Nous pénétrons dans la salle d'entraînement sous les regards hostiles des autres tributs. Je détaille la pièce, impressionnée. C'est immense et les infrastructures technologiques des ateliers ont l'air de s'être nettement perfectionnées depuis les derniers Hunger Games. Des simulations, des mannequins, des armes, des cibles...Ben me donne un coup de coude et me montre les juges du menton. Ils sont en hauteurs, confortablement installés et nous analysent du regard, protégés par un champ de force. Maman m'a appris à les reconnaître, une trace floue, un défaut dans la cuirasse comme elle dirait. Un des juges croise mon regard et je baisse précipitamment les yeux. Je surprends l'air assassin que Ben leur lance.

- À quoi tu joues ?

Il ne répond pas et se dirige vers les combats au corps à corps. Je décide de me concentrer sur l'atelier du tir à l'arc lorsque je remarque le groupe de carrières entrain de dévisager Ben qui met au sol son adversaire. Une des filles fait un commentaire et le plus grand du groupe hoche la tête. Je fais demi-tour et le prends par le bras.

- Qu'est-ce qui te prends ! s'indigne-t-il.

- Il faut qu'on se fasse discrets, s'ils voient que tu es fort tu deviendra leur première proie.

Il soupire.

- D'accord...mais pas trop non plus, si on a l'air faibles ils ne feront qu'une bouchée de nous.

J'acquiesce et renonce aux tir à l'arc pour me diriger vers l'atelier de survie. Une demi-heure plus tard, alors que j'arrive en fin à tirer une flammèche de mon bout de bois, je vois May, la fille du Neuf s'exercer aux nœuds là où s'entraîne justement Ben. Elle est bien trop à l'aise à mon goût, il faut que j'intervienne, que je la dissuade de faire copain-copain avec mon partenaire. Je me lève brusquement et attrape un couteau dans la rangée d'arme. Les cibles sont justes à côtés d'eux, et à défaut d'avoir un arc, je sais bien viser. Je le lance de toutes mes forces et la lame se fiche dans le rond rouge au centre. Ben et May se retournent aussitôt vers moi. Malheureusement ils ne sont pas les seuls. Les carrières m'ont vu aussi. A contrecœur, je prends un second couteau et le lance volontairement de travers. Ils croiront à la chance du débutant. Ils se détournent de moi avec un ricanement et je serre les poings. May n'hésitera pas à se moquer de moi. 

Je ne veux même plus aller voir Ben finalement. Il n'a qu'à rester avec cette cruche si ça lui fait plaisir. Je retourne m'entraîner ailleurs. À la fin de la journée j'ai fais la survie, le tir à l'arc, les couteaux, les nœuds, les combats et l'escalade. Sur le dernier atelier, une petite fille me tape dans l'œil. Elle a l'air d'être très jeune, 12 ans, au maximum 13. J'ignore de quel district elle vient mais son sourire et son énergie me fendent le cœur. Elle est douée, très rapide et discrète mais les juges n'auront-ils vraiment aucun scrupule à la voir mourir ?

｢✵｣

J'attends, en m'efforçant de calmer le tremblement dans mes genoux. Ben vient d'entrer dans la salle pour l'évaluation des juges. Je lui en veux toujours d'avoir sympathisé avec May. Il ne manquerait plus qu'il veuille faire alliance avec elle. Mais je dois me concentrer sur mes adversaires. Durant ces journées d'entraînements, j'ai retenu que les carrières étaient dangereux, particulièrement Drash, le garçon du Deux. Sa partenaire a beau être idiote, les deux du Un sont des vrais machines de guerre et l'ingéniosité de ceux du Trois compense largement ce point faible. La petite que j'ai remarqué vient du Cinq, et contrairement au garçon du Capitole qui est tout sauf compétent, la fille a l'air douée. Les tributs du Treize sont complètement timbrés, je les évite au maximum. Mon énumération est interrompue par la voix des juges. 

- Rose Mellark.

J'entre d'un pas assurée. Je suis déterminée à obtenir une bonne note pour attirer les sponsors. Mon attitude de petite fille fragile suffira à me dénuer d'intérêt pour les carrières. Enfin je l'espère. Je saisis plusieurs couteaux et me positionne face à ma cible. Je tire le premier de face, dans le mille. Puis je tourbillonne sur moi même et en lance un autre de dos. Sans prendre la peine de vérifier si j'ai touché ma cible, je saute et assène un violent coup de pieds dans l'abdomen d'un des mannequins qui s'écroule au sol. Je fauche les jambes d'un autre et plante un dernier couteau dans le cœur du troisième. Je regarde les juges dans les yeux. Ma démonstration à été extrêmement rapide. Je leur tiens tête en regardant du coin de l'œil où a atterrit mon deuxième couteau. Il est proche du centre, j'esquisse un sourire et fait une révérence. Le Haut Juge hausse un sourcil.

- Très bien mademoiselle Mellark. Nous en avons vu assez, vous pouvez sortir.

Discrètement, je sors mon dernier couteau de derrière ma cuisse et le lance de dos dans la tête du mannequin au sol avant de sortir sans regarder derrière moi. Si ils savent à présent que je maîtrise le couteau, personne n'a vu mes véritables compétences avec un arc. Je monte dans l'ascenseur, seule. Dans les vitres, je vois mon reflet. Mes muscles se sont dessinés, mes trais se sont durcis. Mes cheveux sont collés à ma nuque à cause de la sueur. Et si le couteau à la fin avait raté sa cible ? Cette prestation n'aurait servit à rien et je me serais seulement ridiculisé...Ma note pourrait être considérablement diminuée suite à ce geste. L'ascenseur s'ouvre et je sors. Tout le monde est réuni sur le spacieux canapé devant l'immense écran. Dès que les derniers tributs seront passés, les scores seront retransmis en direct. Mon père me demande ce que j'ai fais.

- Un truc avec des couteaux, je réponds en haussant les épaules.

Voyant que je ne tiens pas à en dire plus, il n'insiste pas. J'ai envie de demander à Ben ce qu'il a présenté aux juges lui. Mais je me rappelle que je lui fais la tête. Nos stylistes sont là, ils parlent des tenues pour l'interview. Après ce qu'ils me semblent être une éternité, l'hymne retentit enfin et le sceau de Panem s'affiche à l'écran. Kay Flickerman, le fameux présentateur, apparaît à l'écran. Il commence par faire l'éloge des Hunger Games et des tributs. Puis il énumère les scores, un à un, en maintenant le suspens. Sans étonnement, Drash obtient un 10 et sa partenaire un 6. La petite du Cinq qui s'appelle Harper a un 8. Le garçon du Quatre a un 9, je ne l'avais pas remarqué jusqu'à présent mais mes parents se regardent d'un air explicite lors de son passage à l'écran. Il s'appelle Peter Odair, son nom me dit quelque chose mais je n'arrive pas à savoir quoi... May a un 7. Juste après le score de la fille du Onze Kay annonce le nom de Ben Keller.

- Et pour notre courageux volontaire du District Douze, un 8 ! 

Tout le monde le félicite sur le canapé, un 8 ce n'est pas rien. Mon père avait eu le même score je crois. Pour l'instant, le pire est un 4 de la fille du Six. Je stresse. Ils vont dire le mien. 

- Rose Mellark, la fameuse fille de nos anciens Vainqueurs, décroche un 9.

Je me mords la lèvre, stupéfaite. Un 9. C'est un bon score, très bon même vu mon simple jeu de couteau. Si j'ai réussi à faire une performance quasiment à la hauteur de celle de Drash, celui-ci va me remarquer. Et ce n'est pas bon. Comme pour Ben, j'ai le droits à des félicitations de la part de tout le monde. Seule ma mère semble deviner mon angoisse. Je me reconcentre sur l'écran, j'ai raté le garçon du Treize mais la fille a un 6. 

- Pour notre courageux citoyen du Capitole, un 3.

Un 3 ? Finalement c'est lui qui a le pire score, mais ça ne m'étonne même pas. Sa partenaire a un 7, c'est déjà beaucoup mieux. Je ne sais pas quoi penser. Est-ce que je dois être soulagée ou effrayée ? Je me lève pour aller dans ma chambre en essayant d'éviter Ben mais c'est peine perdue. Il me rattrape dans le couloir.

- Eh Rose ? 

Je me retourne, hésitante.

- T'as tout déchiré, me lance-t-il avec un sourire. 

｢✵｣

Mon reflet est sublime. C'est la première fois que je pense ça. Dev est vraiment un magicien. Cette fois-ci ma robe est bleu pâle comme à la Moisson, parsemée d'argent. Elle est très différente de la première mais tout aussi splendide. Mes cheveux sont détachés et seules deux mèches sont rassemblées en couronne avec un ruban bleu marine. Avant de partir mon styliste me tend une fleur.

- Elle ne fanera pas, c'est une fleur éternelle et je te l'ai fait faire spécialement pour toi, me confie-t-il, j'ai cru comprendre que le geai moqueur, qui est le nouveau symbole de Panem était un peu trop en accord avec le Conseil et ne représentait pas assez ton mécontentement face à ces Hunger Games.

Je suis ravie. C'est une magnifique fleur blanche. Plus exactement une primevère. J'ai à peine le temps de le remercier qu'il s'éclipse pour rejoindre le public. Les interviews vont commencer. J'accroche son cadeau sur une de mes mèches sombres et croise le regard de mon partenaire.

- Je sais que t'es en froid avec moi en ce moment mais n'oublie pas notre stratégie, me souffle Ben.

- Oui...on est amis.

Un tonnerre d'applaudissements couvre ma voix. La fille du District Un vient d'entrer. Plus les tributs passent, plus mon cœur se serre. Et ce que je saurais garder mon calme et répondre aux questions de la même manière que lorsque je me suis exercée avec ma mère ? Je pourrais très bien paniquer et me taper la honte...

- Peter Odair du District Quatre !

Son costume azur fait ressortir ses yeux et ses cheveux sont blonds comme le blé.

- Harper Cleff du District Cinq !

Bien plus petite que le garçon qui vient de quitter le plateau, elle s'avance avec un grand sourire qui fait ressortir ses fossettes sous les sifflements de la foule charmée.

- May Johnson du District Neuf !

Je la regarde à l'écran. Avec ses cheveux noirs de jais et sa robe aussi éblouissante que le soleil. Elle répond avec assurance, rit au plaisanterie de Kay Flickerman. Encore un tribut, puis deux.

- Tem du District Onze !

Il est grand, à la peau foncée et disparaît aussitôt sous le feu des projecteurs, me laissant seule sans aucun tribut pour me séparer du couloir.

- Rose Mellark du District Douze !

Voyant que je ne bouge pas, Ben me pousse légèrement en avant. Je rentre sur scène, abasourdie par l'accueil des spectateurs. Le présentateur me tends la main et je m'assois dans le fauteuil à côté de lui. 

- Notre chère Rose ! Si énigmatique comme sa mère ! Sa formidable note de 9 à l'entraînement et son apparition magique avec les pétales de...?

- Primevères. 

- Oh oui ça me reviens, des primevères. Qu'en pensez vous ? demande-t-il en se penchant vers le public.

Les acclamations envahissent la salle.

- On dirait qu'ils aiment ça ! Comment s'appelle ton styliste Rose, nous pouvons le féliciter non ?

- C'est Dev, et l'idée des primevères vient de Levy et lui.

- Levy ? Qui est Levy ?

- La styliste de Ben.

- Mais oui ! s'exclame Kay,  parlons en de Ben d'ailleurs. J'ai cru comprendre que vous étiez amis.

- Oui...je l'aime beaucoup.

Je prend une grande inspiration en cherchant ce que je pourrais dire.

- Il...il a sauvé la vie de mon frère et je lui en serais reconnaissante pour toujours. Je sais que je pourrais compter sur lui. C'est mon plus grand regret d'ailleurs, de mettre un terme à notre amitié à cause de ces Jeux.

- Oh, s'attendrit mon interlocuteur, c'est magnifique. Dis moi, que penses tu du Capitole ?

- C'est impressionnant, et si différent des Districts.

- Oui c'est ce qu'on dit ! Et comment se portent tes parents ? Peeta et Katniss.

Le public s'agite.

- Ils vont très bien, mais il ne pensaient pas revenir ici un jour...

Cette phrase veut tout dire, et le léger froncement de sourcil de Kay montre que ma remarque a fait mouche.

- Effectivement cette nouvelle édition était inattendue. En ce qui concerne ta famille, ou plutôt ton frère qui est resté au District Douze, qu'as-tu à dire ?

- J'espère le retrouver très vite, il me manque...j'essaierais de survivre, au moins pour lui.

- Nous l'espérons aussi ! il fait une petite pause avant d'ajouter, c'était un plaisir Rose.

- Pour moi aussi. 

Je me lève et il se lève aussi comme pour m'accompagner. Il prend ma main et me fait tourner sur moi même. Une nuée de paillettes nous enveloppent et retombent harmonieusement autour de nous. Encore un tour de Dev. J'affiche mon plus beau sourire et quitte le plateau sous les hurlements hystériques de la foule.