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Aussitôt l'Amour fit mettre les cygnes à son char, descendit en terre [...] Toute cette cour prit le chemin de l'Olympe, les Grâces se promettant bien de danser aux noces.
Je n'en décrirai point la cérémonie, non plus que celle de l'apothéose : je décrirai encore moins les plaisirs de nos époux ; il n'y a qu'eux seuls qui pussent être capables de les exprimer. Ces plaisirs leur eurent bientôt donné un doux gage de leur amour, une fille qui attira les Dieux et les hommes dès qu'on la vit. On lui a bâti des temples sous le nom de la Volupté.
Jean de la Fontaine, Les amours de Psyché et Cupidon.

     Le chevalier d'Artagnan était malheureux, c'était un fait. Il avait lutté contre le malheur mais il semblait s'acharner sur lui comme une tempête sur une galère prise dans un récif. Tout ce qu'il aimait semblait maudit : il touchait et se décomposait alors. Il s'était pris d'orgueil et avait caché sa colère derrière des masques. Tout allait pour le mieux, serviteur fidèle du Roi Louis XIII et de sa Reine, camarade estimé et protégé de M. de Tréville. Mais il avait de l'ambition. Il était dévoré par l'ambition, et se cachait cette vérité. Il pensait que ce n'était que l'élan et la fougue de sa jeunesse, son sang de Gascon. Non, il était ambitieux. Et surtout, il était jaloux. Il était jaloux, de ses amis comme de ses ennemis. Lorsqu'Athos, Porthos et Aramis l'avaient pris sous leur aile, d'Artagnan avait été jaloux de ce lien indéfectible, fort et précieux qui unissait les trois âmes. Il désirait cela, et ils le lui avaient donné, en un sens. Mais il avait toujours senti être cet homme de trop, un intrus dans une famille déjà constituée depuis bien longtemps. Athos l'appelait mon fils, mais ce n'était point trop de l'affection plus que l'attention. Il n'avait point revu son père depuis 1625, et sa famille semblait l'avoir oublié. Il ne se considérait pas comme laid, et allait parfois jusqu'à s'apprécier comme beau. Il n'était pas très grand, mais bien formé, musclé et au sourire narquois, ses cheveux noirs et le teint qui tirait parfois vers le jaune. En presque cinq ans à Paris, il n'avait jamais perdu son accent et les gens s'amusaient à le lui faire remarquer. Cela ne manquait d'exciter son épée et il n'avait jamais perdu une occasion de croiser le fer avec quelque malandrin à la langue trop adroite. Il ne s'était jamais remis de la mort de Constance. Il se réveillait encore la nuit avec la vision de son cadavre roide dans ses bras, ses lèvres pâles comme la mort, sa poitrine sans vie qui ne se soulevait plus. Il l'avait pleurée, il l'avait regrettée, mais l'avait-il aimée ? Il l'avait pensé sincèrement, mais penser était différent de vivre. Il l'avait connue, la première femme de sa vie, et jamais il ne l'oublierait. Mais l'amour ? Vivre, souffrir et trembler pour une femme, penser mourir pour elle, qu'elle soit le seul et unique objet de ses pensées du matin jusqu'au soir et du soir jusqu'au matin ?

     Il avait pensé l'aimer, c'était vrai. Elle n'était pas tant belle, mais charmante et gracieuse. Il avait aimé ses petits yeux d'opale, qui semblaient se refléter sur l'eau, et ses grandes mains blanches abimées par le travail des laines et des soieries. Et puis ses petites lèvres roses, il avait aimé les embrasser tant de fois, regarder et admirer son petit sourire d'enfant, alors qu'elle avait huit ans de plus que lui. C'était une femme, mais avec lui, elle revenait une jeune enfant. Son sourire, et son rire ! Son doux rire ! Jamais il n'avait entendu rire plus cristallin... Si, sauf chez une autre femme, mais elle, il n'avait pas le droit de l'aimer et elle ne savait même pas qui il était. Non, Constance avait été la première femme. Non, il avait dû l'aimer pour la pleurer autant. On ne pleurait pas tant une femme que l'on n'aimait point. Il y avait eu un bal, en juin 1625, et il venait à peine d'arriver à Paris. Non, ce n'était pas cela. Enfin si, mais il se refusait à y penser. Constance, et son petit rire d'enfant, Constance, et ses yeux comme des opales, Constance et son air altier pour une jeune camériste. Il se refusait à penser à une autre femme qu'elle, mais c'était impossible. Il était homme, après tout, et avait ses désirs, ses péchés, son orgueil... Il y avait eu une cabaretière, et il avait aimé son corps. Elle était mariée, et son seigneur et époux parti guerroyer dans les Flandres. Alors, d'Artagnan avait repris le rôle de l'amant, à se cacher sous les lits et à sauter des fenêtres pour échapper au courroux du mari. Il aimait bien cela, et l'Amant lui convenait. Mais parfois, étendu avec cette femme dans les bras, il se demandait s'il ne méritait pas mieux. Lui qui était un jeune homme si instruit, si fougueux, ne méritait-il pas une femme de haut lignage ? Il avait parfois surpris de la part d'une femme... Non, ce n'était pas cela. De deux femmes, et l'une ignorait son existence, et l'autre était la Grâce de Dieu sur terre. Mais cela ! Comme il désirait cela ! Il avait toujours aimé les femmes ainsi. Et il y en avait eu une, Dieu ! Elle l'avait mené à sa perte, et pour elle, il se serait damné. Même lorsqu'elle fut exécutée, il l'avait aimée.

     Milady Clarick de Winter, Anne de Breuil, cette femme diablesse l'avait hanté. Elle s'était vengée de lui en tuant Constance, et il avait aimé Constance ! Mais Milady, elle, avait été une vraie femme. Constance était une sainte, Milady était Lilith. Elle l'avait perdu, et il avait tant aimé se perdre en elle, dans ses intrigues et dans son corps. Les nuits avec elles avaient été des nuits de douleur et de perdition, d'extase et déroute. Il y avait cette chose étrange, mais lorsqu'ils s'étaient unis, dans son lit aux draps rouges comme du sang, elle meurtrissait sa chair, elle le marquait comme elle-même avait été marquée dans sa jeunesse. Mais il n'avait jamais osé se l'avouer : il aimait la douleur qu'elle lui faisait subir. Il aimait la marque de ses ongles sur son dos rouge, ensanglanté comme ses draps, il aimait la brûlure et le tremblement. Cela, il ne l'avait jamais vécu avec Constance, et elle était trop bonne pour oser même attenter à sa personne, surtout dans le plaisir. Non, elle l'avait été. Maintenant, Constance n'était qu'un cadavre pourrissant dans une tombe oubliée. C'était l'un des soirs de 1626, lorsqu'il était venu visiter Milady, sous couvert de l'identité de Lord de Winter, et qu'il était au-dessus d'elle, goûtant pleinement des plaisirs de la chair, qu'il sentait ses doigts s'enfoncer dans son dos ; il avait senti, lorsque le plaisir s'était emparé de lui comme une tempête, il avait senti quelque chose, comme s'il avait déchainé une bête sauvage qui sortait de ses entrailles. Milady le hantait, avec ses airs de diablesse et ses yeux toujours à moitié fermés. Sa chevelure blonde, presque blanche le suivait partout : un jour qu'elle dormait à côté de lui, il lui avait coupé une petite mèche qu'il gardait auprès de sa poitrine. Elle avait vraiment été pour lui la plus belle femme au monde. Criminelle, peut-être, mais une damnée qui avait attisé son désir et son ardeur. Lorsqu'il l'avait vue nue pour la première fois — il y avait eu Constance, déjà — il ne s'était empêché de crier : comme tu es belle ! comme tu es belle ! Et elle avait ri de lui, devant l'enfant inexpérimenté qu'il était. Mais le démon qui sommeillait en lui, le d'Artagnan violent et puéril l'avait amenée vivement contre le lit, et il l'avait prise en espérant faire taire ses rires et les remplacer par des soupirs de plaisir. Elle ne s'était pas tue. Et chaque fois qu'il était revenu la voir, elle avait ri, et chaque fois, il n'avait pas réussi à la faire taire. Lorsqu'elle était morte, le démon en lui s'était battu contre l'homme.

     Elle avait tué Constance, elle avait conduit à la mort une femme innocente de tout crime. Elle devait payer ! Mais pourquoi, disait le démon, pourquoi devrait-elle payer pour la mort d'une idiote que tu n'as jamais aimée ?  Ne te mens pas, car je suis le reflet de ton âme. Je suis ton démon, celui qui connait les pensées les plus obscures et à qui tu ne peux rien cacher. Tu n'as jamais aimé Constance, comme tu n'as jamais aimé Milady ou ta cabaretière. Tu n'as jamais aimé personne, Charles et tu n'aimeras jamais personne. Ce prénom te fais peur, celui de Charles ? C'est celui que tes parents t'ont attribué à ta naissance, pourtant. Tu as peur d'être jugé par ton démon, par moi Charles ? C'est mon rôle, cela est bien parfait. Que diront ceux que tu appelles amis s'ils apprenaient que tu convoites l'une de leurs femmes ? Que tu te donnes du plaisir sur son image, alors qu'elle ne connait même pas ton nom ? Sais-tu qu'elle ne t'aimes pas ? Elle ne sait pas qui tu es, Charles. Tu n'es qu'une image effacée de ces amis, tu n'es qu'un reflet déformé. Elle est si belle, je la veux. Je ne supporte pas qu'elle choisisse Aramis, je ne supporte pas qu'elle puisse aimer un autre que moi. Elle ne te connait pas. Je ne supporte pas qu'elle l'aime lui, un prêtre défroqué et un poète de pacotille, alors que je suis meilleur homme que lui. Es-tu sûr de cela ? Non, tu n'es qu'un homme pathétique et grossier, que la pâle figure d'un héros sordide et romancé.

     Il l'avait vue à ce bal, et il était devenu comme hypnotisé depuis. Il lui avait parlé bien des mois plus tard. À ce bal, il avait dansé avec elle, mais elle avait semblé ailleurs. Elle avait partagé une danse avec un beau jeune homme qui s'était vêtu comme Phoebus. Il l'avait suivie, ce soir-là, et s'était perçu qu'elle logeait chez Mme de Chevreuse. Il avait voulu demander à Aramis de l'y introduire, mais il avait refusé. Il avait tenté plusieurs fois d'y entrer, mais chaque tentative était un échec. Et lors du printemps 1626, il l'avait revue. Et il se rendit compte que le bel homme avait été Aramis, et qu'il était épris éperdument d'elle. Elle avait été si belle, rousse comme le diable, avec sa robe jaune et orange. Et il voyait comment son compagnon la regardait, et d'Artagnan ne pouvait qu'être dévoré d'envie et de jalousie. C'était viscéral, il avait besoin de supplanter Aramis, qui avait toujours été meilleur en tout : plus beau, plus fort, plus intelligent, plus courageux. Il avait écrit à cette femme, mais jamais elle ne lui avait répondu. Il avait questionné Aramis, pour obtenir son nom, sa qualité, mais jamais il n'avait cédé. Il s'était mis à les suivre, à les observer, et à analyser et scruter le moindre signe d'affection ou de tendresse. Quand Aramis était rentré de Rouen, il était un homme métamorphosé, et d'Artagnan avait excité sa culpabilité religieuse. Il lui avait rappelé Saint Augustin, et le péché. Or cette fois-ci, il n'avait pas écouté. Il avait remarqué le livre d'heures bleu qui ne quittait plus ses côtés, et un soir, il s'était approché, et avait regardé les premières pages. Lorsque vous servirez Dieu, vous penserez à moi. Le jeune mousquetaire avait eu envie de déchirer cela, de le brûler, mais il n'en avait rien fait. Aramis s'était renfermé et il ne lui parlait plus vraiment. Lorsque d'Artagnan le questionnait, il répondait par monosyllabes et rentrait chez lui, prétextant sa thèse sur Les Confessions. Mais l'ardeur l'excitait. Il voulait savoir, il voulait voir cette femme, la connaître, la posséder. C'était presque plus important que tout : il avait eu Constance, Milady, et maintenant il avait besoin d'elle. Il fallait que cela fût-elle... Il le fallait.

     Lorsque Aramis avait pris cette balle, à Crèvecœur, d'Artagnan avait été ravi. S'il mourait, il eût alors toutes les possibilités du monde à l'approcher. Oui ! Et lorsqu'il l'avait retrouvé, dans les bras de la religion, il sut qu'un drame s'était déroulé. Et pourtant, une part encore d'homme, l'ange peut-être ? s'était incarnée, et il n'avait pas eu le courage à le voir le quitter si tôt. Non, cela n'avait pas été cela. Il avait été égoïste : si Aramis partait maintenant, il n'obtiendrait jamais le nom de cette femme. Mais la duchesse de Chevreuse n'en avait point encore fini avec lui, alors il serait libéré de cette femme ! Dans son livre d'heures, il avait trouvé : Louise-Gabrielle. Il devait bien y en avoir, à la cour. Oui, il y en avait une, mais mariée. Un soulagement peut-être d'abord, car Aramis ne s'approcherait plus d'elle, mais une inquiétude aussi : son époux était un beau comte, séduisant et pair de France. Et lui n'était qu'un cadet de Gascogne, un pauvre fils de paysan. Mais peut-être l'aimerait-elle, si elle était éprise de ces petits romans précieux dont les femmes raffolaient tant. Il y avait eu un bal, en mai 1627, et d'Artagnan avait lancé les rumeurs. Aramis et elle, comme s'ils avaient été amants, dansaient des voltes devant la cour entière. La façon dont il avait de la toucher, de passer une main entre ses jupons, une autre sur sa gorge jusqu'à la naissance de sa poitrine. Non, il ne l'avait pas supporté et il s'était tourné vers ceux qui l'entouraient : regardez là, elle est comtesse et mariée mais elle se comporte comme une putain. Elle se donne en spectacle devant le monde entier, son corps entier crie à la honte. Femme adultérine et putain ! Chacun l'avait répété, elle ne l'avait entendu. Oh, comme il avait vu leur façon de se toucher ! Le soir même, il était allé, bien honteux mais brûlant de rage, dans un bordel. Il avait demandé s'il y avait des rousses. On lui avait donné une jeune, aux yeux verts. Dans le plaisir coupable et cette maladie dévorante qu'était la jalousie, il avait presque été violent. Il n'avait jamais été violent avec les femmes, pourtant. Mais il avait de cette pauvre prostituée fait son pantin, et elle encaissait les coups comme son devoir le lui ordonnait. Quand il avait eu fini, il lui avait aboyé de sortir, et honteux, il s'était plongé dans son désir : pourquoi ?

     Mais rien n'avait été assouvi, et il avait recommencé. Quelques mois plus tard, l'Angleterre débarquait à La Rochelle. D'Artagnan avait joué de faveurs et avait envoyé le mari et l'amant au même endroit. Il espérait bien que l'un tuât l'autre et que lui triompherait. Il le souhaitait, il le priait. Le mari était mort, il avait demandé à ce que l'amant ramenât le corps. Un an durant, il avait triomphé : Aramis avait pris le noir, et elle aussi. Lorsqu'elle serait sortie de son deuil, s'était-il dit, il se présenterait, et elle l'aimerait. Il avait pris lui-même ses distances avec Athos et Porthos, ils étaient partis tous deux dans leurs terres. Il avait vue Louise-Gabrielle pour la première fois à un diner chez la duchesse de Chevreuse. Elle ne l'avait pas reconnu. Il lui avait dit qu'il lui avait beaucoup écrit. Elle n'avait pas ouvert ses lettres. Elle lui avait souri, elle avait ri. Elle avait même rougi lorsqu'il lui avait embrassé la main. Elle était à lui, c'en était sûr et certain. Il avait fulminé quand il avait appris que l'abbé d'Herblay s'était rendu chez elle, en sa demeure de Vaux. Il lui avait écrit, avant qu'il ne partît.

     Monseigneur, vous n'avez plus entendu de mes nouvelles depuis plusieurs mois. Je ne voulais m'imposer à vous dans votre vie de foi. J'ai cependant ouïe-dire que vous aviez tué un homme sans raison il y a quelques semaines. Un souci de rumeurs au sujet d'une comtesse. Est-ce chez elle que vous vous rendez ? Je sais ce que vous faites derrière les tapisseries, Monseigneur l'abbé. Ne vous avisez point de rompre une nouvelle fois vos voeux. Je vous ferai poursuivre par l'Église.
D'Artagnan.

     L'abbé d'Herblay s'était réfugié à Nancy. D'Artagnan avait gagné, pour un court instant. Il avait aperçu la jeune femme au Louvre en compagnie de ses amis, et elle était entrée chez la Reine. Deux mois plus tard, elle reparaissait en société aux bras du chevalier d'Herblay, et tout Paris connaissait à présent leur liaison. Il avait fulminé, car un désir s'était pris en lui : pourquoi n'est-ce point moi ? Pourquoi lui et point moi ? Il était revenu étancher son désir dans la maison de plaisirs, honteux, violent, haineux. Il était jeune, pourtant, mais la jeunesse ne lui suffisait pas. Il avait besoin de gloire et de puissance. Bien sûr, il avait vu comment certaines femmes le regardaient, mais ce n'étaient point elles... Il y en avait une, aussi. Aussi inaccessible que sacrée, mais pour une nuit avec elle, combien il donnerait pour la posséder ! Combien il donnerait pour la voir sous son corps, abaissé à son désir féminin, à dire son nom dans toutes les faiblesses du plaisir, à voir son visage se fragmenter sous son ardeur, l'entendre gémir et enfin fermer les yeux en soupirant. Il voulait son corps, son corps nu et Dieu savait que c'était pêcher que de convoiter la femme d'autrui, mais elle n'était que femme, qu'un corps qui attendait le plaisir. Lorsqu'il la posséderait — car il la posséderait, il le savait — il voulait qu'elle gardât sa couronne, car il pourrait ainsi se targuer d'avoir eu la Reine dans tout son apparat. Le Roi ne la satisfaisait pas : elle n'était pas enceinte. Mais lui, lui... Oh, ce n'étaient que des rêves de fous, mais d'Artagnan sombrait dans la folie sans le savoir. Il sombrait dans des humeurs violentes et il blâmait son ancien camarade de ne pas le faire accéder à son bonheur. Une fois, il avait revu la jeune soubrette de Milady, seule qui rougissait à sa vue. Il l'avait prise dans son lit, et elle avait caché ses larmes. Était-il donc réduit à cela, faire larmoyer les femmes ?

     Et il avait été là, à Fontainebleau, lorsqu'il avait appris le mariage imminent du chevalier d'Herblay, à présent fait marquis de Bourron par la Reine et de la comtesse de Vaux. Quelle rage, quelle fureur, lorsqu'il l'avait vu chanter niaisement avec sa viole d'amour, et l'air de ses anciens camarades d'armes, celui de Claude de Rouvroy de Saint-Simon qui détournait le Roi de son devoir conjugal. Comme il voulait bien faire de lui un exemple ! Un homme qui en aimait un autre, contre-nature, pécheur et diable à la fois. Il avait voulu en toucher mot, une fois à M. de Tréville, mais celui-ci l'avait fait taire immédiatement. Le Roi est figure de Dieu sur terre, et d'aucun de ses choix est à contester par nous. Nous sommes de pauvres mortels, et qui êtes-vous pour le juger ? Vous n'êtes qu'un soldat, le fils d'un paysan. Estimez-vous chanceux, d'Artagnan, d'être employé par notre souverain. Vous critiquez vos amis à présent, mais eux n'ont jamais abusé de leur gloire et de leurs exploits. Où est le jeune homme plein de gaieté que j'ai accueilli en 1625 ? Parfois, je crois bien que vous êtes homme du Cardinal plus que le mien, d'Artagnan. Et cette catin de Milady a corrompu votre  esprit comme un serpent qui verse son poison dans son oreille. Il était parti, et il s'était tu. Il était jaloux, envieux, dévoré d'ambition, et jamais ses camarades ne l'avaient aimé. Il fallait se rendre compte de cela : alors que le misérable mousquetaire causait scandale, le comte de la Fère tenait table dans son domaine de Bragelonne en compagnie de la belle Marie de Rohan, du baron Porthos du Vallon de Bracieux de Pierrefonds et de son épouse, ainsi que de la superbe comtesse de Vaux et de son futur époux, le marquis de Bourron. Et d'Artagnan était seul et malheureux. C'était un fait.  Il n'avait plus cherché à lutter contre cela, et la solitude était meilleure que d'être seul. Il y avait sa cabaretière, il y avait ses démons et la confession. Une fois, il avait rêvé qu'Aramis le prenait en confession, et que de lui naissait un jeune homme vêtu d'un bouclier de chèvre et d'un casque qui amenait la terreur. Il ressemblait à Pallas Athèna, mais c'était un homme, le fils d'Herblay, dans toute la splendeur de son père, prêt à tuer d'Artagnan. Et il était seul et malheureux.

     Au château de Bragelonne, derrière les bois de Blois, et non loin du domaine de la famille de Saint-Rémy, les amis soupaient ensemble et célébraient l'union prochaine de Louise-Gabrielle de Fontainebleau et d'Aramis d'Herblay. La jeune femme était parée d'une robe de violet sombre, qui semblait presque noire sous les reflets des chandelles. Son corsage brillait, tintait même tant il était chargé de perles et de diamants. Son amant la lui avait offerte après leurs fiançailles en guise de premier cadeau pour une nouvelle vie. Elle portait même une petite poche cachée, derrière le corsage, non loin de son sein gauche, où reposait le petit médaillon qui renfermait les pétales de glycine qui faisait remonter leur amour à Rouen. Il y avait aussi, et elle avait rougi à l'idée, une petite miniature de son aimé, et une mèche de ses cheveux. Le portrait, avait-il dit, était à conserver et à observer, à chérir tendrement lorsqu'il serait absent. Comme elle avait rougi lorsqu'il l'avait suggéré ! Il y avait cette mode, presque indélicate, qui venait des cités italiennes, et Aramis lui avait proposé. Elle se dévoilait la nuit, et se métamorphosait, mais elle restait une jeune femme discrète et raisonnée. Cette petite mode, ainsi, était à peindre dans des médaillons à conserver sur soi, le corps nu de la personne aimée, en cas de séparation ou d'absence. Ainsi, le désir ne mourait jamais vraiment, et il y avait le sentiment de toujours garder la présence de cette personne avec soi. Mais l'idée de demander à un peintre de faire ainsi le portrait de son futur époux, dans le plus simple des apparats ! Tu me dessineras toi, alors, lui avait-il dit. Mais mon tendre, je ne sais point ! Oh, tu es parfaite en tous points, bien sûr que tu le sauras. Elle s'était exercée longuement, car l'attention d'Aramis ne tenait jamais tant. Lorsqu'il était nu devant elle, Louise-Gabrielle ne pouvait retenir son regard et son désir, et lui-même se prenait à la déconcentrer. Au bout de quelques jours et de réprimandes enfin, le petit portrait était contre son sein gauche, près de son cœur palpitant. Elle se laissait parfois à l'admirer, et elle voyait sur ses lèvres le petit sourire qui faisait fondre ses entrailles.

     Lui aussi avait un petit portrait de Louise-Gabrielle. Elle avait posé pour lui, toute une après-midi, nue dans leur grand lit, et combien de fois s'était-il noyé dans ce corps, par le regard même, combien de fois avait-il essayé de mémoriser chaque pouce de sa peau ! Si le sien le représentait en Soleil, dans la beauté de la nature, il avait dessiné sa future épouse comme Aphrodite jaillissant des flots, sa longue chevelure en écho au tableau de Botticelli. Mais, secrètement, il en avait fait un autre, un secret, qui n'appartenait qu'à lui seul. Il ne représentait pas sa tendre aimée dans une position salace, non, mais elle, le visage dissimulé par l'un de ses bras, un petit sourire amoureux qui perçait ses lèvres, et sa poitrine découverte par une robe qui évoquait celles des grecques. Il ne lui avait jamais montré, car pour lui, il était la preuve ultime de son amour : la porter contre son cœur à jamais. Bien sûr, il gardait le médaillon de Thomas, car il était un rappel aussi des épreuves qu'il avait endurées pour atteindre Louise-Gabrielle, mais ce portrait, c'était la pure expression de son amour. Il dessinait assez adroitement mais il gardait cela pour lui. Quoi de plus intime que de dessiner l'être que  l'on aimait ! Mais la voir nue, l'observer des heures entières, et apprendre son corps, le mémoriser pour ne plus jamais avoir à souffrir de sa mémoire ! Le désir l'emportait, bien trop souvent d'ailleurs, mais elle riait, et l'adorait pour cela. Il la voulait à chaque instant, et ne pas la savoir proche de lui le brûlait. Elle comblait le vide de son âme. Il aimait la solitude, mais non pas être seul. Et grâce à elle, il ne serait plus jamais seul. Son désir ne le laissait jamais en paix, mais il avait des accès le matin, c'était lorsqu'il s'éveillait et qu'il la voyait à ses côtés. Aramis s'éveillait toujours avant elle — relique de son entrainement militaire — et il restait à l'observer jusqu'à ce que ses yeux en fussent meurtris, à détailler son corps, à admirer sa beauté, et se rendre compte de sa chance.

     Il ne s'était jamais rendu compte de sa chance jusqu'à ce qu'il se réveillât à ses côtés. Quel bonheur, quel bonheur de s'endormir et de retrouver le lendemain la personne qui lui était le plus cher au monde. Il n'avait jamais connu cela avant elle, et il ne désirait le connaître avec personne d'autre. Parfois, en la regardant, il pensait qu'il avait été déposé sur cette terre pour l'aimer. Bien sûr, Saint Augustin discourait de la prédestination, et il aimait ses thèses. Et s'il avait été prédestiné à l'aimer ? Et si son rôle avait été façonné par Dieu, dans toute son exigence, pour aimer et se dévouer entièrement à Louise-Gabrielle ? Penser à la réincarnation de l'âme était péché, et bien des hérétiques avaient été brûlés pour avoir pensé cela, mais si cette thèse s'avérait véritable, alors il avait la certitude que la sienne avait rencontrée celle de Louise-Gabrielle des milliers de fois avant de les faire se retrouver dans cette vie. Parfois il pensait : j'ai traversé les océans du temps pour te retrouver, et à présent, tu es à moi, et à moi seul, et jamais je ne te laisserai partir. Il lui tardait de l'appeler mon épouse, ma femme, de l'introduire comme la marquise de Bourron, de lui murmurer de l'aube jusqu'au crépuscule : mon épouse, mon épouse, mon épouse, je t'aime et je suis à toi comme tu es à moi, à jamais. Il pensa à ce petit poème de Saint-Amant, qu'il avait toujours gardé en esprit, car il le faisait sombrer dans une tristesse profonde, et il lui rappelait à quel point il n'était qu'humain. Il l'avait lu pour la première fois lorsqu'il partageait encore l'amitié de Louise-Gabrielle, et non son amour. Mais à présent, il ne devenait que trop réel, et il était pris d'une humeur un jour il ne se réalisât. Il disait bien la peur d'un amant à tromper et quitter la femme de son amour. Mais si un jour... Non, elle avait dit qu'elle lui pardonnerait, et jamais, jamais il ne ferait cela.

Me dois-je preparer à ce funeste jour
Où, malgré mon ardeur fidelle,
Le destin me contraigne, à la honte d'amour,
À trahir ma déesse et me separer d'elle ?
Helas ! je n'y puis consentir,
Et toutesfois il faut partir.

Beaux yeux, que direz-vous de tant de faux sermens ?
Que diray-je pour ma deffence ?
Croira-t'on aujourd'huy qu'à force de tourmens
Je puisse desormais en esteindre l'offence,
Et pourrez-vous bien consentir
À me laisser vivre et partir ?

Ouy, vous le permettrez, ô beaux yeux, je le croy,
Puis que la gloire vous sert d'ame,
Et que vous voyez bien, au milieu de ma foy,
Qu'à suivre le dieu Mars c'est elle qui m'enflame.
Ainsi vous devez consentir
À me laisser vivre et partir.

Là, dedans les perils, j'espère en la valeur,
Que par quelque victoire insigne
Me faisant couronner, en depit du malheur,
De servir vos beautez je me rendray plus digne ;
Si bien qu'il vous faut consentir
À me laisser vivre et partir.

     Mais à ce diner, il était heureux, car avec ses tendres amis, et les terribles affres qui viendraient ternir son cœur étaient encore bien loin. Il avait ce bonheur à la voir rire, à côté de lui, de son beau sourire et découvrir ses petites dents comme des perles. Comme elle était belle, et comme il désirait ardemment libérer sa poitrine de ses dentelles noires ! Il lui tardait presque de prendre congé de ses amis, et de se retrouver dans l'intimité de sa chambre. Mais Athos insistait pour lui présenter ses belles tapisseries, et comme il l'aimait tendrement, il n'avait pas refusé. Le comte de la Fère les avait reçu dans un luxe qu'on ne lui connaissait peu. Il avait fait préparer les plus beaux chevreuils et les plus belles volailles, et des plats d'artichauts, d'asperges, de champignons et de pois. Il y avait tant de potages, de fromages et de fruits, des desserts à en couvrir la table ! Et Louise-Gabrielle s'était amusée à déguster ses artichauts d'une manière si suggestive qu'il se demanda comment ses amis ne l'avaient point remarqué. L'on pouvait bien être outré par le désir qui s'épanouissait entre eux, et elle ne s'était jamais imaginée vouloir autant consommer cette union ! Mais elle découvrait la vie, les joies de l'amour. Et il fallait de ce désir ! Comment attendre de la part d'une femme la dévotion pure à son époux si elle n'aimait pas son corps, et les sensations qu'il pouvait lui faire ressentir ? Plus elle s'enfonçait dans son amour, plus elle ne comprenait plus ce que l'Église venait à demander aux femmes. Aimer sans sombrer dans la luxure, rester prude mais donner naissance, aucun plaisir mais l'époux, lui, le pouvait, se taire et vivre dans la pauvreté du Christ, mais être belle pour son époux. Non, cela devenait si étrange pour elle. Mais Aramis n'était pas ainsi fait. Était-ce peut-être son amour du sacrifice ou la puissance de ses sentiments, mais jamais il n'était ainsi avec elle. Il faisait tout avec elle, pour elle, selon elle, et s'il se montrait plus prompt à quelque effet de violence ou de négligence, c'était parce qu'elle le lui avait demandé. Thomas avait toujours été doux, et elle l'avait apprécié lorsqu'elle était entre ses bras, car à cet instant là, elle avait eu besoin de cela. Mais Thomas, avec son beau sourire rêveur et ses yeux toujours lointains n'aurait jamais compris son désir.

     Ils parlèrent beaucoup à ce diner, et Louise-Gabrielle était profondément heureuse de pénétrer ce cercle d'âmes si diverses mais si belles et douces. Elle admirait sincèrement le comte de la Fère, cette droitesse, cette bonté, toutes ces qualités qu'il dissimulait dans son cœur. Il avait souffert, elle le savait, et cela se voyait derrière son sourire mélancolique. Elle était heureuse de le voir ainsi avec Marie de Rohan, car il méritait tout le bonheur du monde. Porthos et sa procureuse, eux, formaient un couple uni mais étrange par bien des aspects ! Elle était aussi petite que lui était immense, un peu comme Louise-Gabrielle et Aramis, et aimait à renchérir sur tout ce qu'il disait, riait aux éclats et buvait fort. Mais ces trois femmes étaient si heureuses, chacune dans leur propre situation, que rien ne pouvait les ébranler. La future marquise de Bourron se laissait aller au verre de vin et les effluves doucereuses la transportaient vers une joie qui coulait en elle. Elle sentait les mains d'Aramis se glisser le long de sa cuisse, son petit sourire qui indiquait qu'il la désirait alors... Elle le sentait essayer de franchir la barrière de ses jupons, alors qu'elle buvait et qu'elle se laissait sombrer dans sa douce euphorie. Lorsque le dessert était venu, elle avait prétexté une petite migraine et était sortie pour se réfugier dans un petit salon. Aramis la suivit quelques minutes plus tard. Il ressemblait tant à celui du bal du Louvre ! Mais les tapisseries, les fameuses qu'Athos tenait tant à leur présenter ! représentaient cette fois Pygmalion et Galatée dans toute leur passion. Louise-Gabrielle était appuyée contre le mur, le cœur battant tandis qu'il s'approchait d'elle, enivré par sa présence.

     ❝ Mon ange, nous ne devrions pas, enfin...

     Mais alors qu'il prononçait ses paroles, il laissait errer ses mains sur son corsage, et la fine dentelle noire qui faisait de sa poitrine celle d'une statue de marbre. Il la serra contre elle, sa tête dans son cou, ses mains en train de défaire sa robe. Elle le guida doucement, et elle aussi défaisait ses chausses d'où elle sentit le plaisir venir battre le corps de son aimé.

     — Arrête toi, alors.

     — Jamais, souffla-t-il, jamais. Jamais, jamais, jamais... Je te veux maintenant, tu es celle que je veux toujours, à toute heure.

     — Je n'ai jamais assez de ton corps. J'essaie de le mémoriser, de l'apprendre pour toujours m'en rappeler, mais je n'y arrive jamais. Je le sais, pourtant, et j'échoue. J'essaie de mémoriser chaque sensation que tu me donnes, mais je n'y arrive jamais, car c'est si fugace... Alors, honte à moi si je me perds dans la luxure, Dieu pourra me juger à ma mort, mais si tu me désires, alors je te désire. C'est une règle. Je voudrais de toi autant que tu voudras de moi, que cela soit dans un recoin noir ou dans notre grand lit.

     C'en fut trop, il ne résista pas à cette dernière déclaration d'amour, car il en fallait pour exciter son corps entier. Il suffisait qu'elle le regardât, ou qu'elle touchât sa peau et il voulait la sentir contre elle, avec elle... Non, cette fois, il la serra contre le mur, et contre la belle tapisserie où Galatée s'éveillait dans les bras de Pygmalion, et il remonta ses jupons. Sa poitrine n'était pas entièrement libre et il lui peinait sincèrement de déchirer cette robe qu'il lui avait offerte, mais c'en était trop. Son corps était libre de ses chausses, et il la prit ainsi. Elle laissa ses mains tomber dans le bas de son dos, jusqu'à la naissance de ses fesses, et elle les serrait presque, et lui adorait cela ! Dans un geste imprécis et maladroit, elle tenta de défaire son pourpoint, car elle voulait voir sa cicatrice. Elle déchira la chemise dans un geste de fougue, et la parcourut de ses doigts tremblants, la touchait légèrement, appuyait et griffait par endroits, et lui gémissait alors qu'il la plaquait contre la muraille. Il lui mordit le cou pour étouffer ses gémissements qui l'abaissaient tant. Mais elle échappa à son étreinte, et se déroba à lui. Ce fut elle qui lui fit prendre sa place, et elle s'agenouilla devant lui, avant de l'embrasser dans son entre-jambes comme lui-même le faisait tant. Elle rougit à la vue de son membre et de sa bouche qui semblait si étroite face à lui, mais elle ne se découragea point, et commença à y laisser errer sa langue. Il commença à tirer ses cheveux, et ses gémissements le précipitaient vers le bord du péché. Elle accéléra, et il tira de plus en plus fort.

     — Louise, Louise, Louise, murmurait-il. Louise...

     Son nom se perdait dans ses lèvres comme les traces d'une délicatesse trop vite partie, et elle pensa : oui, je veux que cela soit ainsi que tu prononces mon nom, dans le plaisir et dans le péché, car tu te souviendras que je suis entièrement à toi. Il la releva cependant, car il ne pouvait finir sans la voir, et l'avoir dans ses bras, et elle revint contre la tapisserie. Il déchira son corsage, car à mesure que son bassin bougeait, il embrassa sa poitrine, la mordillait, la pressait contre sa bouche, comme si elle aussi renfermait le meilleur des breuvages. Elle avait ses mains dans ses cheveux, contre sa cicatrice, et elle aussi le mordit pour étouffer les bruits de son plaisir.

     — Aramis...

     Son nom lui échappa, seul, et il l'embrassa, la bouche avide de baisers. Il la voulait encore, encore, et touchait son corps, tandis qu'elle se laissait perdre dans ses bras. Elle n'était plus rien qu'une poupée de chiffon qu'il usait à sa guise car elle n'avait pas la force de lutter contre le désir d'être sienne. Elle ne le repoussait pas, elle lui confiait l'entière responsabilité de son plaisir, de son corps, et de toute l'imagination qu'il pouvait avoir à disposer d'elle. Oh comme il était bon de ne point lutter, lorsque l'homme était le plus beau des hommes et le meilleur des amants ! Lorsqu'elle sentit en elle culminer la joie, et qu'elle sentit Aramis s'effondrer dans ses bras, fort de jouissance, et qu'elle sentit en elle ce qui faisait de lui son seigneur et maître, elle pensa à la famille qu'elle fonderait un jour, et aux enfants qui grandiraient dans son ventre. Pas tout de suite, je veux le garder encore un peu pour moi. Je veux l'avoir pour moi, rien qu'à moi, simplement à moi. Il l'embrassa sur le cou, là où il l'avait mordue, et elle laissa échapper une petite exclamation de douleur.

     — Je t'ai fait mal ? Je peux aller demander de quoi soulager ta douleur.

     — Pas dans cet état, enfin ! Mais non, je ne veux pas que tu me quittes. Reste auprès de moi. — Tout ce que tu voudras, mon ange.

     Elle le prit par la main, et lui montra dans le petit salon une porte qui donnait sur les jardins. Elle l'attira au dehors, et courut jusqu'à s'allonger dans l'herbe humide. Il la rejoignit, et elle posa sa tête contre son torse, tandis qu'il l'enserrait de ses bras. La nuit était noire et froide, mais avec lui à ses côtés, tout le monde était radieux de lumière, et elle n'avait jamais froid. Parfois, il venait embrasser son cou ou son front, et il caressait doucement ses cheveux, et elle ses cuisses. Les étoiles brillaient comme des diamants sur du velours noir, et la lune les éclairait faiblement. Ils virent fendre le ciel une étoile filante, et Louise-Gabrielle fit le vœu pieux de ne jamais perdre ce qu'elle aimait.

     — Et toi ? Que souhaites-tu ?

     — Je n'ai pas à souhaiter, car tout ce que j'ai désiré m'a été donné, et je suis l'homme le plus heureux au monde. Je vais être marié à la plus belle femme de France, j'ai des terres et je ne suis plus un pauvre fils de tisserand. Je suis estimé par la Reine, qui a béni mon union. Non, je n'ai rien à souhaiter car j'ai tout, et ce tout, c'est toi.

     — Je ne veux plus attendre, Aramis. Je ne veux plus attendre, je ne supporte pas de ne pas pouvoir t'appeler mon époux. Et je vois comment les dames de la cour m'observent. Je me fiche de la jalousie ou de l'envie ; je ne suis ni jalouse ni envieuse, et les cabales m'intéressent peu. Mais ce que je supporte pas, c'est les regards qu'elles me jettent lorsqu'elles me voient à tes côtés, pensant encore qu'elles peuvent t'obtenir. Oh combien tu es aimé, mais simplement pour ton corps et non pas ce que tu pourrais leur apprendre ! Ce que j'aime tant, dans ton cœur, c'est que tu m'en apprends tant ! J'aime t'entendre parler de théologie, et pouvoir te faire découvrir des poètes, de lire et parler. J'aime t'entendre parler, ta voix est tellement belle lorsque tu parles !

     — C'est parce que mes mots ne sont adressés qu'à toi, Louise. Ils ne sont que pour toi, ils ne seront jamais que pour toi. Que pour toi... ❞

     Ils furent invités pour le dernier jour de l'année 1629 au ballet de Merlaison, organisé par Claude de Rouvroy de Saint-Simon, où disait-on, le Roi lui-même avait composé quelques ballades. L'on y jouerait et danserait des scènes mythologiques. La Reine avait choisi cette date précise pour unir, dans le secret de la nuit, Aramis et Louise-Gabrielle. Il paraîtrait en Phoebus Hélios, le Soleil incarné, dans une nouvelle forme du costume qui avait fait jalouser les femmes en 1627 et murmurer les hommes. Sa longue chevelure blonde avait été soigneusement bouclée, et il avait disposé des traces d'or sur sa cicatrice. Une armure couvrait une partie de son torse, l'autre une écharpe d'or qui découvrait les vestiges de sa souffrance. Ses jambes étaient nues jusqu'aux genoux puis couvertes par de grandes bottes. Mais lorsqu'il vit paraître Louise-Gabrielle, son cœur manqua de s'arrêter. Il savait qu'elle serait Persèe mais il ne s'attendait à la voir si belle. C'était idiot, car elle était toujours si belle, mais devant lui, ici, elle était l'ange, et lui l'homme. Ses longs cheveux roux étaient légèrement relevés pour descendre en cascades de boucles jusque dans le bas de ses reins. Elle portait sur le sommet de son crâne une légère parure de diamants et de cristaux bleus qui scintillaient sous les rayons du soleil. Sur son cou jusqu'à sa poitrine translucide, elle portait des perles et des saphirs qui hurlaient en écho avec les veines bleues de son corps. Son corps était couvert d'un tissu bleu et vert pâle, en mousseline de soie. Chacun de ses mouvements rappelait l'onde incessante, et des perles jaillissaient de la naissance de sa robe pour mimer les vagues qui s'échouaient sur la plage. Ses bras étaient nus, et couverts de bracelets d'or qui cliquetaient lorsqu'elle bougeait. Enfin, il remarqua des petites clochettes tressées dans ses cheveux, et à chaque tintement, elle se rapprochait de son âme.

     Il tomba à ses pieds et lui baisa les mains. Il voulait baiser la terre sur laquelle elle marchait, la vénérer comme la déesse qu'elle était pour lui. L'après-midi venait à peine de débuter, mais les festivités pour fêter la nouvelle année ne s'achèveraient que le lendemain, lorsque le soleil serait bien haut. Il pensa au bonheur qu'il aurait, dans quelques heures, à la découvrir dans sa robe d'épousée. Il lui tardait trop d'être enfin uni à elle, de savoir qu'enfin, le lien si pur et si gracieux qui les unissait ne se briserait jamais, simplement par la mort. Il avait fait coudre pour l'occasion un pourpoint bleu pâle, qui rappelait sa casaque de mousquetaire. Toute la chemise était faite de dentelle belge, et n'était point blanche, mais d'ivoire, avec des perles cachées à quelques endroits. Ses chausses et ses bas étaient bleus aussi, mais en soie, brodés d'or et d'argent. Athos l'avait aidé à choisir et et coudre l'habit. Il n'avait pas demandé à un tailleur, car pour son costume de mariage, il désirait qu'il provînt de lui- même, comme une pièce qu'il détachait de lui pour l'offrir. Mais il devait attendre, attendre d'être uni à elle lorsque le passage à la nouvelle se ferait dans le sombre de la nuit. Louise-Gabrielle lui offrit la main, et il la prit. Elle ne pouvait décrire les sensations qui l'assaillaient à cet instant, d'être présentée officiellement à la cour comme la marquise de Bourron, dame d'Herblay. Enfin elle porterait son nom ! C'était un geste intime qu'elle désirait tant. Porter le nom de l'homme pour qui elle sacrifierait sa vie, rien n'était plus beau et plus digne. Cela était, le pensait-elle, comme porter le petit anneau d'or qui l'unirait à lui, et ne plus jamais l'ôter. Son nom serait un vêtement qui lui collerait à la peau, une parure qu'elle exposerait à la vue de toutes et dont elle prendrait fierté jusqu'à sa mort. Le soir, lorsqu'ils dormaient, elle s'était imaginée son nom avec le sien : Louise-Gabrielle d'Herblay, Louise- Gabrielle d'Herblay... Que cela sonnait comme une douce mélodie à ses oreilles et elle n'en avait jamais assez. Elle en avait tant besoin, de ce nom.

     Lorsqu'elle l'avait vu, tout d'or vêtu, ses jambes avaient tremblé car ce serait la dernière fois qu'elle le verrait sans son nom, la dernière fois qu'elle le verrait avant d'être à lui. Et au contact de sa main, elle avait fondu, et elle avait du faire preuve d'un grand effort pour ne pas s'effondrer dans ses bras. Les heures jusqu'à la cérémonie seraient le signe d'une lente agonie et une véritable épreuve d'amour et de patience. Oh mais pour lui ! Pour lui ! Tout, et la Vie. Le Louvre était mué en une véritable scène, et chaque salon ressemblait à un tableau vivant. Aramis fut dans l'obligation de la laisser un temps, car ses camarades d'armes l'avaient appelé. Elle resta seule, et observait toute l'effervescence autour d'elle. Combien elle ne supporterait de vivre à la cour ! L'hypocrisie était une esthétique que chacun se vantait de porter. Les masques se déformaient à chaque nouvelle arrivée et présentation, un mariage et l'on devait se demander si la mariée était vertueuse et serait fidèle. Les hommes débauchaient, les femmes médisaient, et rien de tout cela n'était ce que l'on demandait aux bonnes âmes chrétiennes. Tandis qu'elle évoluait dans la pièce, elle vit un homme s'avancer vers elle. Il semblait familier, et pourtant elle ne se rappelait pas de son visage. Son sourire était comme une déformation cruelle au travers de sa face, et ses yeux qui eussent parus bon un jour étaient méchants aujourd'hui. Il était vêtu de la casaque de mousquetaire, mais presque débraillée et il faisait tache parmi les invités. Elle tenta de l'éviter, mais il la piégea contre un recoin de la muraille.

      ❝ Pourquoi me fuyez-vous, madame ? Je vous ai effrayée ?

     — Non, bon seigneur, mais je ne sais pourquoi vous venez me voir moi. Il y a tant d'autres belles femmes ici.

     — C'est vous que je voulais voir. Vous ne vous souvenez point de moi ?

     — Pourquoi, le devrais-je ? Je ne parait point souvent à la cour, je ne saurai vous dire si je vous connais.

     — Plusieurs fois madame, nous nous sommes vus. À des bals et des réceptions. Je vous ai fait rire.

     — Eh bien, dites moi votre nom.

     — Je suis le chevalier d'Artagnan, au corps de garde des mousquetaires du Roi.

     — Vous ! Mon fiancé a beaucoup parlé de vous, en effet. Et maintenant que vous le dites... C'est vrai, sans doute.

     — Ne l'épousez point, madame. Vous ne le connaissez pas comme je le connais. Il vous brisera et vous ne serez qu'une loque qui tentera de s'accrocher à son amour.

     — Pour quoi vous prenez-vous, monsieur ?

     Elle tenta de se dégager, mais il lui bloqua le poignet et il se rapprocha d'elle. Il avait le souffle lourd, et son haleine empestait le vin. Il lui caressa le visage, et elle retint sa respiration.

     — Pour votre sauveur, madame.

     — Monsieur, laissez la future marquise de Bourron en paix. Retournez dans vos quartiers.

     La grande figure de Claude de Saint-Simon surgit du dos du mousquetaire. D'Artagnan lâcha avec force le poignet de Louise-Gabrielle et lança un regard noir au favori du Roi.

     — Merci, mon ami.

     — Vous allez bien ?

     — Rien de trop grave. Que lui arrive-t-il ?

     — Il ne devient pas capitaine. Il boit, et il s'enferme dans des désillusions. Mais Louise, êtes-vous sûre ? Je ne veux pas qu'il vous arrive malheur le soir de vos noces.

     — Vous êtes bien bon, mon cher Claude, et je ne sais ce que je ferai sans vous. Mais rassurez-vous, et dépêchez Aramis. Mais ne lui dites rien. Je ne veux pas l'inquiéter.

     — Bien, ma douce amie.

     Louise-Gabrielle massa délicatement son poignet, et respira doucement. Il était temps qu'elle sortît de cette cour affreuse. Son fiancé arriva, et elle se jeta dans ses bras. Elle avait besoin de son étreinte. Il fut un peu désemparé devant ce geste, mais l'enlaça et l'embrassa sur le front.

     — Louise, tout va bien ?

     — Oui, mon tendre. Tout va bien, puisque tu es là.

     — C'est ce que ma sœur et moi nous nous disions. Tout va bien, car je suis là, car je t'aime... Oh, comme tu l'aurais aimée, et elle aussi ! Je regrette bien cela, mon ange. Ma famille est... Non, n'en parlons pas. Je voudrais rencontrer la tienne, un jour, aussi.

     — Mon frère est jeune d'esprit, mais tu l'aimerais ! Et son épouse est bien douce, et l'aime malgré sa fougue. Ma mère est triste depuis que père est mort, car même s'il ne l'avait jamais réellement aimée, il y avait une grande affection entre eux. Mon père, je lui ai parlé de toi, tu sais. Et il m'avait demandé de lui parler de toi, de mon bonheur. Il est mort un peu après. Les morts vivent avec nous, j'en suis sûre, et je suis sûre que ta sœur et mon père sont ici, avec nous.

     — Oh Louise, comme tu es bonne et comme et je ne te mérite...❞

     Ils dansèrent alors, et le monde cessa d'exister. Lorsque la musique s'était faite entendre, les quelques notes de harpes, puis la viole d'amour, les luths, les petits tambours, les épinettes, tous les courtisans s'étaient avancés. Claude de Saint-Simon jouait aussi, et Marie de Rohan, elle était Diane chasseresse et lui Actéon. Louis XIII s'était fait Jupiter, mais Aramis et Louise-Gabrielle captivaient réellement les yeux des spectateurs. Phoebus Hélios avait aperçu Persèe, la fille d'Océan et Téthys. Le dieu était connu pour être volage, mais ne s'était jamais marié. Et lorsqu'il avait vu Persèe, c'était elle qu'il avait désiré. Non pas l'une de ses autres sœurs, elles étaient près de trois mille, mais elle et elle seule. Il l'avait séduite et épousée. Dans son haut palais, au sommet des Cieux, ils régnaient avec passion et bienveillance. De leur hymen naquirent Ætès, Circé, Persès et Pasiphaè. Lorsque Louise-Gabrielle dansait, ses voiles se soulevaient, et montraient la chair nue de ses jambes, celle de ses bras, laissait entrevoir le rose de sa poitrine, et pourtant personne ne soufflait mot car la comtesse de Vaux, la future marquise de Bourron se dévoilait comme la plus belle femme du royaume. Il y avait bien Marie de Rohan, ou Mademoiselle, Henriette et la Reine Anne, mais la jeune femme avait le rire, et une lueur de vie derrière ses yeux. Aramis n'avait pas menti lorsqu'il disait qu'il était tombé amoureux d'elle par son rire. Il était à l'image de sa personne, clair et transparent. Et lorsqu'il la voyait danser et qu'il voyait les regards jaloux des hommes, il se sentait profondément heureux, car elle était à lui, à lui seul et à jamais. Il voyait l'envie, le désir et la jalousie, eux avec leurs épouses aux mentons bas, aux poitrines lestes et aux joues creuses. Il voyait à quel point ils la désiraient tous, et la satisfaction le prenait de savoir qu'elle n'appartenait qu'à lui. C'est mon épouse, ma femme, la mienne, et je sais que vous jalousez sa beauté. Elle est si belle, et vous ne l'aurez jamais. C'est cela, ma revanche sur vous tous hypocrites. Elle est à moi. Mienne. Mi-enne. C'est moi qui la possède, la nuit et c'est mon nom qu'elle hurle, assaillie par le plaisir. C'est mon nom, et cela sera toujours mon nom. Et moi, c'est le sien que je crie, et jamais n'échangerai son nom par celui d'une autre.

     Lorsque le ballet fut fini, il n'était pas encore vingt heures, et un bal suivait, mais ils se retirèrent. Aramis eut toutes les faiblesses du monde à se séparer de Louise-Gabrielle, mais il savait que la petite chapelle de la Reine Anne était prête à les accueillir. La future marquise de Bourron fut introduite dans la chambre de sa souveraine. Elle y vit le lit, et étendue, sa grande robe. Elle était comme celle de ses rêves, toute d'ivoire et d'or, où s'entremêlaient parfois des fils mauves et bleus. Elle s'approcha, et la prit du bout des mains, comme si elle ne la méritait point.

      ❝ Vous serez magnifique, ce soir, mon amie.

     — Votre Majesté, je ne peux que vous remercier. Vous m'avez donnée le bonheur, vous m'avez ramenée à la vie, et pour cela je vous en serai éternellement reconnaissante. — Louise, ce soir, cette chambre sera à vous.

     — Madame...

     — Non, écoutez-moi, Louise. Ce soir, et demain, cette chambre sera à vous, car je veux que vous viviez ce que je n'ai jamais pu vivre avec mon cher ami, George de Villiers. Je veux vous voir heureuse, Louise. Votre bonheur est plus important que le mien, car je suis reine, oui mais non point femme. Si je peux faire de vous une femme, et une femme heureuse, alors je serai réellement reine de mes sujets. Vous m'avez tant servie, aujourd'hui, je veux vous servir. Venez.

     La Reine guida Louise-Gabrielle, et se saisit délicatement de la robe d'épousée. Elle délaça la jeune femme de son costume, et l'aida à se vêtir. Le vêtement était si lourd, face à son costume d'Océanide, mais c'était bien le poids du mariage. Anne d'Autriche laça le corsage de Louise- Gabrielle, et attacha les bijoux de perles, d'or et de diamants à ses oreilles, à son cou et à sa poitrine.

     — Ma reine, je suis votre obligée, je ne mérite pas tant.

     — Vous méritez tout, Louise, et j'aurais aimée avoir été comme vous, fière et forte de mon amour. Je veux vous offrir un gage de mon amitié pour vous : voici l'un des ferrets de diamant que votre futur époux a participé à regagner pour moi. Je l'aime tendrement, et je sais à quel point l'affection qu'il a pour vous dépasse tout entendement. Tenez.

     Elle l'accrocha à la poitrine de la mariée, et l'embrassa sur la joue. Enfin, elle lui prit la main, et la serra.

     — Ma Reine, vous êtes la plus digne épouse qu'un homme puisse rêver d'avoir, et si par quelque hasard vous vous trouvez à errer près de Bourron, vous aurez une chambre à votre honneur. Ce n'est qu'à une dizaine de lieues de Fontainebleau. Et si vous l'acceptez, je veux que ma fille vous aie pour marraine. Elle sera guidée par vous, et je ne vois personne de plus grand et de plus fort pour ce rôle.

     — Et j'en serai ravie. Aramis m'a dit la même chose, vous savez, et je n'aurai pas plus grand honneur, Louise. Allons-y, que votre futur époux ne s'impatiente point. ❞

     La Reine guida alors Louise-Gabrielle jusque dans la petite chapelle attenante à sa chambre. Il n'y avait que les gens qu'elle aimait. Le Roi était aux côtés d'Athos et de Marie de Rohan, tandis que Claude de Saint-Simon souriait jusqu'à s'en faire mal aux joues. Porthos, sa procureuse et M. de Tréville riaient en voyant approcher la jeune femme. Et puis il y avait Aramis, face à l'autel, en train de prier en l'attendant. En cet instant, il n'était pas beau. Il était divin. Il était un dieu, il était son Phoebus, sa fortune, son aimé mais plus son secret. Il n'était plus son secret, il ne serait plus jamais son secret. Il serait sa lumière, son bonheur, son tendre, son époux, son seigneur et maître. Il serait à elle, à elle, seulement à elle. Qu'il était beau dans son pourpoint bleu, qu'il était beau, il était beau à en mourir. Ses longues boucles blondes avaient été ramenées contre son cou, elle voulait tant les sentir sous ses mains, se loger contre son épaule, sentir sa respiration contre elle. Alors qu'elle s'approchait lentement de lui, elle voulait défaillir, elle voulait fuir. Elle n'était pas prête, ne l'était-elle pas ? Elle voulait partir et pleurer toutes les larmes de son corps, parce qu'elle n'avait jamais cru que ce soir arriverait, et qu'il prendrait enfin réalité. Le Roi et la Reine signèrent le contrat de mariage pour elle, Athos et Marie de Rohan pour Aramis. Que de formalités pour unir un couple ! La place à son annulaire, où devait se loger l'alliance lui brûlait. Elle voulait le contact du métal sur sa peau. Elle voulait la graver jusque dans son âme pour l'avoir autant, pour enfin dire : je suis mariée à l'homme que j'aime. Je suis sienne, je suis sienne... Elle se plaça en face de lui, et un prêtre entra enfin, une Bible à la main.

     ❝ Devant Dieu aujourd'hui nous unissons Louise-Gabrielle de Fontainebleau, comtesse de Vaux, au chevalier Aramis d'Herblay, marquis de Bourron. Dans le Cantique des Cantiques, la Parole dit ceci : « Toute la nuit j'ai cherché celui que mon cœur aime. Étendue sur mon lit, je l'ai cherché, je ne l'ai pas trouvé ! Il faut que je me lève, que je parcoure la ville, ses rues et ses carrefours. Je veux chercher celui que mon cœur aime... Je l'ai cherché, je ne l'ai pas trouvé ! J'ai rencontré les gardes qui parcourent la ville : « Avez-vous vu celui que mon cœur aime ? » À peine les avais-je dépassés, j'ai trouvé celui que mon cœur aime. Je l'ai saisi, je ne le lâcherai pas. Voici mon bien-aimé qui vient ! Il escalade les montagnes, il franchit les collines, il accourt comme la gazelle, comme le petit d'une biche. Le voici qui se tient derrière notre mur, il regarde par la fenêtre, il guette à travers le treillage. Mon bien-aimé a parlé ; il m'a dit : « Lève-toi, mon amie, viens, ma toute belle. Ma colombe, blottie dans le rocher, cachée dans la falaise, montre-moi ton visage, fais-moi entendre ta voix ; car ta voix est douce, et ton visage est beau. » Mon bien-aimé est à moi, et moi je suis à lui. Il m'a dit : « Que mon nom soit gravé dans ton cœur, qu'il soit marqué sur ton bras. » Car l'amour est fort comme la mort, la passion est implacable comme l'abîme. Ses flammes sont des flammes brûlantes, c'est un feu divin ! Les torrents ne peuvent éteindre l'amour, les fleuves ne l'emporteront pas. »

     Elle souriait tant que ses joues lui faisaient mal. Elle souriait tant que son cœur était sur le point d'éclater. Son corps était meurtri, douloureux. Et lui pleurait. Elle ne l'avait jamais vraiment vu pleurer, jamais pour des tracas du quotidien, mais aujourd'hui il pleurait parce qu'il se donnait éternellement à l'amour.

      — Je t'aime, Aramis d'Herblay, murmura-t-elle.

     — Je t'aime, Louise-Gabrielle d'Herblay, lui répondit-il.

     — Aramis d'Herblay, acceptez-vous de prendre Louise-Gabrielle de Fontainebleau pour épouse, prendre soin d'elle et de la chérir, de la garder et de la protéger, aussi longtemps que vous le pouvez ?

     — Moi, Aramis d'Herblay, prends Louise-Gabrielle de Fontainebleau pour épouse. Je promets de prendre soin d'elle et de la chérir, de la garder et de la protéger, aussi longtemps que je le peux. Je promets de me battre pour elle, dans la maladie et la bonne santé, jusqu'à ce que la mort nous sépare.

      — Louise-Gabrielle de Fontainebleau, acceptez-vous de prendre Aramis d'Herblay pour époux, de le protéger et de le chérir, de le servir et de lui obéir, aussi longtemps que vous le pouvez ?

     — Moi, Louise-Gabrielle de Fontainebleau, prends Aramis d'Herblay pour époux. Je promets de le protéger et de le chérir, de le servir et de lui obéir, aussi longtemps que je le peux. Je promets de le défendre, dans la maladie et la bonne santé, jusqu'à ce que la mort nous sépare.

     — Aramis d'Herblay, vous pouvez ceindre votre épouse de son alliance.

    Il trembla au mot épouse. Il se saisit du petit anneau d'or auquel il avait fait monter une opale cernée de diamants, et il la passa au doigt de Louise-Gabrielle. Épouse, épouse, épouse, épouse... C'était du miel à ses oreilles.

     — Louise-Gabrielle d'Herblay, votre époux a demandé lui aussi à porter une alliance, vous pouvez la lui ceindre.

     Il avait demandé à porter une alliance ! Il avait voulu prouver à quel point il était à elle ! C'était une chevalière dorée, sertie d'une émeraude semblable en tous points à la couleur de ses yeux. À l'intérieur était gravé : O. F, A. H et L.G. Enfin, ils se regardèrent, et s'embrassèrent. Le baiser ne semblait pas différent et pourtant, il y avait quelque chose d'autre, l'amour peut-être, le mariage et l'appartenance.

     — Bonjour, Madame d'Herblay.

     — Bonjour, Monsieur d'Herblay. ❞

     Athos et Claude essuyèrent de belles larmes chaudes. Jamais le comte de la Fère n'avait été aussi heureux pour son ami. Il repensa à sa stupidité, et au courage de Louise-Gabrielle. C'était une femme aussi tenace qui avait su faire chavirer le coeur d'Aramis, et il trouvait cela beau. Anne d'Autriche aussi était émue, et elle pensa à son amant mort maintenant. Elle regarda son époux, et il lui sourit avant de lui embrasser la main. Elle l'aimait tendrement et elle voulait tant enfin lui porter l'enfant qu'il désirait. Elle le voulait, sincèrement, et ce sourire était peut-être un premier pas. Elle chérissait Claude, car il n'avait jamais interféré entre elle et son époux, et elle comprenait pourquoi il pouvait l'aimer. Mais elle, les baisers de George de Villiers lui manquaient violemment. On entendu Porthos se moucher bruyamment et pleurer abondamment, et M. de Tréville aussi. Marie de Rohan embrassa Louise-Gabrielle et Aramis, et soupira de plaisir en les voyant ainsi. Oui, elle avait aimé Aramis, d'une certaine façon, et il lui manquait parfois, mais le voir ainsi était tout ce dont elle avait rêvé. Elle l'avait forgé, et il avait trouvé l'amour de sa vie. Elle désirait cela aussi, mais elle avait bien peur des sentiments d'Athos. Il semblait l'aimer, mais il avait peur de l'amour, et elle ne pouvait l'en blâmer. Les neuf invités quittèrent la petite chapelle et revinrent dans la salle de bal.

     Ce ne fut que lorsque l'aube perça les nuages de ses rayons rose et or qu'ils rejoignirent la chambre que la reine leur avait gracieusement et généreusement offerte pour la nuit. Ils avaient dansé jusqu'à ce que leurs pieds ne pussent plus les soutenir, ils avaient dansé jusqu'à ce que les convives autour d'eux ne fussent plus que des figures floues et colorées, ils avaient dansé jusqu'à ce que la nouvelle marquise de Bourron s'effondrât dans les bras de son mari en riant d'une manière qu'elle aurait certainement jugée impudique chez une femme moins heureuse qu'elle. Il l'avait tenue contre son coeur et ses lèvres s'étaient glissées dans les flammes de sa chevelure que la danse avait rendue plus folle. Elle avait senti les regards se poser sur eux, entendu le tonnerre qui grondait dans les yeux et les bouches des dames de la cour et vu les gestes dédaigneux de la main lancés dans leur direction. Elle n'en avait cure, maintenant, jamais plus. Si au bal du Louvre elle n'avait pas supporté les insultes, les brimades et les regards moqueurs aujourd'hui ils la faisaient rire. Elle était dans les bras de l'homme qu'elle aimait et il l'aimait en retour. C'était elle qui se trouvait dans ses bras ce soir, elle qui portait son alliance et son nom, elle et non pas une autre, non pas l'une de ces dames qui minaudaient en s'approchant de lui. Elle était dans ses bras, il l'avait choisie elle, elle était à lui.

     Il est à moi. Elle ne pouvait pas s'empêcher de se répéter ces quatre mots alors que les mains de son amant commençaient à parcourir les courbes de son corps d'une manière complètement indécente. Il est à moi. Il est à moi et je suis à lui. Je suis à lui comme personne d'autre sur cette terre ne pourra jamais l'être car l'abandon total que je lui offre est un bien trop grand sacrifice pour quelqu'un avec un cœur moins plein d'amour que le mien. Personne d'autre que moi ne pourra jamais l'aimer comme je l'aime car c'est bien du plus grand, du plus beau et du plus profond amour que je l'aime. Oh Mon Dieu ! Si vous écoutez mes prières depuis la première lueur de cet amour, que vous m'aimez un peu, faites que jamais ses mains ne s'éloignent longtemps de moi, que jamais ses lèvres ne quittent les miennes, que son coeur reste mien pour toujours, à jamais. Qu'il m'aime jusqu'à la fin de sa vie. Je pourrais lui pardonner l'adultère, je pourrais lui pardonner le mensonge, mais je ne pourrais jamais survivre s'il cessait de m'aimer. Si vous m'aimez un peu, Bon Seigneur, assurez- moi de son amour éternel. Je suis bien égoïste et c'est un péché, je le sais bien et je vous demande pardon, mais Bon Seigneur c'est que jamais personne n'a aimé comme j'aime cet homme. S'il-vous- plaît, laissez-le moi, laissez-moi son amour. C'est tout ce que je vous demanderai. Qu'il soit à moi pour toujours. Vous prêchez l'Amour, et c'est de cet Amour dont je suis prise, celui du sacrifice et de l'estime, celui du désir et de la fidélité. Je suis Votre plus dévouée servante, et jamais je ne dévierai. Mais je l'aime, et pour lui, Mon Dieu, je ferai tout. Je me damnerai pour lui.

     Ce fut une main abandonnée un peu trop longtemps dans le bas de son dos qui la fit quitter les bras d'Aramis. Une main sur son bras, une caresse sur sa joue, un baiser dans le creux de son oreille et quelques mots murmurés tendrement entre les boucles de ses cheveux les firent quitter la pièce. Ils n'avaient pas dit adieu à tous les invités. Ils s'étaient excusés auprès la reine, mais non pas prononcé quelques mots pour clore les festivités. Ils avaient filé à l'anglaise et Louise-Gabrielle avait adoré cela. Un regard attendri d'Athos avait approuvé leur départ et un rire grivois de Porthos avait attiré l'attention de l'assemblée, enfin, l'admiration et l'espoir de Claude. Ils avaient pu s'enfuir sans que personne ne les remarquât. Elle avait rit quand il l'avait entraînée dans les couloirs du château, elle avait rit quand il l'avait attirée contre lui dans des alcôves pour dévorer son cou ou son décolleté de baisers brûlants, elle avait rit lorsque ses mains s'étaient égarées sur ses fesses alors que les invités parcouraient encore les couloirs, des coupes de vin entre les mains et leurs lèvres. Ce ne fut que lorsqu'ils entrèrent dans leur chambre que ses rirent se muèrent en gémissements emplis de désir.

     Quand la porte de leur chambre fit trembler les murs du château, les deux amants ne l'entendirent pas. Le seul son qui montait aux oreilles de Louise-Gabrielle étaient ceux de la respiration lourde de désir d'Aramis, la seule chose qu'elle sentait était son parfum chaud, musqué et entêtant qui se mêlait si délicieusement à l'odeur de sa sueur et de l'alcool qu'il avait bu, la seule chose qu'elle goûtait étaient ses lèvres. Ses belles lèvres qu'elle aimait tant, ses lèvres qui avaient encore un goût de sucre et de vin. Elle les embrassait, elle ne pouvait arrêter de les embrasser, elle était ivre de ses lèvres, folle de ses baisers, soumise à sa langue, aux mouvements de sa bouche à la caresse de ses mains sur son visage. Il la tenait contre lui et elle était certaine que s'il la lâchait, elle mourrait là, maintenant. Le désir la submergerait, et elle se noierait dedans, ou alors la trop longue absence des bras d'Aramis autour d'elle allait la tuer. Il ne la lâcha pas, il la tenait contre lui avec une force qu'elle n'avait jamais soupçonnée chez lui, il s'accrochait à elle, elle était sa relique qui le rattachait au monde des hommes, car sans elle, il sombrerait dans la folie. Elle était une sainte, et son corps une châsse, elle était l'hostie, et ses lèvres la communion. Ses mains étaient partout, ses lèvres avaient quitté les siennes et s'attardaient sur son décolleté, ses doigts agrippaient les dentelles et les soieries qui cachaient encore la pointe de sa poitrine. Elle voulut le supplier de ne pas déchirer sa belle robe de mariée mais elle n'eut pas le temps de parler. Il avait déjà libéré ses seins de leur prison de tissu et ses lèvres dévoraient déjà leur pointe.

     Il la brûlait. Oh comme il la brûlait d'une simple caresse, d'une touche ou d'un geste, chacun de ses baisers était plus doux et plus ardent que le précédent. Elle aimait cette douceur, cette révérence infinie qu'Aramis mettait dans ses baisers, elle se croyait devenue sainte quand il lui baisait les lèvres car jamais homme ne mis plus d'amour, de dévotion et de tendresse dans ses baisers. Quand ses lèvres dévoraient ses seins et son cou, elle ne pouvait penser à rien d'autre. Ses mains agrippaient désespérément les étoffes qui couvraient encore le corps de son amant. Elle tentait de les arracher, de le libérer, de faire apparaître sa peau nue mais elle n'en avait pas la force. Chacun de ses baisers la liquéfiait, comme une sensation de vide entre le creux de ses côtes et son bas-ventre, une sensation que lui seul viendrait combler sur ce grand lit. Elle s'abandonnait dans ses bras et n'avait plus aucune force pour le déshabiller. Elle ne pouvait plus que lui rendre les baisers dont il honorait son corps sans jamais reprendre sa respiration ou peut-être était-ce là qu'il la trouvait. Ses mains se glissèrent dans ses cheveux et elle se délivra complètement, s'abandonna entièrement. Elle n'aurait pas pu rêver meilleur amant que lui, plus doux, plus attentif à elle, à ses désirs et à son corps. Il semblait déjà le connaître par cœur, en quelques mots seulement il avait tout appris de son plaisir. Il savait où la toucher et comment la caresser pour obtenir d'elle les gémissements les plus doux, pour faire cambrer son dos, entrouvrir ses lèvres et lui faire crier son nom. Comme elle avait envie de crier son nom maintenant. Elle avait toujours gardé une certaine pudeur, elle était une jeune femme bien née, bien élevée, un parangon de l'élégance et de la distinction à la cour de France, et pourtant elle voulait crier le nom de son amant et elle voulait que toute la cour l'entendît.

     Il l'avait soulevée comme s'il elle ne pesait pas plus lourd qu'un oreiller de plume et l'avait allongée sur le lit avant même qu'elle n'eût le temps de dire son nom ou même de gémir. Ses mains s'affairaient dans son dos, il délaçait son corsage avec une agilité prodigieuse, ses lèvres embrassaient chaque pouce de peau nouvellement découvert, il la vénérait. Ses lèvres parcouraient son ventre, caressaient ses marques qui avaient brisées son corps, vénéraient sa peau blanche plus pure que le marbre. Quand sa robe tomba au sol et que son corsage puis la chemise suivirent, elle se contenta de gémir le nom de son amant. Elle n'avait plus de volonté propre, elle voulait juste se fondre à la douceur des bras de son amant, le laisser agir, qu'il dît tout ce qu'il désirait avec son corps. Il y avait quelque chose de fou dans ses yeux quand il la regardait sous ses paupières lourdes de désir. Elle ne pouvait plus voir le bleu de ses yeux, seules ses immenses pupilles noires et brillantes étaient encore visibles. Il était entre ses jambes, ses lèvres caressaient son grain de beauté au creux de sa cuisse, ses mains agrippaient ses mollets avec une force qui la faisait gémir mais ses yeux restaient plongés dans les siens, observant la moindre réaction, attendant le plus petit gémissement de plaisir. Sa main se leva mollement, lui faisant signe de revenir vers elle, de l'embrasser, de la serrer fort. Il se jeta sur ses lèvres comme un naufragé et murmura entre ses baisers :

     ❝ Ma Louise, mon ange, ma joie, ma déesse, mon âme, je t'aime... Oh comme je t'aime ma joie. Laisse-moi t'allonger sur ce lit, laisse-moi t'aimer, te vénérer, te montrer toute ma dévotion et mon admiration. Laisse-moi être l'esclave de ton plaisir pour cette nuit de noces mon tendre amour.

     — Non Aramis, non pas ce soir. Je t'aime doux et prévenant cela est vrai mais ce soir ne me demande rien. Je suis à toi, entièrement à toi et je veux que tu fasses de moi tout ce que tu veux que tu me montres toute l'étendue de ton imagination et de ton amour. ❞

     Il ne chercha pas à discuter sa demande. Un sourire s'esquissa sur ses lèvres obscènes, une langue perverse les humidifia lentement avant qu'elles ne retrouvent le chemin tracé entre sa gorge et le creux de ses reins. Ses mains étaient sur ses seins, elles les serraient, les caressaient, ses lèvres les mordaient, elle avait mal mais la douleur la faisait gémir, elle aimait cette douleur délicieuse des lèvres et des mains d'Aramis. Elle l'aimait et elle la haïssait, comme elle avait un jour cru qu'il la haïssait. C'était une douleur terrible car elle ne la satisfaisait pas, elle ne faisait que l'exciter davantage. Le vide dans son ventre, dans le creux qu'elle voyait déjà rond des enfants d'Aramis, le vide qu'elle ressentait dès qu'elle n'était pas dans les bras de son époux se creusait à chaque instant. Ses caresses qui la comblaient habituellement la laissaient plus vide, plus désirante, plus gémissante et suppliante. Ses mains étaient merveilleuses. Elle s'était attendue à trouver des mains tremblantes sous l'émotion, l'influence du vin, mais ses mains étaient fermes, presque brusques et autoritaires. Il avait attendu ce moment autant qu'elle l'avait attendu, ce moment où il pourrait véritablement la posséder comme il le voulait et comme elle le voulait. Elle voulait qu'il la possédât, qu'il la possédât de toutes les manières possibles. Elle n'avait jamais pensé que les femmes devaient se soumettre aux hommes, non cela elle ne l'avait jamais pensé mais elle, elle voulait être dominée, possédée, soumise à cet homme qu'elle pouvait enfin appeler son mari.

     Quand il quitta le lit elle voulut hurler son désespoir, gémir de manque car son corps n'était plus contre le sien mais elle n'en fit rien. Elle n'en fit rien car les mains de son amant étaient déjà occupées à dégrafer ses vêtements, ses gestes étaient maladroits, précipités. Il aurait certainement aimé faire durer ce moment, la faire languir, ne lui montrer sa peau que par éclat mais il n'en avait pas la force. Ils avaient tout le temps du monde pour les taquineries mais ce soir il n'était pas d'humeur à la taquiner. Il avait besoin d'être en elle, son ardeur était lourde, douloureuse entre ses jambes, elle réclamait le contact du corps de Louise-Gabrielle, le contact du corps de son épouse. Quand il fut nu devant elle, elle laissa échapper un soupir mêlé de désir et de soulagement. Passer des heures à étudier le corps nu qui se tenait devant elle, c'était une activité à laquelle elle aurait bien voulu consacrer sa vie. Elle aimait admirer le corps nu de son amant, elle le connaissait déjà par cœur et pourtant elle ne pourrait jamais se lasser de cette vue car aucun souvenir, aucun peintre, aucun poète ne pourrait jamais saisir l'essence du corps nu d'Aramis, pas même ces petits portraits qu'ils portaient chacun près de leurs coeurs. Elle avait besoin de le voir, elle avait besoin de le sentir contre elle. Lorsqu'elle tendit la main pour enfin tenir son ardeur, sentir son poids, sa chaleur, ses tremblements de désir, Aramis saisit son poignet et le plaqua contre les draps. Elle laissa échapper un cri, ses jambes encadraient ses hanches, les maintenaient fermement contre le lit, ses mains sur ses poignets l'empêchaient de bouger, de se débattre et ceci la fit gémir. Il la surplombait, elle se sentait bien dans ses bras, elle se sentait bien quand il la dominait de cette façon, quand il était au-dessus d'elle et qu'elle était dans ses bras. Son ardeur reposait sur son ventre. Elle voulait le supplier, le supplier de la prendre et d'enfin la satisfaire mais elle n'eut pas besoin de le lui demander.

     La façon qu'il avait de la posséder était la chose la plus merveilleuse du monde. Le premier coup de rein la laissait toujours sans voix, son ardeur s'était glissé en elle avec une facilité et une force qui avait fait mourir son gémissement dans sa gorge. Un sourire vicieux était dessiné sur les lèvres de son époux. Elle adorait son sourire, ce sourire qu'il n'avait que quand il voyait son corps nu ou quand il entendait ses gémissements. Elle voulait l'embrasser, s'abreuver de ce sourire jusqu'à en être ivre mais il ne l'embrassa pas. Ses lèvres se glissèrent dans le creux de son cou et il mordit la peau blanche et crémeuse qu'elle lui offrait lui arrachant un cri alors que qu'il commençait ses vas-et- viens entre ses jambes. Chacun de ses coups de reins lui arrachait des gémissements de plus en plus profonds, de plus en plus désireux. Il n'avait jamais mis autant de force, autant de fougue, autant de violence dans ses mouvements et elle aimait ça. Elle aimait sentir le poids de son corps sur elle, sentir le contour de ses muscles contre son ventre, la puissance de ses bras autour d'elle, la force de ses mains quand il immobilisait ses poignets, elle aimait se sentir complètement à sa merci. Elle aimait être l'objet de la réalisation de son désir, de ses fantasmes, elle tirait une jouissance infinie de la soumission au désir et aux mouvements d'Aramis. Ses coups de reins se faisaient de plus en plus puissants, ses baisers de plus en plus frénétiques, ses mains de plus en plus demandeuses et Louise- Gabrielle ne pouvait plus penser à rien d'autre qu'au poids et aux tremblements de son ardeur à l'intérieur d'elle.

     Un seul mot pouvait maintenant franchir ses lèvres, sa langue était bloquée sur trois syllabes, elle ne pouvait pas articuler d'autres sons que ceux qui composaient le nom de son aimé. Ses mains, ses doigts étaient plongés dans ses hanches, ses ongles lui déchiraient presque la peau, il lui faisait mal mais cette douleur lui faisait du bien. Elle lui rappelait qu'elle était en vie, que son amant était dans ses bras et qu'il lui faisait plaisir. Il serrait contre lui, ses lèvres ne pouvaient plus quitter les siennes, une force qui les dépassait les maintenant résolument scellés ensemble et lorsqu'ils atteignirent ensemble l'état de jouissance ultime, leurs gémissements en écho moururent dans la bouche de l'autre. Ils restèrent un long moment ainsi, les jambes de Louise-Gabrielle enroulées autour des hanches de son époux, les lèvres d'Aramis écrasées contre celle de sa femme et son membre encore en elle. S'ils avaient pu rester ainsi jusqu'à ce qu'on leur ordonne de quitter la pièce ils l'auraient fait mais Louise-Gabrielle était encore tremblante, son souffle était court et Aramis ne voulait que la prendre dans ses bras et la calmer, la serrer contre lui, caler sa respiration sur la sienne et la regarder s'endormir contre lui. Ils ne pouvaient pas rester ainsi.

     Quand il se retira elle poussa un dernier gémissement, ce n'était pas un gémissement de désir, c'était un gémissement de manque. Son ventre était vide, creux, elle avait besoin de le sentir en elle. Elle voulut prendre son membre dans sa main et le guider à nouveau entre ses plis mais son corps ne lui obéissait plus. Elle était tremblante, brûlante de sueur de désir, ses mains étaient molles et elle n'avait plus la force de se lever. Elle entendit le rire de son époux alors que sa main cherchait son membre à tâtons. Sa main se glissa dans la sienne et elle sentit le corps de son mari s'allonger derrière elle, elle sentit son torse se blottir contre son dos. Aramis l'entourait de ses bras, la couvrait de baisers et de mots d'amour murmurés entre deux soupirs de bonheur dans le creux de son oreille :

     ❝ Que ton corps est beau, mon ange. Regarde, regarde comme l'aurore est bien décevante quand on voit l'éclat de tes yeux. Regarde le soleil qui brille sur ta peau, tes cuisses sont le plus parfait des miroir pour rendre justice à l'éclat du soleil. Tu es belle ma Louise, une déesse, l'image parfaite de la rose devenue femme. Ce n'est donc pas mon épouse mais Aphrodite elle-même que j'ai devant moi.

     Ses lèvres caressaient son oreille avec une douceur qui faisait chavirer son coeur et pourtant, c'étaient ses mots qui la faisait trembler. Sa main parcourait les courbes de ses hanches et de ses seins avec la même vénération que si son corps avait été une statue d'Aphrodite nouvellement retrouvée.

     — Aramis... Mon amour, mon secret, ma fortune, mon Phoebus. Non. Non. Mon mari, Aramis, mon mari, mon mari. Comme j'aime ce mot, comme il te va bien. Je crois que je ne pourrais jamais me lasser de le dire. Mon mari. Je t'aime, mon amour, je t'aime, s'il-te-plaît, restons comme ça, ne bougeons plus jusqu'à ce que la mort vienne nous trouver. Je serai heureuse si je meurs dans tes bras.

     Les mots se battaient pour franchir ses lèvres, elle n'avait plus la force d'articuler et elle était certaine que s'il cessait de la caresser, de la tenir contre son torse, de l'embrasser elle s'évanouirait.

     — Ma femme, ma femme que j'aime, mon épouse adorée, mon aimée, ma Louise, ma seule Étoile. Oui, tu as raison. Époux et épouse, ce sont là de bien jolis noms. Comme il te va bien si bien, ce nom d'épouse, mon ange... Je t'aime, je t'aime et je te garderai contre moi jusqu'à la fin. ❞

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