Disclaimer ; note de l'auteure originale :

Avant de commencer, j'ai fait de mon mieux pour taguer les aspects les plus importants (ou potentiellement déclencheurs, qui peuvent trigger), mais il est tout à fait possible que j'aie oublié quelque chose. Cela dit, une grande partie des traumatismes évoqués se situent dans le passé ou ont eu lieu avant le début de l'histoire, et il n'y a qu'une seule scène de violence réelle (qui fera l'objet d'un avertissement avant le début du chapitre).

Aussi ! Certaines choses seront mentionnées/étiquetées avant chaque chapitre. 

Je ne vis pas en Corée, je n'ai littéralement aucune idée de la façon dont certaines choses fonctionnent, alors j'ai évidemment pris quelques libertés (c'est ce qu'on appelle la commodité de l'intrigue). Je ne suis pas non plus patineuse artistique, ni strip-teaseuse. Ces deux professions sont FORTEMENT glorifiées, et j'en suis consciente. La position de Jimin est extrêmement rare, de même que leurs expériences respectives du patinage. De plus, je suis passé outre certains problèmes pour en développer d'autres, alors soyez-en conscient. Par exemple, comme ce n'est pas techniquement l'histoire de Jimin, les perceptions/préjugés entourant la communauté de la danse exotique ne sont que brièvement mentionnés. Je voulais simplement rendre ces libertés scénaristiques évidentes, au cas où ce serait ce que vous recherchiez. L'accent est surtout mis sur la force et la guérison de Jungkook. 

Pour ce premier chapitre : Le traumatisme de Jungkook est légèrement exploré ici, donc il y a beaucoup d'abus implicites. Jimin agit aussi un peu comme un con, mais c'est à peu près tout !

La fenêtre du bus était froide contre le côté de sa tête. Elle cliquetait contre son crâne, ce qui était plus que désagréable, mais il ne voulait pas changer de position. C'était le dernier bus de la nuit — comme toujours — et il était pratiquement vide.

Jungkook aimait ça.

Lorsque le bus s'arrêta à l'endroit où il était censé descendre, il se poussa de son siège, attrapa son sac et sortit du transport public. Il n'avait jamais vraiment besoin de les utiliser pour rentrer chez lui, puisqu'il avait toujours un chauffeur, mais parfois, il préfèrerait se résigner et dépenser son argent dans une voiture.

Il était tard, comme d'habitude, mais cela ne le dérangeait pas tant que ça. L'heure tardive lui permettait de s'entraîner seul. Jungkook n'était pas sûr d'être un jour capable de s'entraîner avec d'autres personnes, mais il n'allait certainement pas commencer à essayer maintenant. En entrant dans le bâtiment, la musique légère jouait dans ses oreilles alors qu'il se dirigeait vers le vestiaire, avant de déposer son sac sur le banc. Ses mains tombèrent sur ses chaussures, et il les retira avant de les pousser sous le banc. Ce n'était pas comme s'il allait gêner quelqu'un en s'éparpillant partout, ou quoi que ce soit.

En ouvrant son sac noir, Jungkook regarda ses patins. Ils étaient d'une matière noire et lisse, les capuchons qui recouvraient les lames étaient de la même couleur. En soupirant, Jungkook glissa son pantalon de survêtement, en révélant ainsi le bas plus serré en dessous, et jeta son manteau sur le côté. Il frissonna — il faisait toujours froid à la patinoire — mais ne prit pas la peine de mettre une autre couche de vêtement. Son t-shirt noir ferait l'affaire — il aurait chaud bien assez tôt.

Après avoir lacé ses patins avec une facilité déconcertante, Jungkook se retourna en voyant un mouvement dans le coin de sa vision périphérique. Il arracha ses écouteurs par le cordon, et la musique se coupa brusquement. Namjoon se tenait dans l'embrasure de la porte, en vérifiant sa montre. « Tu es bientôt prêt ? »

Ses mains tripotèrent les lacets, en essayant de les déplacer plus rapidement alors qu'il aspirait une respiration entre ses dents serrées. « Désolé, monsieur »

Namjoon, qui était toujours si gentil, si patient, laissa échapper un doux grognement. « Combien de fois t'ai-je dit de m'appeler 'hyung', Kook ? »

Jungkook secoua sa tête, en finissant de mettre ses patins. Cela faisait une année entière, mais il savait qu'il ne s'y habituerait pas de sitôt. Ils le savaient tous les deux, même s'ils ne le disaient pas. « Ouais. Ouais, désolé »

Son entraîneur tapa ses doigts contre le cadre de la porte. « Prêt à y aller ? »

Jungkook hocha simplement de la tête, en le suivant hors des vestiaires et vers la patinoire. Elle ne changeait jamais, pas depuis un an au moins, mais il laissait échapper un souffle à chaque fois qu'il la voyait. Que ce soit par anticipation ou par peur, il n'était jamais vraiment sûr, mais il se disait que c'était la première de ces propositions. Il devait le faire.

En enlevant les protections de ses lames, il marcha sur la glace, en glissant un peu en avant. En s'élançant, il s'échauffa, en s'étirant un peu plus alors que ses patins se déplaçaient sur la glace avec aisance. Il roula son cou, puis ses épaules, et fit un signe de la tête à Namjoon.

« Du début », dit son entraîneur, puis la musique démarra, et Jungkook commença à patiner.

Tout ce que Jungkook faisait, c'était patiner. C'était ce à quoi il était bon, quand il se laissait aller à le croire en de rares occasions. La glace était sa maison, sa passion. Il aimait ça, vraiment, et chaque saut et chaque virage effectué était comme une nouvelle bouffée d'air dans ses poumons. Tout ce qu'il voulait faire, c'était patiner pour le reste de sa vie, et il n'avait pas besoin de gagner.

Il était compétitif, alors gagner était un plus. Même s'il ne pouvait pas gagner, c'était un plus. Cela semblait se produire plus souvent ces jours-ci, chaque perte était comme une autre peur oppressante placée sur ses épaules, mais il ne pouvait pas s'en empêcher. Il n'était tout simplement pas assez bon.

Il tendit une seule main vers le haut, en haletant lorsque la chanson s'interrompit. Son programme était difficile, et il avait vraiment l'impression qu'il allait mourir à chaque fois qu'il le terminait, mais il fallait que ce soit difficile. Il devait être parfait.

Sur le côté, Namjoon applaudit, avant de poser ses bras sur le bord de la patinoire. Il sourit lorsque Jungkook se rapprocha en patinant, en acceptant la bouteille d'eau avec un petit hochement de tête. « Jungkook », commença Namjoon, et il savait que ça n'allait pas être bon. Ça ne l'avait jamais été, depuis un an. « Je pense vraiment que tu devrais pousser la triple boucle piquée à une quadruple »

Il regarda l'homme plus âgé comme s'il était fou. « Je ne peux pas faire ça »

« Je t'ai vu le faire. Plusieurs fois »

Jungkook secoua sa tête, en lui rendant l'eau. « Je ne peux pas te le garantir. Ça ne va pas dans le programme si je ne suis pas sûr d'y arriver »

Namjoon se pencha en avant sur ses bras, et des fossettes se formèrent alors qu'il souriait. « Tu veux bien essayer ? Juste ici, à l'entraînement ? »

C'était une mauvaise idée. Il savait qu'il n'avait qu'une chance sur deux de réussir, mais son coach lui demandait, alors il accepta. En se déplaçant vers le centre de la glace, il commença son programme en secouant rapidement ses bras. Il avait déjà un quadruple dans son programme — le salchow — il était inutile d'en mettre un autre. Cela lui enlèverait des points s'il le loupait, mais —

Ses patins quittèrent la glace, avant de s'y connecter une fois de plus, son double axel étant terminé. Il devait arrêter de se torturer l'esprit, ça ne faisait qu'empirer les choses. En continuant son programme, il essaya de se calmer, mais la musique sonnait comme un peu fausse dans ses oreilles. Il y avait le triple axel et ensuite la quadruple boucle piquée que Namjoon voulait.

Son coach avait raison. S'il pouvait le faire, ce serait énorme. Pas assez énorme, mais bon. En frappant l'axel correctement, il se soutint, avant de se lancer dans la quadruple boucle piquée. Son élan était bon, juste un peu plus —

Merde.

Jungkook frappa la glace. Il dérapa un peu, le froid lui mordait la peau et il siffla de douleur. Ça faisait un mal de chien, comme toute les chutes, mais il ne saignait pas. Pourtant, la douleur le traversait et il se mit à genoux en serrant les dents.

La douleur venait en premier, la peur venait toujours en second.

C'était comme si son cerveau n'avait jamais compris. N'avait jamais réalisé que c'était Namjoon, que Namjoon ne ferait jamais rien, qu'il lui dirait seulement doucement que tout allait bien et qu'il n'avait pas besoin de réessayer, qu'il pouvait prendre quelques minutes pour respirer.

Cela faisait un an, et Jungkook n'était toujours pas capable de le croire.

Ses mains tremblaient sur la glace alors qu'il se hissait vers le haut, bien trop vite. En frappant la glace avec son patin, il enroula ses bras autour de lui, avec sa tête basse. S'il y prêtait attention, il pouvait sentir à quel point son coeur battait vite, à quel point son souffle était trop rapide. Les coupures que ses patins avaient faites dans la glace étaient blanches, elles étaient toujours blanches, mais Jungkook ne pourrait jamais oublier lorsqu'elles avaient été rouges.

La panique venait toujours avec la peur. Il n'aurait pas dû essayer de sauter, il avait su qu'il allait tomber, et puis —

Du bord de la patinoire, la voix de Namjoon rencontra ses oreilles. « C'était bien, Kook. On l'oublie pour celui-là, mais peut-être qu'on l'intègrera dans le prochain, si tu peux le perfectionner »

Jungkook écoutait à peine. Il avait été tellement soulagé de découvrir que cette nouvelle patinoire n'avait pas de baignoire, qu'il était même allé jusqu'à demander à Namjoon s'il y en avait une cachée quelque part. Son entraîneur avait haussé un sourcil à cette question, mais n'avait rien dit à ce sujet, en lui disant seulement qu'il n'y en avait pas. Jungkook se souvenait encore de la brûlure de la glace contre sa peau, en se débattant dans l'eau alors qu'il était maintenu vers le bas.

Oui, il avait été soulagé d'entendre qu'il n'y avait pas de baignoire.

Il se força à respirer. Trois respirations étaient habituellement suffisantes, mais aujourd'hui il en avait besoin de quatre. Namjoon resta silencieux, en le laissant prendre son temps. Lentement, Jungkook releva sa tête, et patina vers son entraîneur.

En cachant ses mains dans ses manches, il les serra. Il n'avait pas froid, c'était un mécanisme de protection. Une autre chose que Namjoon n'avait jamais commentée. Parfois, lorsqu'il rentrait chez lui dans la voiture de son aîné, il regardait par la fenêtre et remerciait les étoiles de lui avoir envoyé son entraîneur.

Namjoon le connaissait suffisamment pour changer de sujet, ne pas parler du saut, même s'il savait que, lorsqu'il ne regarderait pas, Jungkook le pratiquerait jusqu'à ce qu'il le réussisse dix fois. « La compétition a lieu demain. Tu penses que tu es prêt ? »

« Tu penses que je le suis ? »

« Je pense que tout est parfait »

Jungkook fit rouler sa lèvre inférieure dans sa bouche. Il fit glisser un de ses patins sur la glace, en évitant un contact visuel avec son entraîneur. « Ça pourrait être mieux »

« C'est suffisamment bon pour gagner, Kook »

« Non », cracha-t-il, en se détournant de Namjoon. « On ne gagnera pas »

« La deuxième place c'est déjà très bien. Tu le sais ». Mais il ne le savait pas. La deuxième place n'était jamais assez bien. Ça ne l'avait jamais été, et ça ne le sera jamais. Derrière lui, Namjoon soupira, en frappant ses articulations sur le bord de la patinoire. « J'ai décidé d'écourter la soirée. Tu as besoin de dormir. Je vais commencer à fermer, quitte la glace, d'accord ? On part dans vingt minutes »

Vingt minutes. Jungkook hocha de la tête, en attendant d'entendre l'homme plus âgé se retirer, avant de commencer.

Dix fois. Il devait bien atterrir dix fois, et ensuite il pourrait rentrer chez lui.

Jungkook avait été surpris d'entendre que Namjoon ne le ferait pas rester chez lui quelques nuits par semaine. Namjoon avait été choqué par cette supposition, et tous les deux s'étaient regardés fixement pendant un long moment lorsque le sujet avait été abordé. Mais ensuite, son entraîneur, gentil comme toujours, avait simplement dit que tant qu'ils communiquaient bien, Jungkook pouvait faire ce qu'il voulait.

C'était tellement étrange que Jungkook ne savait pas comment se gérer.

Il pouvait aller à l'université, s'il le souhaitait. Il n'avait jamais pensé à cette idée auparavant. Et puis il y avait son régime alimentaire, son programme d'entraînement, tout. Namjoon lui donnait des conseils, de temps en temps, mais c'était tout. Il ne forçait jamais Jungkook à faire quoi que ce soit.

Cela faisait un an, et Jungkook ne pouvait toujours pas y croire, parfois.

Il atterrit pour son septième quadruple, en laissant échapper un souffle. Trois de plus. A ce stade, il haletait, en étant si fatigué qu'il savait qu'il devait s'arrêter. Mais il ne pouvait pas, il ne pouvait pas physiquement.

En loupant le huitième, Jungkook frappa la glace avec le côté de son poing, avant de se remettre lentement sur ses pieds. La panique l'envahit une fois de plus, ses yeux sombres parcoururent la patinoire, mais il était seul. Il était seul, et il n'en avait plus que trois à faire. Juste trois de plus, même s'il était épuisé, même s'il tremblait un peu sur ses pieds. Pourtant, ses patins se mirent à bouger et il parvint à faire les trois derniers.

Peut-être que s'il en réussissait un autre, son entraîneur serait content. Peut-être qu'il pourrait juste en faire un de plus, juste —

Jungkook frappa la glace à nouveau, et sa tête heurta la patinoire froide. Un gémissement de douleur quitta ses lèvres. Il n'aurait pas dû essayer une autre fois — il savait que Namjoon était heureux qu'il ait même essayé la première fois. Il savait qu'il n'était pas obligé d'en faire dix, encore moins onze, mais il avait été stupide. Il avait été idiot et avait recommencé, et maintenant il ne pouvait rien faire d'autre que de rester allongé sur la glace, à regarder les chevrons.

Ses chevilles lui faisaient un mal de chien, et chaque endroit qui avait heurté la glace impitoyable hurlait de douleur. Peut-être que s'il restait allongé là, il se fondrait dans la glace, et il n'aurait pas à perdre à nouveau demain.

Au son des pas de Namjoon, Jungkook bougea lentement, en entendant le soupir de son entraîneur. En se redressant sur ses mains et ses genoux, Jungkook rampa sur le premier mètre, avant de se mettre sur ses pieds, et ses jambes l'abandonnèrent presque alors qu'il glissait vers la sortie.

Namjoon lui tendit ses protections de patins, une par une, et il s'arc-bouta pour les pousser sur les lames de ses patins. « Tu dois arrêter ça », dit son entraîneur, d'une voix douce. « Tu vas te blesser »

Jungkook ne dit rien, en se déplaçant pour sortir de la glace. Mais c'est à ce moment-là que ses jambes le lâchèrent finalement, obligeant ainsi Namjoon à le rattraper. Il ne pouvait pas dire à son coach qu'il allait arrêter, ils savaient tous les deux que ce serait un mensonge s'il le disait. Alors il laissa Namjoon le traîner vers les vestiaires, en l'aidant à marcher même si ses chevilles semblaient brûler de douleur.

Il ne dit rien, même s'il s'effondrait dans la voiture de Namjoon, avec sa tête appuyée contre la vitre. Elle ne faisait pas de bruit comme le bus, mais il ne pouvait quand même pas dormir. Avec ses jambes tendues inutilement devant son corps, Jungkook repensa à son programme. Et encore. Et encore.

Mais ça ne servait à rien. Ils le savaient tous les deux, même si Namjoon voulait lui faire croire qu'il pouvait gagner. Il savait qu'il ne pourrait pas, qu'il serait second, comme toujours. Il savait qu'il allait perdre.

Parce qu'il se mesurait à Park Jimin.

Et Park Jimin gagnait toujours.

Jungkook ne savait pas grand-chose de Park Jimin. Il était très secret — et cela malgré le fait qu'il était le visage du patinage artistique masculin en Corée du Sud. Le fait que Jungkook ne voulait pas vraiment en savoir plus sur lui n'aidait pas non plus, mais savoir quelques petites choses aurait pu être bien. Quelque chose qui aurait pu expliquer pourquoi il était si putain de bon.

Tout ce qu'il savait sur cet homme avait à voir avec le patinage. C'était simplement la surface. Ce n'était pas suffisant pour le connaître réellement.

Park Jimin aimait la musique classique.

Jungkook aimait les musiques de film. Il aimait regarder des films, des dramas, n'importe quoi, et se demander comment il jouerait les rôles. Il aimait monter un spectacle, jouer un personnage.

Park Jimin patinait avec grâce. Comme s'il était à sa place. Comme s'il dansait sur la glace. Parfois, il était impossible de croire qu'il pouvait même bouger de la sorte.

Jungkook patinait avec puissance. Il patinait avec passion. Il voulait que ceux qui le regardaient restent bouche bée, qu'ils se demandent comment il faisait, comment il résistait. Il se battait avec la glace, plutôt que de ne faire qu'un avec elle.

Cela aurait pu expliquer pourquoi il n'était pas assez bon. Pourquoi il ne pouvait pas simplement gagner.

Il leva ses yeux vers le bâtiment alors que Namjoon garait doucement la voiture dans le parking. Ils ne disaient rien. Namjoon savait qu'il aimait son silence, son temps pour réfléchir. Ils parleraient plus tard. Que ce soit dans la voiture, dans les pleurs, ou juste à l'extérieur de la patinoire, ils parleraient.

Parfois, Jungkook détestait le patinage artistique. Il détestait la notoriété, les compétitions, les appareils photos qui flashaient et les microphones dans son visage. Apparemment, tout cela venait avec le fait d'être le deuxième meilleur.

Sans parler de l'ancien-entraîneur-qui-est-en prison, aussi.

Peut-être que ça avait quelque chose à voir avec ça.

En saisissant la sangle de son sac de transport, il abaissa le chapeau noir sur son visage, avant de s'assurer que le masque assorti était bien fixé. Namjoon soupira, en le regardant tripoter sa protection, alors que ses doigts tambourinaient sur le volant. « Je déteste ce moment »

« Eh bien, on est deux »

« A quelle distance penses-tu être des portes ? »

Jungkook renversa sa tête en arrière pour pouvoir voir sous le bord de son chapeau. « Dix mètres ? »

« Tu veux courir ? », demanda Namjoon.

Il parvint à rire. « Pourquoi pas une marche rapide ? »

« Je suis sûr que ça pourrait fonctionner aussi », dit son entraîneur, avant d'ouvrir la portière et de sortir de la voiture. Jungkook fit de même, en claquant la portière derrière lui tout en traînant son sac avec lui, en glissant la sangle sur son épaule.

Il garda sa tête basse, mais cela n'avait pas beaucoup d'importance. Les journalistes le connaissaient, savaient à quoi il ressemblait, à quoi ressemblait son entraîneur, et savaient exactement quand bondir. Namjoon parvint à retenir quelques journalistes avec sa grande taille, en guidant Jungkook à travers eux tout en murmurant, « Tes écouteurs »

Jungkook n'eut pas besoin qu'on lui dise deux fois. Ses mains cherchèrent son téléphone, puis il déroula ses écouteurs, les enfonça dans ses oreilles et joua une chanson au hasard. Cela l'aida à noyer les questions, au moins un peu. Il détestait les entendre, la façon dont ils demandaient. Ils avaient lu l'affaire. Ils pouvaient ne pas avoir compris, mais il y avait un manque de considération dans leur comportement qui était déconcertant.

Ils entrèrent sans trop de problèmes, contrairement aux autres fois. A chaque fois qu'ils l'avaient fait, Jungkook avait souhaité pouvoir s'arrêter. Laisser tout ça derrière lui, ne plus jamais patiner et vivre sa vie.

Mais le patinage était sa vie, et il ne pouvait pas l'abandonner comme il savait qu'il devrait le faire.

Namjoon posa une main réconfortante sur son épaule. Son entraîneur était sur la courte liste des personnes qui pouvaient le toucher — une liste qui comprenait cinq personnes, maximum. Mais Namjoon avait prouvé qu'il était digne de confiance, et avait même fait cette liste. Jungkook retira un écouteur, en écoutant son coach pendant qu'il parlait. « Va te changer. Cet endroit est assez grand pour trouver un coin tranquille, si tu ne veux pas t'étirer dans les vestiaires »

En hochant de la tête, Jungkook s'en alla, en regardant par-dessus son épaule. Peut-être était-ce une habitude, peut-être était-ce de la paranoïa.

Il était déjà venu à cette patinoire pour concourir plusieurs fois auparavant. Il n'avait jamais gagné, bien sûr, puisqu'il s'agissait d'une des compétitions nationales préliminaires et à laquelle tout le monde semblait participer, mais il avait toujours concouru. Puis, il se glissa dans le vestiaire, en étant surpris de le trouver vide.

Les autres patineurs le regardaient toujours différemment. Ça n'avait pas été grave avant, mais ça l'était sûrement aujourd'hui. Jungkook détestait ça. Il ne voulait pas être traité différemment, par qui que ce soit, et encore moins par les autres patineurs.

Heureusement, Park Jimin ne l'avait jamais regardé.

Pas même lorsqu'ils se tenaient l'un à côté de l'autre, avec des médailles autour de leurs nuques et des bouquets dans leurs mains. Jungkook n'était jamais même reconnu par lui, et il n'était pas sûr de savoir si c'était mieux ainsi. La rumeur disait que le meilleur patineur artistique masculin de Corée du Sud était un peu une garce, pour le dire gentiment.

Il se mit dans un coin, si loin de la porte qu'il ne pouvait même pas la voir. Les rangées de casiers constituaient une bonne barrière, lui permettant ainsi de poser son sac à dos et de s'asseoir par terre. S'étirer en costume était tout simplement inconfortable, alors il ne le faisait jamais à moins d'y être obligé — comme lorsque les regards devenaient un peu trop insistants, ou lorsqu'il devait se changer rapidement et sortir.

En prenant son téléphone, il augmenta le volume de sa musique et se mit au travail. Il écarta ses jambes, se pencha sur l'une d'elles et ramena ses orteils vers sa poitrine. Ça brûlait, peut-être un peu plus que la normale, mais ce n'était pas trop inconfortable. Ça n'avait pas vraiment d'importance, de toute façon — il patinerait même s'il était au bord de la mort et que cet acte le tuerait.

Jungkook ne put s'empêcher de rouler des yeux lorsqu'il entendit la porte s'ouvrir et se refermer. Maintenant, quelqu'un d'autre était là. Merveilleux. Avec un peu de chance, cette personne allait juste se changer et partir, et il serait à nouveau seul.

Mais, bien sûr, c'était trop demander.

Sous le bord de son chapeau, il vit une paire de chaussures apparaître en face de lui. C'était des mocassins. C'était des Gucci.

Jungkook ne s'arrêta qu'une demi-seconde, avant de continuer à s'étirer. Mais lorsqu'il entendit un sac s'écraser sur le banc — c'était du Chanel — il leva ses yeux. C'était probablement une mauvaise idée de regarder, mais il ne pouvait pas s'en empêcher.

Park Jimin le regarda par-dessus ses lunettes de soleil. Ses lèvres pleines étaient pincées, comme s'il n'était pas heureux de voir Jungkook de retour ici, et ses bras étaient croisés sur sa poitrine. Comme toujours, ses vêtements étaient moulants, accentuant ainsi la tonicité de son corps. La pointe d'un mocassin frappa le sol.

Jungkook vit sa bouche bouger et, à contrecœur, il tendit son bras pour libérer un écouteur. « Excuse-moi ? »

Il n'avait jamais vraiment entendu l'autre garçon parler auparavant. Pas comme ça, pas de si près, pas juste en étant tous les deux. « Est-ce que tu organises une sorte de fête de la pitié ici, ou quelque chose comme ça ? »

En clignant des yeux, il rejeta sa tête en arrière pour voir l'autre personne clairement. « Je m'étire »

« Je ne suis pas aveugle »

Jungkook regarda à nouveau le sol, en penchant légèrement son corps en avant. « Tes lunettes sont suffisamment noires pour qu'on croit le contraire »

Jimin ne parla pas pendant un moment. Suffisamment longtemps pour que Jungkook se demande s'il avait merdé. Après une longue minute, Jimin pouffa. « Est-ce que tu vas être là longtemps ? »

« Tout le vestiaire est vide. Trouve un autre endroit, si tu ne veux pas me voir »

« Je n'en ai rien à foutre de te voir »

« Alors quel est le problème ? »

Jimin attrapa son sac, de jolies bagues scintillaient sur ses doigts. « Tu es un peu narquois »

Jungkook pencha sa tête sur le côté, « Tu t'attendais à autre chose ? Tu n'es pas très courtois ». Il retourna à son étirement, en étant légèrement ennuyé. Enfin, aussi ennuyé qu'il pouvait l'être quand quelque chose comme de la panique traversait ses veines. C'était Park Jimin, et il devrait vraiment la fermer, maintenant.

« Je n'ai même pas — », commença Jimin, avant que la porte du vestiaire ne s'ouvre une fois de plus et que quelqu'un d'autre n'entre dans la pièce.

« Jiminie ? Tu es là ? »

Jungkook ne reconnut pas cette voix. Ce n'était pas très important, car il ne s'était pas attendu à le faire, mais il s'était habitué à reconnaître la cadence des pas, les différents tons de voix, tout ce qui pouvait indiquer que quelqu'un était là. Mais cette personne était nouvelle, et cela signifiait qu'il n'avait pas à s'inquiéter outre mesure.

Qui que ce soit, il entra dans la ligne de mire de Jungkook, ses pieds étaient à côté de ces mocassins Gucci. « Ils m'ont dit que tu devrais être ici. Tu ne t'es pas changé ? Qu'est-ce qui te prend autant de temps ? », l'autre voix chantonna pratiquement ces mots, et Jungkook leva ses yeux, juste assez pour voir une paire de bras bronzés s'enrouler autour de Jimin, en le balançant d'un côté à l'autre.

Jimin laissa échapper un soupir, en repoussant l'autre personne. « J'allais le faire, Tae. Ça fait quoi, trois minutes ? »

« Eh bien, pourquoi tu n'as pas — oh »

Il y eut un silence surprenant, assez pour que Jungkook lève ses yeux. Les cheveux de l'autre homme étaient d'un brun foncé, ses ondulations accentuaient ses yeux doux. Ses traits étaient forts, mais il semblait assez gentil, si Jungkook en avait quelque chose à faire.

Ce n'était pas le cas.

« Attend — », dit-il, en s'éloignant de Jimin pour se rapprocher de Jungkook. « Tu es — Tu es Jeon Jungkook, pas vrai ? »

Jungkook renversa complètement sa tête en arrière, pour rencontrer le regard de l'autre homme. Puis il vit Jimin, qui le fixait par-dessus ses lunettes comme s'il ne savait pas vraiment à qui il parlait. « Ouais », dit-il, en traînant un peu ce mot à cause de sa confusion.

L'autre homme fit un large sourire et tendit sa main pour qu'ils se saluent. « Kim Taehyung, meilleur ami professionnel. Tu es incroyable, vraiment »

Jungkook le regarda, puis sa main, puis à nouveau lui. Il ne tendit pas la sienne. « Meilleur ami professionnel ? »

Taehyung sembla un peu déçu par le fait que Jungkook n'ait pas serré sa main, en l'utilisant plutôt pour faire un pouce en l'air vers Jimin. « Le meilleur ami de Jiminie depuis le lycée. Donc — », il fit un geste vers lui-même. « Meilleur ami professionnel, et professionnel de l'excuse. Désolé s'il a été un peu brusque. Il est comme ça avant les compétitions »

« Tae », dit Jimin, et Jungkook comprit ce que Taehyung avait voulu dire. Ses yeux dérivèrent vers lui une fois de plus, en le regardant sur le sol. « Tu es Jeon Jungkook ? Pourquoi te caches-tu dans un coin comme ça ? »

« Pourquoi le fais-tu ? »

« A cause des caméras », dit Jimin, comme s'il aurait dû le savoir.

Il attendait visiblement la réponse de Jungkook, alors il dirigea sa voix vers le sol et dit, « Je préfère être seul »

Jimin fredonna. C'était un ton agréable, et Jungkook serra ses dents. Bien sûr, il pouvait aussi chanter. Ajoutez cela à la liste des choses pour lesquelles cet homme était meilleur que lui. Taehyung intervint, sa voix était légère alors qu'il regardait Jungkook. « Est-ce que tu vas gagner aujourd'hui ? »

« Non »

Le vestiaire devint quelque peu silencieux après ça. Taehyung fronça visiblement ses sourcils. « Non ? »

Jungkook poussa ses jambes devant son corps, en tendant ses mains pour attraper ses pieds. « Je finirai deuxième »

« Quelle attitude de merde », il leva son regard vers Jimin, qui roula des yeux. « Aie un peu la niaque, veux-tu ? Pour que ce soit vraiment gratifiant quand je gagne »

« Et tu te demandes pourquoi j'ai une attitude de merde », marmonna Jungkook.

« D'accord, eh bien, c'était sympa de te rencontrer », Taehyung les coupa, en faisant tourner Jimin et en le poussant de force loin de Jungkook. « J'espère te revoir, un jour ! »

« Ouais », marmonna-t-il, en repoussant son écouteur dans son oreille. Il était content qu'ils soient partis. Peut-être que Park Jimin était exactement comme les rumeurs le disaient. En tout cas, son ami avait l'air assez gentil, si ce n'est un peu trop excité. Ce genre de personnes le mettait mal à l'aise, s'il ne les connaissait pas.

En soupirant, Jungkook se leva, en s'étirant un peu le dos. Namjoon allait bientôt venir le chercher, et il n'était même pas prêt. Un souffle d'air s'échappa de ses lèvres, et il retira ses écouteurs de ses oreilles — il détestait le silence — et sortit ses patins.

S'il devait perdre, au moins ce serait contre Park Jimin.

Au moins, ce serait contre quelqu'un d'imbattable.

Park Jimin aimait les choses dans lesquelles il était bon. C'était tant mieux, alors, qu'il soit bon dans beaucoup de choses. Le patinage artistique n'était que l'une d'entre elles.

Il posa ses coudes sur sa vanité, en se regardant dans le miroir. La loge était petite, mais c'était la sienne, et il aimait le souffle de solitude qu'elle lui procurait. En plongeant son doigt dans le pot de teinture, il le passa sur ses lèvres, en observant leur mouvement dans le miroir.

Patiner était agréable. Patiner était amusant — du moins la plupart du temps. C'était un peu ennuyeux quand il gagnait constamment, bien sûr, mais il n'allait jamais refuser une de ces médailles d'or, et ce n'était pas comme s'il allait arrêter un jour. Il aurait pu s'arrêter, trouver autre chose, quelque chose où il aurait vraiment de la concurrence, mais cela aurait dû être fait il y a des années. Maintenant, il devait continuer à patiner. Il ne pouvait pas perdre maintenant.

La seule compétition de Park Jimin était Jeon Jungkook.

C'était une question de temps. Il n'était premier que parce qu'il avait un avantage, mais ce gamin était bon. Vraiment très bon. Au moins, il n'y croyait pas — il gagnerait dès qu'il s'en rendrait compte. Jimin le savait, l'entraîneur de ce gamin le savait, merde — même Taehyung le savait. Une partie de Jimin ne voulait pas qu'il y croit un jour. Il ne voulait pas perdre.

Dans le reflet du miroir, Jimin fixa la médaille d'or qu'il avait gagnée ce matin-là. Ça avait été serré, il n'avait pas été dans son assiette. Quelques points auraient suffi, et Jeon Jungkook l'aurait finalement battu, mais il avait vacillé sur son quadruple salto.

Jimin ne l'avait plus revu après ça.

Son programme court avait été bon, comme toujours. Ce gamin patinait comme s'il allait mourir s'il ne le faisait pas. Parfois, Jimin se demandait comment c'était.

Mais il avait gagné, alors il ne s'en souciait pas tant que ça.

En croisant ses jambes aux genoux, il passa un bras sur le dossier de sa chaise, en regardant l'horloge. Dix minutes avant qu'il ne soit deux heures du matin, et l'heure de commencer. Il réprima son bâillement — il était toujours un peu plus fatigué les jours de compétition.

Jimin avait des horaires bizarres. Le matin, il s'entraînait, le midi, il dormait et le soir, il travaillait. Il n'avait pas besoin de travailler — l'argent que lui procurait le patinage était plus que suffisant — mais c'était juste une autre chose pour laquelle il était bon. Sans parler du fait que cela le maintenait en forme et lui donnait cet avantage dont il avait besoin pour continuer à gagner.

Cela le rendait aussi riche, mais ce n'était qu'un détail, pensa-t-il.

On frappa à la porte de sa loge, puis une tête rousse surgit derrière la porte ouverte. « Hey, Minnie. Tu as gagné aujourd'hui ? »

Jimin agita ses doigts vers la médaille. « Comme toujours, hyung »

L'homme plus âgé entra dans la pièce, en fermant la porte derrière lui avant de se jeter sur la causeuse rose poussée contre le mur. « Tu es trop bon, tu sais ça ? Genre, sérieusement. Tu as déjà pensé à laisser les autres souffler un peu ? »

« Est-ce que tu parles de toi ? », Jimin haussa un sourcil, en se penchant en avant sur son siège pour enfoncer des lentilles de couleur dans ses yeux. Elles étaient d'une jolie couleur bleue — il les aimait bien, même s'il savait que personne ne serait vraiment capable de les voir dans la lumière tamisée.

Il aimait bien Hoseok. Hoseok était un bon ami, gentil, attentionné, il s'occupait de lui. Il faisait cela depuis un certain temps, au moins deux ans de plus que Jimin. Parfois, il lui rappelait un peu Jeon Jungkook. Puissant, bon dans ce qu'il fait, et de second ordre.

Sur la causeuse, Hoseok laissa échapper un rire joyeux. « C'est moi qui t'ai entraîné là-dedans, j'ai de l'ancienneté. Ne me cherche pas, Minnie, ou je prends ton créneau »

Il fit la moue devant le miroir. Deux heures du matin, c'était le meilleur moment, et ils le savaient tous. Les clients n'étaient pas trop fatigués pour rentrer chez eux, mais ils étaient bien trop ivres pour comprendre combien d'argent sortait de leurs portefeuilles. « Tu ne ferais pas ça, hyungie », chantonna-t-il en faisant un clin d'oeil à Hoseok dans le miroir.

« Bon sang », dit Hoseok, en se poussant de la causeuse pour enrouler ses bras nus autour de Jimin, en le balançant d'un côté à l'autre. « Tu es irrésistible. Tu es de service dans quatre minutes, n'oublie pas »

Lorsqu'il se retira, Jimin fronça ses sourcils. « Où vas-tu ? »

« Ce barman mignon travaille ce soir, je vais juste aller le mettre mal à l'aise. Dans le bon sens du terme », dit Hoseok, et le ton léger de sa voix fit rire Jimin, qui regardait son aîné quitter le vestiaire en fanfare.

En soupirant dans la pièce maintenant vide, Jimin prit un autre long moment pour se regarder dans le miroir. Ses yeux étaient bordés d'une ombre sombre, ses lèvres avaient une belle teinte rouge, ses cheveux blonds étaient coiffés à la perfection. Il était beau, mais il était toujours beau.

Jimin se glissa hors de son siège, en ajustant ses vêtements — ou, ce qu'il en restait. Ce short noir était minuscule, mais faisait l'affaire, et ce haut blanc à manches longues était si court qu'il ne couvrait presque rien. Mais tout le monde savait que ce n'était pas vraiment les vêtements qui importaient.

Il sortit de la pièce et se dirigea vers les couloirs, en jetant un coup d'oeil à l'horloge suspendue juste au-dessus du rideau arrière. C'était une chose sombre et veloutée, et c'était la seule barrière entre lui et ceux qui étaient rassemblés pour regarder. En passant rapidement ses doigts dans ses cheveux, Jimin entendit sa musique commencer à être jouée et monta sur la scène.

La seule raison pour laquelle Jimin continuait à gagner était qu'il avait un avantage qui le rendait meilleur que les autres. Meilleur que Jeon Jungkook.

Une main bronzée s'enroula autour de la barre d'argent.

Park Jimin avait un avantage sur la glace, parce que Park Jimin était un strip-teaseur.

Jungkook savait que son colocataire n'était pas surpris de le voir recroquevillé sur le canapé, ses yeux fatigués clignaient à la lumière qu'il alluma à cinq heures du matin. Ce n'était pas nécessairement une routine, mais ça en était assez proche. Son colocataire le regarda alors qu'il retirait ses chaussures, puis sa flanelle, en la jetant sur le comptoir de manière désordonnée.

« Tu devrais dormir », dit-il, en se frottant un peu le visage. Il venait juste de quitter le travail, et Jungkook savait qu'il ne reverrait pas son colocataire avant le dîner s'il ne restait pas éveillé.

Jungkook tira sur la couverture qui était enroulée autour de ses épaules, en frottant son œil avec un poing. « J'ai essayé »

Son hyung émit un bruit non-engagé, avant de se diriger vers le canapé. Jungkook gémit en déroulant la couverture pour s'installer à côté de lui, en les recouvrant tous les deux de l'étoffe épaisse. L'homme plus âgé tira légèrement sur la tête de Jungkook, en l'incitant à la poser sur sa petite épaule alors qu'ils étaient assis là, en fixant une télévision sombre.

Yoongi était le numéro un sur la liste des personnes qui pouvaient le toucher. Ils vivaient ensemble depuis des années — un peu plus de cinq ans maintenant — et il avait été là pour lui dans les pires moments. Il ne posait jamais de questions, même lorsqu'il rentrait de son travail aux petites heures et surprenait Jungkook en train de lutter contre le sommeil. Yoongi faisait de son mieux, et il avait sa façon de s'occuper de lui, et c'était tout ce que Jungkook pouvait demander.

C'était des choses simples — mettre un bol de nourriture devant lui sans un mot, s'assurer qu'il s'hydrate, se présenter à ses compétitions quand il le pouvait. Il n'y avait pas besoin d'explications inutiles, car ils semblaient simplement se comprendre. Cela aidait que Yoongi ne le réprimande jamais non plus. C'était bien.

Yoongi ne s'était jamais plaint non plus. Ni même lorsque Jungkook se réveillait en criant, ou rentrait à la maison en titubant après des jours sans être joignable, ou quoi que ce soit de ce genre. Il résistait à l'envie de dire quelque chose, il faisait ce qui était nécessaire, le laisser seul ou rester à ses côtés, selon ses besoins.

Son hyung passa des doigts dans ses ondulations sombres. « Tu veux en parler ? »

Jungkook fit de son mieux pour secouer sa tête, en sentant ses yeux devenir un peu lourds. « Parle-moi du travail »

Yoongi ne parlait jamais beaucoup de son travail. Il était barman, ça Jungkook le savait, mais il n'était pas sûr de savoir dans quel club. Ce n'était pas que Yoongi était secret, mais il ne tenait tout simplement pas à partager cette information, et Jungkook n'allait pas le pousser à ce sujet. Mais il partageait certaines choses, parfois. Jungkook aimait l'entendre parler, peu importe la normalité de la situation.

« Une nuit longue », dit Yoongi, d'une voix profonde à cause de sa fatigue. « Il ne s'est pas passé grand-chose d'excitant. Je crois que j'ai fait quelque chose comme vingt Screwdriver, et je pense que je mourrais si tu disais qu'on a du jus d'orange dans le frigo. Je ne veux littéralement plus jamais en voir »

Il laissa échapper un petit rire à cette idée. « L'un de nous l'a fini l'autre jour. Probablement moi. Je ne me souviens pas »

« N'en achète pas d'autres »

« C'est noté »

Yoongi le tira un peu plus près de lui, en frottant des cercles contre le haut de son dos. « Tu vas regarder ton programme ? »

Jungkook resta silencieux pendant une minute. « J'ai vacillé sur mon salchow »

« Le quadruple ? », au petit hochement de tête de Jungkook, Yoongi laissa échapper une inspiration. « Au moins, c'était le quadruple »

« J'aurais pu le battre, si j'avais réussi », il se souvenait du moment, se rappelait comment ses mains avaient tremblé, se rappelait comment il avait fui la patinoire juste après. Ce putain de salchow — il ne loupait jamais son salchow. Jungkook resserra sa prise sur la couverture. « J'aurais pu gagner, putain, et j'ai tout foiré, et il a gagné. Il a gagné, comme toujours », cracha-t-il entre ses dents serrées.

Yoongi n'arrêta pas ses mouvements doux, même si Jungkook le sentait s'immobiliser légèrement. « Je suis sûr que tu étais fantastique. Je peux le regarder ? On peut le regarder ensemble, si tu veux. Si c'est mieux pour toi »

L'homme plus âgé détestait parler de Park Jimin. Il n'avait jamais dit à Jungkook pourquoi, il avait toujours soigneusement détourné la conversation de cet homme. L'autre homme n'était pas insignifiant comme Yoongi le faisait croire. Mais Jungkook n'avait jamais posé de questions à ce sujet, tout comme Yoongi n'avait jamais posé de questions sur lui. C'était mieux ainsi.

« Tu veux bien le regarder plus tard ? Je ne veux pas le voir maintenant », marmonna Jungkook, en fermant ses yeux tout en essayant de bloquer cette sensation de vaciller durant ce saut.

« Bien sûr », murmura Yoongi, d'une voix douce. « Qu'a dit Namjoon ? »

« Il a dit que je m'en suis bien sorti »

« Je n'en doute pas. Tu t'en sors toujours bien, Jungkook »

Il savait que ce n'était pas vrai. Il aurait été bon s'il n'avait pas vacillé, même s'il n'avait pas gagné. Cela aurait juste signifié que Park Jimin était meilleur, et non qu'il avait perdu parce qu'il s'était planté. « Ouais », chuchota-t-il, avec ses yeux humides alors qu'il fixait l'écran vide en face du canapé. « Merci, hyung »

Yoongi lui tapota un peu le dos. « Je parie que ça fait un moment que tu es debout. Je vais aller me coucher, j'ai l'impression que je pourrais dormir pendant des jours. Tu viens ? »

Ça, c'était la routine. Ça n'arrivait qu'après les compétitions. Yoongi laissait Jungkook dormir avec lui, un réconfort qui n'était qu'à quelques centimètres. Cela l'aidait avec les cauchemars des compétitions passées, des fêtes qui avaient lieu après.

D'être drogué jusqu'à en perdre la tête, impuissant et vulnérable, rien de plus qu'un divertissement pour les invités de la fête — le deuxième meilleur patineur artistique masculin de Corée du Sud, une faveur de la fête. Le fait qu'il ait obtenu la deuxième place n'avait pas eu d'importance à l'époque, mais il se demandait parfois si les choses auraient été différentes s'il avait gagné. Si Park Jimin s'était finalement planté pour une fois et avait obtenu la deuxième place.

À son hochement de tête épuisé, Yoongi se détacha de Jungkook, en l'aidant légèrement à se lever et à rejoindre sa chambre. Ils ne dirent rien alors que Jungkook s'effondrait sur le lit défait, en laissant Yoongi remonter les couvertures autour de ses épaules avant de se glisser de l'autre côté. Jungkook se détourna de lui, comme il le faisait toujours.

Et Jungkook se laissa pleurer en silence, comme il le faisait toujours.

Jimin laissa retomber les sacs Chanel sur le sol au moment où il entra dans son appartement, sans être surpris de voir que Taehyung l'attendait déjà. Son meilleur ami avait une clé. Parfois, Jimin regrettait de la lui avoir donnée.

Le chien de Taehyung, Yeontan, se précipita vers Jimin, en sautant avec excitation ce qui le fit rire. Il s'accroupit pour caresser le poméranien et leva ses yeux vers Taehyung après un moment. « Si tu es là avant moi, tu devrais au moins préparer le petit-déjeuner »

Taehyung, qui était affalé sur le canapé, lui jeta un coup d'œil par-dessus le haut de son téléphone. « Je ferai la vaisselle si tu cuisines »

« Je préfère faire le ménage »

« Tu veux commander quelque chose ? »

Jimin fit une pause. « Absolument »

En soupirant, il ramassa son sac de patinage, en le posant sur le comptoir avant d'étirer ses bras au-dessus de sa tête. Puis, le deuxième sac vint ensuite, qui était son préféré. Taehyung le regarda. « Combien as-tu gagné hier soir ? »

Jimin haussa ses épaules, en le dézippant pour regarder les billets à l'intérieur. « Beaucoup »

« Comme toujours », Taehyung roula des yeux. « Comment va Hobi hyung ? »

« Il est toujours en train de flirter avec ce barman. C'est un peu drôle, la façon dont cet autre gars le repousse. Hoseok a un défi à relever, là », Jimin s'assit sur le sol, vida le sac et commença à passer en revue les billets, en les plaçant en piles de cinq cent mille Won chacune. Oui, la nuit dernière avait été une bonne soirée. « C'est vraiment drôle »

« Est-ce que ce barman est beau, au moins ? »

« Il est pas mal. Ils le sont tous. Tu le sais bien », dit Jimin, de manière désinvolte. « Qu'est-ce que tu commandes ? »

« Je n'ai pas encore décidé. Hoseok est généralement bon pour ce genre de choses. Est-ce qu'il fait plus que toi ? »

« Ça dépend du monde qu'il y a. Hier soir, non. La nuit précédente, oui »

Taehyung le regarda, puis l'argent sur le sol. « Ça te dérange ? »

Jimin compta l'argent. Huit millions. Une grande soirée. « J'ai gagné de l'or hier, puis j'ai gagné assez pour deux mois de loyer en une nuit. Non, ça ne me dérange pas »

L'autre homme rigola, en secouant un peu sa tête. Des boucles sombres retombèrent devant ses yeux, mais il les balaya avec ses longs doigts, et continua. « A propos de ça, qu'est-ce qui se passe entre toi et ce gamin ? »

« Quel gamin ? »

« Tu sais quel gamin, Jiminie. Jeon Jungkook, celui sur lequel tu as déversé ton venin l'autre jour. Il n'avait rien demandé », dit Taehyung en continuant à faire défiler son téléphone, vraisemblablement à la recherche de nourriture. Mais il pouvait aussi regarder n'importe quoi.

Jimin pinça sa lèvre inférieure entre son pouce et son index. Elle était un peu collante, ce qui lui rappelait qu'il devait se démaquiller. En fouillant dans son sac, il sortit sa trousse de maquillage, en plongeant sa main dedans pour trouver un nettoyant. « Il a été un peu con. Qu'est-ce que ça peut faire,  de toute façon ? Il est un peu — je ne sais pas », Jimin agita sa main en l'air. « Bizarre. Solitaire. Tu vois ce que je veux dire. Genre, mec, porte un peu de couleur »

Taehyung laissa retomber son téléphone sur sa poitrine, avec ses yeux écarquillés en regardant Jimin comme s'il était fou. « Est-ce que ça t'arrive de lire parfois ? »

« Si ce n'est pas sur moi, alors non »

Taehyung laissa échapper un rire incrédule. « Tu es tellement narcissique »

Jimin détestait ce mot. Ils l'avaient toujours appelé comme ça. Ce n'était pas sa faute s'il ne se souciait pas de tout le monde sur cette planète. Il disait juste parfois les mauvaises choses, était parfois un peu insensible et ne suivait pas grand-chose en dehors de son petit monde.

Jeon Jungkook ne faisait pas partie de son petit monde.

« Tais-toi. Quoi ? », cracha Jimin, en commençant à essuyer son maquillage de ses yeux. « C'est quoi le problème ? »

Taehyung enfonça sa langue dans sa joue pendant un moment, en secouant sa tête. « Son ancien entraîneur est allé en prison »

« Ridicule. Pour quoi, fraude fiscale ? », Jimin gloussa, et se pencha en arrière pour jeter le coton maintenant sale à la poubelle.

« Abus »

Oh.

Il s'assit de nouveau lentement bien droit, en fixant son meilleur ami. « C'est pour ça que tout le monde est obsédé par lui ? »

« Je n'arrive pas à croire que tu ne savais rien de tout ça », dit Taehyung, en s'asseyant sur le canapé tout en croisant ses jambes sous lui, en regardant Jimin qui n'avait pas bougé du sol. « C'était une grande affaire. Les journalistes ne le laissent toujours pas tranquille à ce sujet, et il n'a rien dit. Personne ne sait même comment les autorités ont découvert tout ça »

Parfois, Jimin était capable de s'empêcher de dire quelque chose de grossier. Ce n'était pas comme s'il pouvait vraiment choisir, mais c'était l'une de ces fois. Le mot mouchard lui brûlait la langue, mais il parvint à le ravaler.

Les doigts de Jimin jouaient avec l'argent sur le sol, en cherchant simplement quelque chose à faire. « Mais il a un nouvel entraîneur maintenant, pas vrai ? »

« Ouais. Ce gars est plutôt sympa, en fait. Il s'appelle Kim Namjoon »

« Comment tu sais tout ça ? »

Taehyung souffla. « Ils ont fait, genre, un article entier sur toute la situation, il y a quelque chose comme un an. Je l'ai peut-être encore, si tu veux le lire »

« Pourquoi est-ce que je voudrais le lire ? », dit Jimin, en se poussant finalement du sol pour ramasser le coton qui avait manqué la poubelle, avant de le jeter à l'intérieur. « Ça ne me concerne pas »

« Parce que ça pourrait faire en sorte que tu sois moins con quand tu lui parles »

Jimin se retourna, ses yeux félins étaient plissés. « Je n'ai pas l'intention de lui parler »

Taehyung siffla, en appelant Yeontan tout en laissant le chien sauter sur ses genoux. Il caressa sa fourrure brune, en roucoulant à l'animal avec un sourire sur son visage. « Je vais te le donner pour que tu le lises. Tu devrais vraiment »

En pouffant, Jimin pencha sa tête sur le côté. Il voulait mettre fin à cette conversation, ne voulait pas en savoir plus sur Jeon Jungkook qu'il ne le devrait, mais quelque chose le tenaillait. « Ça pourrait concerner de la violence domestique. Ou de la maltraitance d'enfant. Pourquoi tout le monde pense que ça le concerne lui ? »

L'autre homme fit une pause en jouant avec son animal de compagnie. Il resta silencieux pendant une seconde alors qu'il penchait sa tête sur le côté. Sa voix était douce lorsqu'il parla finalement. « Ils ont confisqué ses patins. Pour en avoir le coeur net, je pense »

« Et ? Ce sont des patins »

Taehyung caressa lentement son chien, son espièglerie avait disparu. « Il y avait du sang partout dessus. Une quantité folle. C'est tout ce qu'ils ont trouvé, vraiment, mais — tu imagines être coupé avec tes patins ? »

Jimin jeta un coup d'œil au sac Chanel sur le comptoir, en essayant de l'imaginer et en constatant que non, il ne pouvait vraiment pas.

Jimin était assis sur son lit, un verre de champagne à la main. C'était sa nuit de repos, mais il était encore fondamentalement nocturne, ce qui expliquait le fait qu'il était parfaitement réveillé à trois heures du matin. La télévision était brillante devant lui, fixée sur le mur en face de son lit, mais il ne pouvait pas empêcher son regard de vaciller.

Taehyung avait laissé le magazine sur le bord de son lit ce matin-là. Jimin détourna son regard vers le film qu'il regardait. Et puis ses yeux retrouvèrent le magazine.

« Non », dit-il en buvant le reste de son verre. « Non. Ça n'arrivera pas »

En se servant un autre verre, il retira le magazine du lit d'un coup de pied et l'entendit tomber sur le sol. Loin des yeux, loin du cœur.

Il ne fallut que cinq minutes environ avant qu'il ne descende du lit et ne ramasse le magazine, en éteignant la télévision pour regarder la couverture. C'était une photo de paparazzi, de Jeon Jungkook sortant d'une voiture. Comme à la patinoire l'autre jour, il avait un chapeau baissé et son masque haut sur son visage, avec sa main agrippée à la sangle de son sac.

Des mots étaient placardés sur la couverture du magazine, et Jimin poussa un gros soupir. « Putain », siffla-t-il, en ouvrant le magazine. Peut-être que cela ne changerait rien de le savoir.

Il était un peu déçu de voir qu'il s'agissait d'une grande agitation pour rien. Jungkook ne s'était pas exprimé sur le sujet, alors les journalistes en savaient très peu. Tout ce qu'ils avaient dit, c'était que l'ancien entraîneur de ce gamin avait été reconnu coupable d'abus, que Jungkook n'avait pas voulu se présenter au procès mais qu'ils avaient assez de preuves pour le condamner quand même, et qu'il avait décidé de continuer à patiner avec un nouvel entraîneur.

Mais il y avait un article sur le nouvel entraîneur. Kim Namjoon, avait dit Taehyung. C'était la partie intéressante, la partie qui avait fait que Jimin s'était assis sur son lit, sa flûte égouttée oubliée sur la table de nuit.

Parce que Kim Namjoon n'était pas nouveau dans ce milieu. Il était riche, et possédait une des patinoires de Séoul. Il avait pris Jungkook sous son aile sans poser de questions — c'était lui qui avait apparemment approché le gamin, après que son ancien élève ait prit sa retraite.

Son ancien élève étant Kim Seokjin lui-même.

C'était suffisant pour que Jimin fixe le magazine avec des yeux écarquillés, en s'assurant qu'il avait bien lu. L'entraîneur de Jungkook avait également entraîné l'idole de Jimin.

Jimin jeta le magazine sur le côté. Pas étonnant que ce gamin soit si bon. Il recevait des conseils du meilleur patineur artistique masculin que la Corée du Sud ait jamais vu, retraité ou non. Jimin rêvait d'être à la hauteur de ce que Kim Seokjin avait fait, il voulait un jour battre les records qu'il avait établis.

Son propre entraîneur était bon, même s'il n'était pas forcément obligatoire, mais ces deux hommes étaient incomparables. L'ancien entraîneur de Jungkook avait été assez bon, ou du moins Jimin le pensait. Lui-même avait observé ce gamin sur la glace auparavant, pendant l'échauffement, et avait vu sa discipline folle.

Une sorte de feu le traversa, le forçant ainsi à sortir du lit et à mettre de vrais vêtements. Il était tard, bien après la fermeture, mais il avait une clé. L'avantage d'être le meilleur, pensa-t-il.

Au moins, il était bien réveillé. En enfonçant ses pieds dans ses chaussons, Jimin attrapa son sac sur le comptoir et ses clés sur la table à côté de la porte. Il devait s'entraîner.

Il avait peut-être gagné, mais il n'était pas sûr que Jeon Jungkook perdrait la prochaine fois.

« La combinaison est bonne », dit Namjoon, en faisant signe à Jungkook de s'approcher. Il s'approcha en patinant, en s'appuyant sur le bord de la patinoire tout en haletant, en reprenant son souffle. Ils avaient déjà revu son programme court trois fois, et il n'avait pas raté le salchow une seule fois. C'était le coup de chance des entrainements, et cela le rendait encore plus furieux contre lui-même. « Mais il y a juste quelque chose qui manque »

Le coeur de Jungkook s'enfonça dans son estomac à ce moment là. « Je peux — Est-ce que je peux le refaire ? Peut-être que mes sauts n'étaient pas bons, ou — »

« Non », Namjoon secoua sa tête, en coupant Jungkook. « Ce n'est pas ça. Tout était parfait, mais — à quoi penses-tu ? Quand tu es sur la glace ? »

« Ne pas foirer », c'était brutal, mais c'était la vérité.

Son coach gloussa. « Eh bien, ça doit effectivement faire partie de tes pensées. Mais est-ce que tu écoutes la musique ? »

Jungkook se mordilla la lèvre, en essayant de se souvenir. « Seulement pour garder le rythme »

« C'est ça. Écoute », dit Namjoon, en passant sa main dans ses cheveux. « La raison pour laquelle Jimin est si bon est qu'il est là. Il fait partie intégrante du show, comme si c'était une seule et même entité. Lui, la glace, la musique, tout ça. Tu — Tu penses juste beaucoup trop »

« Il est bon parce qu'il est simplement meilleur », cracha Jungkook, en reprenant enfin son souffle tout en se repoussant un peu du bord. « Ça n'a pas d'importance si je ressens la musique ou pas. Ce n'est pas comme si c'était du classique. La musique classique gagne toujours »

« La musique classique gagne parce qu'il sait comment l'utiliser », Namjoon avait raison, et ils le savaient tous les deux. Il restait un mois avant les championnats nationaux. Jungkook avait un mois pour apprendre à battre Park Jimin, et il n'allait pas le faire en ressentant simplement cette putain de musique. C'était le plus haut niveau de conneries. S'il pouvait réussit un autre salchow quadruple, il pourrait gagner. C'était ce qu'il avait besoin de pratiquer.

Namjoon claqua des doigts, et Jungkook cligna des yeux dans sa direction, prêt à écouter. C'était cette obéissance inculquée si profondément en lui qui le forçait à être prêt, à écouter, à accepter d'essayer tout ce que son entraîneur demandait. Jungkook n'avait jamais été doué pour dire 'non', c'était certain.

« On est ici depuis deux heures déjà. Enlève tes patins et on rentre à la maison, d'accord ? On pourra en parler une autre fois », Jungkook inclina son menton dans un hochement de tête, en prenant les protections de patins que Namjoon lui tendait pour les ajuster sur ses patins, avant de sortir de la patinoire. Son entraîneur vérifia sa montre, puis son téléphone. Il s'arrêta un moment, en jetant un coup d'œil à Jungkook, tout en réfléchissant visiblement avant de parler.

« Quoi ? », demanda Jungkook, alors que ses yeux clignaient nerveusement vers son entraîneur.

« Jin est en train de préparer le dîner. Il m'a dit de t'inviter, si tu veux te joindre à nous », dit Namjoon, en jaugeant sa réaction. « Tu peux rentrer chez toi, si tu veux, mais je sais que ton colocataire n'est jamais à la maison à cette heure-ce, alors — ouais », il se tut alors que Jungkook baissait les yeux vers le sol.

« Il cuisine si tard ? », demanda faiblement Jungkook, en essayant de comprendre la situation.

« Parfois, il est juste comme ça », Namjoon secoua sa tête. « Je ne pourrais pas te dire pourquoi, mais ce n'est pas comme si j'allais refuser un bon repas, tu vois ? »

Jungkook réfléchit à cette question. Namjoon avait raison — Yoongi n'était jamais à la maison aussi tôt dans la nuit, pas quand il travaillait. L'idée d'aller volontairement chez son entraîneur était paralysante, mais il se força à se rappeler à quel point ils étaient gentils tous les deux, que c'était différent. Il fit rouler sa lèvre inférieure dans sa bouche. « Juste nous trois ? »

« Juste nous », dit fermement Namjoon. « Personne d'autre. Tu pourras rester si tu veux, jusqu'à ce que les services de bus reprennent, ou jusqu'à ce que ton colocataire ait fini de travailler, ou l'un d'entre nous pourras te ramener chez toi demain matin. Si tu décides de venir, bien sûr »

Ils arrivèrent finalement au vestiaire, et Jungkook s'assit sur le banc en défaisant les lacets de ses patins, en les retirant avant d'étirer un peu ses pieds. « Ouais », murmura-t-il. « Je vais venir »

« Vraiment ? », son entraîneur sembla surpris, mais parvint à le cacher presque immédiatement. « Je vais dire à Hyung que tu viens. Tu me retrouves à la voiture dans 5 minutes ? », au hochement de tête bref de Jungkook, il quitta le vestiaire, déjà en train de porter le téléphone à son oreille.

Jungkook pensa qu'il devait être fou. Mais, petit à petit, il devrait s'en remettre. C'était juste un repas, c'était tout. Il avait son téléphone, il avait ses écouteurs, il pourrait regarder quelque chose jusqu'à ce que Yoongi arrive après son service. Ça ne serait pas trop long. C'était juste un repas.

Il se le répéta, encore et encore, jusqu'à ce qu'ils arrivent chez son coach.

C'était une belle maison — parfois, il oubliait combien d'argent Namjoon possédait — et c'était mille fois mieux que son appartement. En attrapant son sac, il se glissa hors de la voiture après son coach, en fermant la portière derrière lui avant de secouer ses bras. Tout allait bien.

Kim Seokjin était un patineur artistique à la retraite. Il était l'ancien élève de Namjoon. Il était le meilleur patineur artistique masculin que la Corée du Sud ait jamais vu.

Et, il était le petit ami de Namjoon.

Jungkook n'avait jamais compris comment il avait pu oublier comment était Seokjin. Ils ne se voyaient pas très souvent — quand il disait qu'il était à la retraite, il le pensait — mais Seokjin était si différent de ce que Jungkook avait pensé qu'il serait qu'il se demandait toujours comment il avait pu l'oublier. Il avait supposé que l'homme plus âgé serait stoïque, gracieux, calme — tout ce qu'il était sur la glace.

Ouais, absolument pas.

Jungkook riait encore, parfois, quand il se rappelait de la première fois qu'ils s'étaient rencontrés. Mon dieu, il s'était presque évanoui à cause de son émerveillement, combiné à l'affection de Seokjin.

« Jungkook ! », chantonna l'homme plus âgé lorsqu'ils entrèrent dans la maison, en se précipitant pour les accueillir. Il enroula ses bras autour de Jungkook pendant une minute, avant de se démêler et d'offrir un baiser à Namjoon sur la joue. En souriant, il se retourna vers le plus jeune. « Ça fait si longtemps. Trop longtemps. Viens plus souvent, hm ? »

Jungkook hocha de la tête, en cherchant un endroit où poser son sac à dos. Seokjin tendit sa main, en proposant de le prendre pour lui. Lorsqu'il le lui remit, bien qu'un peu à contrecœur, Seokjin sourit, en ébouriffant légèrement ses cheveux. « Vous deux, allez vous asseoir. J'aurai fini dans une minute »

« Ce n'est pas un peu tard pour dîner ? », demanda Jungkook, plus qu'un peu curieux.

L'autre homme pointa son doigt vers lui. « Commence à t'entraîner plus tôt, puis viens me critiquer. En attendant, assieds-toi et mange, Jeon Jungkook. On dirait que tu te prives », il tourna sur ses talons, en se dirigeant vers la cuisine avec le sac de Jungkook. « Trois assiettes ! », cria-t-il, ce qui fit rouler les yeux de Namjoon. « Je veux que tu manges trois assiettes, Jungkook, et je me fiche que ça te tue ! »

Jungkook n'était toujours pas certain que cet homme était vraiment le même que celui qui détenait la plupart, sinon tous, les records masculins de patinage artistique en Corée du Sud. Pourtant, il sourit en regardant ses pieds, et suivit son entraîneur à table sans un mot de plus.