𝟓𝟏. 𝐉𝐞𝐚𝐥𝐨𝐮𝐬𝐲 𝐚𝐧𝐝 𝐞𝐠𝐨
What Will We Do - Trent Reznor, Atticus Ross
Babel - Gustavo Bravetti
Non-Smiling People Althought Having Taken Everything - Jung Se Rin
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Cela faisait bien longtemps que Jin ne s'était pas laissé aller à la fatigue, pas jusqu'au point d'en faire des cauchemars atroces.
Du plus loin qu'il se souvienne, et même en pleine mission, il n'avait jamais connu de repos aussi terrifiant que celui-ci. Après tout, sur le feu de l'action, au cœur des conflits interminables où l'on risque sa vie pour un oui ou pour un non au nom de la patrie, on ne peut connaître le réel repos. On vit toujours sur le qui vive, prêt à agir à n'importe quel instant. Un soldat est certes bercé par la peur, celle de ne plus jamais pouvoir revenir, celle de ne plus jamais revoir sa famille ou son pays, ou bien encore son chien fidèle qui l'attend à la maison. Mais un soldat est aussi encouragé par l'espoir, même infime puisse t-il être. Celui de réussir, de se battre avec conviction, non pas seulement pour sauver sa peau ou celle de ses camarades, mais aussi celle de ceux qui croient en eux et qui prient chaque soir et chaque matin au nom de leurs prouesses.
Oui, jusqu'alors, Jin n'avait jamais connu de sommeil aussi profond. Il n'avait jamais réellement connu cette sensation terrible, celle qui vous plonge dans les recoins les plus noirs de nos esprits, celle qui nous joue des tours et qui nous laisse croire que le rêve est réalité.
A vrai dire, Jin ne savait même plus où il était à cet instant. Il voguait dans la peur, dans l'angoisse et dans le désarroi le plus total, ne cessant de courir vers un infini qui n'était qu'un trou noir, à la recherche de tout ce qui faisait de lui l'homme qu'il était.
Il avait beau chercher, hurler, marcher, trottiner, courir ou même s'arracher les cheveux, rien ne fonctionnait. Pas de réponse, pas d'espoir, pas de lumière, rien que le néant et la terrible sensation de ne plus jamais pouvoir retrouver un semblant de réalité, ni même d'humanité.
Là, à cet instant, Jin se débattait contre sa peur la plus terrible, celle d'avoir perdu l'amour de sa vie et sa relève qu'il rêvait déjà de bercer au creux de ses bras.
A cet instant, Jin avait absolument tout perdu et n'était plus que l'ombre de lui-même, sans pouvoir avoir ne serait-ce que la chance de tout arrêter.
Puis arriva soudain la sensation de néant, avant la chute interminable qui le ramena à la triste réalité de son sort. Lorsqu'il ouvrit les yeux, le pilote ne cessait de trembler et pouvait sentir la chaleur de son corps le brûler, lui donnant même l'impression que la sueur qui coulait sur son front était inépuisable.
Dans un mouvement de panique, la vue brouillée par les larmes, il se releva difficilement et essaya tant bien que mal de marcher vers une porte qu'il visualisait que brièvement, seulement, son corps se mit à tanguer et aussitôt, une paire de bras vint le soutenir avant sa chute.
— Mon frère, je suis là.
Reconnaissant à peine la voix de Taehyung qui serrait la mâchoire pour se contenir de hurler peine et colère, Jin se remit à trembler et s'accrocha à ses bras comme il le put.
— Ils...Ils sont...Irène, le bébé, ils ont...
— Jin, écoute moi. Reste avec moi, là.
— M-ma femme, mo-mon...Enfant, ils...
Soudain, Jin se remit à perdre la raison et, sans pouvoir se contrôler, hurla de toutes ses forces. Taehyung eut du mal à le maintenir contre sa poitrine, mais il attendit sagement, essayant de le rassurer du mieux qu'il le pouvait.
— Jin, mon frère, reprends tes esprits ! Écoute moi !
Le dos collé contre le mur, prêt de la porte de cette salle qu'ils n'avaient pas quitté depuis la fin de leur première épreuve, Jungkook toisait ces deux compagnons sans dire un mot. Personne n'aurait pu déceler ce qui pouvait se cacher derrière ses iris si sombres et si tristes à la fois, bien qu'il ne faisait rien de plus pour calmer la situation.
Il se contentait d'être présent sans véritablement l'être, les bras croisés contre sa poitrine et le regard totalement vide, comme s'il était hermétique à tout ce qui se jouait devant lui.
A vrai dire, se jouait encore dans sa mémoire les récents échanges qui les avaient menés jusqu'à Jin. Il semblait y réfléchir encore et encore, ne laissant s'échapper aucun détail sur ses propres conclusions.
Soudain, le cri aiguë de Jin le ramena à la réalité, et dans un élan que lui-même ne put comprendre, Jungkook s'avança et attrapa les deux avant bras du pilote, fixant son regard dans le sien.
— Ils sont vivants.
Taehyung le regarda d'un drôle d'air, qui voulait peut-être dire merci pour avoir réussi à capter l'attention de son ami qu'il n'arrivait plus à guérir et tout à coup, Jin cessa tout mouvement et se ramollit totalement dans les bras du noiraud.
— Qu'est-ce que...
Jungkook se terra à nouveau dans le silence, retrouvant cet air indéchiffrable que Taehyung ne comprenait jamais mais qui quelque part, commençait peut-être à faire sens, puis il lui fallut seulement quelques secondes pour retourner Jin contre lui avant de l'attirer dans une étreinte sincère.
— Irène et ton enfant sont hors de danger, tout va bien...Tout va bien.
Il fallut tout de même quelques minutes au pilote pour que les informations ne grimpent jusqu'à son cerveau, puis enfin, ses tremblements furent remplacés par une tonne de larmes. Taehyung su qu'il avait réussi à le retrouver lorsque ce dernier le serra contre lui, laissant sa tête retomber dans son cou, comme s'il n'était plus capable de la laisser tenir entre ses épaules.
Les trois compagnons furent plongés dans un étrange silence, et ce, jusqu'à ce que Taehyung ne repousse Jin afin d'ancrer ses iris dans les siens. A ce moment-là, Taehyung comprit qu'il devait être fort, non pas seulement pour lui, mais aussi pour son ami, comme ce dernier avait pu l'être pour lui des années auparavant.
Puisque même si cela n'était pas souvent conté, le lien qui unissait Taehyung et Seokjin était aussi fort que celui que Jin possédait avec Namjoon. Bien sûr, le noiraud n'avait jamais atteint une place aussi spéciale dans le cœur du pilote, mais par le passé, leur amitié avait été un réel cadeau, devenant pour Taehyung un trésor qu'il avait dû abandonner au nom de sa mission, et qu'il avait dû une fois encore combattre afin de le sauver des griffes de ceux qui avaient pensé pouvoir en faire une arme.
Taehyung avait connu Jin à l'époque où celui-ci était une véritable vedette, il l'avait de suite adoré pour sa simplicité et sa vision de la vie toujours loufoque. Il avait admiré sa force bien que le pilote n'avait jamais caché ses points faibles, car pour lui, les accepter était une preuve de courage.
La question même de l'acceptation de soi était une sorte de théorie que Taehyung avait (peut-être, peut-on dire) apprise auprès de Jin lors de leurs années partagées au sein de l'armée. Aujourd'hui encore, bien que Taehyung ne le disait pas, il vouait un véritable respect à cet homme qui lui faisait face, qui derrière une carrure de bel homme sans crainte et fou, cachait un cœur aussi gros que la planète elle-même.
Puis, certainement pris par l'émotion et comprenant enfin que les dires de Taehyung n'étaient pas un mensonge dans le but de le faire revenir à lui, Jin expira longuement et sa voix trembla encore plus lorsqu'il dit :
— Je su-suis...Pardonne...Pardon, Taehyung.
— C'est moi qui te dois des excuses, et crois moi, lui dit Taehyung en baissant quelque peu les yeux, j'aurais dû le faire bien plus tôt. Pardonne moi de ne jamais t'avoir rien dit, j'ai été idiot de pensé à ta place que cela était la meilleure décision à prendre.
Jin n'ajouta rien de plus, acquiesçant seulement afin de montrer qu'il acceptait.
Seulement, le moment de répit fut court, trop court, avant que Jin ne reprenne entièrement ses esprits. Conscient que Jungkook était aussi présent, il lui adressa un regard et un hochement de tête qui voulait lui dire merci, et ce dernier ne sembla pas réagir, alors le pilote n'en fit pas cas et se retourna à nouveau face à Taehyung.
— On...On a totalement foiré, Taehyung. Je...Je dois t'avouer que j'étais tellement aveuglé par la haine que je te portais que ma colère a pris le dessus, je n'ai pas réagi comme un soldat et...
— Tu as réagi comme tout homme l'aurait fait, Jin. La preuve est que c'est la raison même pour laquelle je suis arrivé ici le premier.
— Alors...Tu as pu la retrouver ?
Pensant alors à sa sœur, Taehyung serra à nouveau les poings et les dents, inspira lentement afin de rester calme. Il ne pouvait pas exploser, pas maintenant, alors que tout n'était pas encore joué et qu'il y avait peut-être un infime moyen d'en finir, autant pour cette foutue mission que pour le but qu'il l'avait poussé à se jeter dans la gueule du loup.
— Non, pas encore. Elle est ici, comme les autres.
Touché et surtout peiné de savoir que son ami se battait encore dans le but de sauver sa seule famille, Jin baissa les yeux, n'osant plus rien dire jusqu'à ce que Taehyung reprenne.
— Que s'est-il passé à votre arrivée ? Pourquoi êtes-vous parti, je dois tout savoir Jin, dis-moi.
Les sourcils froncés comme si les souvenirs étaient flous, Jin réfléchit à haute voix et finit par recoller les morceaux.
— Après ton départ, Namjoon nous a réuni et a tenté de nous expliquer. J'étais vraiment en colère Taehyung, je ne comprenais pas pourquoi et j'ai pensé que tout se passait comme avant, j'ai eu tellement peur et je...Je hurlais, je refusais d'entendre que tu nous avais encore laisser tomber, et Namjoon à parler d'un plan C. Tu étais au courant ?
Taehyung hocha la tête.
— Oui, ce plan consistait à agir et continuer la mission, même sans moi, dans des conditions différentes.
— Hm, souffla Jin puis il reprit. On a envoyé Jess chercher Jungkook, mais il était déjà parti aussi, dit-il en jetant un regard au concerné.
De suite, Taehyung trouva cela louche, alors il toisa Jungkook avec intérêt, lui intimant par le regard de s'expliquer mais avant qu'il ne puisse avoir une réponse, Jin continua son récit.
— Quand Jess est revenue, elle tenait un papier dans ses mains et l'a tendu à Namjoon. Je ne sais pas ce qu'il y avait écrit dessus, mais Yoongi nous a demandé de fouiller nos chambres et c'est là qu'on s'est tous retrouvés au salon, c'est là que...
Bien qu'il savait que cela n'avait finalement été qu'un subterfuge, Jin fut pris d'un élan de panique et de peur, finalement, tout ce qui l'avait traversé lorsqu'il avait trouvé le mot qui lui avait été adressé. Taehyung attendit, comprenant alors que la situation avait dû être grave, mais resta tout de même attentif, prêt à chercher la faille d'un plan qui avait été semble t-il, mûrement réfléchi.
— J'ai trouvé un mot qui ne me menaçait pas moi, mais ma famille. Le mot disait que Irène et notre enfant se trouvaient ici, et que si je ne me rendais pas sur cette île sous quarante huit heures, ils seraient tués sans pitié. Je n'ai pas...Je n'ai pas lu les mots des autres, mais je crois que...Enfin, j'imagine...Je pense que tous ces papiers nous étaient destinés d'une certaine façon, et que le but était de nous faire venir sans même qu'on se pose de questions. Namjoon a de suite pris la décision de partir, alors nous avons pris de quoi nous défendre, de façon assez sommaire, sans même réfléchir à ce qu'on faisait, et nous avons pris le premier bateau qui se rendait sur l'île. Le plan consistait d'abord à te retrouver afin qu'on agisse ensemble mais nous avons été attaqués avant notre arrivée, et séparés. Je ne me souviens de rien. Peut-être que des gars étaient infiltrés sur le même bateau et qu'on s'est fait avoir comme des bleus, merde...Putain Taehyung, je sais pas, je...
— Jungkook, appela Taehung sévèrement après avoir posé la main sur l'épaule de son ami afin de lui faire comprendre qu'il en avait assez dit.
Le concerné releva alors la tête, tombant dans le regard sombre de son amant.
— Pourquoi es tu parti plus tôt ?
— Je t'ai suivi.
— Comment savais tu...
— Je m'en suis douté, dit-il simplement. Tu avais agi différemment la veille, et je suis tombé sur un mot similaire avant mon départ.
— Que disait-il ?
— Il te menaçait.
Pendant un court instant, Taehyung eut un pincement au cœur à l'idée même que Jungkook veuille le protéger, mais il préféra ne pas s'attarder sur ses propres sentiments et retrouva un air froid avant de reprendre.
— Comment savais tu où j'allais ?
— Tu avais parlé de cet endroit, plus tôt et je t'ai entendu dire que tu voulais y retrouver Yamane.
— Pourquoi ne pas avoir dit aux autres que tu avais reçu ce message ?
Taehyung se sentait comme un détective à la recherche de preuve, de quoi, il ne savait pas ou peut-être qu'il ne voulait tout simplement pas savoir, mais tout semblait se brouiller dans son esprit, comme si tout un puzzle retrouvait enfin sa forme originale et cela l'agaçait au plus haut point. Il voulait...Non, il voulait comprendre, faire le lien, et tirer un putain de trait sur cette mascarade à la con.
Seulement, Jungkook ne répondit pas, ou bien disons peut-être qu'il n'eut pas le temps de le faire puisqu'au moment où ses lèvres avaient commencé à se mouvoir, la porte de la pièce s'ouvrit à nouveau, laissant entrer Yongguk, toujours seul et muni de ce couteau qui ne semblait jamais quitter sa poche.
Son arrivée plongea la salle dans le silence, et Taehyung lança un regard à Jin comme s'il essayait de lui faire passer un message. A vrai dire, le pilote comprit qu'il était préférable de rester calme et silencieux, afin d'attendre les prochaines instructions de ce jeu de folie.
— Il semblerait que votre ami ait retrouvé la mémoire, pas vrai m'sieur le pilote ?
Seulement voilà, Jin était peut-être quelqu'un de sensible et émotif, mais comme tout homme bafoué et en colère, il ne put s'empêcher de ressentir la terrible envie de lui envoyer son poings en pleine figure. Néanmoins, Taehyung le dépassa et se posta juste devant lui, comme pour le protéger par sa seule et unique présence.
Jungkook, lui, était à ses côtés, mais tout de même plus proche de Yongguk, bien qu'il ne semblait pas en état d'alerte totale.
— Il est l'heure d'aller jouer, partant ?
— Ferme là un peu et mène moi au prochain.
— Ah ah ah ! s'amusa Yongguk. Ne crois pas que tu puisses me faire la morale Kim, c'est toujours moi qui tire les ficelles.
— Tu n'es que le pion de ton enfoiré de patron. D'ailleurs, où est-il ? Il continue de jouer au lâche ?
— Il t'attend, Kim.
— Alors mène-moi à lui, qu'on en finisse.
— Hm...
Yongguk fit mine de réfléchir, le pouce posé sur sa lèvre et les yeux au ciel, puis il se remit à rire bêtement, avant de souffler :
— J'aurais pu, mais tu vois, j'ai pas vraiment envie de foutre son plan en l'air. Il te l'a dit non, le but c'est de jouer dans la même cour, t'étais bouché à ce moment ou quoi ? Il sait que Shinigami est ici.
— S'il l'est, pourquoi n'en profite t-il pas pour l'éliminer ? lança Taehyung, non sans sentir la colère l'envahir.
Quelle perte de temps.
— Réfléchis un peu, Kim...A ton avis. Tu imagines que Lay agit seulement parce qu'on dit de lui que c'est le Roi des tarés ? Non, bien sûr que non...
Taehyung fronça les sourcils à la remarque de son ennemi, se plongeant alors dans un débat infini afin de trouver une réponse. Il lui fallut quelques minutes pour réfléchir et penser à tout, trouver des réponses dans ce qu'avait pu lui apporter son entretien avec Lay, et ses yeux croisèrent ceux de Jungkook lorsqu'il eut comme l'impression qu'une lampe s'était éclairée dans son cerveau.
— Il nous utilise pour gagner du temps.
— Bah voilà ! T'es malin, quand tu veux, tu vois ?
— Alors il ne sait pas qui il est.
— Personne ne le sait, dit Yongguk en souriant. Mais il est ici.
— Alors, si c'est le cas...
— Ouais, dit Yongguk en haussant les épaules. Il devait se servir de vous à sa guise pour approcher mon maître. Franchement, c'est très fort. Maintenant, Lay sait que c'est lui qui a fait en sorte de ramener vos culs jusqu'ici, alors il attend juste qu'il se manifeste pour le défoncer.
Peut-être trop plongé dans ses pensées, Taehyung ne put voir la réaction de Jungkook qui était aussi silencieux qu'une tombe, et pourtant, bien attentif à tout ce qui était partagé. Personne ne le vit, personne ne put le remarquer, mais ce dernier avait étrangement changé de visage lorsque Yongguk avait commencé à parler de Shinigami.
— Qu'est-ce qu'il attend ? demanda-t-il alors, attirant ainsi l'attention de tous sur sa personne qu'on aurait presque oubliée.
Yongguk le toisa un instant de haut en bas, puis il passa la langue sur ses lèvres avant de répondre.
— Qu'il fasse une erreur.
Maintenant, ce n'était plus seulement question de sauver une famille, des amis ou bien des compagnons, mais aussi de se battre contre deux connards fous à lier qui avaient décidé de se la jouer comme dans une putain de série à succès afin d'arriver à leur fin. En fin de compte, Taehyung devait bien avouer que si Shinigami était le maître du jeu, il avait mené ses coups d'une main de maître afin de semer le chaos le plus total.
Diviser pour mieux régner avait été sa devise, sans aucun doute, mais il fallait croire qu'il avait aussi mal jugé Lay et que ce dernier l'avait pris à son propre jeu, afin de le confronter en personne. C'est pourquoi Taehyung se mit à rire nerveusement, s'approchant de Yongguk jusqu'à lui faire face, presque front contre front.
Ce dernier le toisa d'un drôle d'air qui se voulait aussi menaçant, et bon sang, Taehyung savait que ce mec était dangereux mais à cet instant, il était terriblement en colère, et tout ce qu'il voulait, c'était de retrouver les siens afin de tirer les cartes en premier, pour le prochain coup de maître.
— Où est le prochain, dit-il sans vraiment poser la question.
Cela sonna plutôt comme un ordre.
Yongguk se contenta de sourire, sachant que quoi qu'il advienne, il était toujours en position de force puis il se recula, assez pour faire un geste qui poussa Taehyung et ses deux compagnons à la suivre en dehors de la pièce.
De nouveau, ils traversèrent des couloirs qui les menèrent à une prochaine porte et donc, à leur prochain ami. Cela pouvait être n'importe qui, mais si Lay souhaitait vraiment se servir de Taehyung et de son équipe pour arriver à ses fins, alors il avait dû réfléchir à l'ordre de ces foutus jeux à la con, non ?
Quoi qu'il en soit, Taehyung se dit que qui que cela puisse être, il devait continuer d'agir tout en restant calme et réfléchi. Céder à la peur, à la haine ou à tout autres sentiments viendrait à perdre tout espoir, alors il avança d'un pas quand Yongguk s'arrêta.
Derrière lui, Jungkook portrait ce masque sur son visage, celui que jamais personne n'avait jamais déchiffré, celui qui avait tant de fois intrigué Taehyung et inquiété Jin, qui se trouvait juste à côté de lui.
— N'oublie pas Kim, siffla presque Yongguk en se tenant devant la porte qui le menèrait à l'un de ses camarades. Le but, c'est de n'pas crever.
— Ouvre cette porte, ordonna presque Taehyung.
Avant de s'éloigner de son amant et de Jin, Taehyung se retourna et les toisa un à un, cherchant à puiser de leur force. Le regard que lui rendit Jungkook fut presque indescriptible, tandis que celui de Jin se voulait courageux, réconfortant, bien qu'on pouvait y déceler toute la haine et la colère qui l'habitait.
Mais cette fois, Taehyung sut que tout cela ne lui était pas destiné, alors c'est un peu plus confiant qu'il pénétra dans la nouvelle pièce, suivi de leur ennemi qui tenait ses camarades à distance.
Si comme il s'en doutait, ils se trouvaient dans les caves du temple, alors Taehyung estima se trouver dans l'aîle sud. C'était la partie du temple la plus éclairée, et c'est aussi ici que nombreux membres de son clan venaient se retrouver après les cérémonies, afin de s'adonner à des parties de jeu bien connus en Corée : le go.
Devant lui se trouvait une table sur laquelle trônait un plateau que l'on appelait goban, encore vierge, ainsi que deux ramequins où étaient rangées les pierres blanches et les pierres noires. Taehyung l'analysa comme s'il s'agissait d'une bombe, cherchant à trouver un quelconque subterfuge qui aurait échappé à sa vigilance et pourtant, il du se faire à l'idée que ce n'était qu'un jeu de plateau comme un autre. Ainsi, il n'attendit pas les instructions de Yongguk et prit place autour de la table, sans pour autant être serein.
Quelques minutes passèrent et rien ne changea.
— Qu'est-ce que tu attends ? pestiféra alors le noiraud envers son ennemi. Tu n'avais pas dit que le temps était compté ?
— Ta patience aurait alors ses limites, Taehyung ? se moqua Yongguk. Ce jeu implique la volonté de deux participants, cette fois-ci, tu ne seras pas seul à combattre.
— Le jeu de go n'est pas censé faire naître la haine, c'est un jeu stratégique. Un jeu de partage.
— Pas de la haine, mais de la jalousie...Oui.
— Qu'est-ce que tu entends par là ? demanda Taehyung, les sourcils froncés.
— A toi de me le dire, Kim.
A ces mots, la porte de la pièce s'ouvrit à nouveau et un des sbires de Lay entra, traînant avec lui l'un de leurs compagnons à la tête bien amoché. Jin fut le premier à le reconnaître, et ses yeux devinrent aussi ronds que des soucoupes à cette vue si rare, lui qui avait toujours été connu pour être un soldat invaincu. Le visage de Jungkook aussi sembla changé durant un instant, paraissant d'abord soucieux puis étonné devant un tel spectacle, jusqu'à ce que leur camarade ne soit forcé à prendre place sur la chaise vide, face à Taehyung.
Ce dernier serra automatiquement la mâchoire, forcé de constater qu'en plus de l'avoir mené à la baguette pour le faire céder face à ces jeux à la con, Lay ne s'était pas pour autant retenu d'avoir la main lourde.
Le visage de Namjoon n'avait jamais paru aussi épuisé qu'aujourd'hui, lui qui avait pourtant fait face à tant de missions aussi horribles que interminablement longues. En tant que soldat, il avait déjà tout affronter, quelque soit les fronts, mais aujourd'hui ce n'était pas l'ancien colonel qui se tenait là, mais bien l'homme qu'il était.
Tout comme lui, Taehyung savait quelles étaient les priorités et les principes d'un homme qui avait promis sa vie à l'Etat. Tout comme Namjoon, Taehyung connaissait les risques de ce que pouvaient engendrer les missions, mais c'était une tout autre chose que de se battre pour ceux qu'on aimait.
Le noiraud se demanda alors à quels types de supplices Namjoon avait dû se confronter pour finir dans un tel état, bien que tous deux avaient déjà connu pire. Mais ce n'était pas tant sa situation physique qui l'inquiétait, mais plutôt ce qui se tramait dans son regard qui était aussi vaste et noir que le néant.
— Vous connaissez les règles, pas vrai ? annonça alors Yongguk. Tu seras le seul arbitre de cette confrontation Kim, alors vas-y, prouve moi que le go n'est pas aussi un jeu de vengeance.
Ainsi, Yongguk sourit malicieusement au noiraud avant de s'écarter de quelques pas, tenant Jungkook et Jin à l'écart, geste que ne comprit pas Taehyung de suite puisque rien ne laissait croire au danger. Comprenant alors que la partie avait débutée, et ne sachant pas quelle était la notion de temps qui lui était accordée, Taehyung se saisit du ramequin à sa gauche, empruntant les pierres noires.
— Namjoon, dit-il pour attirer l'attention de son ami.
Ce dernier, qui fixait le goban sans intérêt releva quelque peu la tête, affichant son œil droit violacé à son vieil ami. Taehyung n'en dit pas un mot, mais n'en pensa pas moins, prêt à faire souffrir la première personne qui s'avouerait coupable.
— Taehyung, répondit il de façon étrangement neutre.
Comme réponse, Taehyung puisa dans son ramequin et lança le chrono de la partie en déposant sa première pierre sur le goban. Le jeu du go voulait que ce soit le détenteur des pierres noires qui commence. Connu pour être l'un des plus vieux jeux de plateau au monde, le jeu du go était un jeu de territoire à possibilités presque infinies. Même un ordinateur avait du mal à battre les Hommes. Les joueurs devaient se battre l'un après l'autre, le but étant de constituer un territoire plus grand que celui de son adversaire et ce, de deux façons. Taehyung avait appris cela aux côtés de son grand-père. Le territoire étant l'ensemble des espaces vides qui sont brodés ou entourés de pierres de la même couleur, plus ce dernier est vaste, plus on a de point. On pouvait aussi jouer avec les quatre coins, à condition de ne pas placer une pierre à l'intérieur, au risque de perdre un point bêtement. Afin de capturer les pierres adverses, il suffisait de connecter ses pierres ensemble sur intersections, de façon horizontale ou verticale et d'entourer ces dernières ou se trouvent les pierres adversaires pour les capturer.
Mais Taehyung savait mieux que personne que le but du go n'était pas de capturer les pierres adversaires, mais plutôt de créer un territoire plus grand que celui de son adversaire, ne serait-ce que d'un seul point. D'où le fait que ce jeu était un jeu de stratégie, un jeu qui demandait du bon sens et aussi d'accepter que son adversaire obtienne un gain, du moment que l'on obtient un gain même légèrement supérieur.
C'était un jeu qui se jouait beaucoup en Corée, et auquel Namjoon prenait lui-même plaisir à jouer lorsqu'il en avait le temps, et nombreuses avaient été les fois où Taehyung s'était proposé comme adversaire, étant le seul de leur régiment à en être digne.
Lors de ces parties, les deux hommes en avaient fait ressurgir des stratégies concluantes pour leurs différentes missions, le go étant connu pour avoir été utilisé autrefois dans un but similaire. Parfois, il était même arrivé que les deux hommes en profitent pour mettre en compétition leurs deux esprits de réflexion, bien que cela se terminait toujours autour de quelques verres partagés.
Taehyung avait toujours gagné, et ce, même si Namjoon y avait toujours mis toute sa volonté.
Alors c'est quand il vit son ami posé sa troisième pierre blanche que Taehyung se demanda quel était le but de cette confrontation. Contrairement à la première épreuve qu'il avait dû affronter pour récupérer et sauver Jin, celle-ci lui semblait presque trop simple pour l'être réellement, c'est pourquoi sa main droite vint bientôt trouver refuge sous son menton, tandis que parfois, dès qu'il jouait, Taehyung en profitait pour mordiller le bout de son petit doigt.
— Je ne t'ai jamais battu à ce jeu, intervint alors Namjoon.
Taehyung releva alors les yeux du plateau et le fixa un instant, voyant que son ami lui, attendait patiemment qu'il joue son tour. Il était comme obnubilé par le goban et par les territoires qui commençait peu à peu à se former.
— Peut-être, mais ce n'est qu'un jeu, clarifia Taehyung.
A vrai dire, il cherchait surtout à attirer son attention afin que d'un simple regard, ils puissent se comprendre et trouver le moyen de se sortir de ce jeu stupide qui n'était qu'une perte de temps.
— Je ne t'ai jamais battu, répéta alors l'ancien colonel.
— A ce jeu, oui, mais...
— Tu as toujours eu une facilité consternante à ce jeu...Quelles que soient les techniques que j'utilisais, tu réussissais toujours à gagner de plus en plus de territoire, et tu finissais par m'écraser. Même d'un demi point.
— Nam, ce n'est qu'un jeu, souffla le noiraud, quelque peu déconcerté de la façon dont Namjoon usait des mots pour refléter autre chose qu'une simple constatation.
Durant un instant, Taehyung se demanda si Namjoon, aussi rusé qu'il était, n'essayait pas un coup de bluff pour tenter de séduire l'instinct sadique de Yongguk, mais il déchanta bien assez vite lorsque Namjoon captura ses premières pierres, avec un sourire bien trop triste pour être victorieux.
— Tu vois, ce n'est qu'un jeu, Namjoon. Pas vrai ?
— Un jeu...? Non, c'est presque une arme.
— Qu'es-ce que tu veux dire par là ?
— Tout comme le jeu du go Taehyung, tu parais d'abord inoffensif et facile à décrypter.
— Namjoon, tu ne peux pas me comparer à un jeu...Ce n'est qu'un jeu, insista presque Taehyung pour valider son hypothèse.
— On dit que la jalousie est un défaut fatal dans ce jeu, tu sais pourquoi ?
— Namjoon, écoute, on...
— Joue, c'est ton tour, prononça l'ancien colonel d'une voix bien autoritaire pour être celle d'un ami.
Derrière eux, près de la porte, Jungkook et Jin se tenaient côte à côte et suivaient la partie les sourcils froncés. Si Jungkook ne prononçait pas un mot, ses yeux valsants d'une pierre à une autre dès qu'elles étaient posées sur le plateau, Jin, lui, ne cessait de gigoter, semblant bien trop inquiet du prochain mouvement et surtout, des prochains mots qui pouvaient être prononcés. Personne ne connaissait mieux Namjoon que lui, et à cet instant, il savait que tout comme lui plus tôt, il était empreint d'une tristesse et...ou peut-être même d'une haine qui n'était pas juste, et qui sortait tout droit de tout ce qu'on avait voulu lui rentrer dans le crâne dans le but de déstabiliser Taehyung. Mais si lui avait été une proie facile en ayant crue toute ses années à une trahison, Taehyung lui avait alors expliqué que Namjoon avait été mis au courant du fin mot de cette histoire. Alors, il lui semblait étrange que ce dernier paraisse si froid envers Taehyung alors que depuis le début de leur mission, ces deux-là n'avaient jamais montré d'hostilité l'un envers l'autre.
Taehyung éprouvait une réelle admiration pour Namjoon, et Jin le savait, aussi bien que Namjoon avait toujours porté Taehyung dans son cœur, autant pour sa force d'esprit que pour ce qu'il était en tant qu'ami.
— Je ne comprends pas, pourquoi faire ça maintenant ? chuchota t-il, assez fort pour que seul Jungkook n'entende.
— Ce n'est pas qu'un simple jeu, dit-il.
— J'avais compris. Je sais qu'ils essayent de nous foutre en l'air en ne bougeant pas le petit doigt, mais pourquoi ça, maintenant ? Namjoon est très fort au combat physique, on aurait pu attendre qu'ils les mettent face à face, comme toi quand...
— Regarde, là-haut.
Jin suivit alors le geste de Jungkook et leva quelque peu la tête pour voir qu'au-dessus des têtes de leurs amis avaient été installés deux sabres retenus par il ne savait quoi. L'idée lui sembla d'abord loufoque avant qu'il ne se mette à froncer les sourcils, hésitant et surtout, craignant la suite.
— C'est quoi ce putain de...
— Moins fort, lui rappela Jungkook avec une certaine fermeté.
— Il faut qu'on prévienne Taehyung !
— On ne fera rien.
— Quoi ? s'étonna le pilote, révolté. Ils risquent de se faire trancher au moindre mouvement, tu te fous de ma gueule Jeon ?
Ne s'étant pas rendu compte qu'il avait parler un peu plus fort, Jin ignora que Yongguk avait tourné la tête en leur direction pour les écouter. Jungkook l'avait de suite remarqué, mais il n'avait pas bougé et s'était contenté de gonfler le torse en se concentrant à nouveau sur la menace qui planait au-dessus de la tête son amant.
— Lay se doute que Shinigami est ici, et s'il l'est, alors il essaye juste de l'énerver.
— J'avais entendu j'te rappelle, souffla à nouveau Jin.
— Il semble que Lay aimerait se servir de Taehyung autant que lui, alors ces jeux ne sont que des menaces. Si Taehyung meurt, Lay restera son pion mais il lui manquera une pièce maîtresse pour son plan. Si Taehyung survit, alors il devient une menace pour l'un, et un atout pour l'autre.
— Et ça là-haut, c'est pour quoi ?
Jungkook sembla réfléchir un instant, se mettant lui même dans la peau de leur ravisseur, et quand il pensa avoir trouver la réponse, il dit :
— Ils ne doivent pas se lever.
— Pourquoi ils le feraient ?
— Si Lay attend que cette confrontation se passe comme avec toi, alors le premier qui se lèvera risquera sa peau. C'est sadique, mais intelligent.
— Ça peut les tuer ?
— Non, répondit Jungkook. Mais les blesser, oui. Je ne sais pas quel est son but, mais il cherche à nous affaiblir. Si son ennemi se cache parmi nous, il essaye de lui dire que le pari qu'il avait mis sur notre équipe était futile, finit il par souffler, comme agacé.
Face à eux, la partie de go continuait de s'écouler, passant de Taehyung à Namjoon dans le silence le plus total. A chaque coup, le noiraud essayait de capter l'attention de Namjoon, ne comprenant pas pourquoi Diable son esprit était si parsemé de doutes à son égard. Après tout, Namjoon était au courant pour lui, il savait tout, alors personne ne pouvait se jouer de lui sur ce terrain. Seulement, Namjoon semblait avoir été amoché, certainement que Lay avait dû faire en sorte de le maintenir afin de lui porter autant de coups que possible. Pourquoi ?
Etait-ce pour le faire parler ?
Lay était il fou au point d'imaginer que Taehyung et ses compagnons avaient agi en l'honneur de Shinigami depuis le début ?
C'est alors qu'une nouvelle fois, toutes ces pensées firent bouillonner le sang du noiraud, au point ou se concentrer sur la partie de go devenait tâche impossible.
— Namjoon, appela t-il.
Ce dernier releva alors les yeux, et enfin, dans un geste que Taehyung pensait inespéré, Namjoon attira son attention sur le plafond. Pour éviter que Yongguk ne le remarque, il la joua fine et remarqua enfin le danger qui planait au-dessus de leur tête.
Cependant, il fallait plus à Taehyung pour qu'il ne prenne peur, et presque dans un soupir de soulagement, il se concentra à nouveau sur sa partie. Heureusement, l'esprit de Namjoon n'avait pas été aussi chamboulé que celui de Jin mais il fallait croire qu'il avait dû comprendre quelque chose qui lui était encore inconnu, peut-être...
— Tu vois Taehyung, la différence entre ce jeu et la vie réelle, c'est que tu ne m'as jamais réellement battu à plate couture dans tous les domaines, reprit alors l'ancien colonel, attirant de nouveau l'attention de Taehyung sur lui.
Ce dernier comprit alors qu'il fallait maintenant jouer le jeu, quitte à créer tout un acte digne du théâtre afin de faire croire à leur ennemi qu'ils se battaient réellement afin de sauver leur peau.
— Je n'ai jamais dit le contraire, souffla le noiraud en plaçant une nouvelle pierre sur le plateau.
— Je ne dis pas que tu l'as dit, mais que tu l'as fait.
— Qu'est-ce que...
— Tu vois Taehyung, on se connait depuis longtemps toi et moi. J'ai cru en toi dès le départ, j'avais confiance en tes capacités et aussi en l'homme qui était devenu mon ami, en plus d'être un frère d'arme. Mais il a fallu que tu agisses de façon égoïste.
— Je n'ai jamais agi que pour moi, Namjoon.
— Et pourtant, c'est ce que tu as fait, dit-il en jouant son tour et en gagnant un peu plus de territoire.
— Tu sais ce que j'ai fait, et je l'ai fait pour une bonne raison et quand bien même je vous ai laissé croire le contraire durant toutes ces années, tu as été l'un des premiers à connaître cette vérité qui vous menaçait tout autant que moi. Je refusais de vous mêler à tout ça, pas vous, pas ma famille.
— Ta famille ? répéta étrangement l'ancien colonel. Penses tu seulement que c'est agir avec loyauté et honneur que de trahir sa famille, dis moi ?
Bien qu'il savait maintenant que tout cela n'était que des artifices, Taehyung eut quand même quelque peu de mal à saisir les mots de son vieil ami. Quelque part, une petite voix lui chuchotait que cela cachait aussi une certaine rancune trop longtemps enfouie, et il se demanda même s'il n'était pas devenu dingue à l'idée même de douter de la confiance de Namjoon. Alors, c'est un peu déstabilisé, ce qui ajoutait aussi de la crédibilité à la scène que Taehyung répondit :
— Je ne vous ai jamais trahis. Tu sais quelles sont mes valeurs et la trahison n'en a jamais fait partie.
— Alors dis-moi où tu étais lorsque nous sommes revenus, après avoir cru mourir ? Dis-moi où tu étais, lorsque ma réputation au sein de l'armée a été bafouée, lorsque j'ai perdu ma place ?
Absent.
Durant ces années de silence, Taehyung n'avait pas ou très peu suivi les péripéties de ceux qu'ils considéraient alors comme sa nouvelle famille, et il ne fallait pas se méprendre, cela l'avait rendu tellement malheureux. Cependant, il n'avait pu se détourner de son objectif, bien que très personnel, puisqu'au fond, et même s'il s'était longtemps battu pour s'en défaire, il restait un yakuza.
Il restait un membre de cette société particulière aux règles bien ficelées, qui plus est, un héritier qui avait renoncé à sa place afin de faire honneur aux demandes de sa propre mère et chef de famille, mais cela avait coûté sa vie.
Aujourd'hui, Taehyung mentirait s'il disait regretter ce qu'il avait fait. Il n'avait jamais été le genre à agir sans le vouloir, ou du moins comprendre pourquoi il le faisait, bien que parfois cela pouvait être immoral ou sans aucun sens pour les autres. Ce qu'il avait fait, il l'avait fait pour le sang de son sang, et maintenant, les choses avaient changé.
Maintenant, Taehyung savait que le sang n'était pas le seul et unique lien qui pouvait réunir les gens. C'est en retrouvant sa place au sein de cette équipe qu'il avait de nouveau appris la valeur ainsi que la douceur de l'amitié, mais aussi, l'amertume de l'amour.
— Tu n'as plus rien à dire ? le relança alors Namjoon.
Ainsi, Taehyung releva les yeux et les plongea dans les siens, afin de dénicher ne serait-ce qu'une petite étincelle qui lui aurait permit de savoir s'il jouait la comédie ou non, mais il fallait croire que la situation en elle-même avait été créer dans le seul et unique but de les faire tous chavirer. C'est ce que l'ennemi voulait, les détruire, briser leur confiance, anéantir leurs liens, afin qu'ils se jettent eux-mêmes dans la gueule du loup.
Ce putain de Shinigami était un enfoiré, mais un enfoiré ingénieux.
— Je ne sais pas ce que tu veux entendre, mais je ne peux rien t'apporter d'autre que la vérité que tu connais déjà.
— Elle n'est plus suffisante aujourd'hui, Taehyung.
Derrière eux, Jin et Jungkook suivaient toujours la scène avec intérêt. Si Jungkook les regardait, les bras croisés, attendant peut-être le pire, Jin, lui, sentait ses mains devenir de plus en plus moites à l'idée même de voir ses amis s'entretuer. Contrairement à Jungkook, il n'avait pas fait attention aux légers changements d'attitudes des deux hommes qui lui avaient prouvé qu'ils avaient fini par se comprendre, alors il était là, anxieux et terriblement bercé par la colère et la peur.
— Putain, c'est vraiment la merde, dit-il en serrant les dents.
— Tout va se jouer maintenant, répondit faiblement Jungkook.
— Maintenant ?
— Oui, dit-il en jouant avec le piercing qui décorait sa lèvre inférieure. Regarde bien.
A nouveau, les yeux de Jin se posèrent sur ses amis, et il commença à se rendre compte que Taehyung commençait à se sentir de plus en plus mal à l'aise sur sa chaise. Il avait comme l'impression que ce dernier cherchait à s'en échapper, comme si ce foutu meuble était devenu source de malheur. Il ne pouvait rien faire, même pas lui dire qu'il risquerait de se faire trancher s'il se levait, alors c'est l'angoisse qui fit son retour et qui rendit Jin furieux.
Bientôt, Namjoon commença à hausser la voix, remémorant à Taehyung et au reste des membres présents dans la pièce cet ancien et douloureux souvenir. A vrai dire, ce fut presque une épreuve pour le noiraud que de se confronter à cette colère qu'il n'arrivait à déchiffrer. Était ce pour la mise en scène, ou était ce vrai ? Il n'en savait plus rien, et plus le temps passait, plus il sentait la haine, l'angoisse, la peur, le manque, la confusion, toutes ces choses l'envahir au point de le rendre nerveux. Cette nervosité ne fit que grandir en lui, comme une tumeur qui ne pouvait que grossir jusqu'à exploser, quand soudain, Taehyung tapa du poing sur la table faisant valser toutes les pierres et anéantissant de longues heures de jeu.
— Putain, Namjoon !
— Alors, c'est ça ton vrai visage ? Celui de l'homme qui se cachait derrière le soldat, Taehyung ?
— Qu'est-ce que tu racontes, bordel ! Ces enfoirés essayent de nous manipuler, et tu le sais aussi bien que moi ! Je ne t'ai pas menti, je t'ai protégé, comme tous les autres ! Je suis désolé, putain, d'accord ? Je suis désolé pour tout ça, je n'ai jamais voulu que tu deviennes la risée de notre unité, ni même que tu...Putain, il faut que tu me fasses confiance.
Si jusqu'ici, Taehyung avait gardé le contrôle, il fallait croire que la chaleur de la pièce, ajouté au stress qui ne cessait de grandir l'avait rendu totalement fou au point de devoir tout cracher afin de respirer à nouveau. Que Namjoon joue un rôle ou non, il devait le sauver lui aussi, comme tous les autres, et s'il devait brisé quelques uns de ses murs pour réussir, alors merde, oui, il le ferait.
— Prouve le.
Il n'en fallut pas plus à Taehyung pour serrer les poings, et sans prévenir, il coupa le souffle de ses trois camarades lorsqu'il se leva, envoyant valser sa chaise derrière lui. Aussitôt, le système qui planait au-dessus de sa tête s'activa, et bientôt, les lames tintèrent entre elles et furent lâchées. Ce fut l'histoire de quelques secondes, où Namjoon se leva de sa chaise, assez pour le faire s'abaisser afin que les lames ne lui tranchent pas la tête. Cela dit, Taehyung gémit dans un râle de douleur quand son épaule fut touchée.
A la seconde même où ils comprirent que l'épreuve était terminée, Jungkook et Jin s'élancèrent vers eux. Jin retrouva Namjoon le premier, le serrant contre lui comme s'il était son petit garçon, tandis que Jungkook, lui, ne tarda pas une seule seconde à tirer Taehyung à lui, ne comprenant lui même pas pourquoi ni comment il avait pu réagir aussi spontanément. Il plaça ses deux mains sur ses bras, et le fit relever la tête, entremêlant leurs regards dans un soupir profond. Aucun d'eux n'échangèrent un seul mot, bien qu'au fond de lui, Taehyung sentit toutes ses pulsions se taire à nouveau, seulement grâce à la présence de Jungkook.
Quant à lui, il ne le tira pas contre son torse pour lui offrir la même accolade que leurs compagnons, mais il fit quelque chose de plus intime, de plus touchant, à vérifier silencieusement que son épaule n'était pas dans un mauvais état. C'est la main que posa Taehyung sur la sienne qui le ramena à lui, et aussitôt, Jungkook redevint presque impassible, faisant disparaître ce regard particulier qui avait replongé Taehyung dans ses plus profonds souvenirs bien plus tôt.
— Et bien, encore une fois, on dirait que t'as réussi à sauver tous vos jolis petits culs, intervint Yongguk, qui se tenait déjà près de la porte de la salle, près à partir.
Le visage de Taehyung changea du tout au tout, et c'est avec une rage meurtrière qu'il le fixa, mais avant qu'il ne prenne la parole, Jin le devança.
— Ecoute-moi bien espèce d'enfoiré, on finira par tous vous faire la peau.
Yongguk sourit à son affront, et pensa que Taehyung allait ajouter un mot, mais il n'en fit rien. Jin avait dit tout haut, ce qu'il pensait tout bas, et il devait en être de même pour ses deux autres camarades qui toisait leur ennemi commun avec mépris.
Quelque part, Yongguk savait que les paroles du pilote n'était que partie remise, il savait aussi que Taehyung et ses camarades étaient tout à fait capable de retourner la situation à leur avantage, mais il gardait la tête haute et cet air hautain, persuadé que quoi qu'il advienne, il se trouvait aujourd'hui en position de force. Ainsi, il ne répondit pas à la menace de Jin et se contenta de rire, franchement, non sans ignorer le regard persistant de Jungkook.
— L'horloge tourne Taehyung, souffla t-il en passant les mains dans ses cheveux.
A ces mots, l'ennemi disparut derrière la porte blindée sans laisser de trace. Dès qu'ils furent seul et certain de l'être, Taehyung abandonna Jungkook et alla étreindre Namjoon, lui donnant quelques tapes dans le dos. D'ailleurs, il voulu lui dire qu'il l'avait bien eu, que son jeu d'acteur avait été parfait et que jamais il n'avait vu Namjoon se jouer ainsi de leur ennemi, mais il ne fit pas, encore peu certain quant à ce sujet. Au fond, Taehyung se disait que peut-être, Namjoon avait réellement dû ressentir autant de rancœur envers lui, du moins, dans le passé, alors il ne pouvait s'empêcher de s'en vouloir.
Alors, lorsqu'il se recula, il le dévisagea un instant et s'humidifia les lèvres avant de demander :
— Ces connards t'ont salement amoché.
— Plus de peur que de mal, répondit l'ancien colonel en haussant les épaules.
— Tu te souviens de votre arrivée ? Jin m'a déjà tout expliqué, mais tout semble avoir été calculé, j'en ai déduis que ce bâtard de Shinigami a...
— Je pense que c'est lui.
— Comment ça ? reprit le noiraud, les sourcils froncés.
Remarquant que la fatigue devait l'accabler et qu'il commençait à tourner de l'œil, Jin vint à son ami et le tira jusqu'à la chaise où il avait été assis tout ce temps. Ce dernier ne refusa pas son aide et le remercia d'un faible hochement de tête. Avant de reprendre, il partagea un rapide regard avec Jungkook, ressentant déjà l'envie de lui poser mille et une questions mais il préféra reporter son attention sur Taehyung qui attendait, une main posée sur son épaule blessée.
— Lay a voulu que tu viennes jusqu'ici, mais je ne pense pas que ce soit lui qui nous ait attiré dans ce piège.
— Comment pourrait on le savoir ?
— Dans les derniers jours avant ton départ, Yoongi m'a fait part d'une de ses découvertes. Comme tu le sais, il avait intégré le réseau de HOSEKI afin de se rapprocher de nos cibles, mais il a découvert que sous couvert de son titre, Lay ne serait pas celui qui tirerait tout les rênes. Je pense que tu as toi même dû t'en douter, et que tu en es venu à la même conclusion que nous. Il n'avait aucun intérêt à nous laisser entrer dans son monde, et après tout ce que tu m'as confié, j'ai longuement réfléchi et j'en suis venu à l'idée que lui-même serait contraint d'agir pour un autre.
— Shinigami...
— Oui, dit Namjoon en hochant la tête. Pourquoi ne serait-il rien arrivé à ta sœur durant des années, alors que Lay détient tout le pays dans le creux de sa main ? Il ne devait pas se douter du fait qu'elle était toujours là, mais quand bien même, elle ne représentait pas une menace jusqu'à ce que tu te décides à te réveiller. Pas vrai ?
Sans rien dire, Taehyung resta concentré sur les lèvres de son vieil ami, l'air grave.
— L'enlever était une très bonne excuse afin de te faire venir jusqu'à lui, mais il te voulait seul. Nous n'étions pas impliqué, jusqu'à découvrir ces...
— Jin m'a parlé des lettres.
— Alors, tu sais. Personne ou très peu ont accès à la maison, et Lay était déjà parti, toi aussi. Cela voudrait dire que quelqu'un s'est infiltré pour nous contacter via ces lettres, afin de nous attirer jusqu'à cette île. Cela dit, et bien qu'il soit totalement fou, Lay n'aurait eu aucun intérêt à déployer une flotte aux alentours, puisqu'il savait que tu viendrais et il t'attendait.
— Il savait déjà que nous serions en sous-effectif...
— Exactement, alors, qu'est-ce que tu en penses ?
Taehyung sembla réfléchir un instant, non sans peine dû à la douleur de son épaule.
Lorsqu'il remarqua ses faibles gémissements de plaintes, Jungkook se rapprocha alors de lui et n'hésita pas à en arracher un bout de son vêtements traditionnel afin d'en faire un pansement de secours qu'il s'appliqua à nouer autour de blessure et de son bras.
C'est avec beaucoup d'incertitude et à la fois de compassion que Taehyung le regarda faire, mais cette fois-ci, leurs regards ne se trouvèrent pas, et chacun retrouva sa place initiale, et ce, jusqu'à ce que le noiraud ne se décide à reprendre la parole.
— Il est ici.
— Il est là, oui, confirma l'ancien colonel. Je ne vois pas d'autre solution. Les hommes qui nous ont interceptés savaient que nous allions venir, alors que personne n'est venu te trouver. Comment as-tu pu débarquer ?
— Mes hommes et moi sommes passés par un côté méconnu de l'île, je savais que je n'y trouverais presque personne jusqu'à remonter jusqu'au temple.
— Cela confirme alors mon hypothèse.
— Mais si c'est vrai, alors...murmura Jin, comprenant peu à peu la situation.
— Alors tout va se jouer ici, selon les règles de ce connard qui refuse de sortir de l'ombre, cracha presque Taehyung, faisant la grimace à cause de sa douleur.
— Nous devons agir avec précaution Taehyung, le gronda presque Namjoon pour le rappeler à l'ordre.
Le noiraud n'eut nul besoin de lui demander pourquoi, il le savait déjà. En vérité, si tout ce qu'il disait était vrai, alors tout ce qu'ils cherchaient était sur cette île. Cela voulait également dire que Lay agissait bel et bien sous le contrôle et peut-être, les contraintes d'une personne encore plus influente qui n'hésitait à le tirer par quatre épingle pour obtenir son dû. Néanmoins, l'information la plus importante, et certainement la plus inquiétante dans tout ce bazar, était que Shinigami pouvait être n'importe où, et surtout, n'importe qui.
La dure réalité de la situation lui sauta alors en pleine face, et malgré la douleur qui lui déchirait l'épaule, Taehyung senti toute sa frustration, sa colère et sa rage lui remonter jusqu'à la gorge, mais il savait désormais, du moins, encore plus, qu'il ne devait pas flancher. Que ce soit pour la vie de ses amis, pour la sienne ou bien pour celle de sa sœur ou de son clan, tout devenait encore plus compliqué.
C'était souvent dans de tels moments que la mémoire de Taehyung le renvoyait à des lointains souvenirs, et cette fois ne fut pas coutume. En fermant les yeux, il eut l'impression de revoir sa mère qui lui répétait toujours que ce monde était aussi misérable que la peste, aussi vicieux que la jungle, tout aussi bien qu'il se rappelait de ses premiers pas dans l'armée et de tout ce qu'on lui avait appris pour gérer de telles situations.
Tout était là, maintenant, il le savait, tout était ici, autour de lui, et il lui fallait finir ce maudit puzzle avant d'y perdre la tête. A vrai dire, Taehyung avait même la terrible impression que tout devenait clair dans son esprit, mais le simple fait d'y penser, de même imaginer qu'une telle réalité pouvait être vraie le rendait malade.
Alors, une fois de plus, il chassa toutes ses pensées et tomba dans le regard de Jin, qui faisait de son mieux pour cacher sa peur derrière ce qui lui restait encore de courage, et il dit :
— Nous devons retrouver les autres et quitter cette île.
— Tu devrais penser à l'offensive, ajouta alors Jungkook en passant la langue contre sa joue. Si tu continues de te laisser balader comme ça, on ne s'en sortira jamais.
Le noiraud le regarda du coin de l'œil, une petite voix dans sa tête lui répétant sans cesse qu'il devait plonger dans la noirceur de ses yeux, qu'il en avait envie, mais il y résista tant bien que mal à cette envie et lui répondit d'un ton sévère, qui ne manqua pas d'interpeller tous les sens de son amant.
— On suivra le rythme qui me semble le plus juste. On retrouve tout le monde, on analyse, on cherche, on trouve.
— Tu ne...
— C'est tout, Jungkook.
L'animosité qui anima alors ce dernier put se faire ressentir dans toute la pièce, et alors Taehyung se retourna pour le regarder, prêt à soutenir son regard jusqu'à ce qu'il cède, mais ce fut Namjoon qui coupa net cette confrontation silencieuse en leur rappelant la nouvelle et terrible réalité qui les menaçait tous.
— On ne peut plus compter que sur nous-mêmes. Désormais, ce sera un pour tous, et tous pour soi. C'est ça, la véritable règle de son jeu.
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