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𝟎𝟏 ¦ 𝐋𝐈𝐊𝐄 𝐀 𝐆𝐑𝐄𝐄𝐊 𝐆𝐎𝐃

𝐉𝐎𝐔𝐑 𝟎𝟏 ━ 𝟒,𝟗𝐊 𝐦𝐨𝐭𝐬
stigmates, sculpture, mythologie

     Jean poussa les portes de la bibliothèque en sifflotant légèrement, ce qui lui valut un regard réprobateur de la part de l'hôtesse d'accueil. Le jeune homme s'excusa d'un sourire tandis qu'il se dirigeait vers les escaliers qu'il monta en silence, son sac sur le dos. Une fois arrivé au premier étage, il se fraya un chemin à travers les différents rayons remplis de livres colorés, à la recherche d'une place qui pourrait lui convenir. L'étudiant aux cheveux châtains opta finalement pour un fauteuil délaissé qui constituerait un poste d'observation plus que satisfaisant. Il s'y installa dans la bonne humeur et farfouilla de suite dans son sac pour y dénicher son précieux carnet à croquis ainsi qu'un simple crayon de bois affublé d'une minuscule gomme. La mine effleurant déjà le papier, Jean laissa glisser son regard autour de lui. Son choix se porta finalement sur une étudiante dont les doigts s'activait vivement sur les touches de son ordinateur portable. Le jeune homme commença aussitôt à tracer grossièrement la silhouette de cette inconnue avant de travailler à en affiner les traits. Il reproduisit ses courts cheveux bruns, le casque audio qui lui couvrait les oreilles et même la ride qui naissait de son froncement de sourcils. Quand son dessin fut achevé, Jean l'observa quelques secondes avant de relever les yeux, à la recherche d'un nouveau modèle qu'il ne tarda guère à trouver.

     Le châtain aimait croquer en silence ; les bibliothèques constituaient dès lors l'un de ses terrains de chasse favori. Il y trouvait de nombreux visages étrangers, la plupart paisibles, certains soucieux, qui restaient souvent immobiles et se laissaient ainsi gentiment dessiner. En dehors de tous les portraits qui noircissaient les pages de ses carnets, Jean délaissait parfois les visiteurs de la bibliothèque pour se tourner vers la fenêtre et tout ce qui se cachait derrière. L'architecture et la nature avaient également bien des charmes que le jeune homme ne manquait jamais de figer sur le papier. À vrai dire, Jean n'avait pas vraiment de critère précis pour choisir ses modèles, qu'ils fussent humains ou non. Il pouvait prendre du plaisir dans la réalisation de n'importe quelle esquisse, du moment que l'être ou la chose qu'il désirait représenter avait suffisamment retenu son attention. Il se basait ainsi sur une simple impression, souvent passagère et bien vague, ce qui conduisait bon nombre de ses professeurs à affirmer qu'il devait encore trouver ce pourquoi il dessinait vraiment. C'était peut-être ces remarques qui avaient poussé Jean à multiplier les sorties où il croquait sans relâche, désireux de mettre la main sur ce qui manquait à son art.

     En une petite heure, le châtain avait déjà représenté une dizaine de visages qu'il jugeait fort singuliers. Pour la seconde fois, il se leva et partit en quête d'une nouvelle place où s'installer, de nouveaux modèles à s'approprier. Il parcouru les rayons d'un pas lent, monta d'autres escaliers, espérant presque se perdre dans les nombreuses salles du bâtiment. Jean atterrit ainsi au milieu d'imposants ouvrages, probablement de la documentation, dont l'épaisseur promettait de longues heures de lecture. Les visiteurs se faisaient plus rares par ici et le jeune homme s'apprêtait à rebrousser chemin lorsque ses yeux se posèrent sur lui. Partiellement dissimulé par une énième étagère, un jeune homme de son âge était assis sur une petite table, une énorme pile de livres à ses côtés. De l'endroit où il se tenait, immobile, le souffle coupé, Jean ne pouvait observer que son profil gauche, mais il en fut complètement subjugué. L'inconnu avait un visage plutôt ovale au teint légèrement hâlé et de courts cheveux dont les mèches brunes retombaient sur son front. De ses yeux ambrés, le châtain retraça éhontément le contour de sa mâchoire, puis il s'attarda sur son beau nez grec et sur la multitude de taches de rousseur qui ornaient ses joues.

     Ce n'était pas simplement de la curiosité ; Jean sentait la passion faire battre son cœur à mesure qu'il dévisageait ce garçon dont il ne connaissait rien, mais dont les traits l'avaient d'ores et déjà séduit. Sitôt que cette réalisation le frappa, il s'empressa de s'installer sur une chaise moyennement confortable afin de croquer au plus vite ce nouveau modèle. Il enchaîna les coups de crayon, cassant même sa mine par deux fois tant il manquait de douceur. Le châtain craignait que son inspiration ne se lève pour quitter la bibliothèque, ainsi se dépêcha-t-il de griffonner les premiers portraits qu'il fit de lui, tous de cet unique profil qui lui était donné de voir. À mesure que passèrent les minutes, Jean se calma et prit le temps d'apporter de plus en plus de détails à ses esquisses, désireux d'en graver chacun dans sa mémoire.

      Quand le jeune inconnu se leva, son admirateur secret retient son souffle, terrifié à l'idée qu'il lui échappe. Il fut rassuré de voir que le brun allait simplement farfouiller dans des rayons un peu plus loin, probablement à la recherche d'un autre ouvrage. Jean en profita pour laisser ses yeux apprécier la carrure de son modèle : plutôt grand et large d'épaules, ce garçon avait décidément tout pour plaire. Lorsqu'il se tourna dans sa direction, le châtain se fit tout petit sur sa chaise, inquiet à l'idée de se faire démasquer. Mais alors qu'il rejoignait la place qu'il venait de quitter, le jeune homme garda les yeux rivés sur le livre qu'il tenait dans les mains, inconscient des yeux qui le dévisageaient. Car en se déplaçant ainsi, l'inconnu s'était retrouvé face à Jean, lui donnant accès à son profil droit, et le jeune artiste n'avait pas manqué de remarquer l'étrange marque qui s'étendait sur cette partie de son faciès. D'un ton plus foncé, plus rosé que son teint naturel, cette tache semblait également avoir une texture particulière : la peau était comme plissée, froissée, ridée. Malheureusement, le jeune garçon se rassit, empêchant le châtain d'en observer davantage.

     Jean ne pouvait tout simplement pas rester là, assis, essayant vainement de reproduire de tête ce qu'il n'avait pu voir que quelques secondes. S'il désirait saisir toutes les subtilités de ce visage si particulier, il n'avait pas le choix ; il devait s'en approcher au plus près. C'est donc ce qu'il fit, sans trop y réfléchir à deux fois, car le châtain n'était pas vraiment de cette tempe là, après avoir fourré son carnet et son crayon au fond de son sac. Il se leva et, affublé de son plus beau sourire, il se planta aux côtés de sa plus belle inspiration qui lui adressa un regard sincèrement surpris.

     — Bonjour, est-ce que je peux te dessiner ?

     Jean réalisa qu'il s'était peut-être montré un peu trop direct pour une première approche. Face à lui, son bel inconnu semblait pris de cours, ne sachant guère que répondre à cette demande plus que soudaine. Le jeune artiste en profita néanmoins pour se plonger dans ses yeux couleur chocolat qu'il trouva, eux aussi, incroyablement magnifiques.

     — Désolé, je ne voulais pas paraître brusque ! se reprit-il enfin. C'est juste que tu as vraiment retenu mon attention et, honnêtement, je n'arrive pas à détacher mon regard de toi.

     Le brun hocha la tête, l'air un peu perdu, comme s'il ne comprenait pas vraiment ce qu'on attendait de lui. Un sourire crispé prit place sur ses lèvres.

     — À cause de ceci ?

     Il désigna la marque sur son visage, cette forme atypique qui, maintenant que Jean pouvait la détailler de plus près, ressemblait beaucoup à une cicatrice laissé par une brûlure. Elle débutait sur sa tempe droite, lui coupant la moitié d'un sourcil, se poursuivait sur son cou et disparaissait sous le col de son pull, si bien que le châtain ne pouvait que formuler des suppositions sur sa véritable étendue.

     — Je mentirais en disant qu'elle n'influence pas mon jugement. Mais si tu veux tout savoir, je dirais que c'est parce que tu es vraiment beau.

     Le compliment fit légèrement rosir les joues du brun qui n'y était visiblement pas préparé, ce que Jean ne manqua pas de trouver terriblement mignon. Pourtant, l'inconnu n'avait pas encore accepté de poser pour lui. L'étudiant le vit hésiter, un peu embarrassé par l'idée, bien qu'elle ne semblait pas le repousser.

     — Tu n'auras pas à te soucier de moi ! lui assura le châtain, plaidant sa cause. Tu peux évidement continuer de faire ce à quoi tu étais occupé avant que je ne pointe le bout de mon nez. Je vais simplement m'asseoir à côté et gribouiller en silence. Je risque de bouger un peu pour avoir différents angles, mais je promets de ne pas te déranger.

     Le jeune homme lui donna finalement son consentement, au plus grand bonheur de l'artiste qui s'empressa de s'installer. Cette fois-ci, il s'intéressa à ce profil droit si singulier auquel il lui tardait de pouvoir faire honneur. Son modèle se trouva d'abord un peu gêné par sa présence. Il était conscient du regard insistant, passionné, presque inconvenant que Jean posait sur lui afin d'analyser chaque grain de peau qui s'offrait à sa vue. Au fur et à mesure que s'écoulèrent les minutes, le brun parvint néanmoins à se détendre progressivement, l'esprit à nouveau plongé dans la lecture d'un imposant ouvrage sur la mythologie grecque. Le jeune artiste en profita pour décaler sa chaise de quelques centimètres et reprit ses croquis sous un angle neuf. Il réalisa ainsi quelques portraits de trois quarts et de face, variant les perspectives, reproduisant parfois le même dessin en observant son modèle d'un seul centimètre plus haut ou plus bas. Des pages et des pages de son carnet furent remplies par le visage de son inconnu sans qu'il ne parvienne à s'en lasser. L'esprit volage, Jean se montrait rarement aussi absorbé dans la contemplation d'un unique modèle comme c'était aujourd'hui le cas.

     Une ou deux heures plus tard, lorsque le jeune homme se racla la gorge d'un air embarrassé pour lui faire savoir qu'il devait rentrer chez lui, le châtain réalisa qu'il ferait mieux d'en faire autant. Ils remballèrent leurs affaires, puis descendirent les escaliers dans un silence propre aux étrangers ; c'était bien là le problème. D'habitude, Jean se satisfaisait de modèles éphémères qu'il ne faisait que croiser au détour d'un coin de rue, d'un couloir universitaire, d'une étagère de livres. Tandis qu'il posait le pied sur le sol du premier étage, le jeune artiste surprit la déception qui se frayait un chemin dans son cœur à l'idée de ne plus jamais le revoir, lui, son inspiration incarnée. Arrivé aux dernières marches de l'escalier, il se tourna finalement vers ce beau brun qu'il ne pouvait décidément pas laisser filer comme ça, sans un mot.

     — Je peux te demander ton prénom ?
     — C'est Marco, lui répondit-il avec un sourire. Et toi ?
     — Jean. J'aimerais beaucoup te revoir, si tu es d'accord.
     — Pour me dessiner ?
     — Pour te dessiner, pour discuter, pour apprendre à se connaître... Ce genre de choses et plus, si affinités.

     Jean s'amusa de la jolie teinte rosée qui colora les pommettes du jeune homme, probablement provoquée par l'ambiguïté volontaire de l'expression. Il avait conscience de se montrer franc et direct, habitude qui pouvait constituer une qualité comme un défaut, et priait pour que cela ne fasse pas fuir Marco. Ce ne fut heureusement pas le cas. Ce jour-là, Jean quitta la bibliothèque, un air plus que satisfait au visage et le numéro du beau brun en poche.

     Le métro filait à vive allure sous la ville de Paris. Assis sur une banquette à la propreté douteuse, des écouteurs enfoncés dans les oreilles, Jean se laissait bercer par la voix de Nicola Sirkis, chanteur du groupe Indochine. Aujourd'hui, il s'en allait rejoindre Marco qu'il avait invité à sortir dans le but de faire plus ample connaissance, un objectif plus qu'honnête. Ils avaient prévu de se rejoindre devant la station Varenne, située au cœur du septième arrondissement de la capitale française. En montant les escaliers qui le conduiraient à la surface, le châtain aperçu immédiatement son nouvel ami qui lui adressa un signe de la main. Tandis qu'il s'approchait de lui, un sourire aux lèvres, Jean prit le temps de détailler son pull marron et ce pantalon couleur crème qui lui allaient à ravir. Marco lui sourit à son tour ; dieu qu'il était beau ! Réfrénant son envie de le dévorer du regard jusqu'à ce que cela en devienne indécent, le châtain se dépêcha de l'entraîner à peine quelques pas plus loin, le long de la rue de Varenne. Il s'arrêta devant les portes grandes ouvertes d'un bâtiment dont la façade était plus que prestigieuse.

     — Tu m'emmènes dans un musée ?
     — Je suis un étudiant en art, tu te souviens ? Évidement que je t'emmène dans un musée.

     Les deux jeunes gens s'engouffrèrent à l'intérieur et se présentèrent directement au contrôle où ils sortirent leurs cartes étudiants qui leur donnaient droit à une visite gratuite. On leur proposa la location d'audioguides que Jean refusa poliment.

     — Pas besoin de ça. Je me charge de te faire la visite guidée sur notre cher Auguste Rodin. Tout d'abord, l'Hôtel Biron ! On finira par les jardins.

     En effet, le Musée Rodin se composait du charmant hôtel particulier et de son vaste jardin de sculptures. Connaisseur, le châtain jugeait préférable de commencer par le visite du premier pour véritablement apprécier la promenade qui suivrait. Marco le laissa mener la danse, touché de constater qu'il prenait son rôle tant au sérieux. Le parcours de l'Hôtel Biron comprenait en tout dix-huit salles qui retraçaient la vie de l'un des plus importants sculpteurs français du dix-neuvième siècle. De nombreuses œuvres y étaient exposées de manière chronologique : esquisses en terre, moulages en plâtre, sculptures en bronze ou en marbre. Les premières salles se consacraient aux débuts du jeune artiste. La troisième, considérée comme l'une des plus belles, se trouvait entièrement décorée de boiseries du dix-huitième siècle. Un peu plus loin, Marco pu admirer Le Baiser, cette sculpture en marbre blanc, si célèbre que lui-même en avait déjà une vague idée que Jean s'empressa de préciser.

     — À l'origine, Le Baiser représentait un couple issu d'un poème de Dante et condamné à errer dans les Enfers. Comme beaucoup d'autres de ses créations, Rodin pensait alors l'intégrer à La Porte de l'Enfer, qui est exposée dehors. Il a finalement décidé d'en faire une œuvre autonome représentant le bonheur et la sensualité.

     Le châtain contempla un instant le couple nu et enlacé avant de se tourner vers Marco qui crut défaillir devant l'ardeur de son regard. Ils poursuivirent leur visite du rez-de-chaussée, notamment marquée par La Danaïde, une sculpture sur un thème mythologique. Elle représentait les Danaïdes, condamnées à remplir éternellement une jarre sans fond pour avoir tué leurs jeunes époux le soir de leurs noces. Au premier étage, les salles faisaient le portrait d'un sculpteur aguerri, innovateur, considéré comme le premier des modernes. Marco découvrit avec une certaine incompréhension La Robe de Chambre de Balzac, faite de plâtre, qui visait à représenter le célèbre écrivain. Dans la salle suivante, il trouva La Cathédrale, deux mains droites taillées dans la pierre qui s'effleuraient à peine. Plus loin, les œuvres de Camille Claudel rappelaient le lien fort, mais tumultueux, qui unissaient les deux artistes. Les deux amis terminèrent le parcours par L'Homme qui marche, une curieuse sculpture sans tête dont les jambes écartées donnaient l'illusion d'un mouvement.

     À peine furent-ils sorti de l'Hôtel Biron que les deux jeunes gens se lancèrent à découverte du jardin de sculptures. En son temps, Robin utilisait déjà cet immense espace pour y présenter ses trop nombreuses œuvres. Du côté du flan Est du bâtiment central, Marco tomba sur Le Monument à Balzac qui représentait l'écrivain, mais cette fois-ci, dans sa totalité, robe de chambre incluse. Quelques pas plus loin, la figure du Penseur les surplombait, perchée en haut de son pilier.

     — Encore une œuvre qui devait orner la partie supérieure de La Porte de l'Enfer, commenta Jean. Robin l'appelait Le Poète car il représentait Dante, le poète ayant inspiré La Porte. Aujourd'hui, on voit Le Penseur comme un homme plongé dans ses réflexions, mais dont le corps puissant suggère une grande capacité d'action.

     Ils passèrent devant Le Monument aux Bourgeois de Calais, célébrant le sacrifice de six notables partant remettre les clefs de la ville au Roi d'Angleterre durant la Guerre de Cent Ans, avant de s'arrêter devant la fameuse Porte de l'Enfer.

     — Indéniablement le plus grand chef-d'œuvre de Robin. Ce fou-furieux a créé plus de cent deux figures et groupes pour remplir cette Porte. C'est d'ailleurs de là qu'il a tiré bon nombre de ses œuvres individuelles.

     Jean s'employa à montrer à son ami les parties les plus importantes. En plus du petit Penseur et d'une version revisitée du Baiser, on pouvait en effet admirer de nombreux personnages soigneusement placés sur La Porte. Au sommet de celle-ci se tenaient Les Trois Ombres, représentant les trois âmes damnés du poème de Dante. Plus bas, à droite, Je Suis Belle, étreinte passionnelle, s'inspirait directement d'un autre poème de Baudelaire. Plus à gauche, la figure de L'Homme Qui Tombe tentait vainement de s'accrocher à la corniche. Cet ensemble de minuscules scénettes était si riche qu'il dégageait de lui une profondeur vertigineuse.

     — Le pire dans cette histoire, poursuivit Jean tandis qu'ils s'éloignaient, c'est que Rodin ne fut jamais complètement satisfait de sa Porte. Il n'eut même pas l'occasion d'en voir le résultat final puisqu'il mourut avant qu'elle ne soit reconstituée.

     Ils terminèrent tranquillement leur visite des jardins, admirant bien d'autres sculptures en chemin, avant de se poser sur un banc, non loin du bassin d'eau. L'œuvre qui se dressait au centre de ce dernier montrait Ugolin juste avant le drame : fait prisonnier, rendu fou par la faim, l'homme rampait sur le corps de ses enfants mourants qu'il finira par dévorer, récoltant ainsi la damnation. Marco avait découvert beaucoup de sculptures aujourd'hui, qu'elles dépeignent le bonheur ou la peine, l'amour ou la folie. Il avait prêté une oreille attentive aux explications de Jean et, même si le sens de certaines lui avait échappé, il avait passé un très bon moment en sa compagnie. Le brun fut à peine surprit de voir son ami se tourner vers lui en souriant, un carnet et un crayon ayant mystérieusement apparu dans ses mains.

     — Je me doutais bien que tu n'avais pas apporté ce sac par hasard.
     — Que veux-tu ? s'amusa Jean. C'est le quotidien d'un étudiant en art. Quand je vois quelqu'un ou quelque chose qui me plaît, je le dessine.

     Et le jeune artiste n'était pas prêt de se lasser des rougeurs que revêtait Marco lorsqu'il se trouvait embarrassé par un compliment, oh non.

     — N'empêche, je me demande bien ce que tu peux lui trouver, à cette drôle de marque qui me mange la moitié du visage.
     — J'ai peur de ne pas pouvoir te dire ce que j'ignore moi-même, lui avoua le châtain. D'ailleurs, ce n'est même pas cette marque qui m'a attiré vers toi. Ce jour-là, je ne pouvais voir que ton profil gauche de là où je me tenais. Disons que découvrir le droit n'a fait que renforcer mon intérêt pour toi.

     La mine de son crayon s'affairait à retracer les contours des formes géométriques qui composaient la base de son nouveau croquis. Le dessin se fit peu à peu plus précis, plus détaillé, plus réaliste. Le jeune homme travaillait encore à parfaire la texture si particulière de sa peau, là où s'étendait les traces du stigmate.

     — D'habitude, je n'aime pas trop me sentir observé, poursuivit Marco. Mais c'est drôle, ça ne me dérange pas autant quand c'est toi. Tu n'as pas le même genre de regard qu'eux.
     — Ça t'arrive souvent, de te faire dévisager ?
     — Évidemment. C'est plutôt atypique, comme caractéristique faciale. Les gens ont tendance à glisser des coups d'œil curieux ; certains le font en ce moment même. Tu n'es pas très observateur, pour un artiste.
     — C'est un peu vrai, en quelque sorte, rit ledit artiste. Je prête attention aux gens, naturellement, mais je ne m'attarde que sur ceux qui piquent immédiatement mon intérêt, et ils sont plutôt rares à y parvenir.

      Pour une raison qui lui échappait encore, Marco se sentait flatté de faire partie de ce groupe de privilégiés, ceux que Jean avait jugé digne de son intérêt. En cet après-midi ensoleillé, le brun laissa son ami ajouter bon nombre de portraits à sa collection. Les deux jeunes gens repoussèrent ainsi le moment de se quitter, enchaînant les croquis jusqu'à ce que le Musée Rodin ne ferme ses portes au public. Ils prirent ensemble la ligne treize du métro parisien, jusqu'à ce que Marco soit contraint de descendre pour prendre une correspondance. Avant que les portes de la rame ne se referment, il se tourna une dernière fois vers son ami, un sourire aux lèvres.

     — Eh, Jean ? J'ai vraiment passé un bon moment, tu sais.

     Le châtain se laissa à nouveau tomber sur son siège en plastique tandis que la machine s'élançait de plus belle dans les entrailles de la capitale. Sur un coup de tête, il sortit trois arrêts plus loin et s'engouffra dans une autre rame qui ne le reconduirait pas chez lui, mais qui filait tout droit vers son université. Une demi-heure plus tard, il arpentait les couloirs du bâtiment d'un air décidé en direction de la salle réservée aux travaux pratiques. Sous les yeux de quelques étudiants curieux qui s'affairaient sur leurs projets, Jean dénicha un sac de plâtre dans la réserve qu'il déposa lourdement sur son espace personnel de travail.

     — Tu te lances dans une sculpture ? Voilà qui est rare. Ton modèle doit vraiment en valoir la peine.

     Le châtain vit Eren s'approcher de lui, visiblement intrigué. Il soupira, mais ne démentit pas ; son camarade de promotion avait de toute manière entièrement raison.

     — Oh, si tu savais. C'est l'être le plus beau que j'ai jamais vu, lâcha-t-il finalement dans un murmure.
     — Ne me dis pas que tu prépares un autoportrait...
     — Très drôle, Eren. La jalousie te va mal au teint.
     — Je serais curieux de rencontrer cet être capable d'hypnotiser le si difficile Jean Kirschtein. Ce matin encore, j'ignorais qu'une telle chose était possible !

     Le jeune homme leva les yeux au ciel, rompu aux réparties théâtrales de son compère.

     — Encore faut-il qu'il accepte de poser pour moi ; pour une sculpture, cette fois. Je l'ai emmené au Musée Rodin ; tu sais, celui avec toutes ces sculptures et cet immense jardin. Il a dit qu'il avait passé un bon moment, et moi, comme un idiot, j'ai senti mon cœur s'emballer. Je crois que je n'ai jamais été aussi fasciné par quelqu'un de toute ma vie. À ce train-là, je ne pourrai bientôt plus me contenter de croquer son visage, tu vois ? Il y a cette voix dans ma tête qui me crie que ce n'est pas assez, que je dois encore découvrir tout le reste. Le voir au milieu de toutes ces sculptures m'a fait réaliser à quel point il mérite la sienne.

     Eren le regarda d'une bien drôle de manière, et Jean réalisa qu'il n'avait pas l'habitude de parler autant en si peu de temps.

     — Eh, tu serais pas amoureux ?
     — Peut-être, Eren, peut-être...

     Jean rempli deux verres du thé glacé fait maison apporté par sa mère quelques jours plus tôt. Il en glissa un vers Marco qui le remercia d'un sourire avant d'y tremper ses lèvres, un spectacle dont le châtain ne loupa pas une miette. Il avait impulsivement invité le brun chez lui ; ce dernier avait tout aussi impulsivement accepté et, tandis qu'ils se faisaient face dans la minuscule cuisine de son appartement, Jean réfléchissait encore à la manière dont il pourrait bien lui faire part de son projet. Reposant la bouteille en verre qu'il tenait, le jeune homme vint effleurer de ses doigts glacés la joue de son modèle préféré.

     — Si je te disais que j'avais envie de faire une sculpture à ton effigie, qu'est-ce que tu en penserais ?
     — J'en penserais que tu es décidément bien étrange, pour t'intéresser autant à un visage tel que le mien.
     — J'ai croisé beaucoup de gens dans ma vie. Je t'assure qu'aucun n'était aussi beau que toi. J'y ai réfléchi, figure-toi, et j'ai vraiment envie que tu deviennes ma muse.

     Marco s'humecta les lèvres, cherchant visiblement à cacher son embarras.

     — Quel genre de sculpture as-tu en tête ?
     — Le genre grandiose. À la manière des dieux grecs. C'était bien un ouvrage sur la mythologie que tu lisais, ce jour-là à la bibliothèque, pas vrai ?
     — Il y a un cours qui traite de ce sujet dans mon cursus littéraire. J'ai toujours trouvé ces mythes fascinants, bien que terriblement complexes.
     — Je pourrais te sculpter sous les traits d'Astréos, songea Jean à haute voix. Il est le dieu des étoiles, du crépuscule, des vents et de l'art de l'astrologie. On a peu de représentations de lui, mais je sais déjà que tu les éclipseras toutes.

     Il fit glisser son pouce le long de sa mâchoire, traçant des connexions imaginaires entre les taches de rousseur qui s'y trouvaient.

     — Après tout, tu as déjà l'univers tatoué sur le corps...

     Ses doigts se posèrent sur son cou, à la lisière de son pull, là où les deux grains de peau se rencontraient.

     — ... avec ton astéroïde personnel en prime.

     Marco attrapa sa main dans la sienne et la fit remonter contre sa joue droite, lui donnant tacitement l'autorisation de toucher cette partie de son visage. Leurs regards s'accrochèrent, plus brûlants qu'un feu ardent, et le brun se sentit presque fondre.

     — Pourquoi j'ai l'impression que tu cherches à me retirer mes vêtements ?
     — Probablement parce que j'en ai très envie, plaisanta Jean.

     Mais ses paroles transpiraient d'honnêteté, tous deux ne le savaient que trop bien. De toute manière, Marco s'était déjà décidé.

     — J'accepte d'être ta muse. Mais je garde mes sous-vêtements, ajouta-t-il en riant.
     — C'est d'accord pour cette fois, lui répondit le châtain avec un clin d'œil taquin.

     Rempli d'un enthousiasme neuf, l'artiste ne tarda pas à s'activer dans son petit appartement parisien. Il jeta son carnet à croquis et quelques crayons sur son lit défait, poussa les chaises pour donner plus d'espace à la pièce et sortit un grand drap blanc d'un placard. Ensuite, il revint vers Marco, saisissant malicieusement les revers de son pull.

     — Besoin de mon aide pour enlever ceci ?
     — Fais donc, lui souffla le brun sur le même ton. Je sens que tu en meurs d'envie.

     Jean ne se fit pas prier. Le vêtement s'échoua sur le sol en silence, dévoilant à sa vue le torse du jeune homme. L'artiste examina minutieusement chaque nouveau millimètre de peau qui s'offraient pour la première fois à lui, s'attardant sur les contours de la marque qui se prolongeait sur son côté droit. Elle s'étendait sur la totalité de son épaule, serpentait jusqu'à atteindre son coude et lui recouvrait une partie de ses côtes avant de s'arrêter au niveau de sa taille.

     — Parfait, murmura Jean. Tu es vraiment parfait.

     Il laissa à Marco le soin de se débarrasser de son pantalon, car il ne voulait pas lui retirer par mégarde son caleçon avec. L'artiste apporta le drap blanc dont il enroula une partie autour des hanches du jeune homme, laissant traîner l'une des extrémités à terre, puis il fit remonter l'autre par dessus son épaule gauche pour qu'elle s'échoue au creux de son dos. De cette manière, le tissu ne recouvrait pas un seul centimètre de l'imposante cicatrice dont Jean comptait bien graver chaque détail. Il se chargea ensuite de guider son modèle pour lui faire adopter la position à laquelle il avait déjà longuement réfléchi au cours de ces derniers jours : debout, le corps de trois quarts, les pieds légèrement écartés, la main gauche reposant le long du corps, la main droite légèrement relevée, tenant en place le drap contre ses hanches. Pour finir, Jean saisit délicatement son menton entre ses doigts, relevant son visage qu'il dirigea dans sa direction.

     — Parfait, répéta-t-il une fois de plus.

     Il s'éloigna, fébrile, réprimant l'envie fulgurante qu'il avait de toucher sa joue, ses lèvres, sa taille, ses hanches, sa peau. Le jeune artiste attrapa son carnet, impatient à l'idée de croquer son modèle sous tous les angles possibles. Rien qu'en traçant les premiers traits, il pouvait sentir la passion déferler en lui ; tout son être se trouvait en ébullition. Il s'imaginait déjà graver des étoiles à la place de chacune de ses taches de rousseur et façonner les reliefs de l'astéroïde qui ne fera qu'un avec son corps. En cet instant précis, Jean se maudissait de ne pas avoir de matériau plus riche qu'un pauvre sac de plâtre, car il avait conscience que Marco méritait mieux, beaucoup mieux. Sa mine s'effritait à vue d'œil et il dut bientôt se lever pour aller chercher de quoi la tailler. Lorsqu'il passa derrière son modèle, il ne parvint pas à lui résister ; s'en approchant silencieusement, il posa ses mains de part et d'autre de sa taille, enfouit son visage au creux de son cou nu et en huma le parfum étourdissant. Il sentit Marco frissonner, mais son corps était bouillant contre le sien.

     — Un jour, lui murmura-t-il à l'oreille, je te ferais une statue de marbre.

     Le brun sourit, fermant les yeux au contact du baiser que Jean déposa sur la peau sensible de sa clavicule. Quand l'artiste s'éloigna de sa muse, retournant à son étude corporelle, le jeune homme trembla ; de froid, cette fois-ci. Du marbre, songea-t-il. Cela ressemblait à une promesse.

Nᴏᴛᴇ ᴅᴇ Lʏᴀ
Je tiens à dire que je suis absolument fan de ce one-shot ! Il regroupe un tas de choses que j'adore : l'art, la sculpture, les musées, les bibliothèques, les mythes, du fluff mais aussi une certaine tension. En plus de tout ça, j'ai pris beaucoup de plaisir à l'écrire !

Je n'ai pas précisé ce qui avait causé la brûlure de Marco car j'ai jugé que ce n'était tout bêtement pas utile de le faire. Libre à vous d'imaginer (ou non) ce que bon vous semble !

Si jamais vous êtes intéressé·e·s par le Musée Rodin ou les sculptures dont il est ici fait mention, je vous invite à jeter un coup d'œil au site internet du musée qui est vraiment bien fait. Je ne l'ai personnellement pas visité, mais ces recherches m'ont donnée très envie de le faire un jour !

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