Mjöltznir 8/9
Dans la lumière, il y eut une seconde de silence suspendu, puis un cri déchirant qui se propagea, vibrant dans l'air comme une onde de choc.
Enveloppé par une aura bleutée qui persistait à le relier à Wolfrey, Amaros était en proie à des convulsions. Horrifiée, Jaya regarda le corps de l'adolescent s'affaisser, devenant de plus en plus lumineux. Pendant ce temps, le banni, de l'autre côté, avait la tête tournée vers le ciel, un sourire malsain éclairant ses traits, comme s'il était plongé dans une transe malsaine.
Elle ne pouvait pas rester là sans rien faire. Elle refusait de laisser ses amis endurer davantage de souffrances à cause d'elle.
Puisant dans ses dernières réserves de force, Jaya se remit sur pieds, faisant fi de la douleur lancinante dans son bras. Elle s'élança de côté, profitant de la distraction de Wolfrey, pour se positionner audacieusement près de lui.
Depuis sa position, Chrysiridia avait tout vu, tout comme Vadim, qui avait délaissé l'affrontement pour se précipiter vers son épouse en urgence.
— Jaya ! Jaya, arrête ! clama-t-il, en ayant conscience de ce que cela voulait dire.
Dans son empressement, il n'avait même pas remarqué Chrysiridia au sol.
— Jaya... Non ! hurla la cheffe, tendant une main vaine vers sa fille.
Mais il était trop tard.
Dans un élan surnaturel, Jaya libéra un cri d'une puissance fantastique, qui distordit la dense forêt, agitant tout sur son passage. La neige, comme frappée par une bourrasque invisible, s'envola, les arbres se plièrent en une révérence forcée devant leur reine. Alliés et ennemis couvrirent instinctivement leurs oreilles, ébranlés par l'onde sonore aiguë et déferlante. Même Liloïa se recroquevilla derrière une roche en écoutant cet horrible son qui lui avait fait si peur, une fois, face au troll.
Seulement à quelques pas de sa bien-aimée, Vadim succomba à la pression, tombant à genoux, les mains agrippées à ses tempes. Malgré le tourment sourd qui lui vrillait les tympans, il parvint, avec un effort surhumain, à lever un regard vers Jaya.
Ses cheveux...
Ils blanchissaient lentement, jusqu'à ce qu'il ne reste plus un seul soupçon de noir. La couleur des toundras et du cœur glacé qui pulsait en elle. Ses yeux, eux, brillaient d'une lumière intérieure, exsudant de Risen.
Wolfrey, lui, fut emporté par le raz-de-marée, son emprise magique sur Amaros se dissolvant sous l'effet du cri qui le cogna de toute sa haine. Il se tordait de souffrance, hurlant en sentant ses neurones prendre feu l'un après l'autre. Du sang perla de ses oreilles, de son nez, victime de la colère qu'il avait cherché et mérité.
À l'opposé, Vadim assista à la scène et ne put se résoudre à laisser Jaya se transformer. Malgré sa douleur, il força contre vent et se redressa. Criant son prénom dans un élan de désespoir, il avança bravement, un bras en avant pour se protéger des bourrasques de neige qui lui fouettait le visage.
Un pas, puis un autre.
Il était si proche.
Si proche d'elle.
Les éclats de glace volatiles lui lacérèrent la face et les mains.
Encore un pas...
L'onde qu'elle libérait le repoussait en arrière, mais il ne lâcha rien.
Pour elle.
Et il bondit. Droit sur Jaya.
Coupant court à cette démonstration de magie, la jeune femme se trouva plaquée au sol et recouvrir par un poids conséquent qui la protégea des retombées de neige et de débris. L'atmosphère redescendit et le son tonitruant de sa voix mourut dans l'écho des montagnes.
À bout de souffle, Vadim n'entendait presque plus rien tant le bourdonnement à ses oreilles demeurait intense.
Sous lui, Jaya émergeait, ses yeux ayant perdu leur éclat magique. Hagarde, elle parvint à se tourner légèrement pour rencontrer un regard familier, humide d'une inquiétude palpable.
— Va... Vadim ?
— Jaya !
Interrompant leur échange, cette voix appartenait à Chrysiridia. Aidée par Symphorore et Tiordan à se relever, la matriarche s'approcha d'eux d'un pas rapide, quoique claudicant. À sa vue, Vadim se redressa pour dégager sa femme de son étreinte et laisser sa mère prendre le relais. Il devait également s'assurer qu'Amaros se portait bien. Liloïa était déjà à ses côtés, émettant toutes sortes de bruits étranges tout en le tapotant doucement avec sa queue.
Sans même jeter un œil à son gendre, Chrysiridia se jeta au chevet de Jaya pour la saisir violemment par les épaules.
— Tu es inconsciente ! Tu n'aurais jamais dû utiliser le cri ! C'est catastrophique ! Tes cheveux...
— Mais, je...
La princesse s'arrêta brusquement, torturée d'une douleur vive à la tête. La voix haut perchée de sa mère, loin de l'apaiser, ne faisait qu'entraver sa tentative de retrouver son calme intérieur.
— Tu aurais pu... !
Seulement, Chrysiridia se mura dans le silence le plus profond, soudain. Son ouïe encore fragilisée avait perçu quelque chose.
Un son... Si d'abord elle avait cru qu'il s'agissait du vent nordique, ou bien du chant des montagnes parcourut par les animaux, elle prit conscience que ce n'était rien de cela.
— Reine Chrysiridia ? Qu'est-ce qui se passe ? demanda Symphorore.
— Vous entendez ?
Ils n'entendaient plus grand chose après le cri terrible de Jaya, mais bientôt, ils sentirent la terre trembler sous leurs pieds, gagnant lentement en intensité. L'air se chargea d'une électricité qui fit dresser les poils sur leur nuque. Le silence d'après-coup fut brisé par un grondement lointain qui se rapprochait à une allure terrifiante.
Des regards alarmés se croisèrent, s'élevèrent vers les sommets, des respirations s'accélérèrent. La peur imprégna chaque fibre de leur être, une peur primitive et brute –le genre qui glaçait le sang et faisait comprendre la petitesse de l'homme face à la nature. L'horizon se brouillait, une masse blanche implacable surgissait à pleine vitesse dans le regard exorbité de Chrysiridia, dévorant tout sur son passage.
L'avalanche !
La réalité les frappa comme un poing de glace : la puissance brute de la nature en mouvement, que Jaya avait éveillé grâce à son cri, était inévitable. La terreur les envahit, faisant battre leurs cœurs à un rythme effréné. L'odeur du froid, de la neige et de la mort, remplit leurs narines. Leurs yeux s'écarquillèrent devant l'ampleur de la catastrophe qui s'abattait sur eux.
— Courez !
Sous l'ordre hurlé de Chrysiridia, tous les corps se remirent en mouvement. La cheffe prit sa fille par la main et tenta de l'aider à se relever, sans succès, Jaya était paralysée au sol. Tiordan oublia alors Vadim une seconde, ainsi que leur dernière discussion houleuse, et glissa ses mains sous les genoux de Jaya pour la lever et la serrer à lui avant de courir.
— Cramponne-toi, Jaya ! Ne me lâche pas !
Elle lui promit silencieuse de faire de son mieux. Symphorore les talonna alors, suivie de la reine et de Liloïa.
Vadim, de son côté, tentait de réveiller Amaros, mais celui-ci, allongé face contre terre dans la froide étreinte de la neige, ne donnait aucun signe de vie. Sentant l'urgence de la situation, Vadim grogna, puis souleva Amaros, le balançant lourdement sur son épaule. Sans plus attendre, il emboîta le pas du cortège qui s'éloignait.
Au moment où l'avalanche engloutissait Mjöltznir et léchait les premières cabanes des bannis, une terrible clarté s'empara de Chrysiridia. Il n'y avait pas de temps pour la pitié, seulement pour la survie. Ils laissèrent donc Wolfrey et ses hommes à leur sort, avalés par la marée blanche dans un dernier appel au secours, alors que le groupe bondissait sur les rochers noirs des flancs montagneux, propulsés vers un refuge hors de portée de la mort.
Le bruit assourdissant de l'avalanche derrière eux, leurs muscles criaient sous l'effort. Tant et si bien que Symphorore glissa sur le sommet d'une pierre acérée et givrée, manquant de tomber dans le ravin torrentiel. Or, une mâchoire la rattrapa au vol, par la cape. Liloïa avait été habile et forçait désormais pour remonter la chasseresse qui s'accrocha désespérément à son cou.
C'est alors que Chrysiridia, les yeux écarquillés, apercut l'entrée d'une grotte, un abri providentiel, sur une plate-forme un peu plus en hauteur.
— Ici ! Suivez-moi, nous devons atteindre cette entrée ! Vite !
Elle désigna avec une fébrilité palpable la direction. Tiordan, stimulé par l'éclat d'espoir, accéléra tout en gardant fermement Jaya contre lui, mais surtout, sans détourner son regard de cette caverne salvatrice. Si la neige réussissait à atteindre cet endroit, l'entrée de la grotte leur offrirait une protection précieuse.
Il était inconscient du regard pesant de Vadim qui se posait sur lui par brèves intermittences.
Pour lui, seul retrouver la sécurité comptait.
Après une ascension éreintante et ardue, ils gagnèrent enfin la plate-forme tant désirée, se précipitant à l'intérieur de la grotte, le souffle court. La vague de neige s'écrasa derrière eux avec une violence inimaginable, éteignant la clarté du soleil matinal. Ils reculèrent d'instinct pour échapper à l'engloutissement, leurs yeux agrandis par l'effroi et leurs corps crispés à l'extrême.
Le rugissement de l'avalanche s'adoucit alors, se mua en un grondement plus sourd, plus étouffé, avant de s'éteindre progressivement.
La coulée avait laissé une entrée obstruée, mais aussi un groupe de survivants.
Le souffle court, ils s'effondrèrent tous sur le sol glacial et irrégulier, la peur et l'adrénaline remplacées par le soulagement et l'épuisement.
Ici, il faisait très noir. L'air était épais, glacé, mais vivifiant, ils pouvaient enfin respirer.
— C'était moins une...
Symphorore fut la première à rompre le silence instauré par leur chute d'adrénaline. Chrysiridia s'activa alors rapidement à former une sphère lumineuse pour éclairer les environs.
— Tout le monde va bien ? Vous êtes entiers ? dit celle-ci, alors que la lumière émergeait entre ses mains.
Liloïa fut irrésistiblement attirée par cette boule qui flottait désormais dans l'air, produisant une lumière azurée éclatante. La dragonne s'approcha pour la renifler avec curiosité, mais lorsque son museau la toucha, celle-ci s'éleva encore plus haut dans un doux tintement de clochette. Elle gazouilla aussitôt. Pour la reine, ce spectacle semblait amuser la dragonne, qui avait probablement déjà oublié leur récente échappée belle face à la mort. Quelle bestiole stupide...
Heureusement, le groupe était complet.
Les yeux encore élargis par l'épreuve qu'ils venaient de traverser, Jaya se sépara de Tiordan, assis près d'elle, encore haletant.
— Jaya ? Tu vas bien ? lui demanda-t-il.
Elle semblait encore secouée. Lorsque ses yeux se plantèrent dans les siens, il prit pleinement conscience de son triste état. Son cœur se serra douloureusement, alors que l'envie de la serrer contre sa poitrine le prenait.
— O-oui, mais... Où est Vadim ?
— Je suis là.
La simple vibration de sa voix réchauffa le cœur de la jeune femme. Son époux se tenait derrière elle, à peine plus loin. Il se redressait doucement, manipulant avec précaution l'articulation de son épaule. Il l'avait violemment cognée contre une roche lors de leur chute.
En le voyant, Tiordan détourna le regard et se laissa retomber à côté de Jaya, une main perdue dans sa tignasse. Elle n'avait d'yeux que pour lui... Il allait devoir accepter cette réalité. Cette idée se renforça davantage lorsque le grand blond s'approcha pour étreindre sa femme, visiblement soulagé de la retrouver saine et sauve après tout ça.
— Où est-ce qu'on est ? demanda Jaya, d'une petite voix frémissante.
— Je pense qu'on est dans une caverne, lui répondit Chrysiridia, un peu sèche.
— Merci beaucoup, on avait pas remarqué, grommela Vadim.
— Range-moi ton sarcasme, mon grand, ce n'est pas le moment. L'entrée est bloquée, pas moyen de ressortir par où nous sommes entrés. Il va falloir trouver un autre chemin si on veut sortir d'ici.
— Eh, venez voir, y a quelque chose qui va pas avec Amaros.
Tous les regards se portèrent alors instantanément sur Symphorore. Cette dernière, agenouillée aux côtés de l'adolescent, affichait une pâleur plus marquée que d'ordinaire. Vadim n'avait pas encore eu le temps de l'examiner en profondeur pendant leur fuite éperdue, mais il avait également perçu que quelque chose n'allait pas lorsqu'il ne s'était pas réveillé. Chacun convergea alors autour du jeune prophète, y compris Liloïa.
— Mais qu'est-ce que... marmonna Tiordan, confus.
Devant eux, Symphorore avait retourné l'oracle pour le poser dos au mur. Lui, qui jusqu'à présent avait l'apparence d'un jeune homme, n'était plus le même. Ses traits juvéniles avaient cédé la place à une maturité abrupte. Une barbe naissante ornait son visage. Ses épaules semblaient s'être élargies, sa silhouette un peu plus robuste. Son visage, autrefois fin et doux, était maintenant marqué par des lignes plus acérées, plus affirmées.
Stupéfait et même effrayé, Tiordan brisa le silence.
— Ce... ce n'est pas Amaros.
— Évidemment que c'est lui, idiot ! le reprit sa sœur.
— On dirait un homme de... presque trente ans.
— Mais on voit bien que c'est lui, tout de même ! Seulement, on dirait qu'il...
— Il a vieilli.
Chrysiridia fut alors le centre de l'attention après avoir prononcé ces mots énigmatiques.
— C'est l'œuvre du sort de Wolfrey... Ce monstre lui a prit des années de vie.
— On ne peut pas le laisser comme ça, il n'y a pas un moyen de rectifier ça en contournant le sort ? ajouta à son tour Vadim.
Tristement, la cheffe baissa la tête.
— Non, malheureusement... Bien davantage maintenant que Wolfrey est mort. Lui seul aurait pu lui rendre ses années de vie dérobées.
Vadim resta immobile, son regard fixé sur Amaros. Le changement était si brutal, si soudain qu'il avait du mal à y croire. Pour son acte héroïque, son petit cousin portait désormais le poids d'années qu'il n'avait pas vécues.
Un sentiment d'indignation le submergea, une colère froide et amère qui l'envahit comme une vague. Il était en colère contre l'univers, contre le sortilège de Wolfrey, contre cette injustice impardonnable. Mais c'était une colère d'impuissance, une colère qui ne pouvait être dirigée vers rien de concret, qui ne pouvait effacer les rides creusées sur le visage d'Amaros.
C'est alors que la tristesse le frappa et par-dessus tout, la culpabilité. La culpabilité de n'avoir pas pu empêcher ce sort cruel, de n'avoir pas su le protéger, ni lui, ni Jaya. Car oui, si Amaros n'avait pas pris le sort pour lui, il aurait été destiné à Jaya.
Les épaules de Vadim s'affaissèrent, son regard s'assombrit. Il n'y avait pas de mots pour exprimer la douleur qu'il ressentait, pas de gestes pour soulager la rage qui le rongeait. Il ne restait que le silence, un silence lourd et douloureux qui parlait plus que les mots ne pourraient jamais le faire pour lui.
— C'est de ma faute.
Il posa ses yeux sur sa femme, dont le visage était inondé de larmes.
— C'est à cause de moi si tout ça est arrivé...
Et elle sanglota, de plus en plus fort.
— Si seulement j'étais morte en sautant de cette falaise à Cassandore, vous ne seriez jamais venus ici. Rien de tout ça ne serait arrivé !
— Jaya, s'il te plaît, ne dit pas n'importe quoi ! la gronda Chrysiridia. En aucun cas, ta mort n'est une chose à souhaiter. Ce qui est fait est fait, désormais. Nous ne pouvons plus retourner en arrière, il faut regarder de l'avant.
— Regarder de l'avant... J'ai essayé de regarder de l'avant pendant des mois... Et regarde où j'en suis désormais ?! J'ai mis tout le monde en danger, j'ai créé des conflits, j'ai blessé les gens que j'aime, je suis dévorée par la haine et bientôt, je vais exploser et causer bien davantage de dégâts sur mon passage !
— On fera tout pour que ça n'arrivera pas ! Mais tu ne dois plus jamais utiliser le cri ! Plus jamais, tu m'entends !? Une seule fois encore et ce sera trop tard ! La géante aura tout ce dont elle a besoin pour sortir !
— Je ne contrôle rien ! Rien du tout ! Je suis une malédiction, un boulet ! Je suis... je suis stupide...
Vadim, au milieu de sa propre tourmente, ne relâchait pas Jaya des yeux. Son tendre fruit des neiges était ravagé par le chagrin. Chaque sanglot qu'elle échappait était un coup de poignard dans son cœur. Il se sentait déchiré, mais aussi avide de la réconforter.
Agenouillé, indifférent aux regards des autres, ignorant tout sauf sa femme devant lui, il ouvrit ses bras. Elle s'y jeta, s'y blottit, sa tête trouvant repos sur son épaule solide.
— Ça va aller, Jaya, murmura-t-il.
Sa voix était douce, mais ferme, portant en elle la promesse d'un soutien inébranlable.
— On va surmonter ça ensemble. Alors ne dit plus jamais que tu es un boulet ou une malédiction, parce que ce n'est pas vrai.
Elle trembla contre lui, de froid et de rage, mais Vadim ne la lâcha pas. Plus jamais. Il ne pouvait pas entièrement effacer sa douleur, mais il pouvait être là pour elle et porter une partie de son fardeau.
Soudain, un râle attira toute l'attention.
Amaros bougeait lentement.
— Il est vivant ! clama Symphorore. Eh ! Réveille-toi !
La chasseresse l'attrapa par l'épaule et le secoua comme un prunier, ignorant les remarques de Tiordan sur son manque de douceur. Cependant, cela eut l'effet escompté, car Amaros ouvrit un œil en grimaçant.
— Mais... arrête... arrête de me secouer comme ça, couette-couette...
— C'est bien lui ! sourit-elle, rassurée devant ce surnom ridicule qu'il n'utilisait que pour elle.
Le jeune homme émergea enfin, papillonnant des paupières sur son environnement. Tous les petits yeux de ses camarades étaient braqués sur lui, ce qu'il trouvait assez gênant. Mais bien moins que le gros museau de la dragonne qui vient aspirer ses cheveux avant de le cogner amicalement à la tête.
Quel doux réveil pour un noble tel que lui...
— Mais faites partir ce truc, bon sang...
Jaya rappela Liloïa pour qu'elle le laisse respirer. Il se redressa sur le postérieur et se frotta la tête, en espérant estomper la douleur qui y sévissait. Sans succès, malheureusement. Avait-il perdu connaissance ? Il ne se souvenait plus trop bien des derniers instants. Ni de comment ils étaient arrivés dans cette grotte...
— Où... où est-ce qu'on est ?
— Dans une caverne, lança Chrysiridia. On a dû échapper à une avalanche pour fuir le camp des bannis, on s'y est réfugiés. Tu... tu ne te souviens pas ?
— Non... Je me souviens de notre arrivée vers ces cabanes, puis Vadim qui me demande de protéger Jaya et...
Ce conduit de Risen qui fonçait vers lui et la princesse... Ce souvenir venait de lui revenir comme un éclair dans la mémoire.
— Le Risen... un flash... je... je me suis levé... Il allait toucher Jaya... puis, plus rien.
Il posa une main sur son front lourd.
— Qu'est-ce qui s'est passé ?
Aucun d'eux n'osait briser le silence, ce qui l'agaçait profondément.
— Pourquoi vous me regardez tous comme ça ?
La plus courageuse d'entre eux, Chrysiridia, poussa un soupir avant de se diriger vers un amas de pierres éboulées. Elle y dénicha une roche, plate et polie par le passage des siècles. Elle glissa sa main, scintillante de Risen, sur la surface qui devint miroitante. Elle la présenta ensuite à Amaros.
— Tu devrais le voir par toi-même.
Sans vraiment comprendre, Amaros saisit la roche et se regarda dedans. Même si sa vision n'était pas extrêmement nette sur cette surface, il voyait néanmoins une mâchoire plus carrée, recouverte d'une petite barbe blonde foncée. Il glissa sa main dessus et les picots sur sa peau le mirent dans tous ses états.
— Qu'est-ce que ça veut dire ?
Il sursauta devant sa propre voix, un peu plus grave que d'habitude. La puberté aurait-elle enfin frappé ? Si vite ? C'était surprenant. Lui qui avait toujours rêvé d'avoir de la barbe...
— Tu t'es interposé entre Jaya et le sort de Wolfrey. Ce sort était destiné à voler... des années de vie. Et il t'en a volé. Je dirais dix, à peu près.
Figé, Amaros n'en croyait pas ses oreilles. Dix ans. Les mots de Chrysiridia résonnaient dans son esprit comme un écho lointain, mais ils étaient là, insistants, douloureusement réels. Il analysa ses mains, ses bras, son corps. Il se sentait différent, plus vieux, plus... usé, comme s'il avait été arraché à lui-même, comme s'il était un étranger dans son propre corps.
Tout cela lui paraissait surréaliste, et pourtant si authentique. Il leva les yeux vers Jaya et Vadim qui le fixaient. Il vit l'Alhorienne se détacher de son mari pour ramper vers lui, les yeux humides.
Puis, elle le tira pour le prendre dans ses bras, lui confiant sa chaleur et sa gratitude. Pris par surprise, Amaros resta pétrifié, incapable de bouger ou de parler. Elle murmura sur son épaule, entre deux sanglots :
— Merci... Je suis désolée... vraiment désolée...
Dix ans. Il avait perdu dix années de son existence. C'était tellement difficile à accepter... Pourtant, il était conscient qu'il allait devoir le faire. Pour Jaya. Pour tous les autres. Et pour lui-même. Alors, tout doucement, il posa une main sur les omoplates de la princesse, lui soufflant :
— Votre humble serviteur, votre altesse.
Il espérait que ce serait suffisant pour la rassurer, et que cela lui transmettrait sa volonté de surmonter cette épreuve comme un homme. Un vrai, l'homme qu'il était dorénavant malgré lui.
— Je comprends mieux, maintenant...
— De quoi ? le questionna Symphorore, après que Jaya l'eut lâché.
— Ma vision. L'écran noir... Il m'était bel et bien destiné, mais il ne présageait pas ma mort. Cet écran noir était une allégorie de ces années qui m'échapperaient. Ce néant... au milieu de mon existence. Ce vide. Et cet homme, que j'avais vu de dos dans ma vision... c'était mon propre reflet.
Oui, tout prenait enfin un sens. Tout était écrit et il n'avait rien vu venir. Assez ironique pour un oracle qui voyait le futur... Amaros baissa sa main tenant encore la pierre miroir et soupira, avant de relever des yeux de chien battu sur ses amis.
— Je suis... si vieux que ça ?
Vadim réussit à étirer malgré lui un sourire ténu devant cette grimace.
— Tu as l'air d'être mon frère jumeau.
— Je sais pas si je dois être rassuré, du coup...
Vadim souffla du nez. Même s'il paraissait désormais plus vieux, son esprit était toujours celui d'un garnement de seize ans...
— Attendez...
Derrière eux, Chrysiridia se tenait en retrait. Son regard était porté vers le haut, attiré par le plafond de la grotte. Elle remarqua des milliers de cristaux transparents incrustés dans la roche, scintillant sous l'éclat de sa sphère de magie. Ils étaient magnifiques, capturant chaque fil de lumière. Ils continuaient jusqu'au fond où ils finissaient par grossir et former un arche rutilant rappelant la forme d'un coquillage, tout autour d'une bouche sombre.
Cela lui rappelait vaguement quelque chose...
— Vadim ! Est-ce que tu as la page de l'illustration du lac sur toi ?
— Euh, si je ne l'ai pas perdue, oui...
Il fouilla un instant dans ses poches et la trouva, heureusement. Chrysiridia lui arracha presque des mains avant de la passer au crible. Sur le haut de l'illustration, juste au-dessus du chemin sinueux menant au Coda Leolan, un arche en demi-lune était présent. Taillé dans le cristal le plus pur, le plus dur et le plus scintillant. Il reflétait la lumière des étoiles dansant sur le dessin.
La forme était la même.
À cet instant, le cœur de la reine rata un battement.
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