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XI


En la prenant par les deux poignets, il l'attira doucement, et il s'assit alors sur une cuirasse, près du lit de palmier que couvrait une peau de lion. Elle était debout. Il la regardait de bas en haut, en la tenant ainsi entre ses jambes, et il répétait :
— Comme tu es belle ! comme tu es belle !
Gustave Flaubert, Salambô .

Lorsque Louise-Gabrielle était entrée pour la première fois dans les terres, dans ses terres, elle avait embrassé Aramis jusqu'à en perdre le souffle. Durant le voyage, elle n'avait cessée de triturer son alliance, de la sentir comme une marque au fer rouge contre sa peau, le seul signe éternel de son amour. Son corps ne porterait pas son amour éternellement, un jour elle aurait des enfants, son ventre enflerait et désenflerait, il se déchirerait comme ses cuisses étaient déjà déchirées, et son visage se couvrirait de rides, ses cheveux blanchiraient et ses mains trembleraient. Parfois elle s'imaginait une vieille femme aux traits plissés et à la chevelure blanche, au corps leste et à la voix douce, et elle espérait que l'amour qu'Aramis lui portait ne faiblirait jamais. Elle n'en doutait pas, mais parfois elle se disait : et s'il préfère garder sa jeunesse au travers d'une amante ? Elle secouait toujours la tête en souriant doucement, triste et heureuse à la fois, et il la regardait d'un air interrogateur avant de lui embrasser tendrement les mains. Depuis leur union, tout était pire. La séparation était pire, car elle ne supportait pas de ne pas le voir. Quand il partait pour quelques jours, elle craignait sans arrêt qu'un malheur ne lui arrivât et qu'elle se trouvât seule. Les étreintes étaient pires car elle ne voulait jamais qu'il ne la lâchât, qu'elle fût fondue à l'intérieur de ses entrailles ou liée à son corps pour ne jamais être séparée de lui. Les regards étaient pires car les courtisanes la jalousaient et essayaient sans cesse de s'interposer entre ce mariage naissant. Aramis avait trouvé diverses parades : à présent, il ne s'habillait qu'aux couleurs de Louise-Gabrielle, il lui baisait les mains et il mettait en évidence sa belle alliance, cadeau de son cher Athos. Il introduisait toujours son épouse, Louise-Gabrielle d'Herblay, et parlait avec ardeur de la famille qu'il rêvait de fonder. Quand venait le sang qui s'écoulait de son bas-ventre, elle l'observait toujours avec un soulagement mêlé à une grande déception. Le soulagement de l'avoir encore rien qu'à elle, la déception de ne pas porter le fruit de sa passion.

Quand elle voyait Aramis lui parler de leurs beaux enfants, elle pleurait un peu, et s'excusait de ne pas satisfaire son rêve. Il la prenait toujours dans ses bras, les mains encadrant son beau visage rougie, et il lui répétait toujours : c'est d'abord toi, Louise. Ce sera toujours toi, et toi seule. C'est un rêve, et si tu portes nos enfants, alors je serai comblé, mais je le suis plus, pour t'avoir enfin à moi. Peut-être en aurons-nous, peut-être pas, et cela importe peu. Je te veux toi, d'abord . Il la prenait dans ses bras et lui caressait les joues, les cheveux, et lui parlait de tout ce qu'il aimait chez elle. Il lui parlait de ses yeux dans lesquels il se noyait tant et dans lesquels il voyait tout le reflet de son âme ; il lui parlait de son corps et de ses lèvres, de sa voix qui coulait en lui et dans ses veines, qu'il pouvait imaginer dès qu'elle était absente de lui ; il lui parlait de son esprit, de son amour des lettres et de sa bonté, de sa grandeur et de son humanité. Il lui parlait de son élégance et de la jalousie des autres courtisanes. J'ai épousé la belle femme du royaume, et pour cela la moitié des hommes veulent me tuer pour toi, l'autre moitié veut être moi. Tu t'es abaissée à moi, un pauvre fils de tisserand, et je ne comprends comment un peu tant aimer une personne. Tu sais parfois, je me demande ce que tu trouves en moi. Je ne te mérites pas, je ne mérite pas ce titre et cette vie, mais Dieu m'a offert une seconde chance. Non pas une deuxième mais une seconde. Et j'honore ce cadeau chaque jour. Je prie tous les matins et tous les soirs de ma chance et de mon bonheur. Elle avait eu peur que la domesticité ne vînt changer leur amour, et affaiblir ce lien qui les unissait tant. Mais lorsque Louise-Gabrielle était entrée pour la première fois dans ses terres, elle avait embrassé Aramis jusqu'à en perdre le souffle. Il avait tant ri, de bonheur et d'amour en la voyant ainsi, et il l'avait portée jusque dans l'antichambre du petit château. Une grande allée dégagée les y menait, et un petit canal y avait été creusé et entourait son aile gauche, dans un esprit semblable à celui du château de Fontainebleau. Bourron était un petit Fontainebleau, avec ce même escalier en fer à cheval, et ces petits bois derrière. Oh, comme Louise-Gabrielle s'y plairait !

Pourtant, elle redoutait sincèrement le quotidien d'une vie trop paisible. Comment garder Aramis, lui qui aimait plus que tout l'aventure et le mystère ? Elle avait peur, mais lui dire semblait si idiot. Comment lui dire : je t'aime, et je veux que tu vives en paix, mais ce dont je rêve avec toi, l'accepteras-tu ? Je ne veux pas te priver de ce que tu désires, et j'ai peur qu'en me mariant, je ne t'empêche de t'accomplir . Et pourtant, rien de tout cela n'était arrivé. La vie au château était plus difficile qu'il n'y paraissait, car la jeune femme devait à la fois gérer le domaine de Bourron et celui de Vaux, visiter les gens qui logeaient sur leurs terres, conduire des chantiers, donner la charité et paraître. Aramis errait entre Paris et son domaine, encore mousquetaire du Roi et soldat de sa Majesté. Il figurait à présent dans l'un des conseils proche de Louis XIII et gravissait rapidement les marches de l'appréciation nobiliaire. Il était jeune, beau, riche à présent, toujours bien paré, des plus belles soieries, d'une intelligence fine et d'un avis précieux. Son goût des intrigues et du secret faisait de lui le confident idéal et il récoltait déjà les mots bas de certains grands. La religion lui manquait parfois un peu, mais lorsqu'il rentrait tard, le soir, il se plongeait dans Saint Augustin, la tête sur les genoux de son épouse, tandis qu'elle lui lui caressait doucement ses longs cheveux blonds. Il s'était lié d'amitié avec le jeune frère du Roi, le Grand Monsieur, Gaston d'Orléans. Aramis faisait à présent partie de son Conseil de Vauriennerie qui s'était assagi depuis la mort de son épouse en 1627. Mais il ne restait pas lorsque l'on jouait où que des femmes venaient ; il rentrait chez lui et retrouvait la lumière de son être. Elle ne dormait jamais lorsqu'il rentrait. Elle l'attendait toujours, lascive, épuisée parfois ou nue et riante, mais elle l'attendait toujours. Elle ne supportait pas de s'endormir sans lui à ses côtés. Elle avait souffert pour cela et plus jamais elle ne lutterait pour avoir à obtenir le droit de sombrer dans les bras de son époux. Il était souvent épuisé, et elle le maternait un peu, mais comme c'était doux ! Elle le suivait aussi souvent à Paris, et il la promenait dans ses bras aux bals et aux diners, aux chasses et messes. Ils avaient à présent plusieurs demeures, Aramis avait gardé son appartement rue Férou, qui les abritait lorsqu'ils fuyaient les regards de la cour et qu'ils s'enfermaient des jours durant, à parler et s'aimer. Louise-Gabrielle recevait dans son hôtel, héritage de Thomas, et la Reine leur avait gracieusement offert un petit appartement au Louvre. Ils étaient devenus en quelques mois de mariage le plus beau couple de France, et chacun se battait pour être invité à une réception ou un souper. Bien sûr, les hommes pensaient obtenir Louise-Gabrielle, et les femmes Aramis, mais ils ne trouvaient qu'il brasier brûlant, et chaque assaut étranger ne faisait que raviver le feu.

Louise-Gabrielle était devenue la femme la plus prisée de Paris, et chacun se pressait dans son salon pour l'admirer et entendre ses beaux discours. On y voyait alors des jeunes gens de lettres, tous heureux de présenter leurs écrits, le jeune Pierre Corneille qui présentait des extraits de son nouveau projet Clitandre , la jeune Madeleine de Scudéry qui dissertait sur les pastorales, Tristan l'Hermite présentait ses tragédies, et Saint-Amant qu'Aramis affectionnait tant venait écrire des nouveaux vers. Ils s'arrachaient les rires de la marquise de Bourron, son patronage et ses danses. Et l'on lui demandait si elle écrivait, et elle répondait en rougissant qu'elle n'oserait jamais, car devant de tels esprits, elle paraissait bien commune et son langage bien pauvre. Elle désirait écrire, mais cela lui semblait si étrange, elle n'avait aucune prétention, et s'entourer de tant de gens de lettres la réduisait parfois à ce sentiment de culpabilité qui lui faisait penser qu'elle ne serait jamais aussi talentueuse. Elle avait tant voulu coucher sur le papier ses beaux sentiments pour son époux, chanter son corps et sa passion comme lui le faisait pour elle, mais elle avait honte. Elle qui lisait tant, comment ne pouvait-elle point se nourrir de son amour des vers ? Elle n'avait réellement suivi l'enseignement que l'on dispensait alors, et la simple éducation avait été la sienne lui avait fait apprendre les épiques les plus fondamentales. Elle s'était glissée après dans une passion profonde pour Ovide, et c'est lui qui lui avait fait découvrir la beauté de l'amour. Combien de fois n'avait-elle pas appris des vers des Métamorphoses ou de l'Art d'Aimer , rougie en lisant les dernières lignes adolescente, découvrant le désir. Elle était tombée amoureuse la première fois en découvrant Tristan et Iseult . Elle se souvenait de ses premières larmes, de son immense tristesse car elle avait désiré cela d'une force qui dépassait tout entendement. Peut-être lui avait-on fait ingurgiter quelque filtre d'amour lorsqu'elle avait vu Aramis pour la première fois, et qu'il avait hanté son esprit. Elle pensait souvent à l'amour qui l'avait saisie, et cette singularité. Il avait hanté son cœur dès ce soir-là, et il avait été une ombre : dès qu'elle tournait sa tête, elle avait essayé de l'apercevoir, de deviner sa silhouette, ses yeux et son sourire. Et à présent qu'il était son époux, elle souffrait de ne pas l'avoir dans la même pièce qu'elle, de ne pas le sentir si proche...

Un soir, elle était à Bourron, seule, à lire dans son petit salon. Elle était vêtue d'une petite chemise de mousseline verte et d'un petit négligé bleu. Elle coiffait doucement ses longues boucles rousses qui retombaient comme des cuillères de miel jusqu'à sa taille. Sa peau translucide brillait sous les chandelles de la pièce, et elle se mêlait aux couleurs des murs. Elle ressemblait à une déesse ainsi, lascive, douce et allongée ainsi. L'une des manches de sa chemise avait glissé et découvrait son épaule droite, et les deux grains de beauté sur sa peau blanche. Sa poitrine se soulevait doucement à mesure qu'elle lisait et vivait les amours contrariées de beaux jeunes gens, de Gauvain et des damoiselles en détresse. Au dehors, un orage tonnait et la pluie battait contre les fenêtres. Il était tard, et Aramis n'était toujours point arrivé. Prise de froid, elle alla raviver la cheminée et rajouter une buche. Les craquements du feu accompagnaient les bruits de la pluie, et seuls ces sons venaient rompre le silence. Elle était fatiguée et avait passé la journée à visiter les domaines de Vaux et de Bourron, à entendre ses gens, les aider. La marquise avait été touchée, ce jour-là, à voir le sourire de jeunes filles qui lui avaient offert des bouquets de fleurs, les bénédictions des mères et les mots de respect des hommes. Elle leur avait offert de sa bourse plusieurs livres et ils l'avaient remerciée. Les seigneurs précédents n'étaient pas persécuteurs, mais non pas tant généreux, et la venue du couple d'Herblay avait été célébrée comme un nouveau printemps. Un éclair vint déchirer le ciel et le tonnerre retentit. Louise-Gabrielle frissonna et ramena son négligé contre elle. Il était bientôt vingt-trois heures et son époux n'était toujours point au château. Elle raviva une nouvelle fois le feu, et se saisit du petit livre d'heures d'Aramis. Elle passa sa main sur la couverture de velours bleu et d'ivoire qui lui rappelait les belles années de sa jeunesse. Elle l'avait commandé à son cher frère, qui adorait imprimer et créer des livres. Etienne ne lui avait posé de questions, mais il avait vu le petit sourire rêveur de sa soeur, et il le lui avait donné. Pour celui qui fait battre ton coeur, ma douce soeur. Elle l'avait remercié et embrassé, et il l'avait vue partir, une légèreté dans l'âme. Lorsque vous servirez Dieu, vous penserez à moi . Et il avait pensé à elle, oh comme il avait pensé à elle ! Elle ouvrit le livre d'heures, et pria. Mon Dieu, Vous qui êtes miséricordieux et bon, plein de grâce et d'amour, protégez mon époux. Je suis à lui, comme nous jurons sur Votre livre, et de ma vie je serai à lui. Mais protégez le, je ne supporterai de l'avoir ravi de moi si tôt. Je ne dis rien de son quotidien, je sais qu'il m'est fidèle et qu'il le sera. Mais je suis femme et je crains... Alors, si Vous êtes bon et doux, alors ramenez-le moi...

Elle ne le vit pas arriver derrière elle. Il venait de rentrer et avait été retenu par son ancien camarade d'armes, d'Artagnan. Aramis avait appris de Claude de Rouvroy ce que le mousquetaire avait dit à son épouse lors du bal de Merlaison. Il avait d'abord été pris d'une rage folle. Il avait tiré son épée et commencé à hurler dans les quartiers des mousquetaires. Claude l'avait retenu. Il lui avait pris le bras dans une grande délicatesse et lui avait murmuré : mon ami, il ne mérite rien, pas même votre colère. Punissez-le, mais ne lui donnez pas votre rage en public. Vous le ferez gagner en lui offrant tant d'attention. Non, vengez l'honneur de Louise, mais pensez qu'elle n'a voulu vous le dire en premier. Elle ne voulait vous effrayer et attiser votre courroux. Il s'était dirigé vers celui qu'il avait un jour appelé ami et lui avait lancé ses gants à terre. Il ne les avait pas ramassés. Non, d'Artagnan avait ri, content de lui et lui avait lancé : Eh bien abbé ! Qu'ai-je donc fait pour mériter votre colère ? S a voix froide et tranchante comme l'acier avait détaché chaque syllabe, et chaque soldat s'était tu autour de lui. Vous n'êtes qu'un faible, Charles. Je ne reconnais plus le jeune homme que j'ai tant aimé il y a cinq ans. Insultez-moi tant que vous le désirez, je n'ai cure de ma réputation. Mais ne vous avisez jamais de vous approcher de la marquise de Bourron et comtesse de Vaux. Ne vous avisez pas de la regarder, de lui parler, de respirer en sa présence, car je vous tuerai et je n'aurai aucun regret. Il avait ri, il s'en était retourné mais quelque chose en lui s'était figé. Bien sûr, d'Artagnan avait eu peur du chevalier d'Herblay, mais jamais il ne l'avait vu féroce. Jamais il ne l'avait jamais vu comme une bête sauvage. Il s'en était allé, faussement soulagé. Mais un jour lui-même aurait sa vengeance. Aramis était rentré ainsi, fâché et triste. Il avait cette tristesse car sa douce épouse n'avait pas voulu lui confier cet incident, et il avait peur qu'elle ne lui dissimulât d'autres choses. Non pas dans ces petits tracas du côté du coeur, mais de ces maux importants qui gangrenaient l'esprit. La voir ainsi, pourtant, son âme s'apaisa. Elle était à genoux, dans leur petit salon, presque nue, à prier sur son petit livre d'heures, le chapelet de sa soeur entre les mains. Il avait retrouvé le petit objet dans son bureau rue Férou et le lui avait offert. Le crucifix était en or, et les petites perles étaient vertes et bleues, comme sa belle tenue. Son épaule droite était dénudée et une grande boucle rousse tombait dessus. Son cou était dégagée et il voyait briller la petite chaîne d'or d'où pendait son portrait et son médaillon.

Il resta ainsi plusieurs instants, simplement à l'admirer. Il aurait pu rester des heures sans bouger, à l'admirer, et c'était le destin de sa vie entière. Il appuya sa tête contre l'embrasure de la porte et regarda les dernières lueurs du feu s'étirer sur le corps de son épouse. Elle ressemblait aux portraits de Georges de la Tour et Marie-Madeleine pénitentes du Caravage, mais tant plus radieuse et parfaite. Il repensa bien au Cantique des Cantiques que le prêtre avait lu à leur mariage. « Toute la nuit j'ai cherché celui que mon cœur aime. Étendue sur mon lit, je l'ai cherché, je ne l'ai pas trouvé ! Il faut que je me lève, que je parcoure la ville, ses rues et ses carrefours. Je veux chercher celui que mon cœur aime... Je l'ai cherché, je ne l'ai pas trouvé ! J'ai rencontré les gardes qui parcourent la ville : « Avez-vous vu celui que mon cœur aime ? » À peine les avais-je dépassés, j'ai trouvé celui que mon cœur aime. Je l'ai saisi, je ne le lâcherai pas. Voici mon bien-aimé qui vient ! Il escalade les montagnes, il franchit les collines, il accourt comme la gazelle, comme le petit d'une biche. Le voici qui se tient derrière notre mur, il regarde par la fenêtre, il guette à travers le treillage. Mon bien-aimé a parlé ; il m'a dit : « Lève-toi, mon amie, viens, ma toute belle. Ma colombe, blottie dans le rocher, cachée dans la falaise, montre-moi ton visage, fais-moi entendre ta voix ; car ta voix est douce, et ton visage est beau. » Mon bien-aimé est à moi, et moi je suis à lui. Il m'a dit : « Que mon nom soit gravé dans ton cœur, qu'il soit marqué sur ton bras. » Car l'amour est fort comme la mort, la passion est implacable comme l'abîme. Ses flammes sont des flammes brûlantes, c'est un feu divin ! Les torrents ne peuvent éteindre l'amour, les fleuves ne l'emporteront pas. » Mais elle avait trouvé, lui aussi. Cette-fois alors, il s'avança vers elle, et il s'agenouilla pour lui faire face. Il était trempé par l'orage, ses beaux cheveux emmêlés, son pourpoint abimé et ses chausses salies par le trajet. Il lui embrassa l'épaule, puis le cou, et il lui prit les mains. Louise-Gabrielle se laissa glisser dans ses bras, et ils se retrouvèrent tous deux assis sur le sol, devant le feu mourant.

❝ J'ai eu peur pour toi, mon Phoebus. Tu ne rentrais pas, et avec l'orage, j'ai bien cru à un malheur...

— Je suis là, mon ange. Tu n'as plus à t'inquiéter. Pardonne-moi, je ne voulais t'effrayer, mais j'ai été retenu au Louvre, et je ne voulais point quitter la ville avant d'avoir réparé ce problème.

— J'espère que ce n'était rien de grave. Je sais que c'est idiot de m'inquiéter mais je ne veux point répéter l'histoire.

— Tout va bien, mon ange, fit-il en lui embrassant le front. Tu es en sécurité, il ne reviendra plus jamais te voir.

— C'est Claude ?

— Oui, il ne voulait pas garder cela. Si tu n'as pas voulu m'en parler, il devait bien y avoir une raison... Oh, mon ange, je suis désolé de n'avoir point été là à cet instant. Je lui aurais tout défendu. Jamais plus je ne te laisserai seule, jamais plus. Je serai toujours à tes côtés pour te défendre.

— Mon bel époux, mon Phoebus, mon âme, mon amour. Je t'aime tant et Dieu nous a béni, je le pense sincèrement. Je ne voulais pas te le dire, nous étions si heureux. Le bonheur a bien vite remplacé cela, le bonheur de toi. Cet homme souffre sans doute, et il souffre de ce qu'il n'a pas de toi, mais que veux-tu, la nature humaine est ainsi faite. Je suis soulagée de te savoir à mes côtés, seul cela a de l'importance. Le reste importe peu, si l'on trouve l'amour pour l'éternité.

— J'aime t'entendre, Louise. Tu es si bonne, si douce, et le monde ne mérite pas ta bonté. Tu as vu en moi un être qui pouvait être sauvé, et tu vois même en d'Artagnan une humanité.

— Je suis ainsi grâce à toi, mon amour. Je me rappelle de tous nos soirs, un peu celui-ci, où tu me parlais de la bonté divine et de l'amour du Souverain. J'aime les Écritures grâce à toi, car je les lis avec ta voix. Toi aussi, tu es bon. Tu ne t'en rends pas compte, mon amour, mais je te le dis. L'amour que tu portes à la religion ne sera jamais perdu, tu le transformes dans l'étude profane, et dans tes faits et gestes quotidiens, mais il demeure. Je n'ai jamais eu meilleur professeur que toi, et t'entendre disserter me plonge dans ce que tu aimes profondément. Oh, ne change jamais, mon Aramis.

Elle l'embrassa malgré les traces de la pluie, et il lui rendit son baiser. Il vint encadrer son visage entre ses deux grandes mains blanches qui sentaient toujours l'amande, et ses pousses caressèrent ses joues. Louise-Gabrielle elle-même posa ses mains sur celles de son époux et en dégagea l'une pour l'embrasser. Elle se laissa tomber dans ses bras, et il la serra fort contre lui. Elle se noyait dans l'odeur de la pluie et du cuir, celles des fleurs et de son corps. Elle ne s'en dégagea point. Elle ne voulait jamais quitter ses bras, le seul foyer qu'elle trouverait jamais. Il la laissa cependant libre, et elle soupira doucement. La petite horloge du salon venait de sonner minuit.

— Mon ange, je suis tout trempé, je ne veux pas salir tes vêtements de nuit. Laisse moi me changer.

— Aramis d'Herblay, vous me faites affront. Pense-tu que je me soucie de l'état de ta tenue et de la mienne ? Et puis, tu es si beau, même tout crotté et couvert de sang.

— Oh Louise, rit-il, puisses-tu ne jamais changer ! Oh ma douce, viens.

Il l'enserra de nouveau et lui caressa les mains. Il les baisa doucement avant de les presser contre sa poitrine. Il se leva pour venir tirer de sa petite sacoche de voyage deux petits objets entourés de tissu.

— Mon ange, sais-tu quel jour nous sommes, aujourd'hui ?

— Nous sommes le trois juin, enfin... Oh... Il est minuit à présent.

— Il est minuit à présent, et aujourd'hui tu as vingt-cinq ans. Tu as vingt-cinq ans, mon amour, et je suis ton époux, à toi. L'année dernière, à cette heure, je me jetai à tes pieds et je demandai ta main. Aujourd'hui, nous sommes unis devant Dieu, et je suis le plus heureux des homme. Je suis navré de ne pas t'avoir organisé le plus grand des bals, car tu mérites toutes les joies et tout le luxe du monde. Mais je t'ai ramené cela.

Il découvrit les petits objets. Il y avait un écrin. Louise-Gabrielle l'ouvrit et y découvrit un collier d'où scintillaient une émeraude sertie de diamants, une petite chaîne d'où pendait une petite médaille d'or et une croix et enfin une bague en or, aux reflets de cristal vert et bleu. Il lui tendit trois livres. L'un était un vieil ouvrage en cuir, aux lettrines dorées, au papier abimé, L'Ingénieux noble Don Quichotte de la Manche. L'autre, un fin ouvrage en velours bleu dont la couverture montrait une gravure d'ivoire évoquait son beau livre d'heures qu'elle lui avait jadis offert. Elle l'ouvrit, et à la première page, vit l'écriture de son époux. Lorsque tu écriras, tu penseras à moi. La jeune femme ne sut quoi dire, et l'enlaça, le couvrit de baiser jusqu'à l'émoi.

— Mon Aramis, mon amour, mon Phoebus, je ne mérite pas tant...

Sa voix s'était douloureusement repliée sur elle-même, et elle sentait une douleur dans les mots qui sortaient de sa bouche. Elle ne méritait pas tant, et lorsqu'il lui avait dit : tu as vingt-cinq ans, elle s'était sentie comme une vieille femme malmenée par l'âge. Vingt-cinq ans ! Il lui paraissait en avoir le double, tant elle avait vécu en cinq ans.

— Ma Louise, je connais ton amour pour les lettres, et je sais que aimes tant écrire. Je ne sais ce que tu voudras coucher sur le papier, mais tout ce qui te rendra heureuse me rendra heureux. Tout ce qui est ton rêve est le mien, je veux te voir sourire et rire, voir ta joie, tes beaux yeux vivre. Et cet ouvrage, tu verras, est une belle histoire qui te charmeras. J'espère qu'elle te plaira comme elle m'a plue.

— Tu me connais tant, mon amour, mon âme, oui c'est bien cela : tu es mon âme. Nous avons été liés pour une raison, et si je ne t'avais jamais connu, j'aurais cherché la terre entière, car je sais que je t'aurais trouvé. Et si je devais renaître, alors je te chercherai sans même te connaître : car je sais que tu seras toujours là, et que Dieu me conduira à toi. ❞

Aramis la regarda, le visage dévoré par les reflets de l'âtre, et il but ses lèvres comme le nectar des dieux, il dévora son cou comme de l'ambroisie tant qu'elle se laissait fondre dans ses bras. Il se releva et la prit dans ses bras, la porta comme une fleur qui se détachait d'un arbre pour tomber au sol. Elle riait de le voir ainsi, les yeux brûlant de désir, son corps douloureux des heures de cheval, et pourtant l'amener comme une belle déesse dans leur lit. Le carrelage froid des couloirs donnait à Aramis l'envie de courir jusque dans leur foyer, le coeur de leur amour. Il sentait le corps de son épouse dans ses bras, sa respiration et ses soupirs, et ses mains qui s'accrochaient désespérément à ses épaules. Lorsqu'ils arrivèrent dans leur chambre, il la posa délicatement sur le lit, et il resta un temps debout à l'observer, sans autre pensée que celle de vouloir posséder sa femme, l'avoir à jamais et l'étreindre sans être séparée d'elle. Louise-Gabrielle l'observait, ivre de ses yeux, de son regard qui transperçait son âme, fouillait chaque pouce de sa peau, qui l'imaginait nue sans même qu'elle ne le fût alors, elle sentait les battements de son coeur monter jusque dans son bas-ventre, le désir de se rendre comme une forteresse abandonnée, de laisser le combat s'achever sur son corps. Il se baissa enfin vers elle, et il lui défit délicatement sa chemise et son négligé. Le contact du tissu contre sa peau était si douloureux et agréable, une torture car il ne la touchait pas assez, une bénédiction car son corps ne lui obéissait plus. Elle tenta maladroitement de défaire la chemise et les chausses d'Aramis, mais ses doigts étaient trop engourdis. Toute énergie avait quitté son corps : elle n'était plus qu'à lui. Il se dévêtit, et enfin, il se trouva libre de l'entrave de ses habits. Il ne portait plus que sa croix et son médaillon, Louise-Gabrielle aussi.

Cette fois-ci, elle ne parla pas, et lui savait. Il lui bloqua les mains, car il voulait que le contact se fît attendre, et qu'elle suppliât de la laisser le toucher. Aramis touchait son corps avec une avidité telle qu'il ressemblait à un homme qui n'avait mangé depuis des jours. Sa bouche se posait partout où elle pouvait se poser, et il l'embrassait jusqu'à laisser des marques rouges sur sa peau. Ses mains serraient son cou, ses seins, ses hanches, ses cuisses, et plus il serrait, plus elle gémissait. Il la torturait, à seulement survoler son corps, et ne pas la prendre entièrement, mais le jeu était trop plaisant. Lui-même souffrait, et chaque nouvelle caresse le prenait trop violemment. Il voulait tant qu'elle fût à lui, et comme elle le lui répétait : à son désir. Il vint presser sa bague sur son bas-ventre, et elle laisser échapper un petit cri de plaisir. Le contact du métal vint la ravir, et il commença à la pénétrer de ses doigts. Elle laissa ses mains errer sur son corps, dans ses cheveux, et lui aussi les tirait, il mordait, il serrait si fort qu'elle se laissait retomber sur le lit comme une plume. Aramis fut le premier à céder devant son propre jeu cependant, et il la prit enfin, et il laissa échapper son nom. Louise, Louise, Louise ... À mesure que le plaisir l'envahissait, il voyait le visage de son épouse se tordre de plaisir et de douceur, et elle le laissait se fondre en elle, sentir contre son corps toute sa sueur, son odeur, ce qui le rendait profondément homme. Il ne s'arrêta cependant, et au contraire, continua, et la redressa pour qu'il pût goûter ses seins, les sentir contre son visage, dans sa bouche, et les mordre pour étouffer son plaisir. Plus il ressentait, plus il mordait, et plus Louise-Gabrielle avait son nom sur ses lèvres. Oh tant de beauté, tant de plaisir et de douceur ! Il ne résistait jamais lorsqu'il l'entendait le supplier : Aramis, mon Phoebus, Arami s... Et il redoubla ses assauts, pétrit son corps comme un sculpteur pétrit le marbre, la marqua pour signifier : tu es à moi, et seul moi ai le droit de te toucher ainsi . Elle le savait, bien sûr, mais le pouvoir de donner autant de plaisir à son épouse lui montait à la tête.

Louise-Gabrielle avait laissé son désir brûler entièrement son être, et son corps ne lui répondait plus : elle s'était entièrement livrée à Aramis, et elle soupirait de ce qu'il lui faisait ressentir. Depuis leur mariage, leurs nuits étaient plus belles, plus longues, plus passionnées, et il se donnait à elle avec tant de passion et la prenait avec tant de force qu'elle pensait qu'un amant aussi fougueux n'eût jamais ainsi foulé le sol de ses pieds. Il y avait le plaisir qu'il lui procurait, qui était toujours plus fort, plus ardent à chaque contact, et celui de savoir qu'il ne s'offrait qu'à elle. Il continua à se mouvoir sur elle, et elle sentait dans chaque mouvement de bassin une douleur si délicieuse, qu'elle voulait simplement stopper son coeur. Elle libéra ses mains de son emprise un court instant, et vint laisser parcourir ses doigts sur sa cicatrice. Il grogna et les bloqua de nouveau, amusé par le jeu de son épouse. D'une main, il tenait ses poignets et de l'autre, son cou, qu'il serra à chaque coup de son corps contre le sien, et enfonçait ses doigts dans sa chair. Il serra ses seins si fort qu'une marque rouge vint s'y former, et il y posa délicatement sa langue, comme pour soulager la douleur. Enfin, il s'abandonna complètement à elle, et il s'effondra dans ses bras tandis que le plaisir extrême venait enfin les emporter. Aramis laissa son corps au-dessus de Louise-Gabrielle et lorsqu'il voulut bouger, elle le bloqua en lui murmurant : reste, je veux te garder encore comme cela, en moi . Alors il resta, et posa sa tête sur sa poitrine, et la sentit se soulever à mesure qu'elle respirait. Elle caressa ses cheveux, et lui promenait doucement ses doigts sur son ventre, embrassait chaque grain de beauté et tache de rousseur. Ils ne parlaient pas, mais ils n'avaient pas besoin de parler pour signifier leur amour, et ce qui les unissait tant. Le désir les faisait parler, et les emplissait si profondément que plus rien au monde n'existait à part l'autre. Jamais il n'avait connu de telles sensations avec une autre femme, et Louise-Gabrielle était si heureuse de livrer son corps à cet homme, celui qu'elle avait enfin choisi. Comme il promenait ses doigts sur son ventre, elle soupira en le regardant.

❝ J'ai un corps déjà marqué, et je n'ai que vingt-cinq ans, sans même avoir donné vie. Je ne suis point parfaite, mon amour, vois-tu. Non, mon corps a vieilli, et à vingt-cinq ans, j'en parais dix de plus.

— Louise-Gabrielle d'Herblay, ne vous avisez plus jamais de dire une telle chose. Jamais ton corps ne seras pour moi source de rejet et je l'aimerai toujours qu'il fût déchiré ou celui d'une statue. J'aime ton corps, car il a vécu, comme le mien. Non, ces marques sont belles et la preuve de ta féminité. Tes brûlures sur le ventre, tes cuisses déchirées, je les aime tant. La peau de ta poitrine déjà lâche, et ces déchirures blanches sont comme les veines d'une statue, et n'es-tu point ma Galatée ? Et si Galatée prend vie pour Pygmalion, ne doit-elle pas garder des signes de sa condition première ? Regarde, si je devais en faire le tour, et les signifier, alors tu serais tant couverte d'or, et tu ressemblerais au soleil. Tes veines bleues sont déjà une parure qui s'étale autour de ta poitrine, ces marques sont des bijoux à chérir, et je les chérirai jusqu'à ma mort. Regarde, elles font des dessins, et l'on dirait des lettres, les nôtres, et des étoiles.

Il se releva pour l'embrasser comme il ne l'avait jamais embrassée avant. Les lèvres de Louise-Gabrielle étaient humides des larmes qui venaient de couler de ses yeux à entendre son mari. Il lui dégagea le visage, et le prit entre ses mains. Il lui essuya les yeux, et lui caressa les joues, en lui souriant comme épris depuis le premier jour. Il s'approcha doucement, si proche qu'il sentait le souffle de son épouse contre lui, et il l'embrassa. Il gardait ses lèvres contre les siennes, et elle compris dans ce baiser tout son amour. Il se dégagea doucement, et appuya son front contre le sien, les yeux fermés.

— Jamais, commença Louise-Gabrielle. Jamais, je ne veux te quitter...

— Jamais, mon ange, jamais. Tu sais, c'était il y a cinq ans que je te vis pour la première fois. Le bonheur est grand, et Dieu le plus beau des Pères : il fallait que je te rencontre le jour de tes vingt ans. Je pense à ton rire, mon ange, car c'est par ton rire que je suis tombé amoureux de toi. Il n'y a pas plus beau son au monde que ton rire, et je peux m'en enivrer, et plus je le bois, plus je veux me noyer en toi.

Il la ramena contre lui et l'enserra. Elle reposa sa tête sur son torse, et il commença à dessiner du bout de ses doigts le tracé de ses grandes marques qui couvraient son corps. Il commença par sa poitrine d'où la chair avait cédé à l'adolescence devant la venue du corps d'une femme. Les marques se liaient aux veines comme celles de marbre sur une statue. Il descendit sur son ventre brûlé par les briques chauffées et les braises destinées à soulager ses maux de ventre d'âme, chaque mois. Elles ressemblaient à des nuages sur un ciel d'orage. Il continua jusqu'à ses cuisses, où les marques évoquaient presque sa cicatrice, la chair distendue imitait les formes des lettres ou des toiles d'araignées, des tissages et des pétales. Elles s'éloignaient jusqu'à ses genoux, et continuaient en de grandes boucles volages du bas de son dos, ses fesses pour retrouver les cuisses. Celles-là étaient des broderies, des fils d'anges sur le corps d'une déesse. Oh, s'il pouvait couvrir ces marques de fils d'or, comme lui-même l'avait fait sur sa cicatrice ! Elle serait si belle, toute dorée, et serait la plus belle des femmes. Comme elle l'était déjà, elle serait sublimée, et il baiserait ses pieds, et la terre qu'elle foulerait comme Hippomène devant le pied d'Atalante, comme lui, Pygmalion énamouré devant la statue de sa Galatée.

— Tu es si bon, mon Phoebus. Et chaque jour, je te découvre un peu plus.

— Tu sais, je voudrais te couvrir de fils d'or, comme je l'avais fait sur ma cicatrice, et te peindre ainsi. Tu serais nue, mais habillée dans l'écrin qui ne devrait jamais te quitter. Ma Louise, laisse moi faire cela, te peindre ainsi, et garder cette toile dans mon bureau, pour que je te vois à chaque fois que je lève les yeux, et que je me rappelle de ton corps, et de ce qui fait que je l'aime.

— Ce serait toi ?

— Moi, et seulement moi, et notre amour. Tu es la plus belle muse de France, et je suis le peintre le plus chanceux.

— J'écrirai sur toi, alors. Et moi aussi, je louerai ton corps, comme dans ces petits blasons que l'on aime tant.

— Tu sais, Louise, mon ange... J'en avais écrit un sur toi, et je ne savais encore que c'était pour toi, mais il l'était. Te rappelles-tu, lorsque nous nous revîmes chez Marie, en septembre 1628... Elle m'avait demandé d'écrire pour une jeune veuve un petit poème, et je le fis en pensant à toi. Mais ce que je ne savais alors, c'était qu'elle parlait et demandait cela pour toi.

— Tu as fait ça ? Et tu ne me l'as jamais dit ?

— Non, j'avais peur, et mes vers ne sont pas ceux de Saint-Amant.

— J'aime tes vers, mon beau poète. Et plus encore, si c'est toi qui caresse de ta plume mon corps.

Il la regarda doucement, et découvrit des couvertures la cuisse droite de Louise-Gabrielle. Il alla embrasser son petit grain de beauté, et planta ses yeux dans les siens.

— Mouche sur ta cuisse je brûlerai,
Mouche je demeurerai,
Mouche petit et doux grain noir,
Mouche ici que je voudrais le boire.
Autel de mon désir mortel,
Dans les cuisses roses de ma belle,
Je voudrais être porté à jamais,
À cette mouche je m'en remets.
Près du nid d'amour elle vit,
De la nuit jusqu'au jour je le prie,
Je veux que ma dame m'aime,
Comme cette mouche elle aime.
Mes lèvres sur votre secret,
Comme une Sainte dans un dais,
Je vous révère ma dame.
Cette mouche est comme mon âme,
Aimée par vous ici, bénie,
Vivre au plus près de vous, dans votre lit.
Comme je voudrais être ce grain,
Avec vous, près de votre main !

Elle se mit à rire, mais non pas du rire qu'une femme pouvait avoir à se moquer de son amant, mais celui de la plus grande tendresse d'une dame pour son époux. Louise-Gabrielle le serra contre elle, et le couvrit de baisers, de caresses et de mots doux.

— Eh bien, je le nomme après toi, alors. Mon petit grain de beauté Aramis, pour te porter toujours un peu sur moi, et lorsque je serai seule à t'attendre, je le caresserai pour penser à toi. J'imaginerai alors ta bouche dessus, tes mains et ton souffle, et tu ne me quitteras plus.

— Si un jour je reviens en Angeleterre, je veux te faire lire Romeo et Juliette, car je sais que la beauté de la langue te transporteras comme elle me transforme. Je connais le texte comme ma pauvre âme, mais je veux que tu puisses le lire.

— Dis le moi, alors, car t'entendre est la plus belle des choses.

— Vois-tu, je t'avais déjà dis ce que Romeo pense lorsqu'il voit Juliette pour la première fois. Il y a ce qu'il dit lorsqu'il l'attend au pied de son balcon, dans un verger fertile. ''See how she leans her cheek upon her hand. O, that I were a glove upon that hand, that I might touch that cheek !'' Il la voit appuyer sa tête contre la balustrade, et il souhaite être un gant, car s'il est un gant, il touche sa joue, et elle le porte à jamais. Il la compare au soleil, car elle porte la lumière. Tu es mon soleil, mon ange. Je sais que tu m'appelles Phœbus, et je suis l'homme le plus flatté au monde, c'est toi le soleil, et moi je suis la lune. Tu éclaires le monde de ta chaleur et de tes rayons. Et je fonds devant toi comme de la neige au soleil.

— Continue, je veux t'entendre, et tu parles si bien anglais.

— Je pourrai te dire cela tant de fois, et te murmurer les plus belles phrases du monde. Lorsqu'ils s'embrassent pour la première fois, ils composent un sonnet, car l'amour est force créatrice. Romeo s'approche d'elle, et il lui prend les mains. ''If I profane with my unworthiest hand this holy shrine, the gentle sin is this : my lips, two blushing pilgrims ready stand to smooth that rough touch with a tender kiss.'' Il la compare à une châsse, et ses lèvres sont celles d'un pèlerin qui rend ses dévotions à la statue de cette sainte. L'embrasser, c'est devenir un beau chevalier. Juliette répond : ''Good pilgrim, you do wrong your hand too much, which mannerly devotion shows in this : for saints have hands that pilgrims' hands do touch and palm to palm is holy palmer's kiss.'' Juliette lui répond alors que les pèlerins peuvent embrasser les statues, mais qu'une main contre une autre est un bien meilleur baiser que celui des lèvres. Il continue '' Have not saints lips, and holy palmers too ?'' ''Ay, pilgrim, lips that they must use in prayer.'' Les lèvres ne sont pas faites pour les baisers, mais pour les prières. '' O then, dear saint, let lips do what hands do. They pray : grant thou, lest faith turn to despair.'' Il lui demande d'exaucer ses vœux, comme les mains des saints usent de miracles. '' Saints do not move, though grant for prayers' sake.'' '' Then move not while my prayer's effect I take. Thus from my lips, by thine, my sin is purged.'' Elle ne veut pas bouger, car les statue ne bougent pas. Alors il lui dit : ne bouge point, que j'exauce ma prière, ainsi de mes lèvres sur les tiennes, mon péché est absout. Juliette, enfin ''Then have my lips the sin that they have took.'' Elle lui demande : reprend de mes lèvres ton péché. '' Sin from my lips ? O trespass sweetly urged ! Give me my sin again.'' Ils s'embrassent de nouveau. Comme cela est beau, de créer ainsi devant la naissance de l'amour.

— Je me souviens... Lorsque nous nous sommes embrassés, pour la première fois... Tu l'as dit. Par ce baiser, mon péché disparaît, et je t'ai répondu : A lors reprenez-le, car pour vous je vivrai dans le péché . Et à jamais, je me souviendrai : La seule pensée de vous, Louise, me dévore, comme un péché que je n'ai pas encore commis . Et tu l'as commis, ce péché, puisque je suis à toi. Oh, tu es mon plus beau péché, Aramis, et je préfère mille Enfers avec toi qu'un Paradis seule.

— Oui, cela tu l'as dit. Je me souviens. ❞

Ils ne s'endormirent que plus tard, lorsque leurs yeux se fermèrent contre leur gré, et furent plongés dans les plus beaux rêves. Mais avec l'aurore vint la dure réalité, et un présent qui ramenait les malheurs. Une suivante vint toquer à l'aube, car la maitresse venait de recevoir une lettre de son frère. Louise-Gabrielle était lovée dans les bras de son époux lorsque la suivante entra. Sa chemise de nuit avait glissé sur son épaule et dévoilait son sein droit marqué par les ébats de la nuit passée, mais la marquise n'y prêta attention. Elle s'empara du petit papier et le lut dans son lit. Elle fut d'abord étonnée de recevoir des nouvelles de son frère, car elle ne l'avait vu depuis son union avec Thomas, et elle lui avait écrit pour l'annoncer de son second mariage mais c'était tout. Il vivait pourtant à quelques lieues, mais il était tant pris par les affaires du Roi et du parti de Gaston d'Orléans qu'ils n'avaient le temps d'échanger. Etienne de Fontainebleau, vicomte de Moret avait été l'un des plus beaux partis de France, et avait épousé l'an passé une très jeune enfant, Ninon de Montereau. L'union n'avait point été consommée car le mari souhaitait attendre que sa tendre épouse fût sortie des tracas de l'adolescence et que son corps fût bien robuste. Il ne désirait la tuer en couches, mal qui avait terrassé tant de leurs frères et sœurs et dont lui et Louise-Gabrielle étaient les uniques survivants. Il était pourtant très épris de sa jeune femme, et la comblait de présents. Lui-même qui était jeune autant de cœur que d'esprit était enchanté par elle, et elle le dissuadait dans beaucoup de projets grandiloquents. La belle Ninon avait un frère aîné qui s'était destiné aux ordres et avait côtoyé Aramis dans son couvent de Noisy. Etienne était fantasque et volubile, mais aimait sincèrement sa sœur aînée et n'avait jamais questionné son comportement et son amour. Il était devenu ami de Thomas, et tous deux avaient souvent chassé dans les alentours de Vaux. Lorsque Louise-Gabrielle lui avait appris son union avec Aramis, il avait été très chaleureux et félicité de son bonheur. Il connaissait de nom le mousquetaire, et avait souvent entendu conter ses exploits dans ses cercles d'amis. Le jeune vicomte était homme d'honneur qui avait mené un train de vie dissolu jusqu'à son propre mariage mais qui s'était assagi. Il n'avait été aussi proche de son père que Louise-Gabrielle ne l'avait été, et avait grandi dans les jupes de sa mère, toujours prévenante à sa santé, car craintive de perdre son seul garçon. Il la visitait chaque semaine et lui écrivait chaque jour, malgré le peu de distance qui les séparait. Or cette fois-ci, Etienne écrivait à sa sœur, et il s'était résigné.

À Moret, le ** juin 1630.
Ma tendre sœur, je vous écris car notre mère se meurt. Je suis navré de vous l'apprendre ainsi lorsque je sais que vous vivez enfin heureuse, et croyez-moi, je vous souhaite tout le bonheur du monde. Il était dans mon devoir de frère de vous écrire, comme lorsque vous l'avez fait pour père. Je serai à Fontainebleau à son chevet, et vous y attends.
Je vous baise les mains, ma douce sœur, et transmettez toute mon affection à mon cher beau-frère, pour un jeune homme comme moi, voir sa sœur mariée au plus célèbre et plus preux des mousquetaire est un plaisir et un honneur que l'on obtient une fois dans une vie.
Votre cher frère, Etienne.

La lettre tomba sur le sol dans un petit frémissement. Louise-Gabrielle s'assit sur le lit, avant de replier ses jambes contre sa poitrine et de poser sa tête sur les genoux. Non, et elle n'avait point vu sa mère depuis un an. Elle l'avait tendrement aimé, et elle n'était pas prête à la voir partir si vite. Avait-elle été une fille si indigne, au point de délaisser sa mère et de la laisser mourir dans sa plus grande indifférence ? Elle avait tant été possédée par son amour et la réalisation de son bonheur, le parachèvement enfin d'une situation si tragique qu'elle en avait oublié sa propre famille. La marquise de Bourron laissa couler sur ses joues des larmes de honte tandis qu'Aramis ramassa le papier et le lut, en silence. Il la prit dans ses bras sans un mot, et lui embrassa le front. Il la serra tendrement et elle le laissa l'enlacer sans rien dire. Il la tenait contre son cœur, et elle lui rendait son étreinte, les yeux rougis de larmes. Il lui caressait les cheveux, le front, les joues, et ne disait rien, car lorsque le deuil l'avait frappé, il avait été muet. Il n'avait pas su pleurer la mort de sa tendre sœur, car la haine contre son père avait été si forte que le chagrin s'était desséché. Sa tristesse s'était tarie comme une source en plein désert, et il avait renié à jamais toute cette famille qui n'avait jamais su l'accueillir et l'élever. Mais Hélène, sa tendre et douce Hélène lui manquait tant. Il n'avait pas osé parler d'elle à son épouse, car il ne voulait pas l'attrister, et pourtant il savait à quel point elle l'aurait aimée. C'était avec Hélène qu'il avait appris à dessiner, qu'il avait cousu ses premiers costumes et brodés ses premiers gants, qu'il avait peint et ramassé des fleurs. Il avait tout fait avec elle, et même au séminaire, elle était avec lui. Sa tendre sœur, la joie de sa vie, sa lumière qui s'était éteinte et qu'il n'avait pu sauver. Il avait halluciné sa mort mêlée à celle de Louise-Gabrielle, et cela avait conduit à sa première crise de foi. Il désirait tant une famille avec sa douce épouse, mais la peur de la perdre comme il avait perdu Hélène le hantait. Il voulait tant cette famille, leurs deux filles et leurs deux fils, mais s'il devait perdre leur mère, alors pourquoi la rêver ? Il n'avait pas réussi à le lui dire, simplement, et il se détestait pour cela. Louise, mon ange, je t'aime tant, mais si je te perds en couches, je ne peux pas vivre. Je ne veux pas, je ne peux pas... Mais il ne pouvait pas, car lorsqu'il voulait le lui dire, les mots s'étouffaient sur ses lèvres, et il ne faisait que lui sourire et chasser sa tristesse. Il lui embrassa le front une nouvelle fois, et la releva.

❝ Tout ira bien, mon ange, ma Louise, parce que je suis là, et que je t'aime. Tout ira bien, parce que je t'aime.

— Nous devons y aller, Aramis. Nous devons y aller.

— Tout de suite, Louise. Viens, je vais t'aider à t'habiller.

— Merci. Merci, merci.

Il alla lui chercher un petit habit de cheval, et lui noua le corsage. Il passa simplement une chemise et sa casaque de mousquetaires, ses chausses de cheval et il la conduisit jusque dans les écuries, avant de faire apprêter une petite voiture. Ils montèrent et en une trentaine de minutes arrivèrent à Fontainebleau. Louise-Gabrielle courut jusque dans le petit appartement de sa mère et vit son frère à son chevet. Il était en train de prier et lorsqu'il la vit, il se releva et la prit dans ses bras. Il pressa doucement ses cheveux contre sa tête, et la laissa libre. Etienne vint ensuite prendre Aramis dans ses bras et lui frappa doucement l'épaule.

— Je suis au regret de vous rencontrer ainsi, mon cher frère. J'aurai préféré que cela en fût autrement, et je déteste voir ma chère sœur pleurer.

— Mon cher frère, si je peux m'adresser ainsi à vous comme vous le faites pour moi avec tant d'égards, je suis navré d'être présenté à vous dans des circonstances aussi tragiques. Je prierai chaque jour pour la bonne santé de votre mère. Louise l'aime tant, et vous aussi, et toute personne qu'elle aime est aimée de moi en retour. Je vous remercie de votre chaleureux accueil, mais je veux être utile : que puis-je faire ?

— Soyez auprès de ma sœur, consolez la, et soyez fort pour elle. Votre amour est une grande chance, et elle qui peut être si fragile ne doit pas être seule. Aimez-la, Aramis, et donnez-lui de votre force.

— Cela, je le ferai jusqu'à ma mort, mon cher frère, vous pouvez en être assuré.

Il se retira dans un coin de la pièce, non loin de son épouse, et sombra dans ses propres mélancolies. Il avait ce profond dégoût et une fascination étrange pour la Mort. Lorsque son père était mort, il n'avait pas pleuré et Louise-Gabrielle avait tué son chagrin par son baiser. Il y avait eu en son sein une sorte de délivrance, car avec la mort du père, un fils pouvait briser les chaînes qui entravaient son âme et enfin voler libre, ce qui était interdit. Mais lorsqu'il avait tant souffert, comme Aramis avait souffert jeune, la Mort devenait comme une apparente consolation, le chagrin et la hantise revenaient comme des vagues lointaines sur le rivage de son âme : tout ce qu'il n'avait pu lui dire, tout ce qu'il aurait voulu lui dire, tout ce qu'il aurait voulu entendre, tout cela résonnait à ses oreilles dans un assourdissement qui le prenait en pleine journée ; il ne pouvait que cacher son trouble derrière un sourire triste et agir comme s'il eût toujours été heureux. Aramis n'avait jamais été aimé par ses parents, et jamais au point que son âme lui demandait, et tout l'amour qu'il trouvait en son épouse, il le prenait comme au cœur de la tempête, et le laissait l'envahir jusqu'à le submerger complètement et enfin devenir l'homme qu'il avait toujours rêvé d'être : un amoureux et un poète, non pas un religieux et un guerrier. Il détestait tuer, car prendre la vie était l'un des péchés les plus honteux du monde. Il n'avait jamais pris une vie lâchement, et il aurait bien donné son corps en place et lieu de tant de cadavres maintenant dévorés par les vers dans la terre chaude. Il pensait souvent à Thomas, et à la vie de Louise-Gabrielle avec lui. Elle aurait été heureuse, et lui aurait été heureux de la savoir ainsi. La voir au pied du lit de sa mère lui rappelait une Vierge éplorée, et maintenant, il tenait tant à la voir sourire que ses pleurs s'enfonçaient comme des poignards dans son âme.

— Mère, ma douce maman, je suis là. Je suis là, ma douce maman. Je suis navrée, ma douce maman, j'ai été une mauvaise fille.

— Ma petite Louise, tu es là, il n'y a rien à te pardonner.

Elle toussa un temps, avant de prendre la main de sa fille, agenouillée devant elle, la tête penchée sur le lit.

— Mère, je suis tellement désolée, vous avez bien dû penser que j'étais mauvaise fille.

— Ma petite Louise, ton père a tant aimé avant notre union, et je lui ai pardonné, car il m'a aimée après. Mais il eût été plus heureux encore dans les bras de son amour de jeunesse. Toi... tu es tombée amoureuse, et ton époux est mort au combat. Tu as attendu trois ans avant de te remarier, ce n'est pas ce que j'appelle vivre dans le péché... Je veux le voir, ce jeune homme qui fait tant battre ton cœur. Présente-moi ton époux, je veux voir celui qui te rend heureuse avant de mourir.

Louise-Gabrielle appela doucement Aramis, qui vint s'agenouiller auprès d'elle. Marie de Fontainebleau tendit ses mains vers lui et lui serra les siennes avant de les embrasser faiblement.

— Madame, je suis votre obligé. Je suis navré de vous rencontrer dans ces circonstances, je voudrais...

— Appelez-moi mère, pour que je vous appelle mon fils. Approchez, mon fils, que je vous vois... Oui, vous êtes beau, mon fils, et je comprends pourquoi ma fille vous aime. J'aurais voulu vous aimer un peu, mon fils, avant ma mort, car vous méritez tout amour et aucun enfant ne devrait être malheureux comme vous l'avez été.

— Comment ? Louise vous l'a ?

— Non, mon fils, une mère sait ces choses-là, et je pense que ma fille vous aime trop pour dévoiler les secrets de votre enfance. Une mère sait cela, et lorsque vous serez père, vous saurez aussi. Vous aurez peur, beaucoup, et tout l'amour que vous porterez sera étrange, maladroit, fort, mais vous saurez. Vous êtes aimé, mon fils, et vous le serez jusqu'à votre mort.

— Oh madame, oh mère... C'est vous qui me parlez ainsi et me faites pleurer, alors que je devrais rassurer mon épouse. Vous faites de moi un bien piètre mari, mais vous êtes si bonne, car vous êtes la mère de la plus douce, la plus brillante et la plus belle femme de France. Je suis très heureux d'être votre fils, madame, et de vous appeler mère.

— Mon doux enfant, restez auprès de moi, ce soir, et toi aussi, Louise. Je veux que vous me parliez de vous, je veux vous entendre, et voir votre bonheur.

— Oh ma douce maman, pourquoi pars-tu si vite !

— Hélas ma fille, c'est que Dieu m'appelle pour retrouver mon cher époux, et tes frères et sœurs ! ❞

Louise-Gabrielle, Aramis, Etienne et Marie soupèrent ensemble. Ils rirent beaucoup, et le frère et la mère s'attendrirent au récit de l'amour des jeunes mariés. Le marquis de Bourron leur compta de nombreux récits fort peu glorieux de ses amitiés avec le comte de la Fère et le baron du Vallon de Bracieux de Pierrefonds, de ses frasques anglaises et de ses aveuglements religieux lorsqu'il s'était rendu compte de l'amour de sa belle aimée. Etienne fit mille éloges de sa petite épouse, et de son charme redoutable. Elle avait formé un petit cercle littéraire à Moret, et patronnait des petits peintres et poètes locaux. Aramis pleura, car il n'avait jamais pleuré pour sa propre famille. Il avait un frère, une sœur, et gagné l'amour d'une mère en si peu de temps. Son épouse ne quitta pas ses bras cette nuit-là, et elle dormit blottie contre lui, au pied du lui de sa mère. Il ne ferma pas l'œil, car tant de choses se remuaient dans son esprit. Il avait le nez et la bouche enfouis dans la chevelure de Louise-Gabrielle, et il se noyait dedans pour la sentir près de lui. Elle, que elle, rien qu'elle, et sa douce odeur de fleurs l'enivrait. Aux premières lueurs du matin, il sortit s'assoir sur les marches qui menaient vers les jardins, et laissa ses larmes couler. Il détestait pleurer, car c'était avouer sa faiblesse. Il avait déjà pleuré de bonheur avec son aimée, mais pleurer ainsi tel un enfant, il se revoyait, le jeune Henri, grondé et frappé par son propre père qui le traitait de fillette. Il regardait le soleil se lever, comme une nouvelle vie dans son corps, et ses yeux ne quittaient pas l'astre. Il voulait sentir la brûlure de la lumière s'imprimer sur ses iris, et se sentir humain, coupable et pécheur. Il pria sur son livres d'heures, pour cette famille si bonne et généreuse.

❝ Mon cher frère, vous allez prendre froid. Nos matins sont frais, à Fontainebleau.

— Etienne, pardonnez-moi, je ne vous avais point vu.

— Cela arrive, fit-il d'un rire triste. Vous savez, je suis heureux, Aramis, de vous savoir l'époux de Louise. Cela peut sembler étrange, je ne suis que son petit frère, mais je me soucie d'elle, et elle a ce penchant mélancolique, son âme tire vers la bile noire, et elle se perd dans de si profondes réflexions qu'elle en oublie de manger. Lorsque nous étions petits, elle restait des heures dans la bibliothèque, à lire et relire Tristan et Iseult , car elle était tombée amoureuse du beau chevalier. Elle connaissait la légende mieux que certaines prières, et elle lisait tout ce qu'elle trouvait sur cette histoire pour faire vivre son sentiment. Elle disait : je dois le faire vivre ainsi, car je ne sais pas si je connaitrais quelqu'un comme lui . Elle a toujours été une rêveuse, et triste, souvent. Elle rit beaucoup, mais cache cette tristesse derrière son rire, et tait ce profond sentiment tant qu'elle le peut. Votre livre de prières... Puis-je le voir ?

— Bien sûr, tenez. C'est Louise qui me l'a offert.

— Je sais, mon cher frère. C'est moi qui l'ai fait. Elle me l'avait demandé, et je me doutais que c'était pour un amant. Vous savez, vous avez été le premier homme dans son cœur, et le seul. Non, je pense qu'elle a sincèrement aimé Thomas, mais Thomas était aussi triste qu'elle, et cette tristesse les tuait. Elle me parlait de vous sans mentionner votre nom, et j'étais si enchanté de la voir heureuse, parler de celui qui faisait rougir sa poitrine et causer son émoi. Oh, je vous envie presque, mon cher frère, car je voudrai tant enfin connaître Ninon ! Mais elle est si jeune, je ne veux pas causer sa mort car son corps est fragile. Vous savez, beaucoup de mes amis disent qu'elle ne m'aime pas, ou ne m'aimera plus, car elle a quatorze ans, et moi vingt-quatre, et qu'elle est jeune, volubile, et qu'on époux de dix ans plus vieux la lassera bien vite. Mais elle m'aime ! Je le sais ! J'en suis sûr, pourtant. Elle me le dit, elle me l'écrit, si je lui demande pour l'embrasser, elle me dit de ne jamais quitter ses lèvre ; elle aussi voudrait connaître les transports de l'amour, je le pense, mais je ne veux pas la tuer. Je ne veux pas. Oh, si je pouvais accélérer le temps ! Mais je l'aime, et mon amour s'incarne dans cette attente. Elle comprend et elle m'en est reconnaissante.

— Si elle vous aime, mon frère, alors elle vous attendra, et elle vous le dira. L'amour n'est pas que charnel. Avec Louise, nous... Il rougit et Etienne rit en voyant l'embarras de son beau-frère. Nous profitons des nuits, c'est vrai. Mais c'est bien plus que cela. Si je devais choisir entre son corps et son esprit, je garderai mille fois son esprit, car elle si belle à entendre. Elle lit, et je la fais lire. Elle m'écoute lorsque je lui parle des anglais, Shakespeare et Marlowe, et de Saint Augustin, moi je l'écoute lorsqu'elle me dit son amour pour Du Bellay, Boccace et Pétrarque. J'aime lorsque son visage s'illumine quand elle parle de ce qu'elle aime ! C'est cela, l'amour, je pense : être heureux lorsque l'on voit sur le visage de l'être aimé les marques de leur bonheur. Oui, j'aime tant son corps, et peut-être vivons nous dans le péché, mais c'est la marque matérielle de notre amour. Vous savez, mon frère, j'aimerai être père ; non : je le veux. Mais j'ai peur. Ma sœur est morte en couches, il y a quatre ans. Je ne veux pas perdre Louise ainsi.

— C'est incertain, mais Aramis, ne craignez point : ayez foi. Vous me parlez de foi et de bonheur avec tant d'émotion, parlez avec elle, confiez-lui vos craintes. Vous vous aimez, c'est le plus cadeau que l'on puisse obtenir de Dieu. Rentrons, elles vont s'inquiéter. ❞

Ils rentrèrent, et Marie mourut quatre jours plus tard. Elle fut enterrée aux côtés de son époux, et de leurs enfants défunts. Ils pleurèrent beaucoup, et le temps passa. En 1633, Athos devint père après une nuit oubliée dans une petite auberge, lorsqu'il découvrit en son domaine de Blois un petit garçon dans un lange, silencieux et beau comme un dieu. Il le nomma Raoul, comme son père, et demanda au marquis et à la marquise d'Herblay d'en être les parrain et marraine. Le baptême se fit à Bragelonne, et lorsqu'Aramis tint le petit Raoul dans ses bras, un profond émoi s'empara de lui, et il se décida à parler à Louise-Gabrielle de son immense désir. Elle l'enlaça, et lui promit de ne pas s'inquiéter. Il allait avoir trente ans, et le désir de fonder une famille avec la femme de sa vie le prenait avec une violence telle qu'il chancelait souvent. À l'été 1634, ils partirent pour Florence. Aramis avait tant désiré admirer la plus belle ville d'Europe, et de montrer à son épouse les belles toiles de Botticelli, du Veronese, du Tintoret et de Titien. Elle ressemblait à ces modèles, mais sa chevelure de feu la rendait si singulière qu'elle était une héroïne d'épopée. Un soir, ils furent conviés à un bal au Palais Pitti : ils éblouirent la cour florentine. Louise-Gabrielle était parée d'une robe bleue pâle qui se mêlait aux habits d'Aramis, d'ivoire, de bleus et d'or. Elle arborait fièrement son ferret de diamant, et ses beaux colliers de diamants et de perles. Toute la noblesse italienne dansa avec elle, et l'on jalousa Aramis. Un feu d'artifice fut tiré à la nuit tombée, et le couple rit et but beaucoup de vin toscan. Ils s'étaient réfugiés au-dehors, dans l'une de ces allées cachées de la vue des passants, assis sur un petit banc. Aramis contemplait sa femme, qui récitait des vers de Dante. Minuit sonna, et elle l'embrassa.

❝ Mon amour, c'est à moi de te le dire : sais-tu quel jour nous sommes ?

— Oh, eh bien...

— Tu te fais vieux, Aramis, et chaque année qui passe, je t'aime encore plus. Tu es plus beau à chaque nouvelle année.

Elle lui embrassa le cou, mais sa langue et ses dents s'étaient sortis. Elle était pris d'un désir terrible, et il lui faisait honte qu'ils fussent dans un jardin. Il l'attira contre elle, et sans aucune pudeur, passa sa mains sous ses jupons. Il la garda ainsi, sur son genou nu, et entreprit de dévora chaque pouce de ses lèvres et de sa bouche. Il ne voulait pas la laisser reprendre son souffle, et lui le sien, sans avoir sentit contre lui ces lèvres entières, si rouges, si belles, et ses dents, sa langue, il ne voulait pas la laisser libre avant d'avoir bu le vin de son amour. Il lui défit ses cheveux pour qu'ils tombassent le long de ses épaules nues comme une cascade de feu, et qu'il pût les caresser avec toute l'élégance qui lui était impartie. Louise-Gabrielle plongea ses mains sous son pourpoint, toujours entravée par le tissu, et lorsqu'enfin elle trouva son torse, elle les garda contre son cœur battant.

— Viens, murmura-t-il. Il y a un petit kiosque, là-haut... Nous serons seuls.

— Les salons, les tapisseries, maintenant les kiosques. Nous passons pour le couple le plus pécheur d'Europe, mon amour.

— La luxure avec toi, c'est de l'amour.

Elle rit, et se laissa entrainer par son époux. Ils coururent jusqu'en haut de l'une des collines, dans ce petit kiosque abrité de tout regard par des arbres, mais qui surplombait tout le palais. Les étoiles brillaient tant, et la lune embrassait de ses rayons argentés les cheveux de la jeune femme avec une aisance qui rendait presque Aramis jaloux. Elle était arrivée la première, essoufflée, et s'appuyait contre l'une des colonnades, un sourire narquois aux lèvres.

— Alors, mon vieil époux, on a du mal à monter une colline ?

— Non, je repose mon souffle, toi tu es déjà essoufflée : il n'y a que moi pour te faire cela.

— Tu serais donc jaloux d'une colline ?

— Non, jaloux de ce que ton corps te fait faire sans moi.

— Viens me rejoindre, alors.

Il la rejoignit contre la colonnade, et la serra contre le mur. Oui, le souffle lui manquait mais c'était par désir plus que fatigue ! Il la toisait, si grand devant elle qui ne lui arrivait pas même aux épaules, et lui souriait outrageusement. Elle était appuyée contre ses mains, le dos sur les pierres, lui contre elle. Il se pencha et continua son baiser de vie. Il vint mordre le petit bout de chair entre son cou et son épaule, et elle rit de cela, entourant sa tête de ses bras. Il s'abaissa à ses genoux, et remonta de ses mains ses jambes, embrassant chaque nouvelle parcelle de peau, il abaissa ses jarretières, et lova sa tête contre sa cuisse gauche. Il la mordait légèrement puis l'embrassait immédiatement, et remontait ainsi. Il se releva, et délaça son corsage pour qu'elle ne se retrouvât vêtue d'une légère chemise de corps. À genoux, il posa sa tête contre son ventre, et le découvrit enfin, pour y poser ses mains, et ses lèvres.

— Oh, Louise, je voudrais tant que cela fût ce soir... Je voudrais tant.

— Moi aussi, mon Phœbus. Je veux que cela soit ce soir. Je veux porter tes enfants, mon corps... Je me sens seule, je veux notre famille. Oh, point que je me sente seule sans toi, oh cela jamais ! Mais notre grande maison est bien triste sans des rires d'enfants ! Je veux porter dans ma chair, sentir se former en moi ce qui vient de toi et que je ne peux concevoir seule. Sentir que la vie qui se crée dans mon sein vient de toi, de ton corps, de notre amour.

Il l'enserra, et l'allongea sur l'herbe fraiche, à la lueur des étoiles et de la lune. Elle le dévêtit, dentelle après dentelle, un baiser après chaque toucher, un rire à chaque caresse. Elle l'embrassa, au-dessus de lui, tandis qu'il était nu, et il entreprit de lui enlever les dernières pièces de tissus qui venaient couvrir sa peau. Lorsqu'elle aussi fut dans le plus simple apparat de la nature, il se coucha à ses côtés, et lui couvrit le corps de ses caresses. Ses grandes mains en faisaient le tour, toucher délicatement ses flancs, parfois saisir plus brusquement ses seins ou ses cuisses, embrasser son ventre et ses chevilles. Il resta ainsi, bien qu'empli de désir, et lorsqu'il eût fini, la serra contre lui avant de la posséder. L'étreinte fut si douce que Louise-Gabrielle ne reconnut pas un instant les désirs que son époux pouvait avoir. Elle qui aimait sa force, se laissa glisser en lui dans toute cette douceur. Ses lèvres ne quittaient point les siennes, sauf pour lui murmurer son nom à l'oreille, et ces simples mots : je t'aime, tu es si belle . Il gardait ses mains contre son visage, et le caressait sous les rayons de la lune. Comme cela était bon ! Elle sentait en elle le désir, mais comme une lente vague qui arrivait sur la grève, s'échouer puis revenir. Chaque assaut, chaque mouvement l'emplissait plus encore que le précédent, et elle ne pouvait ôter son nom des lèvres. Lorsqu'assaillie de plaisir, elle étouffait un pieux Aramis , son visage s'illuminait plus encore. Il embrassa sa belle poitrine, ses belles lèvres, et souriait de partager son désir ainsi. Le sommet du plaisir vint la surprendre, car les étreintes avaient été si douces et si belles qu'elle en avait oublié ses propres sensations. Je t'aime, mon Aramis , vint lui faire dire cette béatitude, et chercha ses lèvres pour lui répondre : je t'aime tant, ma joie . Il laissa son corps sur le sien, et ne bougea qu'après un long moment. Il posa sa tête sur le ventre de Louise-Gabrielle, entre ses cuisses, et la regardait ainsi, envahie par l'amour.

— Penses-tu que cela s'est déjà produit ?

— Je ne sais pas, mais je l'espère. Mais je serai mère lorsque j'aurai mon fils dans les bras, et que je serai bien portante.

— Ton fils ?

— Oh, je ne pensais pas, je pensais peut-être, notre premier enfant serait un fils. Bien sûr que je veux nos filles, mais un fils, les gens ainsi verront que je suis une femme de bon corps, et un fils ! Un fils qui te ressemble, avec tes yeux et ton sourire !

— Un fils avec ton rire et ton esprit, et je serai le plus heureux des pères. Et des filles ! Des filles qui te ressemblent, ma Louise.

— Avec ton caractère ! Notre famille sera belle, mon amour. ❞

Ils rentrèrent après plusieurs semaines, et le château de Bourron n'avait jamais plus semblé si empli de vie. Des fleurs s'épanouissait encore fin août. Des faons s'approchaient dans les jardins, des lapins gambadaient. En septembre, Louise-Gabrielle sut. Lorsqu'Aramis embrassait sa poitrine qu'il aimait tant, elle sentait une sorte de sensation sourde, et un poids dans le bas de son ventre. Bientôt, elle ne saigna plus, et fin octobre, elle en fut certaine. Un soir que son époux était au Louvre à échanger et discourir de politique avec Gaston d'Orléans, elle fit venir un médecin. Il lui confirma bien la nouvelle, mais de son latin, lui assura qu'elle attendait une fille. Elle rit bien doucement, car un docte savant qui n'avait jamais connu de femme connaissait mieux son corps qu'une pauvre mère. Elle passa la soirée à se regarder, dans un miroir, et observer les changements presque imperceptibles sur son corps. Sa poitrine était déjà plus lourde, encore plus ample qu'à son habitude, son ventre s'arrondissait très légèrement, et voyait déjà les grandes marques venir l'étirer. Elle se plut à imaginer ce tendre fils qui viendrait au monde. Elle voyait ses boucles blondes et ses beaux yeux bleus, un joli sourire sur ses lèvres, un regard presque triste, comme celui de son père. Elle entendait déjà sa voix, et le voyait homme fait, père à son tour. Elle voulait le sentir contre son sein, le voir grandir, le serrer contre ses bras, l'entendre jusqu'à la nuit tombée, car elle l'aimerait tant, puisqu'il serait fils de son père.

Mon petit Florent, car je sais que c'est ainsi que tu te nommeras, tu viendras au monde dans une bien étrange époque. Notre Roi et notre Reine n'ont pas d'enfants, et c'est moi qui suis bénie. Oh, comme tu seras chéri, mon bel enfant. Ton père a bien peur pour moi, et malgré son bonheur et ses transports lorsque je lui dirai, il aura peur. Il faut le comprendre, car il a perdu sa douce sœur ainsi. C'est comme son fils qui causa sa mort que je te nomme. Oh, non pas que je te donne un nom maudit, mais c'est qu'il aurait vécu, et qu'il aurait été beau. Tu seras beau, et grand, mon fils, cela je le sais. Je ne sais ce qui transportera ton cœur, et j'espère que tu ne feras pas les mêmes erreurs que moi en amour. Tu n'es même pas né que voilà que je m'inquiète ! Mais il faut bien me comprendre, je deviens mère. Tu seras un bel homme, un beau marquis de Bourron, et j'espère que tu hériteras du comté de Vaux. Un fils ! Tu seras mon fils ! Oh, comme tu seras aimé, mon enfant. Ton père te chériras, il te protègeras, et je veux que tu aies pour parrain l'homme le plus droit, le plus noble et le plus fidèle de France. Tu auras pour parrain Athos, comte de la Fère, et tu verras que lui aussi t'aimeras. Il a un fils, et vous vous aimerez tendrement, car il n'a que deux ans de plus que toi. Raoul et Florent, Florent et Raoul, mes beaux enfants ! Combien ne puis-je attendre. Oh, oui, tu seras beau ! Aramis rentra dans le creux de la nuit. Elle l'avait attendu, dans leur beau lit, et elle s'était imaginée tous les trois, dans leur beau château. Toute de rose pâle et de lilas vêtue, dans une belle chemise de satin, elle l'attendait, et il arriva, et quand il la vit, tout nuage d'inquiétude fut chassé par son amour. Il l'embrassa tendrement, et s'allongea sur le lit, elle dans ses bras. Elle resserra ses bras contre son corps, et posa ses mains sur son ventre.

❝ Oh mon Aramis, mon Phœbus, mon amour, mon aimé, ma fortune. Oh, nous ne serons plus jamais seuls. Nous ne serons plus jamais seuls !

— Vraiment ! Je vais être père ? Je serai père ! Oh Louise !

Il se pencha sur elle, et l'embrassa de nouveau, de nouveau, de nouveau. Il posa sa tête sur son ventre, un sourire si grand sur le visage

— Attention, je suis fragile maintenant !

— Oh, je vais être père ! Oh, mon enfant, mon fils chéri, fit-il en s'adressant au ventre tandis que Louise-Gabrielle retenait un rire, mon fils chéri ! Je suis ton père, et tu es mon fils. Comme je t'aime déjà ! Comme je veux te tenir dans mes bras, te parler, te voir ! Mon fils chéri !

— Mon Aramis, je sais que tu voudras l'appeler ainsi, car je connais ton cœur : je veux que notre fils se nomme Florent, comme celui qui allait naître du sein de ta sœur. Je veux qu'un peu de son âme vive à travers lui.

— Il n'y a pas plus bel hommage que tu puisses rendre ainsi, et tu es la plus belle des épouses, la plus douce, la plus intelligente, et je suis si heureux, Louise. Notre amour, et son fruit. Mais que ton ventre est beau ! Qu'il sera si beau. Regarde...

Il s'arrêta un instant, pensif, et articula en silence quelques syllabes.

— Quoi donc, mon amour ?

— Regarde : Celle qui est de mes yeux adorée,
Aux tendres lèvres et aux yeux si doux,
A la mine fière que je vois partout,
Et dont le ventre va bientôt gonfler.

Si vous deviez de ce rêve m'éveiller,
Vous me causeriez un bien grand dégoût,
Heureux je suis dans le creux de ce cou,
Ma main reposant sur ce ventre marqué.

Elle est belle, elle qui porte la vie,
Et c'est dans ses yeux que je survis
De notre amour son corps sera le temple.

Dans ses tendres bras elle me convie,
Et ses baisers sont une poésie,
Sur son ventre nos mains reposent ensemble.

— Tu es un bien grand poète ! s'exclama-t-elle dans un grand rire. Un blason, puis un sonnet. C'est que tu m'aimes trop, et moi je ne te le montre pas assez.

— Ne dis point de bêtises, mon ange. Tous les jours, je me rends compte de ton amour pour moi : tu supportes mes angoisses, ma culpabilité, la religion, tu supportes tout cela au quotidien, et c'est bien plus beau que n'importe quel poème d'amour. Combien pourrai-je me plaindre, si ce n'est de savoir à quel point je suis l'homme le plus heureux, le plus béni, le plus chanceux de cette terre ? Mon épouse est la plus belle femme de France, et brille à travers le pays par son esprit, sa finesse, son élégance. Chaque homme voudrait prendre ma place, car ils sont jaloux de moi. Ils désireraient tous avoir dans leurs lits une telle femme. J'ai pour amis les deux gentilshommes les plus braves et bons du Royaume, et je peux les appeler à chaque heure du jour et de la nuit qu'ils viendraient à mon secours. La Reine est mon amie, si j'ose l'appeler ainsi, et c'est elle qui a permis mon mariage. J'ai une belle situation à la cour, et mes affaires se portent plus que bien. Non, je suis un homme béni. ❞

Louise-Gabrielle et Aramis ne quittèrent plus Bourron les mois suivants. La grossesse, en apparence, se déroulait comme normale. Elle ne disait rien, et se plaisait à penser à cet être qui grandissait dans son corps. Mais parfois, elle était prise de soudaines douleurs, elle avait saigné, et perdu du sang. Cela n'était pas usuel, elle le savait, mais elle n'avait jamais rien dit à son époux, car elle savait à quel point il se murerait dans la peur. Les jours, les semaines et les mois se succédaient, et elle voyait passer sur son visage l'inquiétude et la lente agonie de la naissance se rapprocher comme un duel, un coup de dague, un combat. Il était transporté de bonheur, et il parlait avec tant d'effusion de ces jours à venir, mais il se morfondait lorsqu'elle s'endormait, et il priait le soir jusqu'à mettre ses genoux en sang. Il priait Dieu de lui laisser son épouse, et de la protéger comme il n'avait pas protégé sa sœur, de l'aimer, et de prendre soin de son fils. À plusieurs reprises, Louise-Gabrielle avait perdu du sang. Elle s'était réveillée dans son lit, les jambes en sang, prise de secousses et de fièvre. Par quelque hasard, Aramis n'avait jamais été là lorsque cela arriva. Elle faisait alors mander un médecin, et une sage-femme, qui lui donnaient quelques herbes et onguents, et les douleurs disparaissaient un temps. Dans son sein, la douleur devenait comme une brûlure, un poignard comme Lucrèce après Tarquin. Elle était prise de fièvres et de tremblements, et lorsqu'elle ne pouvait pas les cacher, elle voyait la peur sur le visage de son époux, et entendait ses cris face aux médecins. Il restait toujours auprès d'elle, et il lui murmurait à quel point il l'aimait, et qu'il préférait qu'elle survécût et avoir un nouvel enfant que de la sacrifier ainsi. Mais elle souriait faiblement, et elle lui disait qu'ils n'auraient pas à vivre cela. Non, mon amour. Tout ira bien. Il l'embrassait, empli de peur, et il lui répétait : tout ira bien, parce que je t'aime, tout ira bien, parce que je t'aime, tout ira bien, parce que je t'aime ; et il lui semblait revivre les supplications de sa sœur, ses propres pleurs et l'indifférence de ses parents. Mais malgré cela, elle souriait toujours et parlait à son fils. Elle savait qu'il l'écoutait, et elle était si heureuse de voir Aramis parlait à son beau ventre rond, le caresser, posa sa tête dessus, l'entendre, l'embrasser. Il parcourait ses belles marques de ses grands doigts, et les embrassaient. Il vénérait son corps, et ce beau ventre rond. Les beaux jours étaient plus présents que les mauvais. '

Ce fut un soir d'avril que le travail débuta. Aramis écrivait un courrier destiné à Gaston d'Orléans, puis un autre à son ancien ami, d'Artagnan sur le ventre de Louise-Gabrielle, qui relisait Les Regrets . Elle lisait avec délice pendant que son mari se plaignait de son ancien camarade au ventre, prouvant maintes fois qu'il était l'un des hommes les plus vils de son temps. Elle l'écoutait et parfois, laissait échapper un petit commentaire qui le faisait rire, et il l'embrassait avant de baiser le ventre, et de continuer de parler à son fils. Quelques douleurs fugaces s'emparaient de son corps, mais elle n'y prêta pas attention, mais elle grimaçait, et Aramis retenait son attention, lui demandant toujours comme elle se sentait. Au milieu de cette soirée cependant, la douleur se fit de plus en plus forte, et la secoua entièrement. Aramis se releva brusquement. D'entre les cuisses de Louise-Gabrielle commençait à se répandre une flaque de sang. Elle n'avait rien senti, et se sentait partir si brusquement. Pas un son n'avait eu le temps de sortir de sa bouche. Devant elle, rien qu'un océan de ténèbres, et au loin, les dernières lueurs de sa vie. Elle ne s'était jamais imaginée mourir en couches, car elle ne voulait pas mourir. Elle ne s'était jamais imaginée mourir si jeune, elle n'avait même pas trente ans. Dans cette étrange sensation, elle voyait tout, le visage désespéré d'Aramis, ses pleurs, elle entendait ses supplications et ses cris aux médecins, la venue des sages-femmes. Elle se raccrochait à la vie comme une corde dans l'obscurité. Elle pensait à la voix d'Aramis, et à ce qu'il lui avait dit, lorsqu'elle avait aussi en passe de mourir, il y a tant d'années maintenant. Vous n'allez pas mourir. Vous n'avez pas le droit de mourir, Louise-Gabrielle, vous n'avez pas le droit de mourir, car c'est moi qui vous l'ordonne. Vous n'avez pas le droit de mourir, vous n'avez pas le droit de laisser vos amis seuls, car si vous mourrez, le monde perdra de sa lumière. Vous n'avez pas le droit de mourir, Louise, car je vous en supplie, vous n'avez pas le droit de mourir, car si vous disparaissez, je serai seul et je ne peux vivre... Je ne peux vivre sans vous. Vous m'avez envoûté, corps et âme, et je... je vous... je vous aime, et je ne veux point être éloigné de vous de ce jour jusqu'à ma mort. Je vous en supplie, Louise. Combattez, vivez, vous n'avez pas le droit, car sans vous, je ne suis rien. Sans votre amour, je ne suis rien. Je vous aime, Louise-Gabrielle. Je vous aime. Je vous aime, je vous aime...

Aramis avait hurlé. Il avait hurlé dès qu'il avait vu le sang souiller le lit. Le terme devait arriver, mais il avait pensé à encore quelques jours. Il avait hurlé quand il avait vu le corps de son épouse se laisser tomber. Elle avait perdu connaissance, et les sages-femmes lui avaient demandé de quitter la pièce. Il avait écrit un billet à Athos car il ne pouvait faire cela sans lui. Il était arrivé quelques heures plus tard de Paris. Il n'avait pas pu quitter la pièce, d'abord. Il ne pouvait pas la laisser là, à demi consciente, alors qu'elle était en train d'enfanter. Ses pires cauchemars se répétaient, et il ne pouvait rien y faire. C'était cela : il n'avait rien, aucun pouvoir, car seul Dieu avait pouvoir de vie et de mort sur les hommes. Cette conclusion l'avait rendu fou, et il s'était effondré dans les bras de son ami. Athos l'avait ramené, doucement, hors de la chambre. Il avait donné à Aramis un peu d'alcool, puis de la tisane pour le calmer. Il l'avait amené dans un petit salon, et l'avait entouré de couvertures pour qu'il n'eût point froid. Il n'avait point parlé, car chaque mot qui devaient sortir de sa bouche, franchir ses lèvres était celui d'un homme désespéré, il n'avait que le nom de son épouse sur les lèvres, la sienne, son amour, sa vie, sa joie, sa déesse, son ange. Il ne pouvait pas la perdre. Il ne pouvait pas. C'était impossible, car il n'imaginait pas sa vie sans elle. Il avait vécu, certes, sans sa présence, mais maintenant, c'était impossible. C'était impossible. Louise-Gabrielle faisait partie de son âme, de son corps, de son cœur, et il ne pouvait rien sans elle. Il ne savait plus même respirer sans elle, réfléchir ou parler. Enfin, dans une demie transe, il pria, car c'était le seul recourt qu'il pouvait obtenir. Mon Dieu, mon Père, entendez moi. Je vous votre dévoué, votre fidèle, votre fils, et vous savez à quel point je vous sers, malgré ma maladresse. Vous avez ravi à mon âme trois personnes que j'aime ainsi. Vous avez fait mourir le premier enfant de ma sœur, sa petite Diane, puis vous m'avez enlevé Hélène, et son Florent. Vous avez enlevé à Louise ses frères et sœurs ainsi. Vous êtes grand, magnanime, mais cruel et froid. Je sais que vous m'écoutez, mon Dieu, et je vous aime comme vous m'aimez. Je vous que vous exauciez cette prière, au moins celle-ci. Écoutez-moi, je vous en prie. Laissez-la vivre. Si vous devez prendre une âme, alors je sacrifie celle de mon enfant, mais laissez vivre mon épouse. Je ne peux pas vivre sans elle, mon Dieu. Je ne peux pas vivre sans elle, car elle est tout, et je ne suis rien. S'il vous plait, répondez-moi. Répondez-moi. Répondez-moi, et faites la vivre...

Athos serra son ami dans ses bras toute une partie de la nuit et du matin. Le travail avait bel et bien commencé, et l'on interdisait de donner quelque nouvelle au mari, car tout le monde avait peur de ce qu'il prendrait comme réaction. L'état de Louise-Gabrielle s'était stabilisé, et elle s'était réveillée, mais l'enfant n'était pas encore né. Lorsqu'elle avait ouvert les yeux, elle avait imploré autour d'elle.

❝ Où est mon mari ? Je ne peux pas le faire sans lui, s'il vous plait. Laissez-moi voir mon mari. Laissez-moi le voir. Je ne peux pas le faire sans lui... Aramis, Aramis... S'il vous plait...

— Non, madame. Monsieur ne peut pas rentrer. Il doit attendre dehors.

— Pourquoi ? Laissez-moi le voir.

— Madame... Nous ne pouvons. Vous devez rester ainsi.

Louise-Gabrielle avait hurlé de douleur, car son fils essayer de lui déchirer les entrailles, et de sortir. Il voulait voir le monde, et elle ne pouvait lui en vouloir. Alors, elle tenta de se raccrocher aux moments de bonheur qu'elle avait connus avec Aramis. Si elle devait mourir, alors elle mourrait heureuse de sa vie avec l'homme qu'elle avait tant aimé. Elle pensa à leur rencontre, et ce bal. Il était si beau, et elle ne lui avait jamais dit, mais elle avait cherché tant d'Apollo après ce bal. Elle s'était noyée dans son odeur et dans ses yeux, car il l'avait regardée avec tant de bonheur ce soir-là, elle n'avait jamais vu pareil amour dans ceux d'un homme. Elle avait gardé cette belle robe, et l'avait tant remise pour revivre cette soirée encore et encore. Elle repensa au Luxembourg, et comment il s'était précipité vers elle, lorsqu'elle avait laissé son mouchoir tomber au sol. Il s'était précipité, oui, et comme il lui avait enlevé les pétales de ses cheveux ! Elle l'avait vu les garder, et faire semblant de les jeter, et cela l'avait attendrie. Et ce même soir, lorsqu'ils avaient parlé de poésie jusqu'au petit jour ! Il lui avait lu des poèmes de Du Bellay, et il avait, par ardeur ou courage, timidité ou excès, posé une main sur le genou, et il n'avait pas osé la retirer. Elle n'avait rien dit, et fait semblant de ne s'en être aperçue. Oh, comme elle avait aimé sa main sur son genou ! Un soir, ils étaient allés voir les Anglais, une pièce de Marlowe, et elle avait tant eu peur qu'elle s'était réfugiée dans ses bras, et il lui avait caressée le visage pour la rassurer. Elle pensa à leur premier baiser, comme elle l'avait suivi à Rouen car elle savait du malheur qui était en train de le frapper. Elle avait voulu être là pour lui, une présence comme lui pour elle. Oh, comme elle avait désiré ce baiser, et lorsqu'il avait enfin posé ses lèvres contre les siennes, elle avait vu le monde s'illuminer. Une douleur vint lui déchirer le ventre, et son petit enfant lutter pour sortir.

— Aramis, Aramis, hurlait-elle. Aramis, je ne veux pas mourir, Aramis...

Cette fois-ci, elle pensa à Crèvecœur. Elle n'avait pas hésité une seule fois. Elle n'aurait jamais hésité. Le voir, en train de mourir, cela l'avait achevée. Mais elle l'avait soigné, et il portait contre son cœur la marque littérale de son amour. Elle pensa à cette première nuit d'amour, comme il avait été si doux avec elle, de ses bras autour de son corps, de ses lèvres, de ses sourires. Il lui manquait tant — À ce bal de mai 1627, lorsqu'il l'avait prise contre un mur, et qu'elle s'était donnée à lui, dans son propre choix. Oui, à lui, rien qu'à lui, seulement à lui. À ce sentiment coupable qui avait saisi son âme quand Thomas était mort : elle était libre, libre d'aimer, alors qu'il avait été doux, et aimant. Elle l'avait trahi ainsi, et c'était pour cela qu'elle avait giflé Aramis, pour se gifle elle-même.

— Louise, Louise, je suis là. Je suis là, Louise...

Il s'était écroulé face à la porte, et les larmes baignaient son visage. Athos le serrait, et gardait la porte, pour protéger son ami. Il se laissait porter, changer de position. Non, Aramis était écroulé, et il ne pouvait pas la voir. Elle pensa alors à 1628, à ses belles paroles, et à son sauvetage, à Nancy. Elle pensa à 1629, à sa sérénade, et enfin à leur mariage. Elle pensa à Florence, et leur fils.

— Aramis, Aramis, continuait-elle, Aramis, je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir... Aramis.

Il tenta d'ouvrir la porte, déchiré par ses cris. Un silence tomba. Il n'entendit plus rien, et à ce silence, il hurla son nom. Il hurla son nom jusqu'à s'en fendre l'âme. Puis enfin, des pleurs. Plusieurs minutes passèrent, et enfin, il rentra. Louise-Gabrielle était étendue sur le lit taché de sang, et dans ses bras, un garçon, frêle, petit, mais qui criait et pleurait, avant de téter avidement le sein de sa mère. Aramis se précipita aux côtés de son épouse, et malgré le sang, la sueur, l'enlaça, l'embrassa, embrassa leur enfant.

— Louise, Louise, j'ai eu si peur, Louise...

— Non, tout va bien, parce que tu m'aimes. Regarde ton fils, mon Phœbus. Regarde notre petit Florent.

— Oui, il est beau comme toi, Louise. Et comme il aime ta poitrine, comme son père !

— Ne dis pas de bêtises, mon amour.

— Je prendrai exemple sur lui, alors, et...

— Viens, et prends ton fils dans les bras.

— Oui, mon Florent, mon beau Florent, et sa mère, la plus belle femme de France. ❞

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