— La première règle quand on veut contrôler son Risen... c'est la volonté.

En plein cœur de la forêt giboyeuse, sous les yeux curieux d'une famille d'écureuils, deux corps se faisaient face. Tôt le matin, l'espoir revenant avec le soleil, Jaya avait été arrachée de son sommeil par un Amaros déjà bien réveillé. À peine les premières lueurs du jour s'étaient manifestées qu'il avait dépêché la princesse à prendre un rapide petit-déjeuner et de l'accompagner dans ce coin forestier à quelques mètres du camp. Étouffés par la masse dense de végétaux, personne du côté des fermes et du village n'écouterait, ni ne verrait que des mages s'y entraînaient.

Jaya déglutit. Elle n'osa pas lui faire part de son appréhension, mais l'adolescent n'était pas né de la dernière pluie ; il percevait très bien ses émotions. Elles étaient très visibles sur son visage et dans ses gestes. Elle mordillait sa lippe, tordait les bords de ses manches, sautait d'une jambe à l'autre. Ce pourquoi, il ne perdit pas une seconde et entreprit de commencer l'entraînement pour obtenir toute son attention. Il convia Tiordan et Symphorore à les accompagner. Même Liloïa les suivit, collée au train de la chasseresse.

Posés sur un tronc d'arbre renversé à quelques mètres des deux mages, le frère et la sœur observait la scène avec attention. Tiordan envoya un pouce de la victoire à Jaya, ce qui eut l'effet de la faire sourire.

— Il ne faut pas croire, princesse, le Risen est une graine vivante. Tout ce que tu vois obéit à un équilibre délicat, absolument tout, jusqu'à la plus petite feuille de l'arbre, mais tu dois déjà le savoir. Tranquille comme une forêt à la surface, mais en feu à l'intérieur. En trouvant l'équilibre en toi, tu réussiras à le contenir derrière les barreaux et le faire sortir quand tu le désireras.

— C'est parfait. Dans ce cas, on part sur un apprentissage de magie non-élémentaire ?

Amaros dévoila l'amusante asymétrie d'un œil légèrement plissé et un autre pleinement ouvert, ajoutant à son visage sympathique un soupçon de surprise.

— D'où tu connais ça, toi ?

Jaya baissa légèrement la tête, les pommettes roses et un sourire nostalgique aux lèvres.

— Vadim m'en avais parlé. La magie non-élémentaire est celle que l'on apprend aux débutants et aux enfants, sur le continent.

Nerveusement, Amaros se gratta l'arrière du crâne.

— C'est vrai. Ça compte des sorts mineurs comme la protection, le camouflage ou encore la lévitation. Déjà, si tu connais les bases, ça sera plus facile. L'apprentissage de la magie est un processus qui demande beaucoup de travail, d'efforts, de persévérance et surtout la volonté de réussir. Si ton Risen sent que tu en veux, il pliera devant toi. Mais pour ça, il faut que tu lui montres qui est le plus fort ! Pour ça, je t'ai dégoté un petit examen pas piqué des hannetons, tu vas voir.

Devant ses yeux, Amaros leva la main et quelques étincelles s'en échappèrent. Trois grandes branches s'élevèrent alors du sol pour se redresser et se planter dans la terre tendre autour d'eux. Jaya battit des paupières, stupéfaite, quand Amaros tourna sur lui-même dans une danse millimétrée qui fit élever des flammes bleues hors de son corps. Le cercle enflammé frappa les trois branches d'un coup et fit naître une flammèche à leur bout.

À la fin de sa mise en scène, il s'approcha d'une Jaya dont les yeux formaient le rond parfait de deux soucoupes et lui tapota l'épaule.

— Tu vas t'entraîner à les allumer. Ce sera déjà un bon début dans ton combat pour l'autorité face à ton Risen.

— Les allumer ? Mais, je...

La superbe lumière au bout des bâtons s'évapora dans l'air, mourant dans le regard paniqué de la jeune femme. Amaros lui sourit comme un bienheureux, puis lui attrapa les mains pour lui secouer doucement les bras, afin de la détendre.

— Ne t'inquiète pas, reste ouverte d'esprit. Plus tu seras stressée, plus ce sera compliqué de te faire respecter et ainsi, de montrer à ton Risen que tu en vaux vraiment la peine. Identifie les forces à ta disposition et apprend à les utiliser contre lui. Tout ce que tu as à faire, c'est penser et donner un ordre. Mais du genre, un ordre non-contestable. Aller vas-y, on te regarde.

Sur ces mots qui n'eurent comme effet que crisper davantage la princesse, Amaros alla s'asseoir auprès de Tiordan et Symphorore. Comment ne pas stresser dans ces conditions ? Tous les yeux étaient braqués sur elle ! Mille questions se bousculaient encore sur ses lèvres, mais aucune n'osait se jeter à l'eau tant cela lui paraissait compliqué pour son cerveau déjà saturé.

— Euh... Par où je commence ?

— Commence déjà par évaluer les distances avec les torches, comment tu pourrais faire pour toutes les allumer en même temps. Relaxe, prend quelques inspirations et expire lentement. Il faut te calmer pour mieux te concentrer.

Si seulement c'était si simple...

La totalité de son corps lui faisait comprendre à quel point elle était anxieuse. Même le doux chant des oiseaux n'arrivait à la calmer. L'accélération de son rythme cardiaque jouait sur la régularité de sa respiration. Respire, Jaya... Concentre-toi et tout ira bien.

Respire...

Expire...

Elle devait se concentrer sur les effets de sa volonté sur son Risen. Elle la sentait, là, cette sphère de lumière au fond d'elle, la narguant dans un rire sournois, libre de l'autre côté des barreaux. C'était une difficulté à surmonter, un ennemi à assujettir pour mieux conquérir.

Elle ferma les yeux et la vit.

Cette graine flamboyante dans son corps. Plus aucune grille ne la retenait. Une envie impérieuse de la toucher la saisit, mais elle savait qu'elle s'en brûlerait les doigts tant sa puissance ondulait comme des vagues de canicule jusqu'à elle.

Elle sentait la force du feu bleu circuler dans ses membres et renforcer son énergie magique. Le Risen était prêt à en découdre ; elle n'allait pas le laisser prendre le dessus et la cogner en pleine poitrine. Pas cette fois. Elle maintint cette esprit durant quelques secondes avant de rouvrir les yeux.

« Libère les flammes et allume ces torches. »

Reproduisant les gestes d'Amaros, Jaya tourna sur elle-même en écartant les bras. Ses veines chauffèrent, elle les sentait bouillir sous sa peau, dans tout son corps. La chaleur grimpa jusque dans sa tête au point qu'elle crut s'immoler.

Une explosion bleutée survint et secoua les arbres autour d'eux. Des cris émergèrent au moment où Jaya ferma les paupières, aveuglée par la vive et puissante lumière. Quand elle les rouvrit, elle vit qu'un cercle noir s'était formé autour d'elle. L'herbe était brûlée. Les feuilles les plus basses des arbres étaient calcinées et des étoiles bleues en tombaient encore.

Elle avait fait une bêtise. Du moins, son Risen...

Des râles émergèrent de l'autre côté du tronc. Deux têtes se soulevèrent, le visage roussi et l'air hagard. Symphorore et Tiordan n'avaient pas attendu pour bondir au sol quand les premières étincelles menaçantes s'étaient manifestées. Liloïa les avait rapidement imité en se carapatant derrière un arbre en couinant. Amaros, lui, n'avait pas été aussi réactif et se retrouvait renversé sur le dos, les deux jambes en l'air reposant encore sur le tronc. Il relâcha une lamentation digne d'un bovin en couche.

La peur couplée à la culpabilité réactiva la princesse qui s'agita sur elle-même.

— Seigneur ! Je suis désolée... Tout va bien ?

Difficilement, Amaros se redressa pour dévoiler une tignasse soufflée et hirsute par la détonation. Libérant une poussière d'étoiles, il secoua sa tête pour remettre ses idées en place. Attirée par les petites lueurs, Liloïa sortit de sa cachette et alla renifler le jeune garçon avec curiosité. En respirant la poussière, la néréide éternua bruyamment contre lui. D'une main, il retira lentement les pellicules de mucus envoyées par la dragonne collées sur sa joue.

Amaros ne répondit même pas au rire sonore et amusé de Symphorore face à son allure discutable. On aurait dit qu'il portait la couronne d'un fauve mal léché.

— Euh, oui, ça va... On va dire...

— J'ai tout raté, mon Risen n'en a fait qu'à sa tête...

— C'est... c'est pas si grave. C'est qu'un premier essai. Disons que... au moins... les torches sont allumées.

En effet, même plus qu'escompté ! Les trois bâtons étaient rongés par les flammes céruléennes et s'émiettèrent presque aussitôt sous le brasier. Repoussant la tête de Liloïa, Amaros se releva de concert avec ses amis et épousseta ses habits.

— Il faut continuer. Ne lâchons rien, tu es sur la bonne voie.

— Tu appelles ça « la bonne voie » ? s'indigna Jaya en montrant les branches brûlées au sol.

— Mais oui ! Même s'il semble avoir un sacré caractère, tu as réussi du premier coup à obtenir une réponse de ton Risen. Il s'est manifesté à travers ton ordre, ce qui veut dire que tu as déjà un ascendant sur lui. Y faudra répéter ce petit examen encore quelques jours, je pense et faire preuve de créativité pour améliorer les résultats. La magie est une discipline qui évolue d'une personne à une autre, chaque mage est différent et développe ses propres habiletés au cours de ses entraînements.

En y réfléchissant, Jaya pensa qu'il disait vrai. Vadim lui avait appris à quel point le Risen pouvait être difficile à assimiler et aujourd'hui, elle réalisait comme il avait raison. Elle allait devoir se surpasser et tant pis si elle ne dormait pas des jours entiers, elle ferait honneur à cet apprentissage. C'était ce que Vadim aurait voulu ; qu'elle soit courageuse, forte et à l'aise avec cette magie qui les passionnait tous deux.

Fixant le creux de ses mains, elle le revit dans une réminiscence, ce soir-là, dans la caverne. Si passionné quand il lui parlait du Risen. Si heureux de ne plus être seul à aimer cette part secrète en eux.

Pour lui, elle se jura de réussir.

— Alors... On continue, princesse ?

Regonflée à bloc, Jaya offrit un regard scintillant de détermination à son jeune professeur.

— On continue.