𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟓.𝟏.
Au dixième jour, il leur sembla que le vent tomba, se dirigeant vers le Sud, comme pour accompagner Eirien dans son voyage. Elle savait que celui-ci serait long, car elle devait contourner l'immense chaîne des Monts Brumeux. Des chemins serpentaient entre certaines montagnes, mais elle les savait périlleux et n'osait les emprunter, surtout si l'œil de Saruman les veillait.
Elle avait estimé son voyage à moins d'une dizaine de jours, car son étalon allait vite et bien et ne nécessitait que peu de pauses. Quant à elle, elle pouvait fermer les yeux en galopant, et profiterait de ces instants pour dormir un peu. Hors de question de retarder son arrivée, elle récupérerait en arrivant.
La musicienne passa une dernière soirée avec la Compagnie, chantant et dansant avec eux pour redonner du courage à ceux qui soupiraient. Seul Boromir et Aragorn se tenaient à l'écart, trop soucieux pour participer aux festivités. Eirien les comprenait bien et ne leur en voulait pas, mais elle aurait aimé voir le visage de son ami se décorer de son sourire qu'elle aimait tant. L'éclat de ses yeux n'était plus celui de l'aventure mais du devoir.
- C'est ici que je vous quitte, dit la jeune elleth à la fin du repas, fixant le lointain Sud, masqué par les Montagnes du Pays de Dun.
- Déjà ? s'écriait Sam.
- Oui, ma route mène ailleurs mais je viendrai vous voir lorsque vous aurez passé Caradhras. Une dernière fois, sourit-elle amicalement en posant sa fine main sur l'épaule du Semi-Homme.
- Am man ù-phedi am i aglonn ? demanda alors la voix d'Aragorn, qui se tenait un peu plus loin.
[Pourquoi ne pas passer par le col ?]
- Bararil ùvela i eryd : padathon lim athan le. A i chend Saruman or nîn, répondit-elle dans la même langue.
[Bararil n'aime pas les montagnes : j'irai plus vite que vous. Et l'œil de Saruman sera sur moi.]
Il hocha la tête et se retourna vers l'Est. Eirien, voyant bien qu'une chose dérangeait le Dunedan, s'en approcha.
- Prestad ?
[Une chose te trouble ?]
- Ha i edwen Novaer 'wîn, soupira l'Homme. Ù-velon i novaer.
[C'est notre second Au Revoir. Je n'aime pas les au revoir. ]
- Mi Lórien achenithanc, promit Eirien en serrant dans ses mains celles calleuses et fortes de son ami. N'i lû tôl, linnathon mi Vellyrn.
[En Lórien, nous nous reverrons. Jusque là, je chanterai entre les arbres. ]
Aragorn sourit de ce rappel, se souvenant de leur première rencontre, alors qu'il l'avait prise pour une créature qu'elle n'était pas. Il était resté écouter malgré ses blessures, et elle lui avait longuement chanté lorsqu'il souffrait entre les mains des elfes, alors qu'on lui brûlait les plaies et recousait ses blessures.
- Laeryn, hannon gen.
[Laeryn, merci.]
Elle secoua la tête et resta contre l'épaule du Dunedan avant de le quitter. Elle comprenait sa détresse mais voulait lui crier de ne pas s'inquiéter : elle savait qu'ils se reverraient dans quelques jours à peine.
L'adieu aux Hobbits se fit avec plus de difficulté, car chacun savait que jamais plus ils ne voyageraient ensemble. Eirien devait rester en Lothlórien. Chacun la serra dans ses bras, et elle se sentait soudainement gênée de tant de tendresse. Seul Frodon contint ses émois et lui adressa un sourire triste.
- Elbereth 'oveda gen. Namarië, souffla-t-elle au Hobbit, qui lui répondit avec un hochement de la tête.
[Elbereth t'accompagne. Adieux.]
- Galu, fit-il doucement et Eirien regretta encore de ne pas pouvoir épauler ce si petit être dans cette mission trop grande pour tout être.
[Bonne chance.]
Legolas, l'Elfe de Mirkwood la salua à son tour, mais Gimli et l'Homme du Sud se trouvèrent bien indifférents à son départ mais cela ne la dérangeait pas. Boromir, si intimidant, ne lui avait pas adressé la parole, trop concentré sur son rôle, et elle n'avait pas pris la peine d'aller lui parler. Après tout, elle s'en allait déjà.
Elle enfourcha donc Bararil et, un dernier adieu chanté dans le vent, elle fuit vers le Sud, laissant derrière elle les visages tristes des membres qu'elle avait marqué.
Elle fit quelques pauses, la première lorsqu'elle rejoint la Vieille Route du Sud, à l'abris d'un petit bois qui referma sur elle des branches de houx et des troncs grisés par le climat sec. Elle avait alors passé Caradhras, le col que ses amis emprunteraient dans quelques jours seulement. Elle fut surprise par un vol de Crébains, qu'elle soupçonna envoyé par Saruman, puisqu'ils fuyaient le Sud. Elle ne prit pas la peine de se cacher puisqu'être aperçue par l'Ennemi était partie intégrante de son voyage. Elle espérait en revanche qu'Aragorn les apercevrait à temps.
Quand elle repartit, l'aurore peignait les Monts de couleurs roses, et Celebdil la Blanche éclatait de mille feux sous le ciel découvert. Un peu d'espoir raviva le cœur d'Eirien et elle en profita pour composer un petit chant, qu'elle chantonna pendant tout le reste de son périple.
Sìla Anor or Chelebdil
Athan Chitaeglir boe pada
Ennas silar Aelin a Ithil
Anno i galagal enni, Varda
[Le soleil brille sur Celebdil
Au-delà des Monts Brumeux il faut aller
Là brillent lacs et la Lune
Donne-moi ta Lumière, Varda]
Les paysages défilaient rapides mais répétitifs, jusqu'à ce que l'elleth rejoigne la Trouée du Rohan, après avoir chevauché quatre jours. Son cheval était l'un des Mearas, descendant de Felaróf, et galopait plus vite que le vent, mais elle restait surprise de l'allure à laquelle elle allait. Retrouvant ses terres d'origine, l'étalon hennit son bonheur et sa cadence accéléra encore, laissant Eirien subjuguée par sa course. Jamais n'avait-il été si pressé de retrouver la Lórien.
Alors qu'elle dépassa l'un des derniers monts de la chaîne des Chitaeglir, elle sentit son estomac se rétrécir et son cœur serré disparaître de sa poitrine. En effet, là où se trouvait auparavant l'orée émeraude de la forêt de Fangorn s'ouvrait à présent un gouffre de terre noire, d'où jaillissaient d'étranges fumées et cris terrifiants. D'habitude masquée par les milles arbres arrachés, la muraille d'Isengard exposait ses pierres poussiéreuses et Orthanc ne dépassait plus des faîtes mais s'élevait cruelle et acerbe du sol crevassé.
Le chant sylvestre avait disparu, happé par les machines métalliques qui cliquetaient au loin et l'elleth souffrait d'entendre les craquements des branches mortes et les rires des créatures qui étaient à l'œuvre de ce massacre.
Passant le gué de l'Isen, elle remarqua la couleur souillée de l'eau, autrefois clair comme celle de Nimrodel. Aussi, elle n'eut aucune peine à traverser, car le flot s'était consternablement réduit : au lieu de mille chevaux d'écumes se faufilait un mince filet grisâtre entre les pierres et les rigoles. Saruman devait s'en servir afin de faire tourner les instruments de guerre. De violents haut-le-cœur soulevèrent le torse fatigué de la jeune musicienne.
- Noro lim, Bararil, intima-t-elle à son cheval, détournant la vue des cadavres de ces arbres pour lesquels elle avait autrefois chanté.
C'était en effet sa coutume de déposer ses bagages quelques instants là où l'Isen s'élançait hors de la forêt, et de s'y reposer à l'ombre des feuillages. Elle sortait alors sa harpe et apaisait le tumulte des arbres, pour lesquels elle n'était d'abord qu'une étrangère. Jamais la réaction n'était aussi forte que dans les clairières de Fangorn : là, les plantes se penchaient autour d'elle, se dressant pour mieux sentir les notes chatouiller leur écorce et parfois même agrippaient de leurs branches les vêtements de la jeune blonde afin de la retenir quelques instants encore. A présent, ils étaient tous déracinés et leurs entrailles persistaient encore sous le trise soleil d'hiver. Les larmes striant ses joues glacées, Eirien se détourna en se faisant violence. Si elle s'était sue plus forte, elle aurait été seule affronter le maudit mage qui avait déshonoré sa fonction à ce point.
Retenant des sanglots de rage, elle jura devant le ciel froid qu'elle verrait de ses yeux la mort de Saruman.
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