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III

My breast has been all weakness, is so yet;
But still I think I can collect my mind;
My blood still rushes where my spirit's set,
As roll the waves before the settled wind;
My heart is feminine, nor can forget—
To all, except one image, madly blind;
So shakes the needle, and so stands the pole,
As vibrates my fond heart to my fix'd soul.
Lord George Byron, Dom Juan.

L'an 1626 vint et Aramis n'avait toujours pas oublié l'apparition du mois de juin. Elle n'était pour lui qu'un pâle souvenir, une relique d'un temps révolu mais chaque bouffée d'air lui compressait la poitrine comme s'il savait que son destin n'était pas encore scellé ; il semblait voir du coin de son œil cette chevelure de feu, il s'attendait à la voir surgir pour enfin soulager son âme. Lorsqu'il se rendait chez la duchesse de Chevreuse, son esprit était ailleurs, il se laissait aller dans ses bras mais il était inlassablement attiré par une force puissante qui n'était pas humaine. Il avait d'abord pensé à ce magnifique appel, la révélation divine que sentit Augustin d'Hippone en entendant ces voix distantes lui crier "Prends, Lis !" mais les Écritures ne devenaient point plus claires devant ses yeux, et la douleur dans son corps redoublait.

Il ne pouvait s'en débarrasser. Elle le hantait, elle dévorait son corps, sa chair mortelle faite pour le péché ; il voulait l'arracher, la brûler, car tout en son être lui rappelait la faiblesse humaine, la bassesse et la mortalité. Le désir l'enveloppait, et il ne savait pas comment l'éteindre. Il ne pouvait pas en parler à ses compagnons d'armes, car d'Artagnan était trop curieux et Porthos trop bruyant. Parfois, dans la tendresse de la nuit, il avait voulu se confier à Athos, car lui savait. Il avait souffert parce qu'il avait aimé, et cela Aramis le savait. Mais il se retenait car ce n'étaient que des affres de jeune galant. Les intrigues, fort heureusement, lui gardaient l'esprit occupé. Sa chère Marie de Rohan avait pour projet d'aider la jeune et belle reine Anne d'Autriche afin qu'elle vît l'homme qui occupait ses pensées. Son identité était à dissimuler, mais le mousquetaire par intérim plongeait dans les abysses des amours royales. Tout avait été organisé : George de Villiers, duc de Buckingham arriverait à Paris sous le couvert de la nuit et enfilerait ses habits d'armes, tandis qu'Aramis se parerait comme lui. Il couvrirait ses pas avant de sombrer dans le remède à sa mélancolie, les bras de son amante. Elle était jolie, avec ses joues hautes pâles, son petit sourire en coin et ses longs cheveux qui capturaient la lumière. Elle favorisait les tenues sombres et les perles, et aimait encore ces collerettes de dentelles si prisées voilà trente ans et encore en vogue en Hollande et en Angleterre. Elle riait beaucoup d'une voix grave et se délectait des démonstrations de son amant. Elle n'avait que trois de plus que lui mais en semblait sept, déjà mariée deux fois et mère de trois enfants. Elle complottait bien et savait lire le cœur d'Aramis avec une telle facilité qui était déconcertante pour le jeune homme. Il suffisait qu'elle mentionnât sa famille pour attiser une étincelle de colère dans ses yeux ; il ne parlait jamais d'eux, simplement parfois de sa jeune sœur Hélène, pour qui il vouait un amour sans bornes. Mais de ses frères et l'apparente jalousie qu'il leur portait, pas un mot. Parfois, il laissait une parole acerbe et vengeresse, il aurait du être l'aîné, non pas condamné à la religion pour racheter les péchés de son père, et ses frères de simplets qui préféraient se moquer des plus bas qu'eux. De sa sœur, il parlait avec de grands sourires, une ardeur au cœur mais aussi une profonde tristesse, car elle était mariée à quinze ans, de faible constitution et déjà mère. La duchesse de Chevreuse savait aussi faire reculer ses passions, et il ne lui fallait que citer les paroles de Saint Augustin. Il devenait alors rouge de honte et ses bras s'ôtaient de son corps, et il s'enfermait dans le plus profond mutisme des heures durant. Elle savait agiter, exciter même son amour en glissant par instants le nom d'un autre de ses amants, et il redoublait alors pour elle de gestes d'affection et de passion. Elle l'avait éduqué dans l'art de plaire et d'honorer les femmes dans la tendresse de la nuit. Lorsqu'elle l'avait connu, ses étreintes étaient maladroites et tremblantes, à présent elles étaient fougueuses et brûlantes. Son sourire n'était jamais aussi beau que dans ces moments, et malgré toute la culpabilité divine qui pouvait parfois le prendre, il savait séduire et parler aux femmes. Lorsque la belle Marie de Rohan avait connu Aramis, il n'était qu'un jeune garçon malheureux et maudissant Dieu, rougissant devant une femme ; il était transformé en amant passionné et galant, le parfait Lancelot. Lui-même était coquet et galant, et les mauvaises langues aimaient à rire de lui en imitant ses petites manies qui semblaient trop féminines, le soin trop cher qu'il avait à prendre grand soin de ses mains, ou cette habitude à pincer ses oreilles pour les rendre plus rosées, les parfums de fleurs qu'il prisait et les dentelles qui ornaient ses manches. Mais cette élégance, cette grâce et le charme qu'il gardait pour apparaître toujours beau et dispos, tout cela cachait les malheurs de son enfance.

Pour son plus grand malheur, Aramis – ou plutôt encore Henri René d'Herblay – était né cadet. Il était le deuxième fils d'une famille de tisserands de Rouen qui s'étaient rapidement enrichis avec l'ouverture des nouvelles routes marchandes. Son frère aîné, Nicolas, avait fait la joie de ses parents, André et Catherine. Le jeune Henri était né malade et faible, et personne ne s'était attendu à sa survie. Mais il avait combattu, et avait atteint l'âge de trois ans, puis cinq, puis neuf. Lors de cette neuvième année, son petit frère Louis était déjà né et avait cinq ans, et sa tendre sœur Hélène trois. Elle aussi était chétive et prompte aux miasmes mais il veillait sur elle comme un ange sur un homme. On ne s'occupait vraiment d'elle, une fille signifiait un mariage, et un mariage, une dot. Mais le jeune Henri l'élevait et riait avec elle, lui apprenait à lire et à nommer les choses. Lors de cette neuvième année, il fut envoyé au séminaire. Pour son plus grand malheur, il était né cadet : Nicolas hériterait des terres, et Louis irait guerroyer. Mais lui était destiné à Dieu, comme chaque cadet : une famille a toujours besoin d'avoir un fils au service du Divin pour racheter les péchés du père. Cette enfance n'avait pas été heureuse : André n'hésitait pas à lever la voix ou la main sur son fils qu'il trouvait trop lent, trop faible, trop joli et trop délicat. Au lieu d'aider à teindre, le jeune Henri aimait admirer les étoffes, s'en draper, s'imaginer à la cour du bon roi Henri IV. Il aimait les velours et les satins, les grandes soieries même, si chères et précieuses. Sa mère était froide et distante, le grondait aussi et le traitait jeune fille, et avait la main leste autant que le verre faible. De sa grand-mère, il avait appris la couture et confectionnait dès un jeune âge des gants et des bas aux mille couleurs. Le séminaire fut la plus grande douleur pour le jeune Henri, car il n'allait plus revoir Hélène. Elle continuait à le voir parfois, en lui rendant visite une fois tous les mois et demi, mais il souffrait dans sa solitude. Les jeunes garçons de son âge ne l'aimaient pas : ils le trouvaient orgueilleux, précieux et capricieux.

Au séminaire, le jeune Henri devint René d'Herblay, futur abbé. Il découvrit l'amour des livres, et une nuit, dans le feu de l'interdit, il fit la rencontre d'Augustin d'Hippone. Il avait treize ans alors, et le monde à apprendre. Et les dernières lignes l'avaient tant frappé : "Et l'homme peut-il donner à l'homme l'intelligence de ces mystères de gloire ? L'ange à l'ange, ou l'ange à l'homme ? Non ; c'est à vous qu'il faut demander, c'est en vous qu'il faut chercher, c'est à vous-même qu'il faut frapper ; ainsi l'on reçoit, ainsi l'on trouve, ainsi l'on entre. Ainsi soit-il." Quand il était assailli par le doute, il revenait à ces phrases, encore et encore et encore. À quinze ans, alors qu'il connaissait les premières excitations mâles, il rencontra Ovide, Boccace, Pétrarque, les romans courtois médiévaux et les poèmes d'amour. Plus il lisait, plus il était convaincu que Dieu était loin, plus il revenait aux Confessions, et plus il s'enfonçait dans le doute et la culpabilité. Le jour il priait et étudiait les Écritures, la nuit il se rêvait chevalier et galant, aimé et aimant dans les bras d'une dame pour qui il souffrirait. Ce fut à dix-huit ans qu'il embrassa pour la première fois, et il rougit, et il utilisa le fouet de pénitence une semaine durant pour racheter ses fautes. La jeune fille n'était qu'une jeune villageoise des environs de Rouen qu'il avait rencontrée à la messe un dimanche. Ils s'étaient échangés des regards doux et une semaine, il avait goûté dans ses lèvres le péché qui allait un jour le condamner à l'errance éternelle dans les feux de l'Enfer. Il ne s'était point souvenu de son nom, ni de son sourire mais de ce baiser qui lui avait ouvert les portes d'un monde nouveau, des langueurs des hommes et du désir le plus immense. La première femme qu'il connut fut celle pour qui il abandonna le séminaire à vingt ans. Deux jours avant sa vingtième année, il fut pris par un malandrin qui jalousait la jolie femme qui s'était penchée sur son épaule pour lire sa version du chapitre XVIII d'Augustin. Il s'en souvenait encore, comme gage de sa faiblesse : "Et je n'étais pas humble, pour connaître mon humble maître Jésus-Christ, et les profonds enseignements de son infirmité. Car votre Verbe, l'éternelle vérité, planant infiniment au-dessus des dernières cimes de votre création, élève à soi les infériorités soumises. C'est dans les basses régions qu'il s'est bâti avec notre boue une humble masure, pour faire tomber du haut d'eux-mêmes ceux qu'il voulait réduire, afin de les amener à lui, guérissant l'orgueil au profit de l'amour. Il a voulu que leur foi en eux cessât de les égarer, qu'ils s'humiliassent dans leur infirmité, en voyant à leurs pieds, infirme sous les haillons de notre tunique charnelle, la Divinité même, et que las, se couchant sur elle, elle les enlevât avec elle en se relevant."

Quelle ironie, pensa-t-il, que je traduisis ce chapitre amenant vers l'amour du Divin, alors que j'en fus tiré par ce même amour, mais faible, bas et honni. Il rencontra ses amis quelques jours après cela. Il avait fui la honte et le malheur de Rouen. Son père l'avait battu, et lorsque René sentit s'abattre sur lui la main d'André, le jeune Henri avait été frappé d'effroi. Il n'était alors qu'un jeune enfant de sept ans face à la colère de son père, de son maître, la déception de sa mère et les moqueries de ses frères. Seule Hélène l'avait doucement enlacé et murmuré : "tout ira bien, parce que je t'aime." Quand la honte le prenait la nuit, quand il refoulait les larmes pour ne point abimer ses belles joues et ses beaux yeux, il pensait aux paroles de sa sœur. Tout ira bien, parce que je t'aime. Tout ira bien, parce qu'elle m'aime. Tout ira bien, parce que je l'aime. Lorsqu'il était arrivé à Paris, seul et désœuvré, il avait erré dans les tavernes et les maisons de joie, récitant à toutes celles qui voulaient l'entendre Saint Augustin et noyant ses remords dans les plus bons vins d'Espagne. Ce fut Athos qui le trouva le premier, un soir, ivre et aliéné, dans une cour derrière le Luxembourg. Il l'avait porté chez lui, nettoyé, nourri et présenté à Porthos. Le lendemain, il devenait mousquetaire par intérim au service de M. de Tréville. Aramis naquit enfin et avec lui, la flamme de la liberté, de l'amour, du désir et infinis comme les vagues sur les plages, le remords et la culpabilité.

Un après-midi, alors qu'il se promenait avec ses amis dans les jardins du Luxembourg et attirait les doux yeux des belles femmes. L'air était chaud et le soleil tapait fort, tandis que les pétales des roses et de glycines venaient se glisser dans les chevelures des dames. Aramis avait obligé ses comparses à s'assoir sur un banc dans un recoin ombragé. Porthos avait maugréé en disant que ce n'était point là qu'il ferait la rencontre de sa future épouse, d'Artagnan rêvassait à sa logeuse, une femme de vingt-six ans qu'Aramis trouvait bien banale et Athos se taisait, laissant parfois échapper un petit rire qui passait inaperçu dans le brouhaha des jardins, ou un soupir dont chacun ignorait la raison ou la provenance. Le chevalier d'Herblay avait, Ô grand miracle, échangé son habituel ouvrage de Saint Augustin qui tombait en pièces pour un exemplaire de la Comédie de Dante. "Aussitôt que le vent les eut poussés vers nous, je leur fis signe et dis : « Âmes inconsolées, parlez-nous un instant, si rien ne l'interdit ! » Et comme vers le nid se pressent les colombes qu'appelle le désir, les ailes déployées, plutôt que par leur vol, par l'amour emportées, du groupe de Didon tels ils se séparèrent et s'en vinrent vers nous à travers l'air infect, forcés par le pouvoir de l'appel amoureux." Et, alors qu'il venait de lire ces mots dans la plus grande des passions, il releva la tête et vit frappé par un éclair de lumière, une chevelure rousse et un rire qu'il n'avait point entendu depuis presque un an. Le monde tourna devant ses yeux car il n'était qu'homme : et toute la passion et la douleur qu'il avait enfouies au fond de son cœur jaillirent dans un éclat de musique, une mélodie céleste qui annonçait son triomphe prochain, la béatitude d'un homme et sa mort en paix. L'Inconnue était là, protégée du soleil par une délicate ombrelle de dentelle, vêtue d'une robe de satin jaune et or, avec des oranges qui la faisaient croire portée aux flammes, comme ses cheveux. Il ne distinguait pas son visage qu'il n'avait jamais vu, mais il savait que c'était elle. Frappé de fascination, il posa son livre sur le banc et commença à se lever. Il ne remarqua pas le sourire narquois partagé entre d'Artagnan et Porthos ni le regard intéressé d'Athos, comme si Aramis se révélait enfin dans toute son humanité à ses compagnons, comme si la personne qu'il avait toujours essayée de noyer au fond de lui jaillissait enfin en la présence de cette femme. Tout son être était porté vers elle, la blessure s'était rouverte et son cœur saignait. Il se leva et le vent porta vers lui un petit mouchoir bleu pâle. Il se précipita pour le ramasser et la vit, pleinement et entièrement pour la première fois. Elle était belle, avec ses boucles rousses qui tombaient en cascade sur ses épaules blanches. Ses yeux gris et verts étaient petits et pétillants, en forme d'amande, comme deux perles. Ses lèvres étaient pleines et faites pour être aimées, rouges comme le sang. Ses joues étaient naturellement rosées, et Aramis l'envia car lui-même déployait tous les moyens pour être ainsi. Il s'agenouilla au sol, ne pensant point aux soieries qui le paraient et ramassa le mouchoir. Il lui faisait à présent face et sentit le sang lui monter dans la tête. Les cheveux de l'Inconnue étaient parsemés de fleurs de glycine qui la rendaient éthérée, comme la belle déesse en qui elle s'était vêtue.

❝ Madame, je crois que votre mouchoir vous a échappé ; permettez-moi que je vous le rende.

— Vous êtes bien galant, Sieur. Vous auriez pu le garder, cela vous aurez fait un souvenir à garder d'une bien belle dame que vous auriez ensuite pu courtiser.

— Pour cela, il m'aurait fallu savoir votre nom. Et que puis-je dire sinon : je vous connais, je vous ai déjà vu, dans cette vie et dans une autre car il me semble vous savoir un ange, ou plutôt la fille d'un ange qui vous lance sur mon chemin.

— Vous me connaissez ? Mais Sieur, vous aussi apparaissez comme familier à mes yeux, fit-elle en laissant échapper un petit rire, ce rire qu'il avait entendu la première fois qu'il l'avait vue.

— "Il est quelques bonnes œuvres que nous faisons, grâce à vous, mais elles ne sont pas éternelles. C'est après ces œuvres que nous espérons l'éternel repos dans la gloire de votre sanctification. Mais vous, le seul bien qui n'a besoin de nul autre, vous ne sortez jamais de votre repos ; votre repos, c'est vous-même. Et l'homme peut-il donner à l'homme l'intelligence de ces mystères de gloire ? L'ange à l'ange, ou l'ange à l'homme ? Non ; c'est à vous qu'il faut demander, c'est en vous qu'il faut chercher, c'est à vous-même qu'il faut frapper ; ainsi l'on reçoit, ainsi l'on trouve, ainsi l'on entre Ainsi soit-il".  Madame, vous étiez Alèthéia et moi Phoebus Apollo en juin dernier, ne vous souvient-il point ?

— C'est donc vous ! Elle recula d'un pas mais Aramis avait ses mains dans les siennes, et elle sentit sa peau douce qui avait des parfums d'amande. C'est donc vous.

— Puis-je enfin savoir votre nom, Madame ? Vous me hantez, partout où je vais, je vous cherche, je me figure : je la verrai, je la trouverai, et enfin je vous ai trouvée.

— Je vais mettre fin à votre supplice, Sieur Aramis. Je m'appelle Louise-Gabrielle de Fontainebleau.

—  De Fontainebleau ? C'est un bien beau château qui fait la renommée de votre ville. Le Roi Louis y est né, et Philippe le Bel mort. Quel spectacle royal vous devez accueillir souvent !

— Oui, souvent.

— Vous vous souveniez donc de mon nom ?

— Je vous connais aussi sans vous connaître, car vous êtes l'homme de cœur de la duchesse de Chevreuse, cela se sait. Mais il presse, bon seigneur. Je dois rentrer, et je crois que vos amis s'impatientent, ajouta Louise-Gabrielle en désignant du menton les trois hommes assis sur le banc en train d'observer la scène avec de grands yeux étonnés et fascinés.

— Eux ? Ce ne sont point mes amis.

— Que vous mentez mal ! Mais j'imagine qu'ils le savent, eux aussi.

— Je garde mes secrets, Madame. Mais quand pourrais-je vous revoir ?

— Bien trop rapidement, car maintenant vous me connaissez, et moi aussi.

— Attendez, avant de partir. Vous avez des fleurs dans les cheveux : laissez-moi les ôter, c'est un affront à votre beauté.

D'une main délicate, il s'approcha du visage de Louise-Gabrielle. Elle sentait le lilas et le jasmin, et son âme se serra. Elle était plutôt petite, ne lui arrivant qu'à l'épaule, mais elle ne bougea pas, et l'observa d'un regard déterminé et rieur. Ses doigts saisirent les pétales éparses dans sa chevelure rousse, et lorsqu'il les eut tous enlevés, il fit mine de les jeter. Elle leva ses yeux vers les siens et sourit, découvrant des petites dents bien blanches.

— Merci, bon seigneur. Je ne tâcherai de vous oublier.

— Et vous, belle dame, vous étiez plus belle encore que la beauté de mon souvenir.

Elle allait partir, lorsqu'elle vit le petit geste non contrôlé d'Aramis. Il porta ses mains à ses oreilles et les pinça pour les rendre plus rouges encore. Elle laissa échapper un petit rire et le quitta d'un petit signe de la main. Il reste seul, à l'endroit même où elle l'avait laissé, en la regardant s'éloigner jusqu'à-ce qu'elle ne fût qu'un point dans l'horizon, noyé dans la foule. Ainsi, vous m'aimez véritablement, Seigneur, car vous m'avez mis sur son chemin. Si j'avais des ailes, oui, si j'avais des ailes, alors je m'enfuirais de tout ceci et me poserais loin, loin de tout ceci. Et je pourrais aimer. Quelle douceur que d'aimer et d'être aimé, de savoir qu'une personne nous attend, au coin du feu, et que ses bras sont des plus grands bastions que tous ceux qu'un roi puisse vouloir conquérir. Oh, comme je voudrais aimer et être aimé ! J'ai des ailes, à présent : celles de l'Amour.

— Eh bien mon cher ami, je crois que le séminaire attendra encore un peu ! s'exclama Porthos qui arriva vers lui et lui fit une grande tape sur l'épaule.

— Tais-toi, grand niais ! rétorqua Aramis dans un demi rire. Allons manger, j'ai grand soif et grand faim.

— Je ne vous avais jamais vu ainsi, même lorsque vous parliez de votre nièce de docteur, mon cher, ajouta d'Artagnan. Ce doit être une grande dame, pour vous faire cet effet.

— Elle connaît Saint Augustin...

— Que demander de plus ! Allons mon cher Aramis, vous l'aurez oubliée dans un mois. Ne perdez de votre esprit les vœux que vous avez formulés devant Dieu, continua Athos.

— Certes, certes...  ❞

Mais il ne put s'empêcher de penser à elle sur le trajet. Il avait gardé dans ses mains les pétales et les plaça dans une poche près de sa poitrine gauche. Louise, Louise... Cela signifie grande guerrière, combat, et si mon frère ne mérite ce nom, elle le porte avec élégance. Et Gabrielle, Dieu est ma force. C'est vous, Dieu, qui me l'avez envoyée. Vous êtes ma force, comme elle le sera un jour. Oui, cela je le sais : elle sera ma force, amie, amante ou épouse, car tout homme qui sera aimé d'elle sera le plus beau et le plus bienheureux des hommes, et c'est cela mon ambition. Si je me dirige vers Vous, alors vous serez ma force et elle une amie tendre. Si je me noie en elle, alors Vous vivrez en son sein, et moi avec. Tous quatre rentrèrent et dinèrent tôt. Aramis avala quelques bouchées de volaille, mais il ne pouvait manger, il n'était plus lui-même. Il se retira en prétextant quelque thèse à écrire sur Les Confessions et ignora les rires de ses amis qui, après la scène de ce jour, croyaient de moins en moins son désir d'entrer dans les ordres. Le jeune homme sortit sous le couvert de la nuit et se dirigea vers l'hôtel de son amante. Il espérait pouvoir se confier à elle sur les douleurs de l'homme, car il oubliait bien vite qu'il n'avait que vingt-deux ans et que par bien des égards, il n'était encore parfois qu'un enfant. La demeure semblait vide, et il entra dans le petit salon, à demi éclairé par quelques chandelles, seul. Il s'assit et trouva un livre abandonné là, des vers de du Bellay. Il l'ouvrit à la page marquée et fut frappé de nouveau par l'odeur de lilas et de jasmin.

❝  Ma maîtresse n'est point là ce soir, Monsieur. Elle ne rentrera que demain : elle est présentement chez la reine à officier.

— Louise-Gabrielle ? Que faites-vous donc ici ?

— Je vous avais dit que vous me verriez bientôt, bon seigneur. Je suis au service de votre amie jusqu'à mon mariage, sans doute prochain.

— Si je mens mal, alors vous savez bien garder les secrets.

— Je suis au courant de vos cabales, voyez-vous. C'est pour cela que je vous connais. Simplement, ma maîtresse avait peur que vous ne me corrompîtes.

— Non point ! Jamais n'oserai-je. Il saisit le livre et la regarda avec un beau sourire. Ainsi, vous aimez du Bellay ?

— Oui, je le préfère à Ronsard, pouvez-vous m'en blâmer ?

— J'aime Pétrarque aussi, ses sonnets d'amour sont beaux et parfaits pour séduire une dame.

— Je suis sûre que vous y aviez eu recourus pour séduire ma maîtresse.

— Figurez-vous que non, chère Louise. J'attends la bonne dame.

— Et Dieu dans tout cela ?

— Il peut bien attendre. ❞

Il peut bien vous attendre, manqua-t-il d'ajouter.

Il ne rentra point chez lui. Ils s'étaient assis tous deux sur une banquette et avaient lus et ri jusqu'à l'aube. Aramis était redevenu un adolescent rougissant et Louise-Gabrielle la dame qui le ferait plier. Lorsqu'il s'en alla à l'aube, il était certain d'avoir rencontré l'Amour pour la première fois. Il s'en allait la revoir à présent chaque jour et lui portrait des fleurs. La duchesse de Chevreuse ne paraissait point chez elle, car son mari était à la cour et elle devait rester à ses côtés. Il était léger, joyeux, et sans doute pour la première fois, heureux.

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