Seule Face à la Nature 5/5
Quelqu'un l'appelait dans le noir.
Elle n'avait pas fait attention tout de suite à cause de l'obscurité, mais il y avait un renfoncement sur la gauche, entre deux bâtiments, garni de tonneaux de céréales. Quelqu'un se tenait penché sur l'un d'eux, encapuchonné, et lui faisait signe. Elle ne voyait pas son visage et cela appuya une certaine appréhension dans ses tripes qui la figea sur place. Ses mollets tremblaient et s'entrechoquaient frénétiquement. Était-ce une personne qui voulait vraiment l'aider ou un villageois feignant la charité pour la livrer ensuite à la garde royale ?
Dans sa situation, elle ne pouvait accorder sa confiance aussi facilement.
— Hey ! Dépêche-toi, ils arrivent ! Viens par ici !
Mais avait-elle le choix ?
Les chevaux se faisaient de plus en plus audibles, bientôt, Leftheris et ses troupes seraient devant elle. C'était son ultime chance. Au vent l'hésitation ! Elle n'avait guère le temps d'en perdre ! Comme si sa vie en dépendait, Jaya courut vers son sauveur, Liloïa sur les talons. Jaya réussit à se frayer un chemin entre les tonneaux, mais Liloïa, plus grande et plus énergique, en renversa trois sur son sillage. Le lin, l'orge et le blé se déversèrent au sol.
Aussitôt, une main saisit celle de Jaya et la tira vers le fond du creux. Elle s'écrasa sur un corps ferme qui la maintint contre lui afin de gagner de la place dans cet endroit exigu. Liloïa réussit à les rejoindre et se caler derrière sa mère d'adoption, la poussant davantage contre le torse de son sauveur. Il n'était pas seul, elle sentait d'autres personnes avec eux. Même s'ils étaient cachés dans l'ombre, ils étaient à découvert ici. Leftheris les trouverait forcément et les arrêterait tous pour avoir tenté d'aider une fugitive.
Or, une seconde silhouette se détacha pour se dresser au devant de la garnison de fortune. Il leva une main devant lui et Jaya crut voir un flottement dans l'air. Comme si l'espace s'était distordu dans une onde de choc sans pour autant changer.
Elle avait déjà vu ça... avec Vadim...
C'était de la magie.
Ces gens étaient des mages ?
Une poignée de secondes plus tard, Leftheris entra enfin dans la ruelle où Jaya était supposée être tombée. Ses yeux habitués à la noirceur se plantèrent immédiatement dans ces tas de graines étalés au sol. Deux tonneaux étaient renversés près d'un renfoncement vide comme le néant. Il descendit de son cheval et ratissa la zone sous les yeux de ses troupes, mais aussi de Jaya et ses mystérieux bienfaiteurs.
Le sol battu portait encore la trace de la chute, les pas du dragon imprimés dans la poussière.
Elle n'avait pas pu aller bien loin. C'était un cul de sac. Or, il ne la voyait nulle part.
Derrière le sort d'invisibilité, le souffle de Jaya se perdait. Son cœur battait à en sortir de sa poitrine et elle sentait celui de son sauveur palpiter de la même façon. Derrière elle, Liloïa bougea et gratta légèrement le sol de ses griffes. Collant son museau sur la joue de Jaya, elle émit un faible gazouillement que la princesse tut immédiatement en refermant ses deux mains autour des mâchoires de la néréide. Ça n'avait été qu'un son bref, presque imperceptible, mais quand la brune regarda vers la ruelle, Leftheris était tourné dans leur direction.
Malheur... l'avait-il entendue ? La tension s'ajouta aux sueurs d'angoisse et aux tremblements de peur. Le mage devant eux gardait courageusement le bras tendu qui frémissait un peu. Il déglutit ; si le prince touchait le champ protecteur, il le briserait et les mettrait à nu devant toute la garde.
Il ne devait surtout pas approcher... sinon, ils étaient tous morts.
— Mon général, il n'y a rien ici. Elle a dû partir ailleurs pendant que nous faisions le tour, s'élança un soldat. Retournons à nos recherches dans le village.
Il avait peut-être raison... Il était clair que cette ruelle était vide, malgré son indescriptible et dévorante sensation d'être observé. Lorsqu'il tourna ses yeux d'argent vers ses hommes, Leftheris balaya rapidement ses cheveux d'une main fébrile et remonta sur son cheval.
— Allons-y, alors. Elle ne doit pas être loin. Dépêchons nous avant qu'elle ne quitte le village. Avec un tel animal avec elle, elle ne passera pas inaperçue. Nous la retrouverons.
Un coup de bride et le cheval du prince dépassa tous les autres qui suivirent aussitôt sa cadence. Les sabots diminuaient de plus en plus, jusqu'à s'évanouir. Pour plus de sécurité, Jaya et ses bienfaiteurs restèrent sans bouger encore de longues minutes, avant que le mage en première ligne ne baisse finalement son bras. Le miroitement intangible frémit à nouveau pour enfin disparaître.
Jaya put l'entendre pousser un long souffle fourbu.
— Eh bien mes aïeux, quelle galère, ce sauvetage éclair ! On était à deux doigts de se faire embrocher. Deux doigts ! Pas trois, deux ! geignit-il en levant théâtralement son index et son majeur.
Relâchant la gueule de Liloïa qui grommela en secouant sa tête, Jaya plaqua ses yeux écarquillés sur le dos du garçon encapuchonné en face d'elle. Cette voix... Criarde et chantante à la fois.
Son coup à la tête résultant de sa chute lui donnait-il des hallucinations ?
Se redressant à vive allure, comme saisie d'un coup de jus, Jaya le gratifia d'un œil effaré. Même vêtue de toute sa volonté, elle n'aurait pu le lâcher des yeux.
— Amaros ?
L'appelé fit volte-face, son sourire éclatant et ses yeux verts malicieux scintillèrent dans la nuit.
— Je vois qu'on ne m'a pas oublié, je suis flatté. Votre humble serviteur, princesse.
Sa petite courbette de trublion arracha un sourire stupéfait à Jaya. Oui, c'était bien lui ! Elle baissa complètement sa garde, si heureuse de voir un visage familier et sans danger dans son gouffre de malheurs qu'elle s'élança pour le serrer dans ses bras. Le jeune garnement sentait son corps frêle et gelé trembloter contre lui.
— Oh, eh bien... Je m'attendais pas à une pareille réaction. Mais on peut rester comme ça, si tu veux, c'est pas désagréable, sourit-il, à son tour.
Elle se sépara de lui aussi vite qu'elle l'avait empoigné, les yeux aussi ronds que deux soucoupes.
— Mais alors... si c'est toi...
— Eh nous, alors ? On sent la vieille chèvre ?
Derrière elle, Liloïa se fit un plaisir de renifler la tête de la personne ayant prononcé ces mots. Elle dégageait une odeur agréable, sucrée, un peu comme un fruit, ce qui lui plut énormément. Elle pourrait peut-être la goûter ? La néréide agrippa la capuche entre ses crocs et la tira pour dévoiler une tête châtaine englobée de deux nattes qui sursauta en sentant la truffe humide du dragon tapoter sa joue. Son souffle chaud frappant son visage empestait la poiscaille ! La jeune femme bondit aussitôt, les deux mains rejointes sur le front de Liloïa qu'elle repoussa, sans succès.
— Argh ! Mais c'est quoi, ce truc !?
— Symphorore ? sourit Jaya.
À côté de la pauvre fille assaillie par le dragon, le dernier membre du trio retira sa capuche pour montrer son visage amusé et son épaisse chevelure batailleuse. Il se décala d'un pas afin de ne pas être touché par la folie olfactive soudaine du grand reptile et préféra laisser sa sœur gérer cette crise. Quand ses profonds yeux noirs touchèrent la princesse, celle-ci comprit pourquoi son cœur avait battu si fort lorsqu'il l'avait tenue contre lui.
— Tiordan...
Il lui sourit, grattant nerveusement l'arrière de son crâne.
— Salut, Jaya.
Tour à tour, elle les ensevelit sous la chaleur de ses bras. Elle les serra si fort qu'elle crut leur briser les os. Tiordan soupira contre sa tempe, son étreinte se durcit d'une once autour de la taille fine de la brune. Il était si heureux et rassuré de la voir en pleine forme, là, auprès de lui et du cocon sécuritaire de leur groupe. C'était inespéré, mais pourtant si réel.
— Vous... vous êtes vivants ? Et vous... vous êtes ici !? bégaya la princesse en les lâchant. Mais... ça fait un an... je... je croyais que...
— Excusez-moi, votre altesse, mais je crois que les explications ça sera pour un peu plus tard, l'arrêta Amaros. Il faut qu'on se taille fissa de ce village. Au fait, super discours, tout à l'heure.
Il lui envoya un pouce de la victoire, un sourire carnassier aux lèvres. La jeune femme piétina de surprise.
— Vous étiez là ?!
— Évidemment, ce village est le seul coin où on peut trouver du pain et des fruits à des kilomètres à la ronde, donc sachant qu'on a des estomacs aussi gros que les quatre estomacs d'une vache réunis...
— Amaros, on a pas le temps de blablater, on discutera plus tard ! s'intercéda Tiordan, à nouveau sérieux. Les hommes du roi sont encore dans le village. On doit rejoindre l'abri. Jaya...
Le chasseur lui prit la main ; leurs regards se heurtèrent.
— Tu viens avec nous. Je ne te laisserai plus seule, désormais. C'est une chance qu'on soit rapidement tombés sur toi.
Ses doigts serrèrent un peu plus les siens, tendrement. Jaya croyait en lui, en eux. Plus que jamais, son courage avait remonté la jauge de son humeur, dépassant toutes les autres émotions. Elle n'était plus seule, à présent et dans ses appels désespérés, le ciel avait fini par l'écouter et les mettre sur son chemin.
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