CHAPITRE 5 : EFFET SURPRISE 

   Ce matin-là en se réveillant, Akane Isayo avait d'emblée su que sa vie était sur le point de vivre un tournant. Son quotidien se situait désormais au bord du précipice, prêt à sauter en plein dans le vide. En se levant de son lit, l'adolescente prit le temps d'observer cette petite chambre au sein de laquelle elle logeait depuis maintenant sept ans. La pièce était assez bien rangée, une basse reposait à côté de son lit et son bureau laissait voir une pile de magazines et de livres qui se rapportaient tous au même sujet : la naissance des héros dans le monde. 

   Il y a sept ans, lorsqu'elle avait débarqué dans les lieux, Akane tenait la main de son grand-père qui essayait tant bien que mal de lui arracher un sourire. Mais pour la petite-fille c'était tout simplement impossible. Malgré son jeune âge, elle avait bien compris que la chambre qu'on venait de lui offrir était celle au sein de laquelle son père avait grandi. 

   Son père, Ken Isayo. 

   Dans la tête de l'adolescente les paroles dites par sa grand-mère au téléphone tournaient en boucle comme un vieux disque. On lui demandait d'aller vivre chez son père après que celui-ci se soit absenté pendant sept ans. C'était comme si personne ne mesurait la gravité et surtout l'absurdité de la situation. La pauvre adolescente était complètement perdue. Des questions sans réponses hantaient ses pensées, mais la plus fondamentale demeurait la suivante : pourquoi son père voulait reprendre sa garde ? 

   —   Akane ! Le petit-déjeuner est prêt, tu devrais te dépêcher pour ne pas être en retard au lycée, l'appela sa grand-mère. 

   La jeune fille enfila le premier pull qui fut à sa disposition avant de se rendre dans la salle à manger. L'odeur des cookies de sa grand-mère lui chatouillait les narines et lui rappelait l'enfance. Assis dans sa chaise fétiche, des lunettes sur le nez, son grand-père lisait l'actualité par l'intermédiaire du journal. À première vue, tout semblait paisible. Akane avait du mal à penser que tout ça allait disparaître. Dès demain elle allait se réveiller dans une chambre digne d'un palace, le petit-déjeuner allait lui être servi, et les faits divers ne lui seraient pas communiqués par la voix de son grand-père, mais plutôt par celle de la journaliste dont l'image serait retransmise par un écran plasma. 
Mais de cette vie aux côtés de son richissime père, Akane n'en voulait pas. 

   —   Tu as bien dormi ma chérie ? s'enquit la vieille dame à ses côtés en lui offrant un baiser sur le front.  

   —   Hmm... On peut dire ça. Dis-moi mamie, tu savais toi où vivait papa pendant tous ce temps ? 

   Sa question créa aussitôt une atmosphère tendue au beau milieu de la pièce. Les yeux gris de sa grand-mère trahissaient de la peine, mais aussi une grande culpabilité. 

   —   Oui mais... Mais ton père ne voulait pas que l'on te parle de lui. Après la mort de ta mère, il s'est plongé dans une dépression. Il n'était plus en mesure de s'occuper de toi, et telle est la raison pour laquelle il nous a confié ton éducation. 

   —   Et c'est seulement hier qu'il s'est souvenu qu'il a une fille si je comprends bien ? grogna Akane avant de manger un cookie. 

   —   Akane, soupira son grand-père, pas un jour ne passait sans  que ton père ne pense à toi. Renouer des liens vous sera très bénéfique. 

« Renouer des liens ? Ce sera possible ? »

   La brune n'ajouta pas un mot de plus, et fixa d'un air absent la tasse de thé fumante en face d'elle. 

   —   Oh tiens, voyez ça ils ont consacré toute une rubrique au jeune Togo... Todoroki ! fit le grand-père en plissant des yeux devant sa page. Apparemment ce jeune garçon a épaté tout le monde lors du championnat de Yuei. 

   Akane sentit le feu envahir ses joues en entendant ce nom. Sa rencontre avec le jeune homme refit aussitôt surface dans ses pensées. Ses yeux vairons et ce regard si propre à lui-même la frappa de plein fouet. Se souvenait-il d'elle ? L'avait-il dénoncé à son père, Endeavor ?

   —   Je confirme, affirma la grand-mère en un sourire. D'ailleurs tu te souviens Akane, t'avais les yeux qui brillaient devant son premier combat ! Puis ce n'est sans parler de Takara qui le trouve absolument séduisant ! 

   L'adolescente esquissa un léger sourire en guise de réponse. L'évocation de Takara lui rappela que cette dernière l'attendait pour aller au lycée et étant donné sa patience extraordinaire, Akane avait intérêt de se dépêcher. 

   Sans plus attendre, la brune effectua sa toilette. Elle releva sa chevelure en un chignon, compléta sa tenue avec une paire de bottes noires et après avoir attrapé son sac à dos elle salua ses grands-parents. Comme à son habitude elle se mit à courir sur les trottoirs pour arriver à temps. Le ciel était bleu, le soleil était rayonnant, et les brises d'air ajoutaient une touche de fraîcheur à la météo. Mais malgré tout, Akane demeurait terne et grisâtre à l'intérieur d'elle-même. 

   —   Je me suis dit que ce serait cool de créer un site internet sur le groupe ! Alors dès hier soir j'ai posté une annonce sur les réseaux sociaux et d'après les réponses des internautes on pourrait élargir notre public grâce à un site internet. Vous imaginez un peu si notre carrière décollait les filles ? 

   Mike avait les yeux brillants et paraissait heureux et surexcité. En voyant l'enthousiasme qui émanait de ses amis, Akane ne pouvait que se résoudre à sourire. Ils avaient tellement de plans en ce qui concernait "One for all", et Takara s'était même lancée dans la composition d'une nouvelle chanson. 

   —   On sera des stars ! s'exclama Takara en passant sa main dans sa chevelure. Bon j'ai conscience qu'on l'est déjà au sein du lycée, mais il est temps d'étendre notre popularité dans le monde ! 

   —   Faudrait qu'on se lance dans la conception de produits dérivés ! suggéra Akane. Pourquoi pas des t-shirts ? 

    Ses deux amis approuvèrent avec joie, et à cet instant l'adolescente sentit un vrai sourire se dessiner sur ses lèvres. 

   —   Sinon à part ça, commença Mike, c'est ce soir que tu retournes chez ton père Akane, non ? 

   —   Oui, alors vous pouvez dire au revoir aux cookies de ma grand-mère.

   —   Pardon ? Hors de question que j'y renonce ! s'exclama Takara. Je te rappelle que ces cookies symbolisent la naissance de notre amitié. 

   Akane ne put s'empêcher de rire. Elle se souvint de ce jour-là à l'école primaire, où sa grand-mère avait apporté des cookies pour les enfants. Takara lui avait aussitôt juré fidélité pour toute la vie. 

   —   Vois les choses du bon côté Aka', lança Mike. C'est l'occasion inespérée d'obtenir des réponses à tes questions. Lui faire la gueule ne servira à rien, bien au contraire ça t'empêchera d'avancer.

   La brune hocha la tête et déglutit quelques secondes plus tard. Une boule s'installa dans son ventre, elle était enfin en face d'un des plus grands mystères de sa vie : son père. À quoi ressemblait-il maintenant ? Pourquoi l'avait-il laissée ? 

   —   Merci pour tout, souffla-t-elle. Bon, je dois y aller ! À demain les gars ! 

   Les trois amis se quittèrent ainsi, en l'occurrence, animés par des pensées positives. 

   Malheureusement tout s'effondra pour Akane à cet instant même où elle poussa la porte de cette petite maison où elle avait vécu pendant sept années. 

   Il l'attendait avec un costume noir qui rehaussait son teint pâle. Ses cheveux possédaient toujours cette teinte ébène, son regard était perçant et paraissait plus sombre. Il n'avait rien d'un homme sortant d'une dépression, bien au contraire. Le sac d'Akane tomba au sol, et l'adolescente ne put s'empêcher de reculer. 
Cet homme était son père, elle le reconnaissait avec une clarté indéfinissable. 

   —   Papa..., murmura-t-elle. 

   —   Akane, on s'en va. 

   Sa voix était dure et rocailleuse. L'adolescente sentit un frisson lui parcourir l'échine. 

   —   Akane, ma petite-fille, souffla sa grand-mère en la serrant dans ses bras. On doit partir... 

   —   Comment ça "on" ? s'enquit-elle en sentant les battements de son cœur devenir aussi rapides que l'éclair. 

   —   On s'en va Akane, répéta son père. 

   —   Et pour aller où ? dit-elle en refoulant du mieux qu'elle pouvait la haine qui grandissait en elle. 

   —   On quitte le pays, tes affaires sont déjà prêtes. Tu n'as pas ton mot à dire, on prend un avion pour l'Australie dans l'heure qui suit. 

   Le cerveau de l'adolescente eut du mal à assimiler le flux d'informations qui lui avaient été livrées. Ses yeux s'écarquillèrent, et elle ouvrit la bouche mais aucun son ne parvint à en sortir. Le corps d'Akane se mit à trembler, et en quelques secondes la bombe contenue en elle explosa. 

   —   Tu ne peux pas revenir dans ma vie comme ça, et décider sur un coup de tête de me ramener en Australie ! Il est hors de question que je bouge d'accord ? J'ai grandi ici, et c'est ici que se trouvent mes amis ! Tu peux partir sans moi... Ken.

   Elle s'apprêtait à s'enfuir lorsqu'une poigne glaciale se resserra autour de son poignet. 

   —   Akane tu n'as pas ton mot à dire, d'accord ? s'impatienta son père. C'est pour ton bien que je fais ça, j'ai déjà perdu ta mère et il est hors de question que je perde la seule personne à laquelle je tiens le plus au monde qui n'est autre que toi, ma fille. Tes grands-parents viennent avec nous, et Tokyo c'est terminé maintenant. 

   —   Tu peux aller en Enfer, grinça-t-elle entre ses deux. 

   —   Ma petite, tout ira bien, souffla son grand-père en tentant de la calmer. 

   Akane se mordit la lèvre inférieure pour ne pas fondre en larmes. Elle était désespérée, et avait conscience qu'elle aurait beau hurler ou pleurer rien ne changerait. Elle allait partir pour l'Australie, et elle sentit son cœur se briser en pensant à Mike et Takara. Après avoir perdu sa mère, la voilà maintenant séparée de ses meilleurs amis. Qu'allait-elle devenir, et surtout, pourquoi était-ce seulement maintenant que son père venait chambouler sa vie ?