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Le Quatuor 4/4

— Mon prince, on a cherché partout... Elle n'est visiblement plus dans ce village.

Les yeux soutenus par deux immenses poches sombres, Leftheris soupira du nez. Toute une nuit passée à retourner chaque recoin de ce village, réveillant femmes et enfants pour fouiller les maisons, les caves et greniers à la recherche d'une possible personne ayant pu aider Jaya à se cacher.

Mais rien. C'était comme si elle avait complètement disparu, évaporée dans l'air. Avec un dragon des mers sur les talons, c'était impossible. Qu'avait-il loupé ?

Le jour se levait sur la terre, bringuebalant le prince sans sommeil dans sa lumière. La chevelure d'or luisait entre ses doigts brûlants ; il porta son regard sur l'horizon. Revoir Jaya la nuit dernière avait ravivé son espoir presque éteint. Cette minime touche d'espoir de la ramener, même si elle semblait extrêmement réticente à l'idée de se faire attraper. C'était un peu normal, après tout. La peur guidait ses gestes, celle d'être jugée, torturée, puis tuée. Il donnerait toute une cargaison de lingots pour pouvoir discuter avec elle, juste une minute, afin de la rassurer et lui dire qu'elle n'avait rien à craindre. Qu'il la protègerait au péril de sa vie, s'il le fallait, quitte à redéfinir l'île toute entière.

Leftheris posa enfin un œil sur ses soldats en l'attente de sa réponse.

— Nous allons laisser quelques éclaireurs ici, tandis que nous continuerons vers le Val Roan. Elle n'a pas pu aller bien loin. Faisons boire les chevaux et repartons. Ne faiblissons pas.

Des visages blêmirent, sans un mot. Les hommes n'en pouvaient plus, la fatigue et la frustration se faisaient sentir sur leur échine. Même leur meneur semblait à deux doigts de tomber de son cheval par l'épuisement. Or, le repos attendrait.

Suivant le mouvement, Aube emporta son canasson vers les abreuvoirs du village. Elle soupira, soulevant dans la tempête une boucle tombant sur son œil. Elle ne se faisait pas l'illusion de croire que le prince Leftheris se souciait outre-mesure de leur état ou même de leur sécurité. La fugitive était gorgée de magie et plus instable que jamais. Elle savait pertinemment qu'ils n'étaient que des pions pour lui, une assurance de protection si jamais ce voyage dégénérait.

Adossée contre le pilier de bois retenant le toit de l'abri à chevaux, le visage de Jaya lui revint. Cette petite garce... Elle avait survécue et était si près d'elle, hier soir. Si proche qu'elle aurait pu l'avoir à coup d'arbalète. Une flèche en plein milieu du front... C'est radical.

Mais elle l'avait ratée et rien que d'y penser, une aigreur remonta dans son œsophage. Elle tira une fiole à sa ceinture qu'elle décacheta. Un peu de liqueur d'yrtans pourrait faire passer cette désagréable sensation, la force du goût effacerait l'amertume de cette nuit de traque.

— Il est même pas sept heures du matin et tu bois déjà ?

Roban... Pitié, pas lui. Aube roula des yeux. Elle qui pensait pouvoir prendre une minute de repos sans être dérangée, cet imbécile lui collait au derche comme une abeille à sa ruche. Quand il se posa à côté d'elle, sa décontraction apparente la perturba. En dépit de son irritable insistance envers elle, il ne dégageait pas la moindre hostilité. Peut-être un peu de dédain, de raillerie.

Qu'il aille se faire voir...

— Qu'est-ce que ça peut te faire ?

— Oh rien...

Sans qu'elle ne le voit venir, il lui chipa la fiole des mains. Elle voulut tendre le bras et lui arracher le visage par la même occasion, mais trop tard, il l'avait déjà porté à ses lèvres. Satané salopard... Aube piétinait de rage, tandis qu'il goûtait encore le liquide sucré et de caractère. Le profil aussi aiguisé qu'engageant du soldat était noyé dans la lumière du soleil se levant sur les plaines. Son nez aquilin saillait, plongeant comme le bec d'un oiseau dans la bouteille quand il inspira les arômes piquants et doucereux. Son chignon mal noué à l'arrière de son crâne commençait à pendre dans sa nuque. Il avait dû se défaire à force de crapahuter toute la nuit à la recherche de l'autre petite traînée... pensa Aube.

Il lui rendit enfin son bien.

— Mouais, pas terrible...

— C'est Madame Andermar qui la fait...

— Eh bien, pas terrible quand même... Ses fruits devaient être pourris.

Aube grogna dans son col en remettant le bouchon sur le goulot, puis en cachant à nouveau son précieux breuvage à sa ceinture. Elle se jura de ne plus exhiber sa picole lorsque ce lourdeau trainait dans les parages.

L'air frais du matin frappa son visage tiré au teint cireux, elle avait bien mauvaise mine, songea Roban, en ne la quittant pas des yeux.

— On y était presque, hier soir... dit-elle.

— Par rapport à la princesse ?

— Évidemment. On était à ça de l'avoir... Mais quand on est entouré de bras cassés, tout tombe a l'eau.

— Surtout quand on est commandés par un prince qui veut tout sauf la tuer.

— Le général est stupide... Personnellement, je n'appartiens pas au corps des soldats, donc je n'ai pas à écouter ses ordres. S'il n'est pas capable de mettre un terme à la vie de cette hérétique de malheur et honorer notre culte, je le ferais personnellement.

Son ton ferme ne laissait place à aucune contradiction. Le poison qu'elle tirait de sa langue fixait l'attention du brun.

— Si seulement elle était morte à Starania...

— Tu en parles beaucoup, de cet événement. On dirait que ça t'a marquée, dans le mauvais sens du terme...

Elle se sentit piquée au vif. Sous ses sourcils épais, l'or de ses yeux brillait de froideur.

— On peut dire que ça t'a marqué aussi, dans le mauvais sens du terme.

— Comment ça ?

— Tu as bien failli y rester. Quand on prend deux coups d'épée dans le dos, ça marque à vie.

Soudain, une lumière s'alluma en lui. Ses arcades sourcilières prirent une forme grave.

— Comment peux-tu le savoir ?

— Eh bien, parce que se faire embrocher vivant, ce n'est pas...

— Non... Comment peux-tu savoir que j'ai reçu deux coups d'épée dans le dos ?

Elle se décomposa soudain. Le jeu des mâchoires de la rachetée troublait la façade insensible qu'elle s'évertuait à entretenir. Elle était indéniablement crispée sous les yeux caramel qui la sondaient. Or, toujours inébranlable, elle lui répondit :

— J'en ai entendu parler.

— Ou ça ? J'ai pris ces coups d'épée en voulant protéger la princesse des staraniens, ce soir-là. Il n'y avait qu'elle et moi quand ça s'est passé. J'en ai parlé à quasiment personne.

— Eh bien peut-être que ces « personnes » ne savent pas tenir leur langue. Tu as encore d'autres questions stupides ? Ou je peux y aller ?

L'air crépita entre eux durant ce face à face. Le silence de Roban conforta Aube dans sa place dans l'affrontement : elle avait gagné cette manche. Il ne rétorqua pas et ne la retint pas quand elle partit enfin, mais il conservait un goût âcre sur les papilles. Le goût d'un doute d'où il retirait peu à peu la poussière.

Les chevaux désaltérés, l'ordre de départ fut donné. Cinq soldats resteraient sur place afin de surveiller si quelque chose bougeait ici, tandis que les cinq autres, dont Roban et Aube, suivraient le prince dans les terres.

L'escorte diminuée, Leftheris prit le chemin des collines, tout droit vers le val. Si Jaya devait se rendre quelque part, ce serait forcément dans les vallées du massif. Là-bas, il y avait de nombreux abris forestiers, elle chercherait forcément à s'y cacher.

Dressé sur son cheval au sommet de la pente quittant Othangür, le général posa ses yeux sur l'horizon.

Au loin, par delà le village, il vit passer dans un vacarme de sabots étouffés par la terre toute une armée sur les steppes brûlées par le lever du jour. Son père prenait la direction d'Honezia, portant fièrement les oriflammes de leur famille. Le soleil à quatre branches était sur tous les drapeaux, toutes les poitrines et partait à la conquête, mené par le tyran en première ligne. Il déglutit. Du sang allait bientôt couler à nouveau sur Glascalia.

Ce n'était pas sa guerre. Du moins, ça ne l'était plus.

— On y va, soldats. Au petit trot !


Du plateau forestier, bien caché dans les épaisses fourrées, Tiordan vit le passage du convoi royal. Seuls ses yeux sombres dépassaient du mur de feuilles, ne faisant qu'un avec la nature. Si de prime abord, il avait cru, presque paniqué, que les hommes du prince se dirigeaient vers eux, il fut rassuré de les voir prendre le chemin de droite, partant vers le Val Roan, au pied des vallées.

Ils allaient être tranquilles un moment. Jaya pourrait enfin un peu souffler.

Retournant sur le camp avec de bonnes nouvelles, il croisa la route des filles rentrant de leur bain. Égaré dans la sylve épaisse, elles ne l'avaient pas vu et il préféra les laisser passer, afin d'écouter encore un peu leurs rires cristallins si doux à son oreille. Appuyé contre un arbre, il se surprit à sourire niaisement. Les souvenirs de l'enfance revenaient juste au moment où leur joyeux trille grimpait au plus haut des cimes, plaquant devant ses yeux nostalgiques les images tendres de leurs si précieux moments.

Tous ces fous rires pris au mauvais moment, ces jeux de mots démodés qui ne faisaient rire qu'eux, leurs promesses au coin du feu, une tasse de lait chaud à la main. Les calembours grotesques sur les gens du village, les batailles de pouces interminables et toutes ces balades en forêt. Le souvenir de ses yeux scintillants quand il lui disait « je t'aime ».

Son côté pessimiste lui criait sans cesse qu'il connaissait ce début bien trop vite avorté, mais celui ambitieux lui soufflait que c'était une histoire sans fin. Du moins, à proprement parlé.

Il avait l'intime impression que la vie reprenait doucement place après le cataclysme, que tout revenait naturellement, comme cela aurait toujours dû l'être. Jaya auprès d'eux, tressant les cheveux de Symphorore. Les plus belles images de sa vie, cristallisées à l'intérieur même de ses paupières. Elle levait les yeux vers lui et lui offrait son plus magnifique sourire. Elle l'appelait dans sa mémoire, l'incitait à les rejoindre et lui, charmé, obéissait docilement, s'en fichant de se retrouver avec des rubans ridicules dans les cheveux si cela pouvait la rendre heureuse.

L'hiver avait été rude sans elle, mais lentement, la douceur du printemps regagnait son cœur trop plein d'amour.

Il était heureux, oui... Heureux qu'elle soit de retour.

La journée se passa autour du feu à discuter de tout et de rien. Des anecdotes d'autrefois, des bêtises qu'ils avaient fait étant plus jeune. Amaros avait beaucoup ri en apprenant que Symphorore avait voulu prostituer Tiordan auprès de Madame Naezia, l'autre folle dingue de l'auberge. Non, il ne l'avait pas oubliée, ni elle, ni les grosses brioches lui servant de poitrine.

Le soir arrivé, alors qu'elle était couchée dans un coin de la cabane, Jaya n'arrivait pas à dormir. Cette fois, ce n'était pas uniquement à cause du mal de dos, mais bien du stress quant à sa journée de demain. Amaros lui avait encore rappelé durant le repas que dès l'aube, elle allait devoir se plonger dans un apprentissage du Risen. Elle était à la fois impatiente et morte de peur. Peur de quoi, à vrai dire ? Peur de l'échec, peur de ne pas être assez forte, peur de couler comme un plomb.

Ses pensées faisaient bien trop de vacarme, impossible de fermer l'œil.

Elle préféra sortir et laisser les autres dormir au lieu de les déranger.

Sans bruit, Jaya regagna l'extérieur baignée dans un doux clair de lune. Tout était si silencieux, la fraîcheur de la nuit la fit frissonner. Elle frictionna ses bras et les frotta en espérant regagner une once de chaleur présente dans la cabane. Tout près, Liloïa dormait comme un loire, étendue sur le dos dans un lit d'herbe. À côté d'elle, des carcasses de poissons et des coquilles d'œufs trainaient en l'attente d'être dévorés, quand le jour serait levé. Les quatre fers en l'air, elle était absolument adorable.

Jaya s'en approcha et s'agenouilla près d'elle. Sa main flatta sa tête humide, ses barbillons émirent une jolie lueur fluctuante, signe de bien-être. Elle gazouilla sans se réveiller.

Si seulement Vadim avait pu voir à quoi ressemblait sa petite protégée, aujourd'hui... Voir tout ce qu'elle avait fait, tout le chemin parcouru. Il aurait été fier d'elle. Fier de voir que ce petit bébé qu'il avait sauvé était devenu un si puissant dragon.

— Tu y tiens, à cette créature...

Jaya sursauta légèrement sous cette voix, avant de s'apaiser. Elle l'avait reconnue et ne portait aucune menace. Dans sa contemplation, le bruit grinçant de la vieille porte n'était même pas arrivé à ses oreilles. Tiordan se tenait derrière elle, ses mèches rebelles maintenues par son éternelle bande de cuir.

— Oui, j'y tiens beaucoup... Elle a fait énormément de choses pour moi.

Son gracieux profil nappé du clair de la lune, elle était si belle... Une fée qu'il approcha sans crainte, le cœur léger, avant de marcher sur un restant de poisson mort. Il grimaça, avant d'y mettre un coup de pied en riant.

— On peut dire qu'elle a de l'appétit, en tout cas.

— Elle en a toujours eu.

Tiordan vint s'asseoir à côté de Jaya, sur une vieille bûche. Il croisa nonchalamment ses bras sur ses genoux.

— Tu n'arrives pas à dormir ? lui dit-il.

— Toi non plus, visiblement.

Il sourit à sa repartie.

— J'ai du te réveiller en sortant, je suis désolée...

— Non, t'inquiète pas. Je comprends aussi que tu n'aies pas sommeil, avec la journée de demain... Je voulais savoir si tu n'étais pas trop stressée.

— Oh... un petit peu, murmura-t-elle en baissant la tête. Mais je suis sûre que ça va aller. Quand je contrôlerai mon Risen, tout ira mieux. C'est un passage obligé et... je suis certaine qu'Amaros m'aidera au mieux.

Elle semblait si sûre d'elle, mais à la fois aussi hésitante que si elle marchait sur une corde tendue au milieu du vide. Il était évident qu'elle ne voulait pas l'inquiéter avec ses propres doutes. C'était très courageux.

Liloïa bailla à s'en décrocher la mâchoire, exhalant une lamentation qui fit vibrer sa gorge. Tiordan ricana calmement devant cette grosse bête semblant aussi inoffensive qu'un chat endormi.

— Où est-ce que tu as déniché ce dragon ?

— Elle m'a sauvée des eaux. C'est une vieille connaissance.

— Une vieille connaissance ?

— Oui... Tu vois les cicatrices qui parcourent son corps ? Petite, elle a été attaquée par un requin. C'est Vadim qui la soignée et... elle s'est rappelée de moi.

Elle baissa la tête, un court instant silencieux. Pourquoi cela lui pinçait toujours le cœur de parler de Vadim avec lui ? Peut-être son regard braqué sur elle ? Cette tristesse poignante qu'il véhiculait. Son soupir troubla le souffle muet de la forêt.

— Dis, Tiordan... Qu'est-ce qui s'est passé après que tu aies fui Alhora ? Qu'est-ce que tu as fait, tout ce temps ?

Tiordan glissa une main nerveuse dans sa tignasse, cherchant par où commencer. C'était une longue histoire.

— J'ai cherché à me cacher, puis à te retrouver. Ça n'a pas été simple.

— Raconte-moi.

La réminiscence de cette quête le rendait tristement mélancolique, Tiordan était ulcéré à l'idée de remettre ça sur le tapis. Repenser à tout l'espoir qu'il avait eu, mais qui avait fini par se révéler vain à l'arrivée. Or, assise en tailleur sur l'herbe et ses grands yeux de biches braqués sur lui, Jaya ne lui permettait pas de se désister.

Les images de ces moments difficiles défilaient devant lui avec précision, dévidant l'écheveau des derniers mois passés.

— Quand j'ai quitté Alhora, cette nuit-là, je ne savais pas où aller. J'ai couru, couru et couru sans m'arrêter. Je suis resté des jours dans la forêt, au pied du mur. Je voyais les gardes faire leurs rondes, en pleine recherche, et chaque seconde j'avais peur qu'ils m'attrapent. J'ai finalement trouvé un creux dans le mur, menant à la Forêt des Murmures. Je m'y suis faufilé en pensant pouvoir contourner la zone et redescendre la montagne pour gagner les terres dépourvues de neige sans attirer l'attention. Là-bas, j'aurais eu une chance de survie. La journée, ça allait, c'était assez calme, mais la nuit, j'ai vu des créatures horribles dans ces bois...

Jaya frissonna. Elle savait pertinemment de quoi il parlait ; les lycans, ces bêtes décharnées et avides de chair. Elle avait bien failli être déchiquetée par leurs puissantes mâchoires, elle aussi.

— J'ai été pris en embuscade par ces créatures, des espèces de loups géants qui voulaient me dévorer. Je m'étais trouvé une grande branche pointue sur le chemin, je me suis dit que ça pourrait me servir de lance et en effet, elle m'a bien servie. J'ai réussi à tuer l'un d'entre eux et a en blesser un autre, mais... ils étaient quatre. Les deux autres ne comptaient pas me laisser repartir vivant. J'ai bien cru que j'allais mourir. Mais... c'est là que j'ai rencontré Amaros.

— Amaros ? Il était dans les Montagnes Boréales ?

— Oui. J'étais sur le point de me faire trancher en deux quand il est arrivé et qu'il a fait fuir ces grands loups avec sa magie. Il a vu que j'étais un fugitif, moi aussi, alors il a décidé de m'accompagner. À deux, on étaient plus forts. On a dévalé la montagne en sécurité après des jours de marche difficiles. Puis j'ai trouvé Symphorore. Elle avait aussi descendu toute la montagne pour me retrouver. Je l'ai découvert par hasard, alors qu'elle était à moitié frigorifiée dans un bois, sa poêle à frire dans le dos. Je dois dire que j'ai été surpris de la voir. Elle a marché des heures, des jours pour me retrouver. C'est là qu'elle m'a dit pour toi... pour ton mariage. C'est à ce moment-là que je l'ai su.

Leurs regards se croisèrent, vifs d'émotions. Les prochains maillons de ses souvenirs pesaient lourd sur son âme.

— Je n'ai plus eu qu'une idée en tête, à cet instant... tu sais laquelle. Lorsqu'on a atteint les terres au pied de la montagne, Amaros a dû nous laisser pour remonter du côté d'Alhora.

— Pourquoi ?

— Je ne sais plus trop... Je crois qu'il avait eu une vision. Il parlait d'une femme et... d'un malheur qui allait se passer dans la montagne. Il avait l'air complètement déboussolé et nous a juré de nous retrouver quand il aurait averti les bonnes personnes. On a recroisé son chemin des semaines après, alors qu'on créchait dans un village à des kilomètres d'Alhora. Je croyais ne plus jamais le revoir, mais pour un gamin, il en a sous la semelle. Il paraît qu'il avait été attrapé par la garde royale et enfermé...

Ces mots ramenèrent chez Jaya un sentiment de déjà-vu, des flashs inhérents à ce moment qui réapparaissaient en bouquet dans sa mémoire. La prison, Vadim et elle qui l'aidaient à s'évader, ces mots énigmatiques derrière les barreaux... La montagne tremble... Elle va revenir... C'était il y a longtemps, mais Jaya n'avait jamais oublié le sentiment oppressant de peur qui l'avait traversée en voyant Amaros en pleine transe.

Ce fut à cet instant qu'elle se rappela d'une chose.

— Il t'a parlé de cette vision où il m'a vue, dernièrement ?

— Un peu, il nous a dit que tu étais en danger et que tu allais débarquer dans un village non loin. On a pas attendu, du coup.

— Il ne t'a rien dit d'autre, par rapport aux autres choses qu'il a vu ou à cet écran noir dont il a fait mention, hier ?

Haussant les épaules, Tiordan fronça les sourcils.

— Non... Amaros se réveille souvent la nuit après une vision et... bien souvent, il ne nous en parle pas. Il est très mystérieux à ce sujet. Je crois que c'est une manière pour lui de nous protéger... du futur.


Noir.

Tout était noir autour de lui. Froid, sombre et désertique. Avec douleur, Amaros ouvrit les yeux. Il ne voyait rien, juste une mer de charbon. Glaciale était l'ambiance, aucun bruit ne venait troubler le silence macabre qui flottait dans cet espace hors du temps.

Encore...

L'antichambre du chaos... Voilà comment il avait nommé cette place viscérale connue de lui seul. Toujours ce même vide, toujours ce même miroir... Un immense et large miroir qui reflétait le passé et surtout le futur. Il échappait une lueur blafarde qui entachait l'encre parfaite qui le nimbait.

Amaros déglutit. La lumière émanant de cette glace semblait sortir de la matière même ; spectrale, irréelle. Lentement, comme un geste acquis naturellement, il y posa sa main droite. La surface glacée ondula, une onde bleutée s'y posa, lui donnant des frissons qui électrifièrent la totalité de ses muscles, partant de ses doigts, serpentant à contre-courant dans ses veines jusqu'à ses orteils.

Un bouquet éclatant explosa sous ses yeux.

Des images anarchiques s'enchaînaient, se mélangeaient et hurlaient. Les paupières grandes ouvertes, Amaros se mit à trembler. Même s'il aurait voulu, il n'aurait pu les fermer. Le futur l'aspirait, le collait à sa substance, à son chaos incompréhensible.

« La malédiction... »

Des voix s'y ajoutèrent. La courbe pointue d'une montagne enneigée, la terre qui tremblait, dévastatrice, dangereuse. Des longues mèches noires parsemées de blanc. La forêt écrasée sous un pied gigantesque, les larmes glissant sur un visage pâle, des tours qui s'effondraient.

Les tours d'Alhora.

« Je dois la retrouver ! »

Était-ce la voix de Tiordan ? Les yeux de son ami percèrent la noirceur, terrifiés. Un corps frêle courant dans la neige, entouré de colère et de lumière bleue. La même couleur que ce coeur géant surplombant la silhouette d'un homme blond enveloppé d'une cape.

« La malédiction... Il faut l'en empêcher... »

« Elle brille... plus puissante que jamais... »

« Laisse-moi partir ! »

Amaros ouvrit la bouche sur un cri muet. Le Risen flamboyait, consumait la chair d'un corps frêle dans un incendie. L'angoisse montait de plus en plus. Son père lui rabâchait constamment étant petit qu'un vrai Vangellart n'était tourmenté par rien, ni par personne. Or, à cet instant, il avait énormément de mal à honorer les paroles de son géniteur.

Son esprit n'était occupé que par les hurlements extériorisés à l'unisson.

Ce n'était plus de la douleur qu'il ressentait au creux de sa tête...

Mais une véritable agonie.

« Attention ! »

Ce cri amena le moment le plus étrange de cette récurrente vision. Violemment, le noir survint. Un inquiétant écran noir. Plus lourd que jamais, le silence s'y ajouta. Lui faisant l'effet d'une gifle en plein visage, le miroir refléta le jeune oracle. Son visage était déformé de peur, d'incompréhension.

Il se fixa intensément, espérant trouver une réponse dans l'eau sacrée de son propre regard.

Il ne s'y était jamais vu, auparavant...

Ce miroir ne reflétait que le passé et le futur, alors pourquoi s'y voyait-il ?

Amaros recula, regrettant d'avoir touché ce miroir infernal, comme à chaque fois. Ce n'était pas normal ce qui se passait. C'était la première fois qu'il vivait une telle situation. L'arrivée de Jaya dans cette continuité aurait-elle pu troubler quelque chose ? Son cœur battait à tout rompre dans la confusion.

Et pourquoi ne revenait-il pas à lui ? Pourquoi était-il toujours ici ?

— Qu'est-ce que ça veut dire ? Qu'est-ce que je dois comprendre ?!

Sa voix forma un écho de lui-même. Que signifiait cet écran noir qui attisait toutes ses angoisses ? Il suffoquait dans la folie de son propre souffle. Un pas en arrière, il se retourna avant de piler.

Il y avait quelqu'un, là, derrière lui.

Un homme de dos, immobile, aux cheveux mi-longs tristement emmêlés. Ses bras lâches pendaient de chaque côté de son corps habillé de vieux vêtements de montagnes.

Il était invisible dans le miroir.

Haletant, Amaros ne le lâchait pas des yeux. Il émanait de cette apparition une terrible sensation de crainte, de mystère, mais aussi de peine. C'était bien la première fois qu'il voyait quelqu'un hors du miroir. Malgré ses tremblements incontrôlables, il était intensément attiré par cette silhouette.

Il avança d'un pas.

Puis un autre, avide de savoir.

Pourquoi ?

Qui était-il ?

Quelle était la signification d'une telle apparition ?

Il tendit sa main vers le dos large de l'homme. Il allait le toucher... Connaître les traits de son visage... mais une grande douleur à la poitrine le plaqua au sol dans une onde de choc. Ça tambourinait, lui arrachant un cri qui traversa l'espace et déchira le temps.

— Amaros ? Hey ! Ça va ?

Pantelant, il cligna frénétiquement des yeux. Allongé au sol, il réalisa bien vite qu'il était de nouveau dans le vrai monde. Symphorore se tenait près de lui, le veillant avec inquiétude. Le noeud à son estomac se dénouant peu à peu, Amaros se redressa sur les fesses, titubant légèrement comme en plein ivresse. Ses muscles étaient crispés, sa tête tournait ; la souffrance y sévissant était atroce. Il avait l'impression qu'un être infect s'amusait à lui planter des épines à l'arrière du crâne.

Son cœur fou ne consentait à ralentir.

— Tu parlais en dormant... Tu as encore eu une vision ?

La voix de Symphorore le tira une seconde du souvenir de ce qu'il venait de vivre. Il posa sur elle un œil hagard.

— Ça va... tout va bien. C'était pas grand chose.

Il lui offrit un sourire tordu et fut quelque peu satisfait de la voir y répondre. Elle appuya une main bienveillante sur son épaule. La préserver à ce sujet, autant elle que les autres, s'imposa dans son esprit. Ils ne comprendraient pas, de toute façon...

Les yeux braqués sur le feu brûlant dans le brasero, il réalisa qu'il était lui-même perdu dans ce dédale de questions.

Terrifié par l'image de cet homme qui ne voulait plus quitter ses pensées.

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