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IX


TITUS.
Hélas ! vous pouvez tout, madame : demeurez ;
Je n'y résiste point. Mais je sens ma faiblesse :
Il faudra vous combattre et vous craindre sans cesse,
Et sans cesse veiller à retenir mes pas,
Que vers vous à toute heure entraînent vos appas.
Que dis-je ? en ce moment mon cœur, hors de lui-même,
S'oublie, et se souvient seulement qu'il vous aime.
Jean Racine, Bérénice .

Ils ne vivaient pas ensemble, mais ils soupaient ensemble chaque soir. Par pudeur peut-être, par prudence sans doute, ils n'avaient encore passé de nuit à s'endormir proche du corps de l'un et à se réveiller dans les bras de l' autre. Lorsqu'ils se disaient adieu, ils ressemblaient à deux adolescents rougissants, et lorsque leurs mains s'effleuraient, ou qu'Aramis se penchait pour les lui embrasser, Louise-Gabrielle avait ce petit moment de recul, et il venait l'enserrer, avant de disparaître toujours trop vite, et hésitant : aurais-je du poser mes lèvres sur ses lèvres ? Elle restait seule, assise au sol contre la porte de sa chambre, et elle pensait : aurais-je du le prendre, le laisser me prendre, me laisser tomber dans ses bras, et céder ? Ils n'étaient plus que deux enfants, et cette passion renaissante était plaisante à voir, mais si brûlante et si déchirante. Ils avaient peur l'un pour l'autre, et s'ils avaient été amants, cela ne fut que lors de trois entrevues. Ils avaient manqué cette amitié qui vient entre l'amour naissant et la passion installée, car cette passion avait été brusquement réveillée lors du bal de juin 1625. Elle n'avait été que dormante, et si pesante, si accommodante qu'elle les avait aveuglés. Ils avaient tous deux désiré, au fond, de cette intimité si profonde qu'elle unissait la passion et l'amitié, mais le Destin l'avait prévenue. Alors à présent, ils s'aimaient chastement, comme Tristan avait aimé Iseult dans les bois, séparé d'elle par cette grande épée tranchante. Elle avait toujours été un idéel à atteindre, une forteresse à conquérir, mais le beau chevalier se pliait aux règles de l'amour courtois, et aux caprices de sa dame. Il ne lui écrivait pas encore des beaux vers, et elle ne le décorait pas encore à ses couleurs, mais il lui faisait la lecture, lorsqu'elle dormait, il venait lui couvrir ses épaules nues, et lui pinçait les oreilles pour lui faire rire, lui enlevait quelques pétales de glycine qui tombaient dans sa chevelure. C'était de l'amour, un amour qui avait subi et enduré, et qui se transformait en la plus parfaite harmonie d'un couple. Aramis pensait beaucoup à cette gravure médiévale représentant Lancelot et Guenièvre. Ils étaient tous deux nus, dans un jardin de rose à jouer aux échecs, et lui prit d'une ardeur masculine ; or le chevalier était sommé de battre son aimée au jeu avant de la connaître dans tout son désir. Oh, comme il la désirait ! Son corps tremblait lorsqu'elle s'approchait de lui, lorsqu'il lui prenait la main, tout son être s'embrasait. Il voulait revoir son corps, juste le toucher, et retrouver le plaisir qu'il partageait avec elle dans la plus sainte et la plus sacrée des unions ; il voulait ses mains sur sa peau, ses lèvres sur sa poitrine, ses mains sur sa poitrine, ses mains sur son cou, embrasser son petit grain de beauté sur la cuisse droite, embrasser son ventre, son corps entier, et la sentir avec lui, sous lui, dans toute sa fragilité.

Lorsqu'il s'approchait d'elle, le soir, pour lui dire adieu, et qu'elle reculait, il avait encore peur qu'elle ne le haïssât. Il n'y avait point de raison à cela, parce qu'elle l'invitait tous les soirs, et qu'ils parlaient avec entrain de livres et d'art, de la naïveté de Porthos parfois t de son chagrin avec sa procureuse, et d'Athos et de son nouveau bonheur avec Marie de Rohan. Mais il voyait comme elle le regardait, et il ne voulait être jamais regardé autrement que par elle, par ses yeux gris et verts, dans un mélange de tendresse absolue, de désir douloureux, et de joie si unique. Il ne pouvait se détacher d'elle : il n'y avait que Louise-Gabrielle dans son monde, il n'y aurait qu'elle, à jamais. Si à vingt ans, une âme errante lui demandait : e t vous, mon cher ami, que pensez-vous de l'amour ? Il aurait simplement répondu : c'est une attirance, vouloir posséder l'autre. Mais à présent, il disait : non, c'est vivre et mourir puis renaître juste en apercevant un sourire, un fragment de visage. C'est se damner pour quelqu'un, et renoncer à tout. L'amour, c'est la vie, et la vie, c'est renaître et mourir un peu plus chaque jour. Je ne peux pas vivre sans elle, c'est physique. La seule pensée de ne la point voir m'est insupportable. J'ai besoin d'elle, sans elle je ne suis rien, juste un homme. Oh, il s'enfonçait de plus en plus dans son amour. Lorsqu'il errait dans Paris, ses pas le menaient inlassablement vers l'hôtel de la comtesse de Vaux, et il attendait, seul, un petit livre à la main, que le soir vint, pour souper avec elle. Il n'avait point abandonné Les Confession s, mais il se délivrait chaque jour un peu plus du Jugement Dernier. Il avait repris l' Heptameron de Marguerite de Navarre, et il y avait ce petit conte, très désespéré, de la belle Paulina et d'Amadour. Ma Dame, dois-je parler ou mourir ? Mais Amadour parle sur le conseil de Paulina, et il la perd. Et il y a Floride, et il les perd, il meurt, seul, dans les bras de la religion. Devait-il parler ou mourir ? Aramis voulait parler, car il ne pouvait garder son amour en lui plus longtemps. Il devait parler, parce que s'il taisait ses sentiments les plus profonds, alors il la perdrait à nouveau, et il ne pouvait vivre avec cela. Mais s'il parlait, et qu'elle refusait ? Alors il mourrait, oui, et mourir pour elle, quelle grandeur, il avait si souvent voulu le faire. Mais parler, ou mourir ? Il s'était résolu de lui parler ce soir-là, et si elle le rejetait, alors, eh bien... Il n'osait formuler sa pensée, car l'idée même qu'elle le refusât lui était impossible. Parler, ou mourir ?

Louise-Gabrielle errait seule, et la seule pensée de dehors la terrifiait. Elle ne voulait pas sortir, car si elle sortait, elle le verrait, et elle s'effondrerait dans ses bras. Elle ne rêvait que de lui dire jusqu'à-ce que sa gorge fût sèche : oh mon amour, mon Phoebus, mon secret, ma fortune, mon tendre, mon aimé, oh comme je t'aime, et comme j'ai été ingrate . Le soir, lorsqu'il venait, elle devait se faire force pour ne pas lui demander de l'attirer vers lui, de dégrafer son corsage, et de promener ses mains sur sa peau d'albâtre. Elle le voulait partout, partout, comme lors de ces trois nuits si rapides, et seulement trois ! Elle n'osait se représenter sa présence, mais lorsque le désir se faisait si douloureux, si furieux, lorsque le désir en feu consumait son cœur et faisait battre le sang de ses joues et de son bas-ventre, elle osait parfois y glisser l'une de ses mains, et imiter les caresses de son aimé. Mais comme elle échouait ! C'étaient des rougeurs d'adolescente, et même quelques années auparavant, jamais elle ne s'était préoccupée de son désir. Non, c'était un printemps qui s'éveillait en elle, une nouvelle appréhension de la vie et de ses joies. Elle n'avait pas pleinement mesuré le privilège d'être veuve, et d'être libre . Mais libre, elle ne l'était pas, car aliénée à son amour, à son rôle même de femme, aux bassesses de son sexe et de ce qui la rendait si profondément humaine . Elle ne se risquait jamais à sortir, elle avait peur de l'immensité de sa douleur. Il était vrai que lorsqu'il lui présentait ses adieux, le soir, elle reculait, mais parce qu'elle avait peur de se révéler. Elle avait peur de se montrer dans toute sa féminité, et de l'effrayer à nouveau, de le voir partir, et de se trouver seule. Mais le soir, le soir ! Elle s'allongeait dans son grand lit vide et bien froid, et se représentait Aramis en train de l'étreindre, et de l'aimer passionnément. La jeune comtesse était si seule dans son désir ! Non pas qu'elle n'eut point d'amie, mais comment se confier sur des instincts si primaires ? Louise-Gabrielle ne quittait pas sa petite bibliothèque, et elle se représentait alors tant de grandeurs, tant d'amour ! Et en relisant les derniers vers de l' Odyssée , elle voulut être Pénélope retrouvant Ulysse, dans leur grand lit, la nuit arrêtée pour leur amour. Elle avait honte de ses pensées, mais elle les aimait. Elle voulait être réduite à son statut de femme, et elle voyait en cela la marque même de sa puissance et la force de sa lucidité. Combien voulaient se faire nonnes pour échapper aux hommes, tandis qu'elle mourrait de désespoir de ne point recevoir en son sein, en son corps même tout le poids du corps de son amant ? Elle voulait être à lui , seulement et éternellement, et accomplir ses désirs. L'on voyait les veuves comme des femmes libres, elle voyait le veuvage comme une prison.

Ce soir-là, elle était vêtue de blanc et d'or. Avec ses beaux cheveux roux qui glissaient en boucles le long de sa nuque pâle, ses joues rosées et ses lèvres rouges comme la Mort, elle ressemblait à une statue. Sa gorge délicate était découverte jusqu'à la naissance de ses seins, et laissait voir sous sa peau translucide ses veines bleutées. Elle avait passé à son cou un collier de perles et de diamants qui pendait jusqu'à la naissance de sa poitrine. Son col de dentelle se soulevait au fil de sa respiration, et la chaine d'or qui sertissait ses manches et ses épaules pesait contre son cœur. Une croix d'or et de perles venait alourdir le bout de son col, enfin des perles tintaient par endroits, aux manches, à la ceinture et sur le corsage. Elle resplendissait, mais comme l'une de ces Aphrodite du culte grec. Lorsque Aramis la vit, il oublia de respirer. Il oublia son nom, sa présence sur le monde, il oublia son état, son corps. Il oublia tout, car elle était là, et il se rendit compte de l'idiot qu'il avait été. Il se rappela alors ce qu'il avait confié à Athos, en 1627. Elle est belle, mais intelligente, et d'un corps qui ressemble à ces statues grecques. Je suis un Pygmalion épris de Galatée, cette fois pourtant, Aphrodite n'existe pas pour venir me sauver . Oui, Louise-Gabrielle était Galatée éveillée, et lui un Pygmalion enfin béni. Il n'avait point eu le temps de quitter sa casaque de mousquetaire, et était encore vêtu de sa chemise blanche et de ses bottes toutes crottées par les pigeons. Il détestait les pigeons, ils adoraient ses bottes, mais il tenait tant à leur entretien... Elle était tout, et lui, il n'était qu'Aramis. Il était si honteux de paraître ainsi devant elle, encore plein de sueur de son entrainement, la chemise un peu sale et la casaque en guise de pourpoint. Il tomba à genoux devant elle. Il ne s'était point contrôlé, tout son corps s'était subitement relâché. Il ne mériait pas de poser ses yeux sur elle, il ne la méritait pas, car elle était trop bonne et trop belle pour lui. Il ne bougea pas, il attendit qu'elle vint. Et elle vint. Louise-Gabrielle sentit la main de l'Amour se refermer sur elle. Elle tremblait, tout son corps tremblait car elle voulait se donner à lui, là, dans l'antichambre, contre une tapisserie ou une table. Mais elle ne céda pas à son désir, et elle s'approcha. Elle prit Aramis par le menton, et lui releva la tête. Il caressa sa main avant de l'embrasser, et il la garda un temps.

❝ Relevez-vous, mon ami. Vous n'avez point à vous abaisser devant moi.

— Si, madame. J'ai toujours à m'abaisser devant vous, surtout lorsque vous paraissez aussi splendide, et moi comme un vulgaire mousquetaire.

— Relevez-vous, Aramis. Nous souperons, et après vous aurez tous le loisir de me lire les vers de Lancelot que vous affectionnez tant.

Il lui embrassa la main en se relevant, et elle fit mine de ne rien ressentir tandis que tout son corps brûlait de lui appartenir. Mais elle ne retira pas sa main, et cela il le remarqua. Elle n'avait pas retiré sa main, et il la tenait encore lorsqu'ils rentrèrent dans la chambre du souper. Elle n'avait pas retiré sa main, elle n'avait pas retiré sa main ! Ils mangèrent peu, Aramis se contenta de quelques pois et de blanc de poulets, Louise-Gabrielle de bouillon et de quelques fruits. Puis ils passèrent dans la petite bibliothèque, seuls. Il lui lisait l'un des sonnets de Pétrarque à la belle Laure.

— Cette tendre pâleur qui recouvrit
D'une nuée d'amour son doux sourire
S'offrit à mon cœur si majestueuse
Que mon visage parla avant moi.

Je compris aussitôt comment les saints
Se voient au Paradis : une idée pure
S'ouvrit à moi, à l'insu de tout autre,
Je la perçus, je n'ai d'yeux que pour elle.

L'aspect angélique et les gestes humbles
Qu'a toute femme que l'amour visite
Ne seraient vraiment rien à côté d'elle.

Elle baissait à terre ses yeux nobles
Et disait en silence, ai-je au moins cru,
"Qui donc m'arrache un si fidèle ami ?"

Il s'arrêta un temps et posa le livre sur le petit fauteuil. Il était tout près d'elle, et leurs genoux se touchaient. Comme elle n'avait pas retiré sa main tout à l'heure, elle n'avait pas bougé sa jambe ! Non, elle n'avait pas bougé sa jambe... Il posa le livre, et il se rapprocha d'elle. Elle le regardait avec des yeux suppliants, mais il ne savait de quoi. Il ne voulait pas présumer de quoi. Il se tourna vers elle et s'apprêta à parler. Il se ravisa.

— Mon ami, que voulez-vous dire ? Parlez, enfin.

— Madame, je ne sais. Vaut-il mieux parler, ou mourir ?

— Pourquoi donc, Aramis... Ne me dites pas que... Vous m'abandonnez encore ? Je vous en supplie, ne partez pas... Elle prit ses mains dans les siennes et les serra fort. Parlez, alors, mais ne mourrez point.

— Louise... Louise, je vous aime. Vous transpercez mon âme, mon cœur. Je suis plongé dans l'agonie et dans l'espoir dès que je vous vois. Il n'y a que vous que j'ai aimé. Vous, seulement vous. Dites-moi, dites-moi que ces sentiments, ces mots que nous nous sommes professés depuis 1626 sont vrais, qu'ils ne sont pas partis à jamais. Dites-le-moi, je vous en supplie. Vous avez mon cœur, il est à vous depuis ce bal, et je vous l'offre encore davantage que depuis Crèvecœur et Nancy à présent. Je ne peux point vivre sans vous, je vous aime, je vous aime, je vous aime. Vous êtes celle qui me hante. Il n'y a pas un visage qui me fait penser à vous, pas un mot que j'imagine sans votre voix. Vous êtes la flamme de ma vie, et l'unique objet de mon désir. Je suis à vous, Louise. Faites de moi ce que vous désirez, mais je suis à vous. Je serai éternellement à vous. Je m'abaisse comme Lancelot et Tristan se sont abaissés. Je suis à vous jusqu'à mon trépas.

Elle le regarda, les yeux pleins de larmes, et l'attira vers lui. Ses mains quittèrent les siennes, et il vint caresser son visage, l'approcher de lui, et il l'embrassa. Il avait peur, ce geste était venu si naturellement. Mais elle ne le repoussa pas, elle l'attira, et le serra contre sa poitrine. Elle se dégagea doucement, et lui embrassa les mains.

— Je veux être à vous, Aramis. Je veux être à vous, et seulement à vous. Je veux être votre amante, votre épouse, la mère de vos enfants, votre amie aussi. Je veux vous appartenir dans le plus grand regard de Dieu et des hommes. Vous êtes celui que je désire depuis toujours, et jamais, jamais plus je ne puis envisager de vivre sans vous à mes côtés. Je vous aime plus qu'il n'est permis au Ciel d'aimer : c'est le plus beau des cadeaux et la plus folle des malédictions. Oh, comme c'est à toi, et toi seul que je veux appartenir... Je veux que tu sois mon seigneur et maître, mon époux et mon compagnon, mon rival aussi, je veux que tu sois mon ami et mon amant. Je suis à toi, de ce jour jusqu'à ma mort. Je veux que ton nom m'appartiennes mais je veux que mon nom soit le tien, je veux... t'appartenir.

— Oui, je t'épouserai, Louise-Gabrielle de Fontainebleau. Tu deviendras Louise-Gabrielle d'Herblay.

Tandis qu'il l'embrassait, il commençait à vouloir défaire son corsage, mais elle l'interrompit.

— Non, pas ainsi, Aramis. Viens...

Elle lui prit la main et le mena vers sa chambre. Lorsqu'elle entra, le grand lit ne lui parut point si grand, ni si vide, car il ne le serait plus jamais. Non, c'était une promesse, jamais plus il ne serait vide ! Elle s'arrêta alors, et ils se tenaient tous deux, l'un en face de l'autre. Ce fut là qu'elle se rendit compte de sa taille. Il était si grand ! Elle ne lui arrivait à peine qu'en haut du torse. Il se pencha vers elle, mais elle interrompit son geste.

— Louise, ne veux-tu pas ?

— Avec toi, je veux tout, mais je veux d'abord te déshabiller, te connaître, non pas comme nos brefs ébats. Je veux voir ton corps. Et après, je suis à toi. Je suis à toi comme tu le désires, tant que tu le désires. Mais laisse-moi enlever tes vêtements.

Elle se rapprocha, et il l'enlaça pour l'embrasser. Le baiser ne sembla point s'achever, et comme elle aimait cela. Comme elle eut désiré être Pénélope retrouvant Ulysse, avec une Nuit qui ne se couche jamais ! Louise-Gabrielle lui enleva d'abord sa casaque. Elle se haussa sur la pointe de ses pieds, et il rit doucement à son geste. Elle lui enleva ensuite sa chemise, ses doigts froids le faisaient frissonner, et contre son torse il sentit à l'intérieur de son corps ses entrailles se liquéfier. Il ne pouvait plus bouger, car il était à elle. Il était à elle, à jamais. Elle promena ses mains sur son torse, et sa cicatrice. Chaque contact était encore plus douloureux que le précédent, cette douleur du désir, il voulait l'allonger sur le lit et la posséder, la satisfaire, mais cela faisait partie du jeu. L'attente douloureuse de l'étreinte. Elle lui retira ensuite ses bottes, et se moqua de lui en voyant les immondices d'oiseau qui les couvraient. Il avait, sur ses chausses et ses bas, des petites jarretières de ruban bleu, et elle se baissa lascivement pour les lui retirer. Le désir lui était insupportable, il voulait, comme il voulait ! Elle les lui retira, mais avec ses dents, et lui n'avait jamais autant apprécié ce geste. Enfin, les chausses, et lorsqu'il sentit ses mains froides sur son ardeur, il dut se faire force. Mais à présent il était nu, dans le plus simple apparat de la nature, et dans le plus grand désir. Il comprenait la position d'amant courtois car il devait conquérir son désir, mais à être nu devant elle, il en éprouva presque une certaine timidité. Elle se retourna, et il commença à délacer son corsage. Plus il voyait son dos blanc constellé de taches de rousseur, plus le désir l'assaillait, et il savait que c'était elle qui avait gagné. Il lui enleva ensuite la chaine dorée, qui tomba dans un fracas au sol, brisant leur silence. La robe tomba au sol, mais il restait encore les chemises et les bas. Les premières étaient lacées et il buta quelques minutes avant de les défaire. Cette attente lui faisait apprécier encore plus ce qui allait suivre. Il dégraffa les jupons, et Louise-Gabrielle se trouva nue devant lui, vêtue seulement de son collier et de ses bas. Il lui défit sa coiffure, et laissa tomber sa chevelure rousse sur sa peau translucide. Enfin, il la prit par la main et l'allongea sur le lit. Il était à la hauteur de ses genoux, et imita son geste, les jarretières aux dents. Il lui enleva délicatement ses bas, et commença à embrasser ses cuisses. Il sentait la douleur de son ardeur, mais il voulait enfin que le plaisir fut l'ultime récompense. Il remonta ses cuisses jusqu'à son endroit favori, et embrassa langoureusement le petit point noir. Il se plaça au-dessus d'elle, la tête à la hauteur de son aine, et à mesure qu'il embrassait son bas ventre, il caressait ses cuisses.

— Je veux cela, murmura-t-il enfin. Je veux cela, toujours. Je te veux toi.

— Et moi, je veux être à toi, entièrement. Je veux être ta femme, Aramis. Je veux être ton désir.

Il remonta vers sa poitrine, et l'embrassa. Il plaça sa bouche sur ses seins, et dans un accès de désir, mordit la petite auréole rose. Louise-Gabrielle laissa échapper un gémissement de douleur, et il se stoppa vivement.

— Je t'ai fait mal ? Veux-tu que j'arrête ?

— Non, continue, j'aime cela. J'aime ta douleur, ce que tu me fais ressentir jusque dans mon corps.

Il recommença, et y plaça sa main, avant de le serrer un peu plus fort. Il se noyait dans sa gorge, il se noyait en elle, et la seule pensée de la ravir le faisait vivre. C'était un désir qui les prenait tous deux, le plus vil et le plus humain, et comme cela était beau ! Il ne fit qu'un avec elle, enfin, et à mesure qu'il bougeait, il voyait le visage de son amante s'illuminer. Ses mains venaient s'enfoncer dans son dos, et lui aussi aimait cette douleur. Mais cette fois, il voulait la voir sur lui, la toucher tandis qu'elle le regardait. D'un mouvement du bassin, il se retrouva lui allongé, et elle à sa place. Louise-Gabrielle rougit car elle ne savait pas réellement que faire, mais il la guida. Et il la voyait, si belle, et sa poitrine, avec entre ses deux seins, son collier ! Il touchait, il embrassait, mordait ses seins, et il lui serrait le cou, il lui touchait les cheveux... Il se redressa pour avoir son visage à la hauteur de la poitrine. Dieu qu'il l'aimait ! Il aimait tout son corps, mais sa poitrine ! Il lui mordilla le cou, revint à ses seins, et lui-même lui griffa un peu le dos. Elle venait passer ses mains de ses cheveux, et les lui tirer un peu par instants, griffer même sa cicatrice. Mais la douleur, l'extase même venait de la douleur et du désir, de cette passion essoufflée de deux jeunes amants à vivre leur relation. Il la renversa de nouveau, parce qu'il voulait sentir la culmination de son plaisir en la voyant, sous lui, avec lui, dans la parfaite adoration de son corps. Mais même achevé, il la voulait encore, encore, encore. Et elle, elle avait aimé cela, être sous lui, à lui, savoir qu'il faisait de son corps son désir. Oh, comme elle voulait cela à l'infini, à l'infini... Non, à présent, le lit n'était plus si grand. Non, à présent, le lit n'était plus vide : il ne le serai jamais plus. Il l'enserra le plus fort contre lui, humide de sueur et de plaisir, le souffle court et le sourire aux lèvres. Et elle, elle l'embrassait malgré tout cela, malgré ses cheveux défaits et son corps poisseux, malgré tout ce qui le rendait profondément humain. Elle était dans ses bras, la tête sur son torse, et lui promenait ses mains sur son corps, et elle riait des sensations, et elle soufflait de plaisir lorsque parfois, il redevenait fougueux. C'était tout ce qu'elle avait toujours désiré, son corps contre le sien, et s'endormir contre lui. En la voyant ainsi rêver, il remercia le Ciel. Il ne pensait point qu'elle ne l'entendait.

— Je t'aime, Louise, et j'ai été si sot. Lorsque je t'ai vu pour la première fois, il y a bientôt quatre ans, tu as été mon Paradis. J'ai voulu te repousser parce que j'ai eu peur de ce que je ressentais avec toi. J'ai eu peur de ton amour, de ton désir, de ta beauté et de ton intelligence. Mais Dieu ! Dieu sait à quel point c'est toi, Louise. C'est toi, cela sera toujours toi, et si nous devons mourir et revivre, j'espère toujours te connaître, car tu me rends meilleur. Que serais-je devenu sans toi ? Un abbé qui se ferait constamment défroqué par des jeunes femmes, en quête d'un peu de plaisir, mais toi, toi Louise... je te veux éternellement. Il y a ton rire, ta voix, ton esprit, il y a tout. Et ton corps, Louise, que j'aime ton corps ! J'aime ton désir, et l'idée de te savoir à moi, seulement à moi, à jamais... Je veux être le seul à t'appartenir, et je veux que tu n'appartiennes qu'à moi. Je ne serai pas un époux comme ceux que les jeunes femmes craignent, cela tu le sais. Mais Louise, je veux t'aimer, aimer ton corps, cela constamment. Je veux te faire vivre mon amour le plus longtemps possible, parce que je veux que tu vois à quel point tu me hantes. Je veux entendre mon nom sur tes lèvres, car personne ne me l'a jamais ainsi dit, et je veux être le seul à te dire, dans l'extase, le tien. Je veux que tu sois mienne, et je veux te satisfaire ainsi. Et comme je t'aime ! Comme je t'aime ! Tu as été mon éveil, et tu es ma joie, mon amour, mon cœur, mon âme, mon ange, ma déesse enfin. Je t'ai vue d'abord comme une statue, Galatée, mais moi un Pygmalion déçu, car jamais je ne pouvais te toucher, et t'aimer. Mais à présent, tu es une Galatée éveillée, et l'Amour, le tien, m'a sauvé. Sans toi, je me serais perdu, et jamais je ne t'aurais retrouvée. Mais tu es venue, et tu m'a combattu, et maintenant je suis à toi, je suis ton esclave, et je suis à tes pieds. Je suis l'esclave de ton amour jusqu'à ma mort, Louise. Je suis à toi, à toi seulement, à toi éternellement.

Il lui caressa doucement la joue, et lui embrassa le sommet du crâne. Il s'endormit dans ses bras sans savoir qu'elle l'avait entendu, et qu'une larme coulait de ses yeux. Elle voulait lui répondre tout cela, aussi, qu'elle n'était qu'à lui, à jamais, et que personne ne l'avait jamais autant aimée que lui. Mais elle l'avait trouvé si beau en cet instant qu'elle ne voulait point interrompre sa grâce.

— Merci, souffla-t-elle, merci, je t'aime, Aramis. Je ne l'ai jamais autant pensé.

Elle se blottit dans le creux de ses bras, sa tête sur son torse, et elle se laissa couler dans son amour. La chaleur de son souffle la rassurait tant, au-dessus de son épaule, au-dessus de son cou, au-dessus de sa bouche. Louise-Gabrielle se sentit couler dans ses battements de cœur, car les siens et celui d'Aramis n'étaient que plus que l'un et pour l'autre. Son cœur ne battrait plus que pour lui, à jamais, à jamais, à jamais... Et lui était enfin à elle, ou plutôt : elle était à lui, et à jamais son corps pour servir son plaisir. Quelle belle idée que de se donner entièrement pour servir le plaisir de celui que l'on aimait ! Cette nuit-là, elle rêva de son mariage, de sa famille, et de son foyer. Elle était encore vêtue de sa robe d'ivoire lacée d'or, parée de diamants et de perles et d'opales, et lui était dans un pourpoint bleu pâle qui rappelait son uniforme de mousquetaire. Il l'embrassait, encore et encore et encore, il l'embrassait, et seulement cela comptait au monde. Il l'embrassait enfin, et elle le possédait, et il la possédait. Elle ne voyait pas réellement ses enfants, mais simplement quatre visages familiers et aimants, et de la douleur aussi, mais une belle douleur. C'était le bonheur qu'elle voyait, un bonheur endurant et éternel... Elle se réveilla parfois dans la nuit, et elle était prise d'une angoisse car elle avait peur de l'avoir vu disparaître, mais elle se retourna et il était encore là, et il la serra encore plus fort contre lui.

Aramis ne crut pas à cette nuit, car elle était trop belle pour lui. Jamais il ne pensait qu'elle pouvait avoir lieu, car il ne la méritait point. Il ne mériait rien, et il ne méritait pas Louise-Gabrielle. Quand elle était venue le chercher, il n'y avait pas cru. Ce n'était pas qu'il n'avait jamais pensé qu'elle ne pût jamais agir ainsi, c'était qu'il ne l'avait jamais imaginé. Il n'avait jamais envisagé le fait qu'elle pût venir à sa recherche. Jamais il ne s'était pensé si désirable et si aimé au point tel de voir la femme qui le portait en elle sacrifier sa réputation et son cœur. Elle avait renoncé à sa vie dans le monde, et son image comme comtesse de Vaux pour lui. C'était à lui qu'elle avait offert sa féminité, le plus grand acte de sacrifice et d'amour qu'elle put jamais faire. Dans son rêve, il était avec elle, et heureux, et ils dansaient sans jamais s'arrêter. Ils dansaient des voltes, et des menuets et des ballets, et ils ne s'arrêtaient jamais. La musique se faisait de plus en plus forte, et ils se retrouvaient nus, comme ce soir-là, dans l'extase et la jouissance, l'Amour seul. Son cœur battait, il n'y avait que cela comme signe véritable de son désir. Son ardeur était humaine et corruptible, mais les battements de son cœur étaient réels. Il se voyait à ses côtés, et quatre figures, et il se voyait mourir, mais heureux. Aramis avait peur de la Mort, et il détestait se l'avouer. Il détestait l'idée de savoir con corps se corrompre et se désagréger dans la terre sans autre forme de trépas. Peut-être que son âme monterait au Paradis, mais le seul Paradis où qu'il désirait accéder était celui des bras de son amante. Il pensait encore, quelques mois à peine : s'il n'y a pas d'enfer, il n'y a pas de Dieu, et s'il n'y a pas de Dieu, que suis-je ? Il avait peur de cela, de cette promesse de Vie Éternelle, car il avait tant péché qu'il n'osait s'y représenter son accès. Et surtout, il n'osait se représenter sa vie sans Louise-Gabrielle, et si elle entrait dans la béatitude, et lui dans les abysses des flammes, alors il ne le supporterait pas. Il ne se le pardonnerait jamais. Dans son rêve même, comme si la personne du songe et le véritable Aramis se rejoignirent, il pensa : j'ai parfois un mouvement d'humeur involontaire contre la mort, je ne la crains pas pourtant, je suis chrétien. Je ne sais pourquoi je lui en veux parfois, comme à une ennemie personnelle . Mais dans son rêve, il mourrait, mais heureux, entouré de l'amour de sa vie et de ses enfants. Oui, j'aurai des enfants. Je serai père ... Il fut baigné par la lumière au petit matin, car ils n'avaient pas repoussé les rideaux du grand lit. Il l'embrassa lentement sur le front, et il la voyait s'éveiller lentement.

— Tu n'es pas partie, chuchota-t-il. Tu n'es pas partie.

— J'ai toujours rêvé de me réveiller à tes côtes, Aramis. J'ai toujours rêvé de toi, je le crois bien. Tu sais, et elle s'allongea sur le ventre, face à lui, et commençait à lui caresser le torse, à laisser sa main errer sur ses muscles, tu sais, lorsque j'étais enfant, je rêvais d'un homme qui aimait mon désir. C'est idiot, et beaucoup d'hommes pensent ainsi, et pourtant ils ne présument pas qu'une jeune femme puisse le vouloir, mais je veux être à toi. Ils prennent cela pour acquis, qu'une femme est à eux, et qu'elle se laissera faire tel est son devoir. Mais je pense que notre vraie force, et à présent que je suis veuve, c'est d'oser t'exprimer ce que mon corps veut, qui est ce qu'un homme veut aussi. Et je sais que c'est ce que tu aimes, je sais que tu me veux.

— Jamais je ne connaîtrai mieux que toi, mon ange. Pour toi, je ferai tout... Tout ! Ton corps, ton corps nu, c'est la plus belle au chose au monde.

— J'ai rêvé de cela, depuis Crèvecœur, de me réveiller à tes côtés. Je n'ai rêvé que de cela, d'être avec toi, à l'aube, juste avec toi, toujours avec toi. Aucun poème ne peut figurer ce que je ressens pour toi, mon aimé, ma fortune. Tu es ma fortune, Aramis. Je ne fais que me répéter, mon Phoebus. Mais je t'aime, et j'ai la sensation de te le répéter, encore et encore, et de perdre la puissance même de ce mot. T'aimer, que cela veut-il dire ? Je t'aime, mais aimer ? Je perds de ce que je veux dire. T'aimer, c'est te désirer, oui, désirer ton corps et ton esprit, mais aimer tes faiblesses et ce qui te rends humain. Tu es si humain, Aramis. Si tendre, mais si humain... J'aime cela, mais je l'aime... J'accepte, et je te comprends, et je le chéris. Si un jour tu devais te détourner de moi... Non, reprit-elle alors qu'il voulait l'interrompre. Non, si un jour tu devais te détourner de moi, alors je te pardonne déjà. Cela sera une errance, sans doute, mais l'amour, cela peut s'affaiblir... Aimer, que cela veut dire ? Je me perds en toi, Aramis. À jamais.

— Louise... Jamais... Jamais je n'oserai...

— Ne dis jamais, jamais, mon amour. Nous ne savons rien, et le futur ne nous appartient pas. Je veux juste t'admirer en ce matin, et me rendre compte à quel point je suis chanceuse de t'avoir.

— Alors laisse-moi t'honorer, mon cœur. Laisse-moi... Lorsque tu dis que tu veux être à moi, je veux que seul mon nom ne franchisse tes lèvres. Je veux être à toi autant que tu désires être à moi, mais ce désir si féminin que tu me décris, c'est aussi celui que je ressens. Celui de te savoir entière dans mes bras, si belle, si tendre, toute à moi. J'ai accepté l'idée de ne pas t'avoir eue durant un temps ; et je n'ai pas non plus été à toi entièrement. Mais à présent, à présent, je veux t'épouser et te savoir unie à moi, ton corps contre le mien, ton âme liée à la mienne. Je me suis perdu, et c'est toi qui m'as retrouvé. Tu es mon guide, ma lumière, ma déesse. Tu es une déesse, Louise.

Il l'embrassa, mais ses lèvres tremblèrent. Elle ne l'avait jamais vu trembler ainsi. C'était une grâce, mais une grâce hésitante. Il la releva doucement, mais ses lèvres tremblaient. Lorsqu'elles se joignirent, elle sentit sur sa bouche le sel de ses larmes et de son incertitude. Ce n'était pas un baiser de passion, mais un de soulagement et de gratitude. Il lui caressait les cheveux tendrement, et chaque mouvement la faisait mourir entièrement dans les plus profonds abysses de son être. Elle sombrait un peu plus à chaque étreinte, et il s'abaissa à elle. Il laissait errer ses mains vers le haut de ses cuisses, et ses lèvres se posèrent sur son ventre.

— Lorsque nous nous marierons, ce ventre deviendra ton autel, Aramis. Il deviendra la preuve ultime de notre amour. Je veux porter tes enfants, avoir la marque de ta présence sur mon corps, savoir que tu as été là, et qu'ils sont le fruit de nos étreintes. Mais plus tard, plus tard... Je te veux toi, toi à jamais, et je veux profiter de toi. C'est une pensée bien égoïste, mais toi d'abord. Ce sera toujours toi...

— Oui, d'abord nous... Marions-nous là, Louise. Je ne parle pas d'une cérémonie et d'un prêtre mais un acte de sacrifice et de passion, l'acte ultime de notre liaison. De notre désir, mais d'autre chose encore. Nous avons été posés sur cette terre pour vivre l'un avec l'autre, cela je le sais. Ce n'est point que tu es à moi et que je suis à toi, mais nous existons car nous sommes ensemble. Je suis en vie car tu es là, et sans toi, je ne suis rien. Je veux t'épouser, mais je veux quelque chose que même Dieu n'accorde qu'à de petits élus. Je ne peux pas être encore ton mari, je dois demander audience au roi, mais je peux être à toi. À toi, toujours à toi. Si je devais choisir, Louise, entre vivre heureux et riche, avec tout l'or du monde dans un palais en ivoire et rester avec toi dans le plus simple apparat de la nature, pauvre et miséreux, je choisirai cela autant de fois qu'il me sera permis. Quand je parle de l'amour qui m'envahit pour toi, de cet amour qui me possède, j'ai l'impression que tout le langage de la terre ne peut pas le transfigurer, et que mes mots appauvrissent mes sentiments. Je veux ta vie, ton corps, dans cette vie et dans toutes les autres. Louise, je veux répéter ton prénom jusqu'à-ce que me manque le souffle... ❞

Il la regarda à présent, et il était un peu en deçà d'elle, la tête appuyée contre son ventre. Son corps, sa poitrine, ses jambes, son cou ! Tout l'enivrait, tout, tout, tout, et quand mouvement vers Louise-Gabrielle le faisait chanceler un peu plus. Et son parfum, son odeur de lilas et de jasmin ! Il voulait vivre dans son cou, et ne plus jamais s'en séparer. Il ne pouvait s'empêcher de l'admirer, car c'étaient sur elle que ses yeux se posaient toujours inévitablement. Il n'était rassuré que lorsqu'il la voyait, que lorsqu'il entendait sa voix et sentait son corps près du sien. Ne pas être avec elle le faisait souffrir, mais avec elle encore plus, car il ne pouvait pas la toucher, pas la sentir proche de lui. Mais ce matin-ci, il s'était réveillé à ses côtés pour la première fois, et il avait laissé échapper un soupir de soulagement, car tous les matins jusqu'à sa mort seraient ainsi. Il laissa errer sa bouche jusqu'à son bas ventre, et l'embrassa langoureusement. Il l'avait déjà fait, et il savait qu'elle appréciait, mais l'idée même de lui donner du plaisir, de lui offrir la jouissance par seule bouche prenait son corps. Il voulait la satisfaire entièrement, à chaque instant, et lorsqu'elle gémissait et tremblait entre ses bras, sous son corps, alors il se sentait rassuré. Il savait, Dieu il savait à quel point il se sentait chanceux ! Mais l'entendre murmurer jusqu'à l'extase Aramis , mon Aramis , cela le transportait. Lorsqu'il lui faisait l'amour ainsi, et qu'elle tirait ses cheveux, qu'elle passait ses mains dans ses boucles blondes, comme il se sentait vivant ! Ils ne quittèrent pas le lit de la journée jusqu'au matin suivant. Ce ne furent que des heures tendres d'amour consommé et de belles discussions sur la poésie des choses et l'amour des lettres. Ils étaient restés nus entre les draps, et elle lui faisait la lecture pendant qu'il l'admirait, sans jamais détacher ses yeux d'elle. Puis il parlait de ses rêves de voyage et elle l'écoutait, buvant chacune de ses paroles comme un bon vin de jeunesse. Il voulait voir Florence et l'Espagne, Titien et Botticelli, les jardins de Grenade et Séville. Comme il voulait tout maintenant, comme il était avec elle !

Ils vécurent plusieurs mois de bonheur ainsi, juste tous deux dans le ventre de leur intimité. Aramis déployait tous les moyens pour obtenir de la Reine et du Roi une dérogation. Mais il avait honte aussi, avouer sa faiblesse de n'avoir su tenir ses vœux. Lors du printemps de 1629, il fut convoqué au Louvre. À Louise-Gabrielle, il n'en tint pas un mot, car il eut peur de la décevoir. Et s'il était exilé ? Et s'il ne pouvait plus jamais la revoir ? Non, il n'en dit pas un mot, car il eut bien peur. Et puis il y avait en lui, et il ne pouvait lui dire, car il avait peur qu'elle ne comprît jamais, il y avait en lui une honte presque. Elle était fille de châtelains, et comtesse. Mais lui... Lui était fils de simples tisserands de Rouen, et il avait renoncé à ses vœux pour elle. Il avait été élevé au rang de chevalier lorsqu'il avait entré le corps de garde des mousquetaires du Roi, mais ce titre n'était rien pour Louise. Il n'était point fortuné, il n'avait pas même un château à lui offrir... Il savait qu'elle n'en avait cure, mais pour lui, pour lui eh bien, il se sentait si bas, si pauvre devant elle. Il voulait la couvrir de présents et de bijoux, mais ce n'était point sa maigre solde de soldat qui viendrait l'aider à combler son rêve. Il voulait être à son rang, et il rêvait de véritablement percer les cercles de la noblesse. Comment pouvait-il avouer cela ? Il savait qu'elle ne dirait rien, mais son orgueil masculin le murer dans le silence. Il se rendit alors au Louvre un matin de mai 1629, seul, hagard et ivre de bonheur. M. de Tréville était satisfait de son service, et lorsqu'il était revenu de Nancy, l'avait accueilli à bras ouverts. Ils voyaient ses amis deux fois le mois, et eux-mêmes s'enorgueillissaient d'avoir contribué de manière si active à son succès. Il ne voyait plus beaucoup d'Artagnan, mais il ne l'avait jamais apprécié. Non, lorsqu'il se présenta dans l'antichambre de la Reine, Aramis était gorgé de bonheur et rongé de doutes. Il revoyait là toutes ses aventures de jeunesse, à peine quatre ans auparavant. Il aimait déjà Marie de Rohan, et il complotait pour les joies de la Reine. Il avait toujours trouvé Anne d'Autriche une femme magnifique. Elle était une femme de sa vie, il se l'avouait. Elle avait tant fait pour lui, et lui pour elle. La Reine avait toujours été une compagne fidèle et une gardienne précieuse de ses sentiments incertains. Et aujourd'hui encore, elle honorait ce qu'il osait parfois appeler amitié.

Il fut introduit dans ses appartements, et une bouffée mélancolique l'envahit. Il se souvenait de ce grand lit en brocart doré, et de ces murs blancs et bleus qu'il avait si souvent fréquentés. Il se souvenait du petit rideau derrière la porte dans le mur, où il avait embrassé Marie pour la première fois. Ils venaient de sceller une rencontre entre George de Villiers et la Reine, et un élan de joie l'avait emporté. Marie ne l'avait pas repoussé, elle avait ri, et le soir il la découvrait nue pour la première fois. Il se rappelait des sourires mesquins de Bernajoue et du Cardinal, les regards pleins de haine de Rochefort et plein d'admiration de M. de Tréville. Oh comme ses premières années lui manquaient ! Il était encore jeune, il avait la vie devant lui, mais l'innocence des soirs où il cherchait Louise-Gabrielle dans la foule lui manquait terriblement. Mais l'idée enfin de passer sa vie à ses côtés, de se réveiller auprès d'elle chaque matin, de connaître sa peau, son corps, et d'entendre sa voix jusqu'à l'ivresse, cela le dépassait. Il avait peur de se perdre dans sa bêtise un jour, et de la perdre de nouveau. Lorsqu'elle lui avait dit : non, si un jour tu devais te détourner de moi, alors je te pardonne déjà. Cela sera une errance, sans doute, mais l'amour, cela peut s'affaiblir , il avait eu peur, car il ne voulait jamais que cela arrivât. Jamais il ne céderait, il s'en était fait le serment, et elle l'aimait tant au point de lui pardonner, sans même affronter l'avenir... Il l'avait quittée ce matin, et il ne voulait plus être au Louvre, il voulait revenir devant elle, à ses genoux, sa main entre les siennes, sa bouche sur ses lèvres, sur sa poitrine... Il avait peur, soudainement, et il sentait les jambes se dérober sous lui : et s'il la perdait par sa faute ?

❝ Bel Aramis, merci d'être venu. Je suis navrée de n'avoir pu vous recevoir plus tôt, mais vous savez bien comme moi que vous êtes attaché à un passé navrant et regretté.

— Ma Reine, ne vous excusez point, vous êtes souveraine de ce royaume : vous avez tous les droits.

— J'ai eu vent de vous amours, mon ami. Et je veux vous aider. J'ai reçu Louise il y a quelque temps, c'est moi qui lui ai dit où vous vous terriez. Je ne voulais pas laisser filer une belle histoire d'amour comme je n'en ai jamais eue.

— Ma Reine, que ferai-je sans vous ? Il s'inclina devant elle, les yeux presque humides. Ma Reine, vous êtes bonne et douce, vous savez bien que je désire en faire mon épouse, mais je n'ai ni le rang et la fortune, ma naissance est commune...

— À cela je peux remédier, mon ami... Elle s'en alla chercher sur son bureau une lettre à l'écriture bien serrée et fine, où était apposé le sceau royal. Tenez, relevez-vous, Aramis, chevalier d'Herblay et marquis de Bourron. Ceci est votre nouveau titre, et accompagne vos terres et le petit château qui s'y trouve. Quant à Louise, nous serons à Fontainebleau de la fin de ce mois jusqu'à la fin de juin, venez-y un soir et dites-lui vos vœux. Elle vous aime, Aramis, n'en doutez jamais. Et si vous avez besoin de mon aide, je suis votre amie. Nous avons presque le même âge, et vous me connaissez mieux que beaucoup de mes dames de parages. Non, je veux vous voir heureux.

— Ma Reine, vous êtes trop belle et trop bonne pour ce pays. Le jour de naissance de Louise est au quatre du mois de juin, accepterez-vous ?

— Vous serez conviés tous deux à Fontainebleau du trente mai au dix juin, mon ami.

— Merci, ma Reine, merci !

— Lorsque vous serez mariés, ne quittez point votre domaine avant la naissance de votre troisième enfant ! Vous aurez bien le droit de venir de temps à autre à la cour, mais vous êtes un homme qui a renoncé à ses vœux, il vous faut bien vous punir...

— Lorsque j'aurai une fille, ma Reine, vous serez sa marraine car si elle devait apprendre dans la vie, je veux qu'elle vous ressemblât et qu'elle vît en vous un modèle de bonté et d'honneur.

— Partez, mon ami. Lorsque vous serez à Fontainebleau, je vous aiderai. ❞

Aramis partit le cœur léger et l'âme soulagée. Il écrivit à Athos et Porthos en rentrant dans son petit appartement, et les convia à Fontainebleau. Il ne savait réellement ce qu'il ferait, mais il savait qu'il déclamerait son amour à Louise-Gabrielle devant la cour entière. Il eut alors l'idée de ces Italiens qui chantaient leurs passions sous les fenêtres de leurs belles. Pourquoi ne ferait-il pas ainsi ? Il chanterait son amour pour sa future épouse, ce qui le transportait et ce qui le faisait vivre. Il rapporta à son aimée l'invitation, et une semaine plus tard, ils étaient au château. Elle lui faisait visiter les recoins cachés, les jardins dissimulés et lui enseignait les beaux tableaux du Primatice et du Rosso Fiorentino. Il l'écoutait sans jamais détacher ses yeux d'elle, il l'écoutait sans jamais penser un seul instant à l'éclatement dans son être, de la douleur de la sentir si près, à sa respiration qui se bloquait, car en sa présence, tout était douleur et extase. Elle était si belle, vêtue de rose et de bleu, avec ses boucles rousses le long de son cou d'ivoire. Il se faisait force pour ne pas l'embrasser, pour ne pas laisser promener ses mains sur sa chair, pour ne pas la prendre dans ses bras et la sentir si proche, si proche... Mais elle était radieuse, et il savoura chaque heure avec elle, car il ne savait quand il mourrait. Fusse le lendemain ou soixante-cinq ans plus tard, c'était bien elle ! Au matin du quatrième jour du mois de juin, il lui demanda de l'attendre au jardin de Diane à la tombée de la nuit. Athos et Porthos étaient arrivés, ainsi qu'un ami de Louise-Gabrielle, le jeune favori de Louis XIII, Claude de Rouvroy de Saint-Simon. Elle ne savait pas ce qui se tramait, mais elle avait vu le petit sourire rêveur d'Aramis, un sourire coquin qu'il avait le soir lorsqu'il la voyait nue, sous son corps, à plaider son nom de plaisir. Elle aurait vingt-quatre ans ce jour-là, et comme une jeune idiote, elle avait peur de la surprise de son amant. Elle le connaissait impulsif et idéaliste, et ce sourire l'inquiétait.

À la tombée du soir, elle l'attendit sur le bord de la fontaine, dans le jardin de Diane. Elle était vêtue d'une robe de soie mauve et bleu pâle, avec des opales à ses oreilles des diamants autour de son cou. Elle l'attendit, et il ne vint pas. Elle l'attendit, et il ne vint pas, et elle eut peur. Et s'il était parti ? Et s'il avait été pris de remords ? Non, cela ne se pouvait, son sourire, son sourire indiquait une autre histoire, il ne pouvait avoir menti ! Peut-être s'était-elle trop donnée en amour, et il avait pris peur. Elle attendit, et il ne vint pas, et au bout de trois heures, elle commença à pleurer. Non, quelle idiote elle faisait ! Il lui avait promis le mariage, et elle s'était laissé berner par les paroles d'un bellâtre, d'un séducteur notoire qui renait la religion et déshonorait les plus fins sacrements... Elle l'attendit, et il ne vint pas. Chaque minute qui passait était un couteau dans sa chair roide, et chaque murmure au loin un espoir qui brisait un peu plus son amour. Non, elle l'attendit mais il ne vint pas. Elle pleurait silencieusement, mais elle entendit approcher.

❝ Mais enfin, petite Louise, ne pleurez point ! Que faites-vous seule ? On vous cherchait, avec Claude et Athos.

— Porthos ? Claude et Athos ? Eh bien, mes amis, vous êtes là mais mon aimé point. Je suis au moins chanceuse.

Elle se releva du banc de pierre et épousseta sa robe. Elle s'approcha du géant et du jeune homme. Pourtant, à travers la pénombre, elle remarqua son grand sourire niais, celui contre lequel Aramis pestait si souvent.

— Venez, petite Louise. La Reine vous attend !

— Pourquoi la Reine ? Et où est Aramis ?

— Vous verrez bien ! Allez !

Il la prit part le bras et lui fit gravir les marches de l'escalier en fer à cheval. Il la conduisit enfin dans la grande galerie. Elle avait remarqué, pourtant, les bougies disposées sur les marches, et des fleurs autour. Et au sourire de Porthos, une idée germa dans sa tête. Non, ce ne pouvait-être... Et elle vit aussi le grand sourire de la Reine, seule dans cette grande galerie. En s'inclinant, Louise-Gabrielle sentit sur elle des regards attendris.

— Mon amie, relevez-vous. Vous êtes célébrée, et vous fêtez vos vingt-quatre ans. Vous êtes radieuse.

— Ma Reine, pardonnez-moi, mais le Chevalier d'Herblay devait venir me rejoindre, ne l'avez-vous point aperçu ?

— Le Chevalier d'Herblay n'est plus, enfin... Si, il est aussi à présent marquis de Bourron, et venez donc sur le balcon, en haut de l'escalier.

— Comment ?

Mais Louise-Gabrielle comprit enfin lorsqu'elle entendit le luth, la viole d'amour, le tambour et la petite flûte. Elle eut envie de rire ! De rire ! Elle se tenait en haut de l'escalier donc, et sur les marches, quelques pieds en dessous d'elle, Aramis entouré de ses compagnons, jouait. Oh comme elle eut envie de rire ! Autour d'eux, des gentilshommes et des dames se pressaient dans des murmures et des petits soupirs de contentement. La jeune femme descendit quelques marches dans la fraicheur de juin et dans l'odeur de la glycine et de la lavande. Elle se trouvait face à Aramis et son luth, et elle sourit comme une enfant. Dans un élan, il commença à chanter. Sa voix était claire et radieuse comme un soir d'été.

— Qu'est-ce donc que la jeunesse, ma belle,
Sinon l'espoir de voir sur vous vos ailes
Se déployer pour vous porter au plus haut Paradis.
Vous êtes ma lumière dans la nuit,
Et mon cœur dans le plus beau palais.
Rien sans vous, et si un jour je m'en allais,
Maudissez-moi, mon ange, car c'est que je vous aimais.
C'est à vous que je demande, à jamais,
Votre nom et votre âme, ma fortune, sans vous,
Je ne puis jamais vivre que de boue
Et de misère.
Oui, Louise, sans toi je ne suis rien, et je t'ai clamé, des mois durant, que je t'aimais, et que je voulais faire de toi ma femme, mon épouse, la deuxième partie de mon âme, alors l'acceptes-tu ?

— Je croyais que tu ne me demanderais jamais.

Elle se jeta dans ses bras, les yeux remplis de larmes, car elle était heureuse. Elle était heureuse d'enfin appartenir à Aramis, d'être à lui enfin, à jamais, à l'éternité. Elle ne pouvait décrire cette sensation, les battements de son cœur qui cognaient contre sa poitrine comme pour exploser, son sang avivé par le désir et l'ardeur qui battait contre ses tempes, sa poitrine, son ventre et son aine. C'était la culmination de son plaisir et de son bonheur, et elle voulait le couvrir de baisers, de mots d'amour, et lui rendre autant le plaisir qu'il lui donnait. Il la fit tourner dans ses bras à la vue de tous, et il n'en avait cure, car enfin, il serait à elle, et elle serait à lui. Il entendit les rires et pleurs de Porthos, le soupir aimant d'Athos et les compliments de Claude. Il vit le sourire ému de la Reine, et lui-même le lui rendit. Le bonheur, oui, le bonheur, enfin. Ils finirent la nuit tous deux, seuls dans un grand lit, nus, à s'admirer et aimer.

— Comment devrai-je t'appeler, lorsque tu seras à moi ?

— Pour toi, je suis Louise, je veux que mon nom soit celui qui déchire tes entrailles lorsque je me donne à toi. Mais Louise, car je sais que tu aimes le répéter, Louise, Louise, Louise... Le dimanche, lorsque tu seras pris de remords après avoir contemplé le visage de Dieu, tu m'appelleras mon ange, car je sais ce que tu me dis : dans Saint Augustin, je suis l'ange et tu es l'homme. Lorsque tu seras en colère, car tu le seras, je te connais, alors Marquise de Bourron, ou Mme d'Herblay, car tu garderas en mémoire nos titres partagés, et notre union. Et lorsque tu seras heureux, complétement, infiniment heureux, alors ma déesse et ma joie. Car je suis ta joie, comme tu es la mienne.

— Alors, ma joie, je suis à vous à jamais. Je suis à toi à jamais. ❞

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