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VII

ALCESTE :
Non, mon cœur à présent vous déteste,
Et ce refus lui seul fait plus que tout le reste.
Puisque vous n'êtes point, en des liens si doux,
Pour trouver tout en moi, comme moi tout en vous,
Allez, je vous refuse ; et ce sensible outrage
De vos indignes fers pour jamais me dégage.
Jean-Baptiste Pocquelin, dit Molière, Le Misanthrope.

L'abbé d'Herblay n'aimait pas dire les messes. Il n'aimait pas les badauds qui s'endormaient pendant ses sermons, il n'aimait pas les jeunes filles qui essayaient d'attraper l'œil de jeunes hommes, il n'aimait pas ceux qui venaient contester ses paroles après les cérémonies, il n'aimait pas les vieillards qui mettaient la langue lorsqu'il donnait les biscuits de communion, il n'aimait pas ceux qui en profitaient pour s'enivrer au vin de la transsubstantiation. Non, en somme, l'abbé d'Herblay n'aimait pas dire les messes. Après l'exécution de Milady de Clarick de Winter, née Anne de Breuil, ancienne comtesse de La Fère, il avait renoncé au monde. Il voyait de moins en moins la duchesse de Chevreuse, ne la visitant que lorsque son corps ne résistait plus au fouet de pénitence ou à la prière. Il vivait au couvent des jésuites de Noisy, dans le plus grand luxe et la plus grande proximité au Divin. Il ne paraissait en société que lorsqu'il lui était obligé – souvent, car les dames de la cour se pâmaient devant ses prêches. Beaucoup avaient tenté de souper avec lui en privé, mais il avait toujours poliment décliné. C'était un galant qui ne refusait jamais une invitation mais qui était dévoué corps et âme à Dieu, un homme de religion, droit et saint. On avait oublié sa présence au bal de mai 1627, et on avait oublié ses liens dans la relation entre George de Villiers et la reine Anne d'Autriche. De temps à autre, il était visité par ses anciens camarades d'armes, le comte de La Fère et le baron du Vallon, mais jamais plus par le mousquetaire d'Artagnan. Bazin venait le visiter plusieurs fois par semaine et lui donnait des nouvelles du monde. Le quotidien était simple : l'abbé d'Herblay se levait vers huit heures, déjeunait, officiait la messe, priait, mangeait, priait, officiait une nouvelle messe, prenait les confessions, priait, mangeait et dormait. C'était un quotidien bien morne, mais un quotidien qu'il méritait.

Il ne pensait plus vraiment à Louise-Gabrielle, mais le fait même de se rendre compte qu'il ne pensait plus tellement à elle, c'était penser à elle. Il chassait toute pensée d'elle, mais elle revenait comme un spectre, comme les spectres d'Augustin lors de sa crise de foi. Il pensait tellement à elle qu'il ne s'en rendait plus compte. Il n'osait jamais demander de ses nouvelles, de peur de se trahir. Lorsqu'il paraissait dans des salons, il tendait l'oreille pour entendre parler de la comtesse de Vaux. Il obtint deux fois de ses nouvelles ainsi. Il sut qu'elle était sortie de deuil en mai 1628, et qu'en août, elle avait organisé un dîner où elle avait convié le Roi et la Reine. Ils avaient été charmés. L'abbé d'Herblay avait tout fait pour tuer son passé et son amour, mais plus il mettait un effort démesuré à les étouffer, plus ils revenaient, découplés et violents. Partout il cherchait son visage, sa voix. À la messe, il cherchait son visage, et tremblait lorsqu'il voyait une femme rousse. Une fois au Louvre, il avait encore cru la voir, mais ce n'était pas elle. Elle ne sortait plus de Vaux, et il était assez fou pour s'imaginer qu'elle vînt un jour le voir. Il priait sur son petit livre d'heures où, glissés entre les pages, quelques pétales de glycine séchés servaient de marque-page. Dans des moments de doute, il relisait la petite écriture. Lorsque vous servirez Dieu, vous penserez à moi. Et c'était vrai, il pensait à elle. Elle ne le quittait jamais. C'était, cela serait toujours elle, éternellement et simplement. User du fouet de pénitence n'y faisait rien : elle était inscrite dans sa chair. Il n'osait plus regarder ni toucher sa cicatrice, et il se couvrait toujours jusqu'au cou. La cicatrice était douloureuse dans ses accès de désir, et chaque bruissement de tissu venait les exacerber. Il n'était pas très chaste, et il appréciait encore visiter le lit de Marie de Rohan, mais ce n'était qu'un assouvissement des besoins du corps. Ce n'était plus le jeune homme de vingt ans qu'elle avait connu. Il en avait à présent vingt-cinq et Aramis était mort le jour où Louise-Gabrielle avait pris le deuil. Il était l'abbé René d'Herblay, un homme de Dieu et retiré des intrigues de cour. Pourtant, il n'avait jamais retiré son médaillon. C'était une marque de son amour et de son péché, le dernier cadeau d'un mort, et sa culpabilité dans le malheur d'un cadavre. Le soir, tous les soirs, il regardait le petit portrait de celle qui fut son amante et laissait aller son esprit. Et s'il était marié, et s'il avait eu le bonheur de faire sa vie avec elle ? Il caressait doucement la mèche de cheveux à laquelle il avait mêlé les autres pétales de glycine, et il la caressait de son pouce, comme si avec cette marque, il pouvait la retrouver éternellement à ses côtés. Il la tenait près de son cœur, et parfois il venait à poser le médaillon à côté de sa tête, sur son lit, comme si elle lui faisait face.

Il lui parlait. Il lui parlait sans cesse, si bien qu'il en perdait le sommeil. Il parlait avec elle de ces romans précieux, et des poèmes de John Donne, ceux de Lope de Vega et du Roman Satirique. Il lui faisait découvrir les œuvres de Marlowe et Shakespeare et lui disait le sonnet des amants de Romeo et Juliette. Les lèvres de Louise-Gabrielle étaient une châsse à atteindre qui recelaient les reliques d'une Sainte : elle-même. Elle était l'hostie sur sa langue, la douleur christique, l'eucharistie, la transsubstantiation de son Amour en un corps vivant et charnel. Il la séduisait encore et encore, il évoquait ses quelques souvenirs d'enfance heureux, il se promenait avec elle dans son château, à Fontainebleau, et ils se perdaient dans la forêt. Il lui tenait la main et l'embrassait, il honorait son corps et lui faisait l'Amour, l'incarnait dans la vénération de chaque pouce de sa peau. Il fermait les yeux pour tenter de saisir ce temps perdu, cette recherche désespérée du temps qui ne serait jamais, qui n'existerait jamais, car à présent elle le détestait. Il ne voulait pas savoir, et s'il imaginait qu'elle le détestait, alors la vérité de son état était plus aisée à accepter. Il s'était retiré du monde parce qu'elle ne voulait plus de lui, et sans elle, il n'était rien. Autour de lui, d'aucun ne comprenait cette aliénation à une femme, mais comment leur expliquer qu'il s'agissait de sa joie, de sa déesse, de son âme, de son ange ? C'était elle. Du moment où il avait entendu son rire, du moment où il l'avait vue, du moment où sa main avait touché la sienne, du moment où il lui avait parlé, du moment où il avait dansé avec elle, il avait su. Il avait toujours su. C'était comme si après avoir vécu toute sa vie sous l'eau, il pouvait respirer à nouveau. C'était comme si le Paradis prenait enfin sens avec elle. Elle était comme son âme qui marchait dans un autre corps ; quand il la voyait ou qu'il entendait même juste prononcer son nom, il ne pouvait plus respirer. Son corps était douloureux à la seule pensée d'elle. Ce n'était pas simplement du désir, mais vouloir la savoir en sécurité dans ses bras, dans son âme. Il l'avait toujours connue, il avait toujours vu son visage, la rencontrer avait simplement été une révélation. Il prononçait son nom jusqu'à l'ivresse, il écrivait son nom jusqu'à la douleur. Louise-Gabrielle, Louise-Gabrielle, Louise-Gabrielle, Louise-Gabrielle, Louise-Gabrielle, Louise-Gabrielle, Louise-Gabrielle, Louise-Gabriel – Louise-Gabrie – Louise-Gab – Louise – Loui – Lou – L –

Il avait cru que rentrer dans les ordres allait enfin mettre fin à sa douleur, se couper définitivement d'elle, s'amputer de son amour comme une jambe gangrénée. Mais elle était tout sauf un membre pourri dans son corps. Elle le rendait meilleur, elle le portrait vers la Lumière. Il n'avait jamais été aussi mauvais serviteur de Dieu qu'en étant abbé. Il détestait les messes, et encore plus les fidèles. Il ne supportait pas les médisances et les rumeurs. Il voulait courir vers elle, sentir ses cheveux contre son visage, sentir sa peau, sa poitrine, sa langueur, son amour, ses baisers sur sa bouche, il la voulait, et il ne supportait pas qu'elle fût à un autre. Mais il s'était résigné, et ce sacrifice était le plus grand qu'un chrétien pût faire. Tu ne tueras point – Il avait déjà brisé ce commandement et il y a quelques semaines remontait son dernier péché – un duel avec un homme qui avait osé insulter sa réputation et celle d'une comtesse – Tu ne voleras point – Il avait volé le petit médaillon qui se trouvait à son cou sans les rendre à la veuve – Tu ne commettras point l'adultère – Il avait poussé à l'adultère – Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain – C'était peut-être son péché le plus grave, et celui pour lequel il n'arriverait jamais à se repentir. Il était en état de péché constant, et ni la prière ni le fouet de pénitence le calmaient. Il devait se faire force pour ne pas monter son cheval et galoper jusqu'à Vaux et se présenter devant elle, à genoux, la voix tremblante pour lui demander son pardon. Deux diables se battaient dans son corps : celui de l'amant et celui de l'orgueilleux. L'amant voulait se débarrasser de sa douleur et vivre librement ; l'orgueilleux estimait qu'elle l'avait rejeté et qu'il n'avait plus à l'aimer. René d'Herblay ne devait pas céder : mais combien de fois il avait cédé derrière une tapisserie pour trois minutes douze de faux plaisir avec une courtisane heureuse d'avoir défroqué un prêtre ? Parfois il se complaisait à se dire qu'en tant que mousquetaire, il n'avait jamais autant désiré être prêtre et en tant que prêtre, il n'avait jamais autant désiré être mousquetaire. Ce combat incessant le poussait à commettre plus de péché encore, et heureusement que le dogme jésuite assouplissait bien parfois les frontières de la vérité, à brouiller ce qui était juste et ce qui était nécessaire. En prêchant, il s'était rendu compte de la puissance de sa parole. Les gens l'écoutaient, et quoique fussent ses mots, il captivait. Le confessionnal était moment à découvrir de nouvelles jeunes femmes qui le voulaient.

Plus il servait Dieu, plus il s'enfonçait dans la débauche. Il buvait pour étancher son désir, il soulevait des jupes et embrassait dans un couloir. Et le soir, le fouet de pénitence venait lui rappeler son crime.  Un soir, en rentrant de l'office, il trouva une petite lettre de la duchesse de Chevreuse, et une autre d'Athos. Cela faisait plusieurs mois qu'il n'avait pas reçu des nouvelles de son ami et il se prit à rêvasser de son temps de jadis, entouré de ses camarades. Il se délesta de son habit de cérémonie et se fit couler un peu d'eau brûlante dans une petite bassine. Aramis avait un grand soin de son corps, et même en tant qu'abbé d'Herblay, il cultivait encore ses petits rituels. Il aimait se plonger dans de l'eau bouillante, sentir la chaleur sur sa peau, et maintenant sur sa cicatrice. Dans la petite bassine de cuivre, il ramenait ses jambes contre sa poitrine et y restait jusqu'à-ce qu'elle fût glacée, des heures durant. Il ne faisait rien et tentait de ne penser à rien. Il restait là, assis, la tête appuyée contre ses genoux, les yeux dans le vide, seul, éternellement seul. Il lavait ses beaux cheveux blonds trois fois la semaine, et usait d'onguents spéciaux, à la rose de Damas, aux amandes et au jasmin. Il s'exerçait encore beaucoup à l'épée et cultivait sa musculature ainsi. Son torse s'était affirmé, et à vingt-cinq ans, il en paraissait trente. Son visage souriait encore, mais était plus dur, plus froid. Une ombre de rage passait plus souvent derrière ses yeux bleus, et ses lèvres brûlaient d'être embrassées par Louise-Gabrielle. Sortez, monsieur. Je suis veuve. Je suis en deuil. Je vous remercie. Cela l'avait achevé, et la douleur en lui se remuait comme un brasier qui ne s'éteignait jamais réellement. Il se redressa lentement, se pinça ses oreilles sans s'en rendre compte, et passa autour de son corps nu une ample robe de lin et des chausses de nuit. Mais tandis qu'il enfilait l'une et l'autre manche, il s'arrêta soudainement et s'obligea à regarder sa cicatrice. Elle s'étalait en de grandes lignes blanches de la naissance de son cou jusqu'à son mamelon droit, et jusqu'à l'arrière de son épaule, vers le bras. Elle ressemblait réellement au déploiement des ailes d'une colombe, un appel vers la liberté qu'il ne connaîtrait jamais. Il ne supporta pas la vision bien longtemps, et se vêtit complétement. Une fois sur son lit, il décacheta les lettres et les lut tour à tour.

À Paris, le ** septembre 1628.
Mon cher ami, je vous convie à un petit bal organisé en mon hôtel dans quelques jours. Ne restez pas trop enfermé, cela vous va mal au teint – et je sais à quel point vous en prenez soin – . Je fête la rentrée dans le monde d'une amie, une jeune veuve, mais je doute que ces détails vous intéressent tant. Vous amuserait-il de composer un petit blason pour elle ?
La deuxième chose enfin, je tiendrai salon à partir de novembre, une petite célébration pour ma propre rentrée dans le monde après ma disgrâce. Je vous invite tous les soirs, dans mon hôtel. Il n'y aura que quelques invités : des dames et une poignée de gentilshommes ; de quoi vous distraire de tous vos sermons sombres et funestes. J'espère vous voir.
Votre dévouée, toujours, Marie.

À Paris, le ** septembre 1628.
Mon cher Aramis, je t'écris pour te dire que ta bonne amie la duchesse de Chevreuse m'a convié à son bal et ses futurs salons. Je ne sais si tu viendras mais j'aimerais te voir ! Cela fait longtemps que je n'ai point vu ton visage pensif. Et je pense que tu gagnerais à sortir de ton couvent, tu retrouveras peut-être d'anciens amis et compagnes...
Ton ami, Athos.

Aramis soupira. Il n'avait que faire d'écrire des blasons pour une jeune femme en mal de mari, mais la pensée de revoir Athos lui raviva le cœur. Pas un instant il ne comprit, lorsque son ami lui écrivit tu retrouveras peut-être d'anciens et compagnes, qu'il évoquait Louise-Gabrielle. Pas un instant il ne pensa que cette jeune veuve pût être elle. Mais composer un blason, eh bien ! Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas écrit de vers pour plaire, et jamais il n'avait fait cela pour son ancienne amante. Mais pour satisfaire son amie, il le fit bien.

Mouche sur ta cuisse je brûlerai,
Mouche je demeurerai,
Mouche petit et doux grain noir,
Mouche ici que je voudrais le boire.
Autel de mon désir mortel,
Dans les cuisses roses de ma belle,
Je voudrais être porté à jamais,
À cette mouche je m'en remets.
Près du nid d'amour elle vit,
De la nuit jusqu'au jour je le prie,
Je veux que ma dame m'aime,
Comme cette mouche elle aime.
Mes lèvres sur votre secret,
Comme une Sainte dans un dais,
Je vous révère ma dame.
Cette mouche est comme mon âme,
Aimée par vous ici, bénie,
Vivre au plus près de vous, dans votre lit.
Comme je voudrais être ce grain,
Avec vous, près de votre main !

Il ne sut quoi trop en penser, car même si composer des vers était un passe-temps fort distrayant, il n'était pas très à l'aise avec les octosyllabes et les décasyllabes. Il avait pensé à Louise-Gabrielle, et au petit grain de beauté sur sa cuisse droite, près de son bas-ventre. C'était un pur produit spontané et non contrôlé de son désir. Mais pour une jeune veuve qu'il ne connaissait point, cela suffirait amplement. Il avait gardé, dans le plus grand des secrets, son petit appartement à Paris, rue de Vaugirard. Il entreposait là-bas tous les secrets qu'il ne pouvait garder dans un couvent, et c'était là aussi où il rencontrait parfois Marie. Elle était devenue maintenant une véritable amie, dans les liens les plus profonds de la nature humaine. Elle restait parfois une amante, mais c'était l'amie qui prévalait. Ils se retrouvaient parfois pour siroter un verre de vin en philosophant sur le bonheur et la prédestination, et ses nouveaux amants. Il se plaignait des petites nobles qui lui tournaient autour, et elle riait gentiment en se moquant de lui, lui rappelant qu'il avait été ainsi, pas même trois ans auparavant. Il se défendait lui-même, en argumentant qu'il n'avait jamais cherché les faveurs d'autres qu'elle, et qu'il était tombé amoureux, puis il se murait dans un silence qui durait plusieurs minutes, avant qu'elle ne vînt l'étreindre et le rassurer. Marie ne lui parlait jamais Louise-Gabrielle bien qu'elle le voulut à plusieurs reprises. Elle était en relations avec la jeune comtesse de Vaux, qui l'invitait souvent à passer quelques jours dans sa jolie demeure aux environs de Melun. Et à Louise-Gabrielle, Marie mentionnait parfois Aramis car elle savait que sa protégée n'osait lui demander. La duchesse de Chevreuse ne voulait pas laisser cette passion s'éteindre, car dans une pensée purement égoïste, elle savait que les deux jeunes amants étaient destinés l'un à l'autre. Elle avait vu leurs regards s'illuminer lorsqu'ils parlaient de l'être aimé, et de cacher derrière des faux-semblants des sentiments dévorants. Elle avait, au cours de cette année 1628, commencé à fréquenter le comte de la Fère, et c'était sur ses conseils qu'il avait écrit un billet à l'abbé d'Herblay. Parce que, Marie de Rohan, duchesse de Chevreuse, avait invité Louise-Gabrielle, comtesse de Vaux et Henri René Aramis d'Herblay au bal et aux salons. Elle qui avait partiellement échoué à installer la liaison entre George de Villiers et Anne d'Autriche, elle n'échouerait pas avec ses protégés. Elle savait reconnaître un véritable amour lorsqu'elle en voyait un, et elle ne voulait que ces deux idiots gâchent leurs vies à mourir sans l'autre à cause d'un malentendu.

Et comme elle l'avait soupçonné, Aramis vint. Il s'était revêtu d'une belle soutane noir et pourpre, aux manches de dentelle et quelques froufrous sur les bas. Il s'était préparé à forcer son rire et sourire vainement, mais elle était là, dans une robe mauve, ses cheveux roux relevés par endroits, laissés libres à d'autres, un petit éventail rose dans la main, à converser aimablement avec Athos. Ils m'ont piégés ! pensa-t-il, puis : ils savaient que si j'étais averti de sa présence, je ne serais pas venu. Il voulut fuir. Lorsqu'il passa la porte de la petite salle de balle de l'hôtel de Chevreuse, il voulut se retourner, sortir, courir à son cheval, rentrer à Noisy et se cacher sous ses couettes comme un vulgaire enfant effrayé par un orage. Il trembla lorsqu'il la vit. Cela faisait onze mois et quelques jours, il savait le compte précis : penser qu'il ne pensait pas à elle, c'était penser à elle. Il trembla, et manquer de renverser un petit guéridon juste à côté de lui. Le bruit alerta les autres, et elle se retourna. Elle vit d'abord son corps avant de voir son visage, mais elle savait que c'était lui. Elle le savait lorsqu'elle avait entendu son pas entrer dans la salle. Elle le vit en train de toucher le petit meuble, la tête tournée vers l'entrée, et leurs yeux se rencontrèrent. Elle ne sut si elle avait rougi, mais tout son corps tremblait. Elle voulut se jeter dans ses bras, et fuir avec lui, comme ces jeunes amoureux dans les romans grecs. Il était visiblement gêné, elle lui sourit faiblement. Une ombre passa sur ses lèvres, une ombre si rapide que personne ne put la découvrir, sauf Louise-Gabrielle. Il s'approcha lentement vers elle, et le petit canapé où elle était assise, dans un coin, devant une fenêtre. Son pas était lent, rempli d'angoisse, rempli de peur : elle me déteste, elle me déteste, elle me déteste. Et elle sentait son cœur battre au fur et à mesure qu'il avançait vers elle, il me hait, il me hait, il me hait. Elle ne put s'empêcher de le trouver beau en prêtre, même si l'habit de mousquetaire lui seyait mieux. Enfin il lui fit face, et elle lui donna sa main. Lorsqu'il la toucha, il rensentit une si vive douleur qu'il faillit la lâcher, mais elle lui serra doucement les doigts. Il approcha ses lèvres, et le baiser fut une brûlure, une agonie. Louise-Gabrielle ne laissait rien transparaître, et Aramis non plus, mais il y avait dans ce jeu étrange une compréhension qui allait au-delà d'un simple regard ou de quelque parole. C'était de l'amour et le sentiment de retrouver un foyer, une maison depuis longtemps délaissée, de marcher au travers d'une chambre que l'amour et la confiance allaient meubler, et reconstruire, doucement, ces ruines. Il s'assit à côté d'elle et leurs genoux se touchèrent. Louise-Gabrielle voulut se décaler, mais elle ne bougea pas, son corps refusa.

❝ Madame, commença Athos avec un petit sourire presque imperceptible, je ne sais pas si vous connaissez mon cher ami, l'abbé d'Herblay.

— Je crois déjà vous avoir vu quelque part, monsieur.
— Au Luxembourg, en mars 1626.

— C'est bien cela, il me semble. Mais vous n'étiez point abbé à cette époque, si je me rappelle. Vous portiez la casaque des mousquetaires. Le bleu vous allait bien au teint, mais que puis-je dire contre le noir de Dieu ? C'est sans doute le plus bel habit pour un homme de foi.

— Sans doute, madame. Mais servant Dieu, je ne suis plus coquet. Et vous, madame, depuis le Luxembourg ?

— Je suis devenue veuve, monsieur.

Le mot sortit plus tranchant qu'elle ne l'avait voulu. Non, elle n'avait pas voulu être méchante. Mais Aramis se décala et leurs genoux se retrouvèrent libres ; Louise-Gabrielle sentit un nouveau poids sur ses épaules.

— Je vous présente toutes mes condoléances, madame.

— Cela va faire un an qu'il est mort, j'ai quitté le deuil il y a quelques mois. Et puis, ajouta-t-elle plus bas, beaucoup aimaient à penser que je ne l'aimais point.

Il sursauta au mot, et son regard se fit plus perçant. C'est un jeu, donc ? Très bien, je jouerai.

— Oui, eh bien, reprit Athos visiblement gêné, Aramis, pourquoi ne faites-vous pas danser Madame de Vaux ?

— Si elle le désires, je ne peux la forcer à danser.

— Mais je ne vais point refuser, monsieur l'abbé. Je suis sûre que les hommes d'Église ont de nombreux talents qu'ils se plaisent à dissimuler.

Aramis lui tendit une main, et il chancela lorsqu'elle la lui prit. C'était une attaque directement à son cœur, et à sa condition d'homme mortel. Il l'amena au centre de la petite pièce, et la fit tourner autour de lui avant qu'elle ne se plaçât à sa droite. Il s'inclina, elle aussi, et la musique débuta. C'était une petite branle gaillarde, comme celles que l'on pouvait entendre dans les villages de Provence, où les danseurs évoluaient de droite à gauche, et de gauche à droite, en avant et en arrière.

— Vos mois de deuil n'ont pas altéré votre grâce, madame. J'ai fait comme vous me l'avez indiqué, je suis parti.

— Je ne vous ai jamais détesté Aramis, pourquoi votre cœur le pense-t-il ?

— Parce que, Louise, lorsque je vous ai vue, en octobre, dans votre demeure, pleurer votre époux, j'ai pensé...

— Ne pensez jamais pour moi, Aramis. Je suis veuve à présent, et... libre.

— Et moi je ne le suis plus, madame.

— Vous ne l'êtes plus ? dit-elle dans un rire de colère. Vous ne l'êtes plus ? Non, monsieur. Vous êtes plus libre que je ne l'ai jamais été dans toute mon existence. Non, monsieur. Vous êtes libre d'agir à votre convenance, de prendre trois minutes douze de plaisir derrière une tapisserie avec une jeune fille qui rêve de défroquer un prêtre, vous êtes libre d'aimer ou de haïr, de disposer de votre corps, de votre fortune, de vous battre pour des questions d'honneur. Non monsieur, vous êtes libre, et moi je suis veuve. Je suis libre car je suis veuve, vous êtes libre car vous êtes un homme.

Louise-Gabrielle lui lâcha la main et sortit en trombes de la salle. Elle alla se réfugier dans un petit salon près d'une fenêtre qui donnait sur les jardins de l'hôtel. Elle ravala ses larmes et respira difficilement. Qu'avait-elle pensé ? Il la haïssait. Aramis vint à sa suite, et la trouva toute seule dans l'alcôve. Bien sûr qu'elle était partie, elle le détestait.

— Louise, Louise... Pardonnez-moi, je ne pensais pas ces mots.

— Non, Aramis, s'exclama-t-elle en balayant ses larmes. Nous devons arrêter. Nous nous faisons trop de mal. Je comprends : vous me haïssez, et je pense qu'à votre place, moi aussi je serais dans cet état. Vous êtes changé, et moi aussi. Nous ne sommes plus les jeunes amants qui s'aimaient à vingt ans. Je vous blesse par ma présence. Adieu, alors, Aramis. Pensez à moi lorsque vous servez Dieu, c'est tout ce que je vous demande. Adieu.

— Mais...  ❞

Mais elle était déjà partie, et il était seul, à se morfondre derrière ce petit rideau, honteux, rouge, dévoré par le péché. Il resta contre le mur, assis au sol, dans sa rage. Pourquoi était-il ainsi ? Et pourquoi pensait-elle qu'il la haïssait ? Il pensait que c'était elle, elle qui le détestait. Il ne put pas pleurer, pas ici, pas devant tous les invités. Il se releva, se pinça les oreilles et ravala sa colère, contre elle, contre lui-même, et fit société. Il retrouva les sourires forcés et les petites nobles qui voulaient absolument partager un bref instant avec lui, mais il les refusa. Son esprit était à Louise-Gabrielle, celle qu'il n'osait point appeler l'amour de sa vie. Elle était rentrée immédiatement à Vaux. Elle n'avait pas pris le temps de faire remballer ses quelques malles, elle les ferait mander plus tard. Elle fulmina de colère durant tout le trajet, et n'arriva chez elle qu'au petit matin. Comment pouvait-il être aussi cruel ? Ne savait-il pas combien elle avait souffert ces derniers mois ? Vivre avec la culpabilité d'avoir trompé par deux fois les deux hommes qu'elle aimait. Thomas... Elle pensait souvent à lui et au temps qu'elle avait gâché. Il avait été si doux. Il avait été si gentil. Elle repensait à la chaleur de son sourire, et de ses étreintes toujours prévenantes, mais lorsqu'elle pensait à son désir, il évoluait toujours vers Aramis, et la place qu'il occuperait éternellement auprès d'elle. Elle avait été si seule ces derniers mois, à chercher du réconfort dans son grand lit froid et vide, mais elle cherchait son réconfort qu'auprès d'elle-même. Elle s'était faite à l'idée de perdre Aramis à jamais, et bien qu'elle la détestât, elle vivait chaque jour avec cette réalisation. Cela avait été une passion flottante, une rêverie prolongée. À présent elle était femme du monde, et l'on attendait d'elle un rôle : paraître, tenir un domaine, rire et faire aimer. Mais elle était veuve à vingt-trois ans, et comme le monde devenait plus grand pour elle ! Elle pouvait prendre un amant sans en avoir la honte, elle pouvait vivre et voyager, tout cela comme elle l'entendait. mais l'homme qu'elle aimait n'était plus au monde, et il la haïssait. Elle l'avait bien vu, elle avait bien vu son regard noir, ses lèvres fulminer, une rage indiscible. Elle n'avait pas compris pourquoi la duchesse de Chevreuse et son ami avaient voulu les faire se revoir. C'était insensé, et fou, et perdu d'avance. Il la haïssait.

Elle ne parut pas aux salons où la duchesse de Chevreuse l'avait invitée. Si c'était encore une vaine tentative pour la mettre en face d'Aramis, c'était échoué. Mais Louise-Gabrielle était plongée dans un état de profonde mélancolie, un état qui ne fuyait jamais et qui s'accentuait le soir comme une sorte de délire aveugle de sa propre culpabilité. C'était un vide concret entre sa poitrine et son ventre, une sensation de manque concret de la réalité, une abstraction de ce qu'elle vivait, remplacé par l'idée de rater quelque chose, où de ne plus y appartenir entièrement. Si seulement j'avais pu profiter avec Thomas... Elle ne s'alimentait plus réellement, et le bal de septembre avait réveillé quelque chose en elle, un abîme puissant qui déchirait son intérieur, qui la broyait continuellement. Ce n'était plus du désir, elle voulait simplement partir, sortir de ce monde où elle semblait de trop. Se tuer était un péché, alors elle avait décider d'attirer la mort à elle, si simple et si flottante, mortelle et douce. Un soir de novembre, au milieu de la nuit, elle était sortie vêtue seulement de sa chemise de nuit, et avait erré dans les jardins. Il faisait froid, si froid... Mais combien cette sensation était douce et rassurante. Elle s'allongea dans l'herbe, sous le regard des étoiles, et laissa le froid l'envahir lentement, profondément, la dévorer, l'envelopper, comme son linceul futur. Elle s'endormit ainsi, dans la solitude de son être et l'idée que peut-être ailleurs, elle serait enfin en paix. On la trouva le lendemain, frigorifiée et transie et on la transporta dans sa chambre. On fit venir un médecin : que pouvait-il dire ? Conclure à la folie ? Après tout, elle venait de perdre son époux voilà un an et il était connu à quel point les femmes fussent des créatures délicates et sensibles. On tenta de la réveiller mais voilà : elle ne se réveillait point. Elle attrapa bien vite une mauvaise fièvre, puis ouvrit les yeux pour délirer et tousser jsuqu'au sang. Certains recommandaient des saignées, d'autres des cataplasmes, mais pourquoi s'arrêter sur la vie d'une jeune comtesse ? Ce fut le comte de la Fère qui fut prévenu le premier. Athos avait, depuis la mort du comte de Vaux, noué une amitié avec sa veuve. Bien sûr que cette amitié était d'abord interressée : jouer les arrangeurs pour elle et Aramis, mais il s'était véritablement épris d'amitié pour la jeune femme. Il comprenait pourquoi son compagnon le plus cher l'aimait, et à quel point ils se rendaient heureux. Athos accourir dès qu'il reçut la lettre des suivantes de Louise-Gabrielle, et il comprit en la voyant qu'elle pouvait mourir. C'était sans doute une grippe, ou de ces maladies qui frappaient sans prévenir, mais la jeune femme empirait à chaque nouveau jour. La fièvre ne baissait jamais, et elle était en constant délire, à appeler son époux et Aramis, à parler de ses parents et de son frère, et à appeler Aramis à nouveau. Le comte de la Fère ne quittait pas ses côtés, et c'est lorsqu'elle se réveilla un matin qu'il sut.

Oh,  Athos ? C'est bien vous ? Pourquoi êtes-vous ici ? Je ne le mérite point. Mais vous êtes malade, madame. Vous êtes entre la vie et la mort. Je ne veux plus de la vie, Athos. Je ne veux plus de la vie si elle est sans lui, sans Aramis.

À Vaux, le ** novembre 1628.
Aramis, je t'écris dans un état d'immense détresse. Louise est malade, et les médecins ne savent si elle passera le mois. Viens la voir. Tu es peut-être en colère, et je sais que ta décision de prendre le noir a été un acte de colère face à son mariage et ta rejection. Mais pense à cela : tout ce que tu aimes disparaîtra un jour, Aramis. Elle disparaîtra, et avec, ton amour pour elle, tous les souvenirs que tu as partagés avec elle, ses baisers, son rire, sa tendresse, ses sourires, son corps. Tu connais la parole Divine mieux que moi : tu es poussière et retourneras à la poussière. Ne la laisse pas disparaître trop tôt. Votre amour n'est pas achevé : tu le sais et tu te le nies. Va la voir avant qu'il ne soit trop tard et que tu ne le regrettes jusqu'à ta mort. Elle t'aime, Aramis. Et toi aussi, derrière toute ta colère, tout ton orgueil, tu l'aimes.
Ton ami, Athos.

Aramis arriva quatre jours plus tard. Il hurla dans toutes les pièces tandis qu'Athos veillait au chevet de Louise-Gabrielle. Lorsqu'il pénétra dans la chambre, quatre domestiques essayaient de le contenir, en lui prenant les bras et le torse. Le comte de la Fère sursauta en voyant son ami.

❝ Où est-elle ? Où est-elle ? Athos, dis-moi que je ne suis pas trop tard. Je t'en supplie...

— Elle est là, ne t'inquiète pas, fit-il en désignant la jeune femme étendue sur le grand lit. Mais ne crie pas, tu vas la réveiller. Viens t'installer avec moi, à côté d'elle.

— Non, je veux rester avec elle. Je veux rester avec elle. Je veux rester avec elle... La voix d'Aramis se brisa, et il s'effondra au pied du lit, sur les mains de son aimée. Je veux rester avec elle...

Il était à genoux, le front sur la main droite de Louise-Gabrielle, la tête sur les couvertures. Lorsqu'il la releva, ses yeux étaient rouges de larmes. C'était la deuxième fois de sa vie qu'il pleurait, et pour elle qu'il pleurait pour elle. Athos s'agenouilla avec lui, et lui porta une main sur l'épaule. Que pouvait-il faire, si ce n'était simplement rester aux cotés de son ami ? L'abbé d'Herblay ne la quitta pas de la journée et de la soirée. Son ami lui porta un bol de soupe et ils mangèrent en silence sous les flammes de la cheminée. Athos fut le premier à parler.

— Tu vas rester combien de temps ? Tes jésuites ne vont pas s'inquiéter de ton absence ?

— Je vais rester jusqu'à-ce qu'il le faut. Je ne vais pas la quitter, pas maintenant, pas après septembre... Je ne peux pas la quitter, si je pars et qu'elle... Il n'osa pas terminer sa phrase. Et puis, reprit-il en reniflant et essuyant ses larmes, je n'aime pas dire les messes. Je suis un bien piêtre abbé, tu le sais et tu t'es gardé de me le dire lorsque je t'ai annoncé mes ambitions. Non, je suis mieux utile ici, avec elle. Après, eh bien... Je repartirai, et elle m'obliera.

— Aramis, tu sais que je t'aimes, et donc je vais te parler en toute franchise : tu es un idiot. Cela fait des années que je te connais, et je peux te le dire : tu t'engages dans un mauvais chemin. Je sais que tu veux servir Dieu, au fond de toi, tu es théologien. Mais pense à Louise, pense à ce sentiment qui t'as envahi, tout à l'heure, lorsque tu es arrivé. Pense au soir où tu m'as parlé d'elle pour la première fois. Tu m'as dit, et je m'en rappellerai toute ma vie : Je suis un Pygmalion épris de Galatée, cette fois pourtant, Aphrodite n'existe pas pour venir me sauver. C'est à toi de te sauver, c'est à toi de sortir de ta colère et de ta fierté. Je sais ce que tu ressens, mon ami, je sais ce que tu ressens. Mais moi, je n'ai plus ton âge, et je n'ai pas pu corriger mes erreurs. Ne sois pas comme moi, car je refuse que tu manques ta vie rêvée pour ta fierté.

— Athos, je... Elle me déteste, tu as bien vu comme elle était en septembre.

— Et moi qui croyait que tu connaissais les femmes mieux que moi ! Aramis enfin, si elle était ainsi, c'est parce qu'elle t'aimes de tout son être, et qu'elle se sent coupable de t'aimer au lieu de pleurer son défunt mari.

— J'étais là quand...

— Oui, je sais que c'est toi qui a rapporté le corps.

— Non, je veux dire, quand il est mort. Il est mort dans mes bras, et il savait qui j'étais. Il m'a pardonné. Je lui ai pris son épouse, et il m'a pardonné. Il m'a donné ceci, et l'abbé tira de sous sa soutane un petit médaillon. C'est un portrait de Louise, avec une mèche de ses cheveux. Je ne lui ai pas pris, c'est lui qui me l'a donné. Il m'a dit, en l'ôtant : vous savez ce qu'elle m'a dit quand je lui ai donné ? Je serai toujours un peu avec vous. Elle sera toujours un peu avec vous. Dites-lui que je l'aime, dites-lui qu'elle est libre. Et moi, je lui ai menti, parce que quand je l'ai vue, cette nuit là, en train de pleurer son époux, j'ai compris qu'elle l'aimait. Je ne lui ai pas dit ce qu'il m'a dit, je lui ai simplement dit que ses derniers mots étaient : dites à Louise que je l'aime, et non dites lui qu'elle est libre, dites lui que je vous donne ma bénédiction pour vous épouser. Comment pouvais-lui dire ça ? Je suis un lâche, Athos. Je dois racheter mes fautes.

— Tu les racheteras quand elle sera sauvée, va dormir Aramis.

— Je reste là.

— Bon eh bien, je te retrouve demain.

Athos se leva et tapa l'épaule de son ami. Aramis sourit doucement. Il attendit la sortie du comte et alla raviver le feu. Enfin, il remarqua dans un coin un petit prie-Dieu d'ivoire et de velours bleu. Il étouffa un rire d'émotion. Son livre d'heures... Lorsque vous servirez Dieu, vous penserez à moi. Lorsqu'elle priait Dieu, elle pensait à lui. Il s'y agenouilla et joignit ses mains en prière. Mon Père, c'est une supplication peu commune que je Vous fais. Vous êtes grand et Vous êtes bon, et Vous aimez vous créatures, faibles, faillibles, mortelles, corrompues. Je ne Vous sers point dans la meilleure des façons, je le sais, et Vous me jugerez par mon avenir lorsque mon temps sur terre touchera à sa fin. Mais, je Vous supplie, ne laissez pas un ange comme Louise quitter la vie si tôt. Elle est si douce, si tendre, pleine de bonté, et si elle a commis quelque péché, c'est de ma faute.

— Je Vous en supplie, mon Dieu, continua Aramis, cette fois à voix haute, ne lai laissez pas partir... Prenez moi à la place, faites moi mourir, mais mon Père, ne la laissez pas mourir.

— Aramis ? la voix faible de Louise-Gabrielle résonna comme une bénédiction. Pourquoi êtes-vous venu ? Vous me haïssez...

— Louise ! Il se précipita au pied du lit, et serra sa petite main froide, la couvrit de baiser. Je suis venu parce que je craignais de vous perdre.

— Je suis si faible, Aramis... Mais... Elle fut secouée par une quinte de toux, et s'étouffait presque dans ses sanglots. Je ne veux pas mourir, Aramis. J'ai si peur...

— Vous n'allez pas mourir. Vous n'avez pas le droit de mourir, Louise-Gabrielle, vous n'avez pas le droit de mourir, car c'est moi qui vous l'ordonne. Vous n'avez pas le droit de mourir, vous n'avez pas le droit de laisser vos amis seuls, car si vous mourrez, le monde perdra de sa lumière. Vous n'avez pas le droit de mourir, Louise, car je vous en supplie, vous n'avez pas le droit de mourir, car si vous disparaissez, je serai seul et je ne peux vivre... Je ne peux vivre sans vous. Vous m'avez envoûté, corps et âme, et je... je vous... je vous aime, et je ne veux point être éloigné de vous de ce jour jusqu'à ma mort. Je vous en supplie, Louise. Combattez, vivez, vous n'avez pas le droit, car sans vous, je ne suis rien. Sans votre amour, je ne suis rien. Je vous aime, Louise-Gabrielle. Je vous aime. Je vous aime, je vous aime...

— C'est ce que je vous ai dit lorsque vous étiez à ma place ; et moi à la vôtre, murmura-t-elle dans un pâle sourire. Ne me quittez pas, Aramis. Restez. Restez.

— Je resterai. Je suis juste là.

Il vint alors s'allonger à ses côtés, sur le grand lit, qui n'était maintenant plus vide pour Louise-Gabrielle. Il vint l'enserrer, et poser sa tête contre la sienne. Elle brûlait de fièvre, mais pour elle, il mourrait. Il lui embrassa le front, puis prit ses mains et les porta à ses lèvres. Il resta avec elle toute la nuit, il ne s'endormit pas. Il avait si peur qu'elle trépassât dans ses bras, alors il n'avait pas dormi. Il répéta le même rituel le lendemain, et il lui sembla qu'elle commençait à revivre. Athos était parti, et Aramis lui en était reconnaissant. Louise-Gabriellese réveilla dans l'après-midi. La fièvre était tombée, par miracle.

— Vous êtes resté, et elle se noya dans l'odeur de celui qu'elle aimait.

— Je suis resté.

— Je suis désolée, Aramis, pour tout ce que j'ai pu dire. Je ne le pensais pas, je ne l'ai jamais pensé.

— Reposez vous, mon amour, ne vous épuisez pas.

— Je croyais que j'étais ton ange.

— Tu es mon ange, celui qui veille en permanence sur moi. Mais tu es aussi mon amour, ma joie, ma déesse, mon cœur, ma vie, mon âme... Tu es tout pour moi.

— Et tu es tout pour moi.

Elle l'embrassa par surprise, par douceur, par amour. Ses lèvres lui avaient tant manquées. Aramis lui rendit son baiser, plus vorace, plus heureux encore. Elle se releva avec difficulté, et guida ses mains vers sa poitrine. Il la regarda, et elle aquiesca.

— Tu es encore malade, tu devrais te reposer, non profiter de moi, s'exclama Aramis en riant.

— Dit-il, et je sais que je t'ai manqué, je sais que toi aussi, tu rêves de moi. Tu étais blessé, à Crèvecœur.

— C'est vrai, et je ne regrette pas un seul instant. Mais je ne veux pas t'affaiblir plus...

— Je veux sentir ton corps contre le mien, Aramis d'Herblay, lorsque tu me dis que tu ne te sens vivant qu'à travers moi... Je veux me sentir vivante, avec toi.

— Tu m'as tant manquée, oh comme je t'aime Louise...

Il fit glisser délicatement sa chemise de nuit, et embrassa son épaule nue. Elle lui enleva sa veste, et son habit de jour. Il se trouvait en chausses simplement, son torse nu, et sa cicatrice, marque éternelle de son amour et de son désir. Il laissa errer ses mains sur sa poitrine, puis sa bouche. Comme il aimait ses beaux seins blancs et rosés, comme il aimait son corps ! Elle le serra doucement, et voulut prendre l'initiative.

— Je peux ?

— Je ne veux pas t'épuiser ce soir, mon ange. Non, laisse-moi t'honorer seul.

— M'honorer ? Tu parles comme un vrai galant !

Il l'embrassa, et promena ses lèvres sur son corps, alors qu'elle passait sa main dans ses cheveux. Il vint alors descendre vers son aine, et ce petit grain de beauté sur le haut de la cuisse droite. Oh comme il désirait l'être... Il repensa à ce petit blason, et se promit un jour, de le lui offrir. Non, il l'aimait définitivement, intensément, passionnément, simplement. Il embrassa, aima tendrement ce petit creux entre ses jambes, et se laissa aller dans ce plaisir charnel. Il sentit les mains de son amante lui caresser les cheveux, les serrer même alors qu'il redoublait d'inventivité et d'adresse. Il aimait tout cela, la servir, juste la servir, non pas prendre son corps, mais le lui donner, le sien, pour elle et elle seule. Il ne voulait satisfaire qu'elle, ne faire vivre qu'elle... Il se releva et unit son corps à celui de Louise-Gabrielle. Oh comme il aimait son regard, son sourire lorsqu'il était en elle. Pourquoi l'Église condamnait-elle le plaisir ? C'était la chose la plus belle au monde que de donner à une femme tant de sensations et d'amour, de réactions physiques, car l'amour était chose naturelle, et le désir charnel plus encore. L'alliance des corps était pour la procréation, certes, mais pourquoi pas pour soi, pour unir deux âmes tendrement et dans le plus simple apparat ? Elle l'attira contre lui à mesure qu'il accélérait, elle vint poser sa tête contre sa poitrine, une de ses mains autour de son cou.

— C'est vrai que j'aime entourer mes mains autour de ton cou, mais j'ai peur de te blesser, lui chuchota-t-il dans un souffle de plaisir.

— Si je le fais, c'est que je le veux, et que je l'aime. J'aime les savoir là, partout...

À mesure que la mort de l'étoile les entourait tous deux, il embrassa de nouveau sa poitrine, avant de se lier à elle enfin, et de se reposer sur elle. Il avait peur de lui faire mal, mais elle le serra fort, si fort... Il sentait son cœur, entendait son sang, sa chaleur, sa sueur même, son odeur de lilas et de jasmin, entêtante, enivrante. Il vint doucement se repositionner dos à elle, et la prit dans ses bras, couvrit de baiser son cou, ses joues, son dos, et caressa ses beaux cheveux roux. Elle prit ses bras contre les siens et serra ses mains, les embrassa elle-même. Ils étaient heureux, enfin. Enfin... Elle le savait avec lui, et elle savait qu'il l'aimait, et lui aussi.

— Tu es belle, tu es si belle. Il n'y a point de femme aussi belle que toi, Louise... Je ne veux pas que cet instant s'achève.

— Quand est-ce que tu as su ? Je veux dire, quand est-ce que tu as su, avec certitude que tu m'aimais ?

— Quand je t'ai vue pour la première fois. Tu sais, dans les romans, on dit que l'amour nait au premier regard. C'était cela. Dans Romeo et Juliette, quand Romeo la voit pour la première fois, il dit "O, she doth teach the torches to burn bright..." Cela veut dire... Oh, elle aprend aux torches à brûler d'une manière si éclatante qu'il est aveuglé par sa beauté. Et après, il la compare à un bijou, une petite perle d'oreille qu'il voudrait garder près de lui. C'est cela... Quand je t'ai entendue rire, Louise, tu ne peux pas savoir ce que j'ai ressenti dans mon ventre, j'avais l'impression de tomber éternellement, et d'enfin combler le vide entre mon cœur, derrière ma poitrine. Tu es mon âme, ma joie, ma beauté, ma déesse, mon ange, mon amour, mon cœur. Tu es tout pour moi.

— Et moi, lorsque je t'ai vu, je n'ai jamais cessé de penser à toi. J'ai cru t'oublier, mais tu vivais dans mon esprit, dans mon corps. Quand je t'ai vu, j'avais l'impression de marcher dans une maison que j'eus déjà habitée. Je savais qu'en te voyant, je ne serai plus jamais seule jusqu'à ma mort.

— Tu n'es pas morte, je suis là.

— Je ne suis pas morte, tu es là.  ❞

Ils s'endormirent tous deux, comme enfin ils l'avaient secrètement désiré. Mais Aramis se réveilla. Il écrivit une lettre, et il pleura. Il pleura beaucoup, mais il avait péché, et pour racheter toutes les fautes qu'il avaient commises, il devait partir. Louise-Gabrielle était si belle, mais il ne méritait pas son bonheur. Il ne méritait pas de la corrompre et de l'attirer dans l'abîme. Il se détestait, à présent. Il s'était toujours détesté, mais cette nuit lui avait ouvert les yeux : elle était trop grande pour lui. Il l'embrassa doucement, et plaça la lettre sur le lit. Au petit matin, il était parti vers Nancy, les yeux aveuglés par les larmes et la culpabilité du péché originel.

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