette, Marco était déjà bien loin. Il rentra prudemment, mais prestement, à l'auberge où l'attendait impatiemment Jean. Soulagé de le voir revenir sain et sauf, son compagnon le prit affectueusement dans ses bras. Marco le mit immédiatement au courant de ses découvertes.

     — Ce Rhode Reiss fait décidément un suspect parfait.
     — Tout semble aller en ce sens, confirma Marco. Sauf que nous n'avons aucune preuve. Comment est-ce possible ? On doit forcément passer à côté d'un détail...

     Le jeune homme recommença à faire les cent pas dans leur petite chambre. Il rejoua mentalement la conversation qu'il avait eut avec les Rois Mages à la recherche d'une coquille, d'une incohérence, d'un indice qu'il pourrait creuser. Habitué à la manière dont fonctionnait son cerveau, Jean le regarda faire en silence, persuadé qu'il finirait par trouver la solution au problème mental que constituait cette affaire.

     — Quelque chose m'embête. Si le Roi Fritz s'est étouffé en avalant une fève, pourquoi n'a-t-il pas eu le réflexe de tousser ?
     — Il était plutôt vieux, fit remarquer Jean. Son corps n'a peut-être pas cherché à lutter. Ou la fève a pu se loger dans sa gorge de telle manière que l'air ne pouvait plus du tout passer.
     — Ce serait quand même une drôle de coïncidence...

     Marco ferma les yeux. Il s'efforça de pousser sa réflexion, d'enfoncer toutes les portes dans son esprit pour y dénicher le détail qui lui échappait pour établir une corrélation logique entre l'intervention de Reiss et la mort du Roi Fritz. Lorsqu'il le vit rouvrit brusquement ses yeux chocolat, Jean sut qu'il avait une nouvelle théorie. Marco vint prestement s'asseoir sur le lit de son compagnon pour lui exposer son idée.

     — Je ne pense pas que le Roi Fritz se soit étouffé.

     Jean fronça les sourcils, poussant Marco à s'expliquer.

     — Les Rois Mages ont décrit une mort fulgurante. Des yeux écarquillés, une bouche grande ouverte... Il ne cherchait pas à expulser un objet, insista-t-il. Il cherchait à respirer.
     — Tu pense qu'il a été empoisonné ? Par la galette ?
     — Pas directement. La galette était probablement délicieuse. On ne peut pas en dire autant du poison qui recouvrait le couteau de Rhode Reiss lorsqu'il a coupé sa part...

     Jean sembla valider cette hypothèse d'un hochement de tête.

     — Ça collerait avec ce que j'ai appris.

     Marco lui lança aussitôt un regard surpris. Ce fut au tour de son compagnon d'expliquer ce qu'il avait appris en son absence (ou plutôt, dans son dos).

     — Je peux déjà imaginer le savon que tu vas me passer, mais laisse-moi parler, veux-tu ? Je sais bien que tu m'avais dit de t'attendre sans bouger, mais il n'y a vraiment rien à faire dans cette chambre. Je voulais me rendre utile ! Et il se trouve que j'ai eu une idée pour dénicher les secrets les plus sensibles du château. Je me suis rendu dans un endroit où les gens parlent : la maison close la mieux famée du coin.

     Si la vision de Jean rendant une petite visite aux prostituées de la ville ne l'enchantait pas beaucoup, Marco garda ses lèvres scellées. Son compagnon s'empressa de poursuivre :

     — On y raconte que des négociations auraient été ouvertes concernant un mariage entre le Roi Fritz et une princesse étrangère, lâcha-t-il sur le ton de la confidence.

     Marco fut forcé de reconnaître l'importance de cette information. Si le Roi Fritz, veuf depuis des années, venait à se remarier avec une femme en âge de lui donner des enfants, l'ordre de succession au trône d'Eldia s'en verrait bouleversé. Mais pouvait-on vraiment croire les potins qui se murmuraient entre les murs d'un bordel ? Quoiqu'à bien y réfléchir, peu importait qu'un mariage fut vraiment envisagé ou non. Si Jean avait pu apprendre tout cela en une demi-journée, Rhode Reiss pouvait probablement en faire autant. Et le moindre doute aurait très bien pu le pousser à assassiner le Roi Fritz dans le simple but de sauvegarder son héritage.

     Épuisé à force de tant réfléchir, Marco s'allongea sur le lit de Jean dont les lattes usées grincèrent sous son poids. La journée comme la nuit avaient été longues pour lui. Il venait probablement de boucler l'affaire la plus difficile qu'il lui avait été donné de résoudre et, s'il en tirait une grande fierté, il avait également accumulé beaucoup de fatigue. Reconnaissant qu'il était plus que temps de dormir, Jean ne tarda pas à s'allonger aux côtés de son compagnon de toujours.

     — Tu ne vas pas me faire la morale ? plaisanta-t-il.
     — Non, pas ce soir. Je suis trop fatigué pour ça... Et puis, souffla Marco d'une voix endormie, tu es encore là, avec moi. Te savoir en sécurité, c'est tout ce qui m'importe.

     Un doux sourire étira les lèvres de Jean tandis qu'il le regardait sombrer dans le sommeil, son visage légèrement éclairé par la bougie posée sur la table de chevet. Sa lumière ne permettait pas à elle seule de dissiper entièrement l'obscurité de leur chambre qui n'était pourtant pas bien grande. Jean devinait plus qu'il ne voyait le second lit, celui de Marco, sur lequel ce dernier n'avait jamais dormi depuis son arrivé. Sans se départir de son sourire, Jean souffla la flamme de la bougie et se repositionna confortablement contre Marco pour passer une nouvelle nuit dans ses bras.

     Dans la matinée, Marco s'en alla retrouver Hanji, lae médecin de la cour, afin de lui faire part de ses déductions. Cellui-ci écouta attentivement ses explications qui corroboraient à certains bruits de couloir qu'on pouvait entendre au château. Quant à la théorie de l'empoisonnement, iel reconnu y avoir songé ; c'était certainement pour cette raison qu'on lui avait refusé le droit d'examiner le corps du Roi Fritz. Hanji était un·e médecin réputé‧e pour son savoir et son acharnement. Mieux valait éviter qu'une personne dans son genre consacre trop d'attention à la dépouille d'un homme qui ne présentait pas les caractéristiques d'un étouffement.

     Rhode Reiss avait bel et bien assassiné le Roi Fritz pour prendre sa place. Et, comble du déshonneur, il avait fait accuser trois hommes innocents à sa place. En blâmant ainsi les Rois Mages, c'était une guerre contre la magie elle-même qui pouvait se déclencher à tout moment. Cette affaire relevait de la plus haute trahison ! Et Reiss profitait impunément de sa position de Régent, pressé qu'on annonce la nouvelle de son couronnement. Comment remédier à cette situation ? Hanji devina probablement les inquiétudes de Marco, car iel lui adressa quelques mots remplis de mystère.

     — Je vous remercie pour vos efforts. Il est inutile de vous tourmenter pour la suite ; nous allons prendre le relais.
     — Nous ? Qu'entendez-vous par là ?

     Hanji ne répondit pas. Sur le chemin du regard, Marco se demanda quel plan lae médecin pouvait bien avoir imaginé. Mais arrivé devant son auberge, il finit par secouer la tête pour en sortir ces pensées. Hanji avait raison : tout ceci n'était plus son problème. Avec la récompense qu'il devrait empocher pour cette affaire, Marco pourrait vivre confortablement pendant quelques temps. Cet argent, il aurait aimé l'utiliser pour acheter une maison, quelque part, dans laquelle il pourrait habiter avec Jean. Mais la nature même du mage les poussait à bouger régulièrement, surtout par les temps qui courraient. Aucun endroit n'était jamais assez sûr aux yeux de Marco. La capitale, en particulier, lui donnait des sueurs froides ; ils la quitteraient probablement d'ici quelques jours pour un village tranquille.

     En poussant la porte de son auberge, Marco se demanda si Jean dormait encore comme un loir ; c'était ainsi qu'il l'avait laissé une heure plus tôt. Mais à peine eut-il jeté un regard à l'intérieur de l'établissement que Marco se figea. Devant lui, deux hommes affublés des uniformes de la garde royale semblaient l'attendre de pied ferme. Le jeune homme n'eut même pas le temps de songer à s'échapper qu'on l'attrapa pour le plaquer contre l'une des tables en bois de l'auberge.

     — Nous vous arrêtons pour conspiration et affiliation suspecte aux mages, lui fit-on savoir. Ordre du Régent.

     Les gardes lui saisirent chacun un bras et l'entraînèrent hors de l'établissement pour le conduire au château, où Marco serait jeté derrière les barreaux. Le prisonnier se débattu de toutes ses forces, mais les deux hommes étaient plus costauds que lui. Il avait envie de hurler, mais il se retient de faire une scène devant tous les curieux‧ses qui se pressaient pour le regarder.

     Marco tenait peut-être à la vie, mais en cet instant précis, il se moquait bien du sort qu'on pourrait lui réserver. Sa potentielle mort prochaine n'était pas ce qui le poussait à remuer dans tous les sens ou à lancer des regards inquiets autour de lui. Parmi la foule de personnes qui grouillaient dans les rues, il cherchait un visage en particulier. Où était passé Jean ? songea-t-il. Son compagnon avait l'habitude de traîner au lit, alors il était plus que probable qu'il se soit fait arrêter en son absence. Sachant qu'ils étaient deux, des hommes seraient restés sur place pour attendre Marco. C'était l'hypothèse la plus plausible, mais cela ne l'empêcha pas d'espérer que Jean se trouvât quelque part dehors, en sécurité. N'y tenant plus, il se mit à insulter les gardes qui s'efforçaient de le maîtriser.

     — Lâchez-moi ! Lâchez-moi, je vous dis ! s'égosillait-t-il. Qu'est-ce que vous lui avez fait ?! Dites-le moi !

     Marco gigotait sans relâche et n'arrêtait pas de crier à plein poumons, ce qui n'était pas vraiment au goût des hommes qui le tiraient fermement en direction du château. Soudain, alors qu'il n'y croyait plus, Marco aperçu enfin des yeux ambrés, au milieu de la foule, qui le contemplaient avec effroi. Jean se tenait à quelques mètres de lui, immobile et l'air horrifié face au spectacle auquel il assistait. Marco fut tant soulagé de le voir là qu'il eut envie de pleurer. Peu importait la gravité de sa propre situation ; Jean était en sécurité, et c'était tout ce qui comptait pour lui.

     Nul doute que son compagnon ne voyait pas les choses de cette façon. Marco connaissait son tempérament intrépide et sa haine de l'injustice qui le poussaient parfois à prendre des décisions irréfléchies. Ainsi, il pouvait facilement imaginer les idées déraisonnables qui se bousculaient dans sa tête. Jean hésitait à intervenir pour le sauver. Il n'avait qu'une seule envie : envoyer voler les deux gardes qui entouraient Marco et s'enfuir avec ce dernier, loin d'ici, loin de ce royaume maudit. Tout ce dont il rêvait, c'était d'une vie tranquille à ses côtés.

     Marco le vit serrer la mâchoire et pria pour qu'il ne fasse rien de stupide. Ils se trouvaient au milieu de la rue, sous les yeux de tous. Si Jean venait à utiliser la magie dans une telle situation, il n'aurait aucun moyen d'en ressortir vivant. Si un garde ne venait pas l'attraper, la foule se chargerait elle-même de régler son compte à un hérétique comme lui. Non, Jean ferait mieux de courir pendant qu'il en était encore temps. Il n'y avait plus rien d'autre à faire ; Marco était perdu. Mais, sans surprise, son compagnon ne pouvait se résigner à l'abandonner à son triste sort. Des larmes perlaient à ses yeux tandis qu'il continuait d'assister à la scène, sans bouger.

     Marco secoua sa tête de toutes ses forces. Va-t'en, lui mima-t-il du bout des lèvres. Jean hésita encore, mais il finit par reculer, les jambes tremblantes. L'instant d'après, il tourna enfin le dos et s'éloigna, jusqu'à disparaître de son champ de vision. Marco le suivit aussi longtemps que possible des yeux, un hoquet coincé au travers de la gorge. Ses forces l'abandonnèrent et les gardes en profitèrent pour accélérer le pas. Tandis qu'on l'envoyait à la mort, Marco ne pensait qu'à Jean, ce drôle de mage qui lui en faisait voir de toutes les couleurs, mais qu'il aimait tant. La tête baissée, Marco se mit à pleurer en réalisant qu'il ne le reverrait jamais.

     Le grincement trident d'une porte usée réveilla Marco. Il ouvrit légèrement ses paupières et attendit, mais personne ne vint. Le jeune homme se redressa en soupirant ; visiblement, on ne leur donnerait rien à manger aujourd'hui non plus. Voilà déjà une semaine qu'il était enfermé ici et les collations se faisait vraiment rares. S'il avait eu de quoi s'occuper, Marco aurait peut-être pu oublier la faim qui lui rongeait le ventre, mais il passait ses jours à contempler les quatre murs qui le retenaient prisonniers. Et quand bien même il s'efforçait de se lever pour marcher régulièrement, il sentait progressivement ses forces le quitter.

     Non, Marco ne pouvait rien faire, excepté attendre. Mais attendre quoi ? Il ne le savait pas vraiment. Sa mort, sans doute. Plus les jours passaient, plus la situation lui semblait désespérée. Il aurait préféré qu'on le tue vite et proprement, pas qu'on le laisse moisir dans un cachot miteux où il finirait par mourir de faim, de froid ou de maladie. Mais il n'était qu'un prisonnier ordinaire, un simple opposant politique, un conspirateur de plus qui ne méritait donc aucun traitement particulier. On l'oublierait probablement un moment et si, par miracle, il survivait à sa captivité, on l'enverrait tout de même à la potence pour achever ses souffrances. Quelle fin !

     Les Rois Mages, au moins, auraient droit à une mort digne de leur statut. Marco avait ouï-dire que Rhode Reiss les ferait brûler ensemble sur un gigantesque bûcher. Les flammes ne constituaient certes pas une mort douce, mais l'évènement aura le mérite d'être grandiose. Le Régent semblait pressé d'en finir avec eux, probablement afin de précipiter son couronnement futur. Cependant, les choses n'allaient pas aussi vite qu'il l'aurait souhaité. Après tout, personne ne pouvait espérer condamner les Rois Mages et éviter les répercussions entraînées par leur mort.

     Depuis la catastrophe du dernier banquet, le monde magique avait eu le loisir d'apprendre l'arrestation de ses plus hauts représentants, et il ne resterait pas immobile longtemps. S'il voulait aller au bout de son projet, Rhode Reiss devait se préparer à entrer en guerre contre les mages. Le conflit était inévitable, ainsi il ne pouvait que le repousser, le temps pour lui de reconstituer une armée qui lui serait fidèle.

     — Il aura assassiné son propre Roi pour s'assurer un royaume qu'il prévoit de mettre à feu et à sang, siffla Marco. Sa folie n'a vraiment aucune limite.
     — Voilà des paroles dignes d'un conspirateur.

     Le prisonnier sursauta en entendant une autre voix que la sienne lui répondre. Depuis qu'il était enfermé ici, personne ne lui avait vraiment prêté attention. On s'était contenté de le jeter ici sans aucune forme de cérémonie. Marco leva ainsi yeux étonné vers le visage d'Hanji, lae médecin de la cour.

     — Je viens m'enquérir des conditions de détention des prisonniers. Que pensez-vous de votre cellule ?
     — Le sol est un peu dur à mon goût, ironisa Marco.
     — Je ne manquerais pas d'en faire part à l'administration pénitentiaire royale. J'ai entendu dire que votre ami s'est échappé, poursuivit plus bas Hanji. J'imagine que des gardes vous rendrons bientôt visite afin de découvrir où il se cache. Je crains donc que votre séjour ici ne se détériore davantage.

     Le visage de Marco devint livide. La perspective de se faire torturer ne l'enchantait pas du tout. Au moins eut-il le réconfort d'apprendre que Jean s'était bel et bien enfuit, loin de celleux qui voulaient lui faire du mal. Même s'il doutait d'être résistant à la douleur physique, Marco savait qu'il n'aurait aucune information à donner aux gardes puisqu'il ignorait parfaitement où Jean pouvait se cacher. Hanji, qui semblait prendre un étrange plaisir à analyser ses réactions, se pencha vers lui.

     — À votre place, je ne m'inquiéterais pas trop, chuchota-t-iel avec sérieux. Il risque d'y avoir du grabuge, cette nuit.

     Lae médecin lui adressa un regard appuyé avant de tourner les talons, laissant un Marco étonné. Ainsi donc, le jeune homme avait vu juste : Hanji planifiait bien quelque chose de son côté. Cette visite lui redonna un élan d'espoir. S'iel prévoyait d'agir cette nuit, alors Marco aurait peut-être une chance de retrouver sa liberté. Si son plan venait à réussir, il n'y aurait peut-être pas de guerre contre le monde magique.

     Assis au fond de sa cellule, Marco attendit que le Soleil décline à travers les barreaux de sa petite fenêtre. Aujourd'hui, le temps lui semblait particulièrement long. Lorsque la nuit se décida enfin à tomber, le prisonnier continua de patienter. Au moment où il commença à douter des promesses d'Hanji, des bruits étouffés se firent entendre au-dessus de leurs têtes. Plus loin, Marco vit les hommes assignés à la surveillance des cachots tendre l'oreille. Comprenant qu'un incident se produisait, ils n'hésitèrent pas à abandonner leur poste pour se rendre à l'étage, où ils sauraient se montrer plus utiles.

     L'agitation gagna progressivement tous les prisonniers enfermés dans ces souterrains. Comme eux, Marco continua d'attendre, les yeux et les oreilles grandes ouvertes, que quelqu'un vienne les informer de ce qui se tramait en haut. Un bruit plus proche que les autres les fit tous sursauter : celui d'une explosion. Marco sentit son cœur tambouriner dans sa poitrine tandis qu'il entendait des pas dévaler les escaliers qui conduisaient aux cachots. Un petit groupe semblait les avoir rejoint. Depuis sa cellule, Marco ne pouvait pas encore les voir, mais il comprit au cliquetis des serrures et aux grincements des portes qu'on venait les sortir de leur misère.

     Alors qu'il attendait impatiemment son tour, Marco distingua qu'une personne courrait de cellule en cellule, comme si elle y cherchait quelqu'un en particulier ; les Rois Mages, sans doute. Ceux-ci étaient pourtant enfermés dans une autre partie des cachots en raison de la dangerosité de leurs pouvoirs. Hanji devait le savoir, c'était donc étrange qu'iel ait envoyé un éclaireur fouiller par ici. Lorsque la silhouette qui slalomait entre les prisonniers se tourna vers sa cellule, Marco comprit qu'elle ne cherchait pas les Rois Mages, mais bien lui.

     Le jeune homme se leva aussitôt pour rejoindre Jean, dont le visage s'était illuminé en le reconnaissant. Marco tendit ses mains vers lui, à travers les barreaux qui les séparaient encore de Jean, et ce dernier les serra très fort entre les siennes. Il embrassa ses doigts gelés avant de les presser contre son cœur, un énorme sourire aux lèvres.

     — Tu croyais quand même pas que j'allais partir sans toi ?

     Marco lui sourit en retour. Décidément, Jean ne faisait jamais ce qu'on lui disait. Mais il fallait reconnaître que c'était aussi pour cette raison qu'il l'aimait. Reprenant un air sérieux, le mage lui demanda de s'écarter de la porte. Bien qu'étonné, Marco recula jusqu'à ce que son dos rencontre le mur de sa cellule. De son côté, Jean se concentra. Il tendit la main en direction de la serrure et, l'instant d'après, un claquement sec se fit entendre. La porte s'ouvrit dans un grincement sonore et Jean se jeta dans les bras de Marco qui en tomba à la renverse.

     Ils restèrent enlacés un long moment, émus de se retrouver. Jean prit le temps d'observer l'état dans lequel se trouvait son compagnon suite à sa courte captivité. Ce dernier avait le visage bien pâle et semblait surtout terriblement épuisé. En glissant ses mains autour de sa taille, Jean remarqua que le manque de nourriture l'avait fait perdre un peu de poids. Conscient qu'il était peiné de le voir aussi affaibli, Marco posa ses mains sur ses deux joues pour capter ses yeux ambrés.

     — Je vais bien, lui assura-t-il.

     Marco attira son visage pour déposer un léger baiser sur ses lèvres. Ils ne s'embrassaient pas souvent, alors en dépit de ses inquiétudes, Jean tâcha d'en profiter. Il ne s'éloigna qu'à regret. Cette marque d'affection qu'ils s'autorisaient parfois eu le mérite de leur rendre le sourire. Intrigué, Marco désigna alors la porte de sa cellule d'un geste du menton.

     — Depuis quand es-tu capable de faire ça ?
     — Oh ! Hanji m'a appris quelques trucs.

     La surprise se lut sur le visage de Marco. Tandis qu'il l'aidait à se relever, Jean lui expliqua comment il était venu se réfugier chez lae médecin suite à son arrestation.

     — Je voulais te faire sortir de là. Hanji m'a assuré que ç'aurait été inutile de prendre tant de risques maintenant, que je ferais mieux d'attendre. J'ai dû prendre mon mal en patience.
     — Pourquoi lui avoir fait confiance ?
     — Parce que c'est un‧e mage, ellui aussi.

     Décidément, lae médecin cachait bien son jeu !

     — Je ne connais pas tous les détails, mais je sais qu'iel a commencé à orchestrer ce complot dès l'assassinat du Roi Fritz. Il y a beaucoup de sceptiques, au sein même de l'armée, qui doutaient de cette histoire d'étouffement. Et même s'iel sont nombreux‧ses à craindre la magie, personne ne veut voir le royaume plonger dans la guerre aussi brusquement.

     Marco hocha la tête, un peu perdu par ces explications. Son séjour dans les cachots lui avait coûté la plupart de ses forces. Faire quelques pas hors de sa cellule lui demanda déjà beaucoup d'efforts. En voyant ses jambes qui tremblotaient sous son poids, Jean glissa un bras contre sa taille pour que Marco puisse s'appuyer contre lui. Ils remontèrent lentement les escaliers afin de rejoindre la surface, où le calme semblait être globalement revenu. Au détour d'un couloir, ils tombèrent justement sur Hanji qui les invita à lae suivre jusque dans la salle du trône, où s'étaient rassemblées plusieurs personnes. Il y avait principalement là des membres influents de la cour royale qui murmuraient entre eux, mais aussi les Rois Mages qu'on avait récemment libérés. À peine entré‧e, Hanji tapa dans ses mains pour retenir l'attention de tout ce beau monde.

     — Rhode Reiss est mort, annonça-t-iel.

     Les chuchotements des courtisan‧e‧s reprisent de plus belle. Que diable se passait-il dans ce château ? On venait d'enterrer l'ancien Roi Fritz, et voilà que c'était déjà au tour du Régent !

     — Lui aussi, il a avalé une fève de travers ? ironisait-on.
     — Non. Je lui ai planté un couteau dans le cœur.

     Tous les yeux se tournèrent en direction de la grande porte, où se tenait la personne qui venait de prononcer ces mots funestes. La jeune femme aux cheveux blonds traversa la salle à pas mesurés, laissant à chacun‧e le temps de l'observer. Marco fronça les sourcils. Ce profit lui semblait familier... Elle monta les quelques marches de l'estrade et s'arrêta juste devant le trône royal, avant de se retourner pour s'adresser à la foule.

     — Rhode Reiss a assassiné le Roi Fritz pour assurer sa place d'héritier. En plus d'avoir commis un régicide, il a accusé les Rois Mages et manqué de provoquer une guerre avec le monde magique ! Il est donc coupable de trahison contre le royaume.

     Les courtisan‧e‧s se lancèrent des regards surpris. Hanji, qui avait suivit la jeune femme à distance, poursuivit :

     — La femme et les enfants légitimes de Rhode Reiss ont manifesté leur volonté de s'éloigner du pouvoir. Iels renoncent à la couronne et au royaume qu'iels prévoient de quitter.

     Cette fois, Marco fut aussi surpris que les autres. Mais si les Reiss abandonnaient leur héritage, qui pourrait bien prendre la succession ? Hanji comptait-iel instaurer une nouvelle dynastie ? Voilà qui était sacrément risqué ! À moins que... Marco se tourna de nouveau vers la jeune femme qui les surplombait tou‧te‧s et les scrutait de ses yeux bleus.

     — Mon nom est Historia Reiss, déclara-t-elle. Je suis la fille illégitime de Rhode Reiss. J'ai tué mon père qui avait trahi notre royaume. Et à partir d'aujourd'hui, je serais votre Reine.

     Un lourd silence suivit son discours. Les courtisan‧e‧s se regardèrent, incertain‧e‧s de l'attitude à adopter. Mais, progressivement, iels finirent par s'agenouiller devant leur nouvelle souveraine. Que pouvaient-iels faire d'autres ? Cette jeune femme était vraisemblablement la dernière Reiss en mesure de monter sur le trône. Qu'elle fut une bâtarde ne changeait rien au fait qu'elle était la plus légitime à prendre le titre de Reine. Le sang des Reiss coulait dans ses veines. Et si l'on pouvait encore douter de sa capacité à diriger un royaume, il fallait reconnaître que la jeune femme commençait son règne avec grand bruit.

     Marco frissonna lorsque Hanji posa un drôle d'appareil en forme de cône contre sa poitrine pour en écouter les sons internes. Lae médecin afficha un sourire rassurant.

     — Vous n'avez rien qu'un peu de repos ne peut soigner.

     Jean poussa un soupir de soulagement. C'était lui qui avait insisté pour vérifier que Marco ne souffrait pas d'une maladie grave après son séjour au cachot. Ce dernier eut beau lui répéter qu'il était juste affamé, déshydraté et épuisé, son compagnon savait se montrer têtu. Tandis que Marco renfilait sa chemise, Hanji déposa un sac de toile bien rempli dans les mains de Jean qui s'étonna de son poids.

     — Pour vos efforts et vos ennuis, précisa lae médecin.

     Marco s'attendait à recevoir une récompense adéquate, mais il ne pensait tout de même pas recevoir autant d'argent. Hanji avait probablement puisé dans les caisses royales pour pouvoir se permettre de les payer aussi grassement.

     — Dites-moi, depuis combien de temps fomentez-vous ce renversement ? s'intéressa-t-il. J'avoue être curieux à ce sujet.
     — Un moment, à vrai dire. Le Roi Fritz n'ayant aucune descendance, ce n'était qu'une question de temps avant que Rhode Reiss ne prenne sa place. Mais sa soif du pouvoir ne m'inspirait pas vraiment confiance. Le royaume ne serait pas longtemps resté en paix avec un homme comme lui aux commandes. S'il n'était pas digne de la couronne, qui pourrait le remplacer ? Qui en serait assez légitime ? Mes recherches m'ont conduites jusqu'à Historia Reiss.

     Marco hocha la tête, songeur. Hanji n'était décidément pas qu'un‧e simple médecin. Voilà des années qu'iel collectait des renseignements et rassemblait des dissidents pour organiser son coup. Iel avait stratégiquement disposé ses pions sur l'échiquier et, lorsque le Roi Fritz fut assassiné, iel avait profité de l'occasion pour les faire bouger.

     — Une chose m'échappe, l'interrogea alors Marco. Étant donné l'étendue de votre réseau, vous aviez certainement déjà eu vent des négociations maritales. Vous aviez l'intelligence et la magie nécessaire pour vous faufiler jusqu'aux cachots, interroger les Rois Mages et tirer les conclusions de leur récit. Alors pourquoi m'avoir demandé d'enquêter sur une affaire que vous auriez pu tirer au clair de votre côté ?
     — Je crois qu'il y a eu un malentendu, répondit Hanji avec un sourire gêné. Je ne suis pas un‧e mage.

     Marco tourna un regard étonné vers Jean, qui semblait tout aussi confus que lui. Avait-il mal compris ?

     — Pourtant, vous m'avez montré ces ouvrages de magie...
     — Je m'intéresse beaucoup à la magie, c'est vrai. J'ai même essayé de la pratiquer, sans résultat. Non seulement je suis incapable de magie, mais en plus, j'y suis allergique ! Les Rois Mages sont très puissants. Rhode Reiss les avait enfermés dans des cellules particulières. Je ne peux pas m'approcher d'un tel endroit. À vrai dire, peu le peuvent. Il faut être un‧e mage ou côtoyer la magie de très près pour supporter cette pression.

     Jean et Marco échangèrent un regard embarrassé. Ils étaient effectivement proches... au point de partager un lit. Qui aurait cru qu'ils en tireraient autre chose qu'un peu de chaleur ?

     — Que comptez-vous faire, à présent ? s'enquit Hanji.
     — L'argent ne sera pas un problème dans l'immédiat, alors j'aimerais bien me poser quelque part, songea Marco. Dans un endroit tranquille. Si tu es d'accord, bien sûr.

     Il releva la tête vers Jean, qui acquiesça joyeusement à cette proposition. Lae médecin parut moins enthousiasme.

     — Vous semblez déçu‧e, remarqua Marco.
     — Pour être honnête, j'espérais que vous resteriez dans les parages. La Reine pourrait avoir besoin de gens comme vous. Elle vient de prendre la tête d'un royaume qui ne la connaît pas et qui ne verra sans doute pas sa jeunesse d'un bon œil.
     — Quelle genre de souveraine sera-t-elle, selon vous ?
     — Une bonne souveraine. Du moins, je l'espère. Son règne sera indéniablement différent de celui qu'aurait eu son père. Je peux déjà vous assurer qu'elle est très favorable à la cause des mages, ajouta Hanji en souriant.

     En dépit de ces belles paroles, Marco secoua la tête.

     — J'admire votre dévouement à ce royaume. Mais ses derniers souverains nous ont fait plus de mal que de bien. J'espère sincèrement que votre Reine fera changer les choses. Et je lui souhaite bien du courage, car beaucoup d'yeux regarderont dans sa direction. Les miens aussi, naturellement.
     — Je comprend, soupira Hanji. Dans ce cas, j'ose espérer qu'il ne s'agit que d'un aurevoir.

     Jean et Marco saluèrent lae médecin avant de reprendre le chemin de leur auberge, dont le lit aux lattes usées leur avait manqué. Ils s'y allongèrent avec un soupir de satisfaction, heureux d'être encore en vie après cette aventure. Songeur, Marco se tourna vers Jean pour l'interroger.

     — Où voudrais-tu aller ?
     — N'importe où, tant que c'est avec toi.

     Il n'y avait eu aucune hésitation dans sa voix. Se sentant rosir, Marco n'empêcha pas ses lèvres de s'étirer en un sourire. Il scruta un instant le visage de Jean et, traversé par une envie, il se pencha pour l'embrasser. Si son compagnon parut surpris de recevoir tant d'attentions en si peu de temps, il fut plus qu'heureux de recevoir un nouveau baiser de sa part. Mais cette fois-ci, Marco ne s'arrêta pas à un bref contact. Lorsqu'il s'éloigna, ce fut parce qu'il commençait à manquer d'air.

     Hier encore, Marco se croyait condamné à une mort certaine. Et la seule personne à laquelle il n'avait cessé de songer n'était nulle autre que Jean. Enfermé entre quatre murs froids, le brun avait eu le loisir de réfléchir à tout ce qu'il aurait voulu faire avant de mourir, à tout ce qu'il regrettait de ne pas avoir déjà fait. Marco aimait Jean. Il aimait voyager avec lui, il aimait lui tenir la main, il aimait dormir à ses côtés et il aimait aussi l'embrasser. Plus qu'il ne le laissait paraître, à vrai dire, car ils vivaient dans une époque un peu compliquée qui les faisait parfois douter. Mais Marco avait réalisé qu'en dépit de tout cela, il en voulait plus ; qu'ils en voulaient plus.

     Il posa une main sur la poitrine de Jean, l'interrogeant du regard. Son compagnon avait les yeux écarquillés, comme s'il n'était pas certain de ce que Marco cherchait à faire. Alors ce dernier se pencha pour l'embrasser encore, et encore, et encore. Lorsqu'il reprit ses esprits, Jean le serra très fort contre lui. Décidément, ils étaient bien heureux d'être en vie.

Nᴏᴛᴇ ᴅᴇ Lʏᴀ
Voilà qui me prouve encore à quel point j'aime écrire sur des époques médiévales ! Je suis très heureuse de pouvoir conclure les #jarcodays1 sur ce récit qui est mon préféré des trois.

J'espère que ces bonus vous ont plus ! Lequel avez-vous préféré ? J'ai encore une fois pris beaucoup de plaisir à les écrire, ça me permet de tester de nouvelles choses. Et j'ai naturellement très hâte de vous retrouver en juin prochain, pour la #jarcoweek2023 !

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