Le Papillon de Givre 6/7
Le trio se précipita avec hâte à l'extérieur, alors que les voix résonnaient. Si d'abord, dans un frisson de crainte, Jaya avait cru qu'il s'agissait de Leftheris et de sa cohorte, elle fut étonnée de voir une roulotte bordée de sphères lumineuses, arrêtée devant l'entrée du hameau. Des inconnus y étaient débarqués.
Avec cette pénombre, elle peinait à voir leurs visages, de sa place.
Chrysiridia, quant à elle, ne laissa transparaître aucune peur en se précipitant hardiment vers le rassemblement, faisant fi de la tombée de la nuit et du tumulte causé par leur arrivée inattendue. Jouant des coudes entre ses villageois, elle les héla de front :
— Qui êtes vous ? Que faites vous sur mon territoire ?
Le meneur, un jeune homme aux prunelles bleu pervenche, porteur d'une fine tresse sinueuse dans sa chevelure, se distingua de la charrette. Derrière lui, une jeune femme métissée scrutait la matriarche avec une lueur d'inquiétude dans le regard.
— Vous devez être la cheffe ? Je m'appelle Nerva. Nous sommes des mages ayant fui le bas de l'île en guerre pour rejoindre la sécurité. Nous avons voyagé durant des jours très difficiles dans ces montagnes, nous vous demandons l'asile.
Se faufilant derrière sa mère, Jaya arriva à proximité de la rencontre. Quelle ne fut pas sa stupeur lorsqu'elle croisa le doux regard d'onyx d'un visage familier, qu'elle n'avait jamais imaginé retrouver en ces lieux. Une déferlante d'émotion submergea leur cœur, provoquant un raz-de-marée de sentiments aussi soudain qu'intense.
— Jaya !
Dépassant Nerva, Varvara laissa son inquiétude s'évaporer, ses pieds la portant avec hâte vers son amie qu'elle enlaça brusquement. La belle brune resta figée un instant, son esprit encore en tumulte à la vue de son ancienne servante dans ces montagnes. C'était totalement fou, irréfléchi et... si difficile à croire.
— Varvara... c'est toi ? murmura-t-elle, par dessus son épaule.
— Oh seigneur, princesse, vous êtes vivante !
La métisse se dégagea doucement de leur étreinte, pour mieux s'attarder sur son amie. Elle était là, bien vivante et en bonne santé. Toutes les ombres qui obscurcissaient ses pensées à son égard venaient de disparaître.
Subitement, un gazouillement détourna l'attention de Jaya vers le giron de sa camarade. Le bébé ! Il était là aussi, blotti contre sa mère, enveloppé dans un amas généreux de linges pour le protéger contre l'âpreté du froid. Avec des mains tremblantes, mais pleines d'affection, Jaya caressa doucement la silhouette emmitouflée.
— Messayah... Il va bien ?
— Très bien, princesse. C'est un vrai guerrier.
— Varvara... mais qu'est-ce que tu fais ici ?
— J'ai fui Cassandore, moi aussi. Pas pour les mêmes raisons que vous, mais... j'ai découvert que les mages n'étaient pas aussi mauvais que notre religion nous le laissais croire. Bien au contraire... J'ai donc suivi votre trace auprès d'eux. Je ne pouvais pas...
Varvara s'arrêta soudainement en voyant une immense silhouette poindre derrière Jaya. Ses yeux s'écarquillèrent et son souffle se figea. Malgré la pénombre environnante et le poids des mois écoulés, elle n'eut aucune difficulté à identifier ce visage... ces yeux... et ces cicatrices...
— P-Prince Vadim ?!
À l'écoute de son nom, mais surtout de son ancien titre, il fronça les sourcils. Son regard ferme se bloqua alors sur une frêle silhouette familière.
— Varvara... ?
Avec une crainte instinctive, elle trembla et fit un pas en arrière, comme pour se protéger de cette vision venue, semblait-il, de l'au-delà.
— Vous... vous... c'était donc vrai... ?
— Jaya !
Mettant abruptement fin à ce face à face, d'autres voix s'élevèrent des tréfonds de la charrette, figeant la princesse sur place. Elle vit alors surgir deux silhouettes familières qui s'approchaient à toute vitesse, suivies d'une troisième. Cette fois, c'est elle qui fit un pas en arrière, si décontenancée qu'elle eut du mal à déglutir.
— Jaya ! Bon sang, c'est bien toi !
Autrefois, les voir suffisait à inonder son cœur de joie, mais à cet instant, la brune se retrouvait envahie d'une angoisse sourde à leur vue, malgré le soulagement que leur présence ici sous-entendait. Elle ne put se défiler quand elle se retrouva aussitôt pressée contre un corps haletant : celui de Symphorore qui la serrait de toutes ses forces.
— Symphorore... ?
— Je croyais tellement qu'on te retrouverait jamais... Mais qu'est-ce qui t'a pris ? Pourquoi tu es partie comme une voleuse ?! T'aurais pu te faire tuer !
La chasseresse la secouait comme un prunier, ses yeux étincelants comme s'ils étaient sur le point de verser des larmes. Ses gestes contrastaient avec le soulagement immense qu'elle ressentait de la voir en parfaite forme.
Pour Jaya, ces retrouvailles ne pouvaient signifier qu'une seule chose, compte tenu de sa situation actuelle... Et lorsqu'elle vit poindre Tiordan derrière sa sœur, le déroulement imminent des événements se dessina clairement devant ses yeux.
Il la baignait d'un regard si tendre et rassuré, comme si des tonnes d'anxiété s'étaient évaporées lorsqu'il avait posé ses yeux sur elle. C'était effectivement le cas. Ils avaient fait tout ce chemin pour elle... Jaya ne put soutenir son regard, honteuse d'avoir pu l'abandonner si lâchement lors de leur dernier moment ensemble.
— Vous ?
La voix de Vadim gronda derrière eux, faisant sursauter Jaya. Il les avait reconnus... Ce qu'elle redoutait tant depuis le début de leur mariage était en train de se produire... et cela exacerbait ses frissons de peur. La peur du conflit, la peur de la séparation, la peur d'éveiller la bête sans pitié.
Pourtant, comme s'il avait perçu le chaos qui faisait rage en elle, ou peut-être la colère grimpante chez Vadim, Amaros se précipita devant tout le monde, les bras levés, pour tomber sur l'épaule du guerrier. Il s'efforçait d'afficher un sourire idiot dans une tentative désespérée de diluer la tension électrique qui emplissait l'air.
— Salutations, cher cousin ! Ça fait un bail... Tu te portes bien, on dirait. Tu as pris du muscle, non ? Ou bien c'est ton manteau...
Vadim lui appuya un œil aussi confus que révulsé.
— Amaros ? Et vous deux... Qu'est-ce que vous fichez ici ? Et... Jaya... tu les connais ?
Pourrait-elle encore lui mentir ? Malgré toutes les conséquences que cela impliquait, Jaya ne pouvait plus continuer, résignée, coincée entre ces deux hommes dont la seule présence faisait battre son cœur. Ce soir, elle atteignait son point de rupture.
Se séparant de Symphorore, qui paraissait complètement désorientée, Jaya lança un regard désolé à Tiordan, puis à Vadim qui ne cessait de l'interroger, sans prononcer un seul mot.
— Vadim... je te présente mes amis d'enfance, Symphorore et... Tiordan.
À ces mots, le prince déchu sembla se déliter. Son visage prit une teinte encore plus pâle que la neige environnante. Qu'avait-elle dit ? Avait-il bien entendu ? Ce nom qui nourrissait les spectres de sa colère depuis si longtemps, cette amertume qu'il avait dû enfouir par amour pour Jaya... la voilà enfin incarnée, devant lui, revêtant le visage trop lisse de la trahison.
Et c'était lui... Ce garçon qui l'avait aidé à s'évader.
Cette pensée alimenta d'autant plus sa fureur qui montait en crescendo, depuis la bergerie.
— Tiordan, hein... ? Alors c'est lui... Enfin, je peux poser un visage sur ce prénom.
Sa voix n'était plus qu'un murmure menaçant qui glaça Jaya. Elle observait les traits de son époux se tordre progressivement, ignorant l'agitation qui régnait autour d'eux.
— Vadim, ils m'ont sauvée. Ils m'ont protégée et aidée à fuir la garde royale menée par ton frère.
— Oui... ils m'ont aussi aidé à m'échapper de la prison de Cassandore. Mais tu dois déjà le savoir... Lui... ce cher Tiordan... Tu n'étais pas censé être mort en fuyant d'Alhora ?
Frissonnant qu'il s'adresse aussi directement à lui, le chasseur déglutit, mais ne perdit pas son sang-froid pour autant. Cette montagne scarifiée ne lui faisait pas peur.
— Et vous ? Vous n'étiez pas censé l'être aussi, pendu au bout d'une corde ?
Vadim se renfrogna aussitôt, avant de faire un pas déterminé dans sa direction. Son poing se contracta le long de son corps en pleine éruption. Les yeux du démon bleu, tels deux éclats de glace, le transperçaient de toute leur haine.
— Si j'avais su qui tu étais, à cet instant...
— Qu'est-ce que vous m'auriez fait ?
Ce petit rat avait l'audace de lui tenir tête sans même ciller ? Il n'était qu'un vermisseau insignifiant à côté de lui. C'était donc ça, ce fameux chasseur pour qui Jaya avait eu des sentiments autrefois ? Un gamin ridicule, petit et freluquet ? D'un simple coup de semelle, il le réduirait en bouillie, faisant gicler son sang et ses viscères dans la neige.
— Tu crois que je ne le sais pas... pour toi et Jaya ?
Tiordan blêmit. Il lui avait craché ces mots à brûle-pourpoint, son souffle ardent de menaces, mais suffisamment bas pour que cette confession demeure exclusive à leur petite sphère privée. Vibrante et quasi déconnectée de son propre corps, Jaya tenta de s'interposer avant que la situation n'échappe à tout contrôle.
— Vadim, s'il te plaît...
— Vous croyez vraiment que c'est le moment de parler de ça, les amis ? On arrive à peine ! grimaça Amaros.
Aveuglé, Vadim ne voyait ni Jaya, ni Amaros, ni même le monde autour. Il ne voyait que Tiordan. Son visage qu'il mourait d'envie d'écrabouiller sous ses poings.
— J'attends de te rencontrer depuis si longtemps, tu n'imagines pas...
— Vadim, je t'en prie !
Jaya se positionna entre lui et Tiordan, se cramponnant désespérément au bras de son mari dans une tentative de le dissuader de basculer dans la folie. Ses yeux étaient emplis de larmes et il pouvait la sentir frémir autour de lui.
— Arrête !
— Toi ! Écarte-toi !
Il se dégagea brusquement de son étreinte. À présent, son toucher le brûlait jusqu'à la moelle. Le regard de dédain qu'il lui adressa fit jaillir de ses yeux encore plus de larmes.
— Vadim... laisse-le, s'il te plaît.
— Tu prends sa défense ?! Qu'est-ce qui s'est passé durant votre voyage, hein ? Vous avez peut-être renoué, tous les deux.
— Vadim...
Il posa un pied volcanique devant elle, qui semblait avoir la puissance de faire fondre la glace.
— Réponds-moi !
— Arrêtez de lui parler comme ça ! Pour qui vous vous prenez ?
Sans crainte, Tiordan se plaça devant une Jaya voûtée en guise de protection. Vadim grogna. Le simple fait de le voir poser ses mains ainsi sur son épouse exacerbait la soif de sang du fauve en lui.
— Pour qui je me prends ? Tu as de l'audace d'oser t'adresser à moi avec autant d'esbroufe, gamin !
— Vous croyez que j'ai peur de vous ? persifla Tiordan. Non... Alors laissez-la tranquille.
Vadim s'approcha dangereusement de lui, jusqu'à le dominer de toute sa hauteur.
— Jaya est ma femme. Et toi... tu n'es rien d'autre qu'un misérable insecte.
— Et vous... vous n'êtes rien d'autre qu'une brute ! Vous n'avez pas honte de la faire pleurer comme ça, après tout ce qu'elle a fait pour vous ? Vous auriez dû rester mort dans sa tête et ne jamais revenir dans sa vie ! Vous avez tout gâché !
À bout, Tiordan laissait son cœur et ses émotions éclater, inconscient de l'ombre pernicieuse qui se profilait au-dessus de lui. Il en avait plus qu'assez de voir ce colosse impertinent brutaliser Jaya, alors qu'elle avait gravi les montagnes rien que pour lui. C'était tout simplement inacceptable !
En retrait, Symphorore commençait à entrevoir l'inévitable affrontement poindre à l'horizon, attisant sa plus grande peur. Bien plus lorsque Vadim empoigna brusquement le col de son frère jusqu'à presque le lever du sol.
— Si tu ne la fermes pas, je vais te briser en deux, sale petit bâtard.
Malgré le manque d'air, Tiordan puisa dans ses dernières réserves pulmonaires pour lui crier :
— Je n'ai pas peur de vous ! Elle commençait à peine à retrouver goût à la vie, à oublier votre nom ! Elle était heureuse avec nous, avec moi ! Jusqu'à ce qu'elle apprenne que vous étiez encore en vie... et qu'elle se mette en danger pour vous ! Vous êtes un poison pour elle ! Vous ne méritez pas ses efforts ! Vous ne la méritez pas tout court !
— Tiordan, ça suffit ! clama Symphorore, sévèrement.
Mais il était déjà trop tard. Le couperet était tombé, en même temps que les derniers lambeaux de retenue de Vadim. Son poing, semblable à un bloc de pierre, vint s'écraser contre le visage de Tiordan qui s'effondra lourdement sur le sol. Jaya poussa un cri strident en voyant le sang jaillir sur la blancheur. Elle se précipita au chevet du chasseur avec Symphorore. La lèvre de Tiordan était fendue en deux et il semblait être dans les vapes. La force du coup l'avait littéralement assommé.
Jaya lança un regard foudroyant à son époux qui, indifférent au chahut provoqué par la scène, leur tourna le dos pour regagner son chalet, avec une démarche furieuse. Amaros tenta de le retenir, mais ne reçut en retour qu'un coup de bras brutal qui le fit également tomber à terre.
C'en était trop pour Jaya.
Folle de rage, elle se leva et accourut à ses trousses, vers le chalet, avec la ferme intention de s'expliquer avec lui. Nul ne la retint, elle n'aurait jamais accepté ça.
Arrivée près de l'habitation, des bruits de casse attirèrent son attention. À l'intérieur, Vadim laissait éclater sa fureur en pulvérisant le mobilier sous l'assaut de ses poings. Les chaises étaient réduites en miettes, la commode renversée et tout ce qui s'y trouvait se brisait au sol, éparpillant des fragments de terre cuite partout. Ses mèches indisciplinées voilant ses yeux, il semblait insensible à la douleur irradiant de ses phalanges, celle qui occupait son cœur prenait le dessus sur tout.
Lorsqu'il vit Jaya sur le seuil, les joues mouillées de larmes, mais manifestement hors d'elle, il suspendit son geste, haletant sous l'effet de sa propre rage.
— Qu'est-ce que tu viens faire là ? Tu n'es pas avec ton cher Tiordan ?
Son sarcasme lui hérissait le poil.
— Vadim, je t'en prie, arrête ! Regarde ce que tu as fait !
— Et toi, regarde comme tu m'as rendu ! Tu t'es bien foutue de moi !
Il martela le mur de son poing à plusieurs reprises, cherchant à exorciser sa douleur. Du sang macula le bois à mesure que sa peau se lacérait sous le regard embué de la princesse.
— Tu-t'es-bien-foutue-de-moi !
— Arrête, je t'en prie, Vadim !
— Tu as couché avec lui ?
L'observant du coin de l'œil, il lui dévoila toute l'effroyable déformation de son profil rougeoyant. Comment lui dire la vérité ? Elle savait que cela ne ferait que mettre davantage le feu aux poudres. Cette perspective la terrifiait. Oui, elle tremblait de peur. Face à son silence coupable, Vadim se tourna, la main ensanglantée, et fracassa un autre pot au sol qui éclata sous sa force titanesque.
— Réponds ! Ne t'avise pas de me mentir encore !
— Oui, j'ai couché avec lui, si c'est ce que tu brûles de savoir ! Mais je ne l'ai fais qu'une fois !
Cela lui avait échappé de manière fébrile, presque involontaire, tant son cœur était lesté de remords. Mais son regret s'intensifia davantage lorsqu'elle le vit se décolorer. La lèvre supérieure de son mari frémissait. Il en devenait terrifiant.
— Vadim, je t'en prie ! Écoute-moi ! Je te croyais mort...
— Tous ces sacrifices, toutes ces heures à ne penser qu'à toi alors que tu te faisais baiser par ce chien ! Tu m'as bien vite remplacé !
— Comment peux-tu dire une chose pareille ? Je ne l'ai fait qu'une fois, et nous n'avons même pas été jusqu'au bout ! Parce que je me suis mise à pleurer comme une lavette en plein milieu, car je ne faisais que penser à toi ! Je te voyais partout ! Tout le temps ! Toi-même dans ta cellule, tu m'avais dit que tu voulais me revoir aimer et être heureuse...
— Un an, Jaya ! Tu n'as attendu qu'un an avant de céder à cela ! Une seule petite année pour m'oublier ! Alors que j'étais ici, comme un idiot, à me ronger les sangs pour toi !
— Je ne pouvais pas savoir, sinon jamais je ne l'aurais fait...
— Tu as crié son nom ?
Il haletait de rage, comme une bête assoiffée de vengeance, à tel point que Jaya se serait presque laissée emporter par la tempête. Il posait sur elle ce regard transperçant qu'elle abhorrait tant.
— Non...
— Mensonge...
— Non, je ne mens pas ! Pourquoi mentirai-je ici ? Maintenant ? Après tout ce que j'ai fais pour toi !
— Tout ce que tu as fait pour moi ? Tu n'as fait que me détruire et me rendre dingue ! Me laisser miroiter sur des belles paroles ! Et ce soir, c'est le bouquet final ! Je n'arrive pas à le croire... Et avec lui, en plus... Tu n'es qu'une putain, Jaya !
Elle se pétrifia, de la tête aux pieds, croyant presque avoir été victime d'une hallucination. Il n'avait tout de même pas osé l'insulter de la sorte ? Pas lui, tout de même... ?
Si... il l'avait fait...
Cette fois, il avait franchi la ligne et Jaya ne pourrait plus continuellement attribuer sa conduite à un emportement. Sa propre colère venait d'atteindre un seuil critique qu'elle s'efforçait vainement de maintenir à un niveau modéré pour ne pas envenimer les choses.
— Comment oses-tu ? Comment oses-tu me dire ça ?!
D'une main fébrile, Jaya attrapa un vase qu'elle explosa contre le parquet.
— Comment oses-tu ?! Tiordan est quelqu'un de bien, de respectueux et il n'a pas cherché à me nuire ! Tu aurais peut-être préféré que je baise avec ton frère ?!
Elle avait eu cette audace ? Cette ignoble et vulgaire audace... Voyant rouge, il se rapprocha d'elle avec une intensité dangereuse, embrasant la tension dans l'air.
— Méfie-toi bien de ce que tu dis... avant que je n'arrache ta jolie petite bouche un peu trop pervertie.
— Je parle comme je le veux, Vadim ! Tu sais tout ce que j'ai fais pour revenir vers toi, pour te retrouver !? J'ai mis ma vie en péril...
Elle arracha un petit tableau du mur et le jeta sur lui. D'un mouvement vif du bras, il esquiva l'objet volant.
— J'en ai vu de toutes de les couleurs et me suis mis l'île toute entière à dos à cause de toi ! Pour toi ! Tu ne sais pas que je t'aime à en mourir !?
Elle continua avec une bûche de bois qu'elle lança sur lui. Il la rattrapa habilement d'une main agacée avant de la jeter dans un fracas. Pendant ce temps, les larmes de Jaya se faisaient de plus en plus abondantes.
— Que j'ai traversé les montagnes interdites pour toi ! Et que je n'ai pas hésité à tout abandonner quand j'ai eu l'espoir de te retrouver vivant ! Autant ma vie, que mes amis, ou même Tiordan ! Alors pour agir ainsi, la putain, c'est toi !
Harassé d'être mitraillé de la sorte, Vadim évita un nouveau projectile avant de plaquer sa femme contre la paroi du chalet. Sa main solide sous sa gorge, il ne la lâchait pas des yeux, son souffle incandescent contre elle, porteur de toute sa rancœur. Son regard lui déconseillait d'en rajouter. Il aurait pu la mettre à genoux d'une simple pression.
Il ne lui faisait pas peur, loin de là. Elle n'avait plus que de la haine.
Une haine incommensurable.
Glaciale.
— Lâche-moi ! Lâche-moi tout de suite !
Elle se débattait comme une furie sans réaliser qu'elle se laissait envahir. Grignoter. Ronger.
Si bien qu'elle ne put retenir un cri démentiel qui fit voler en éclats les dernières barrières de sa gorge. L'onde de choc assourdissante qui en résulta propulsa Vadim à travers la pièce, avec une force inouïe. Le corps désarticulé de l'homme heurta la table qui se brisa en deux, renversant le brasero allumé dans sa lourde chute.
Une douleur aiguë et insupportable terrassa Jaya qui s'effondra à genoux en poussant une longue et déchirante lamentation. Aveuglée, elle frottait ses mains –le centre de toute sa souffrance– contre le sol. Elles étaient couvertes de givre, dans une mesure bien plus importante que d'habitude.
Cette fois, elles portaient toute la blancheur de la glace.
Qu'est-ce qui lui arrivait ?
Un mal inconnu lui scinda le crâne, la forçant à hurler de douleur. Son torse se courba en avant, au ras du sol et des bris. Une sensation de froid extrême l'envahit dans la totalité de son corps tremblant.
Ses longs cheveux cascadaient devant son visage et, lorsqu'elle redressa lentement la tête, elle constata que de larges mèches d'un blanc éclatant commençaient à se dessiner de façon surnaturelle dans l'ébène.
Qu'est-ce que cela signifiait ?
Une peur incommensurable fit jaillir ses larmes qui n'étaient plus que des flocons. Cette froideur commençait à la rendre folle. Et Vadim... il avait goûté au cri et elle s'en voulait terriblement. Elle ignorait ce qui lui arrivait, mais elle ne voulait plus blesser qui que ce soit.
Ainsi, dans un effort difficile, elle trouva la force de se relever et quitter le chalet qui commençait à prendre feu. Son esprit confus ne souhaitait qu'une chose : s'éloigner le plus possible de son mari pour ne plus lui faire de mal.
Sa silhouette frêle et dégingandée se découpa dans les lueurs orangées qui avaient attiré une troupe de mages en direction du chalet. Parmi eux, Chrysiridia avait entendu les cris. Mais surtout « le » cri. Le feu n'était pas ce qui lui importait le plus, sur le moment.
Et lorsqu'elle vit Jaya, là, à quelques mètres du brasier, vêtue de ces mèches immaculées dans sa chevelure... elle sentit son cœur cesser toute activité.
Non... ça ne pouvait pas être vrai...
Pas ici... pas maintenant...
Ni jamais...
— Jaya ! Jaya, attends !
Chrysiridia l'appela à pleins poumons, s'élançant à vive allure pour tenter de l'intercepter. En vain, la princesse s'échappa vers la pente enneigée qui se trouvait derrière le chalet, se dirigeant droit vers le drakkar.
La matriarche était pleinement consciente de ce que cela signifiait, et cette vérité la terrifiait plus que jamais.
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