𝟒𝟐. since when do we have guns ?
— C'EST bon, prévint Pope, les yeux plissés. Ils sont partis.
Garée à l'écart, près d'un des gros arbres à l'arrière de la propriété des Knight, le quatre quatre reposait, phare éteint. Au loin, deux voitures de police repartaient à vive allure, sûrement à la recherche de John B.
Bien sûr, ils étaient venus chez les Knight, pourquoi ne serait-il pas là ? Sienna était sa tante. Malheureusement pour eux, John B crapahutait encore dans toute l'île à l'heure actuelle, et Blake savait pertinemment que la grande maison de sa famille était le dernier endroit où il voulait être. Parce que pour elle aussi, c'était le dernier endroit où elle souhaitait se trouver.
Pourtant, elle n'avait pas le choix.
— Okay, acquiesça Oliver. On y va. Blake, on peut passer par la porte vitrée ? Blake ?
Perdue dans ses pensées, le regard fixé sur les briques blanches de cette maison qui lui semblait désormais inconnue, elle ne l'entendait même pas. C'est quand JJ, captant son trouble, passa le bras par-dessus Oliver pour tapoter sa cuisse, qu'elle reconnecta;
— Hein ?
— La porte vitrée, répéta le métisse, une barre entre les sourcils. Elle est ouverte ?
— Oh, euh, ouais sûrement.
— D'accord, ouvre.
Le corps mou, Blake déverrouilla sa portière. Les pieds aux sols, dans l'herbe fraiche, elle renifla. L'air avait des effluves de terre mouillée. Pourtant, quand elle releva les yeux vers le ciel, aucune trace de nuage, les étoiles étaient suspendus au-dessus de son crâne, répandant leur clarté d'argent.
Elle eut un pincement au cœur. Adam disait toujours que les âmes devenaient des étoiles, et que lorsqu'elles brillaient ardemment, c'était pour faire un signe à leur proche.
Cette histoire, Blake —trop pragmatique, même à six ans— l'avait toujours beaucoup agacée, ça n'avait rien de logique. Mais, en cet instant, alors qu'un astre, plus gros que les autres, lui éclairait la figure, elle se prit à espérer;
— Salut Papa, chuchota-t-elle doucement.
— T'as dis un truc ?
En tournant la nuque, elle vit qu'Oliver était descendu. Elle secoua la tête, un léger sourire fleurissant sur ses lèvres.
— Non, rien.
Sans plus s'attarder, le garçon récupéra son sac à dos, le fichant sur son épaule, avant de claquer la portière.
— Tiens moi au courant, sourit-il à Kie.
Puis, il fit volte-face, avançant d'un pas confiant sur la pelouse. Blake ne fit pas mine de le suivre, le souffle court en apercevant de la lumière à travers la baie vitrée. C'était trop dur. Elle allait entrer là-dedans, et comme pour son premier jour ici, au début de l'été, la maison lui paraitrait vide, étrangère, et hostile.
Les pogues n'avaient pas bougé non plus. A l'intérieur, Kie fit tourner les clefs, et le moteur se mit en marche.
— Attends, la coupa JJ, en se détachant prestement. J'arrive.
Blake se détourna de la façade en entendant le craquement du bois sous des bottes, puis une présence dans son dos. Ses yeux s'agrandirent;
— JJ ? Qu'est-ce-
Elle n'eut pas le temps de finir. Il l'avait attiré contre son torse dans une étreinte presque douloureuse. Blake prit une longue inspiration contre lui, et lui rendit fébrilement son câlin. Il posa ses lèvres près de son oreille;
— Tu vas y arriver. T'as besoin de Sien', autant qu'elle a besoin de toi.
— JJ...
— Non, protesta-t-il, d'un ton ferme mais sincèrement affectueux. T'es Blake putain de Knight. T'es la meuf la plus forte, et timbrée que je connaisse.
Il ponctua sa remarque d'un petit rire de gorge, envoyant des décharges dans chaque parcelle de peau de la jeune femme.
— Alors tu rentres là-dedans, et tu te bats. Ouais ?
Blake sentit ses jambes flageoler mais elle ne perdit pas l'équilibre. Il lui avait donné la force qui lui manquait. Doucement, à regret, elle s'écarta de lui, et opina du chef;
— Ouais.
Un large sourire, un peu idiot, illumina la face de JJ. Son regard pâle sous la lueur de la lune, brillait de fierté;
— Ça c'est ma meuf.
Blake se raidit, l'ai ahurie. Sans se départir de son sourire, JJ lui donna un bref baiser sur la joue, avant de s'enfuir à toute jambes, renforçant sa casquette, et de sauter dans la voiture de Kie. Quand la blonde sortit de sa transe, le quatre quatre avait disparu.
Impossible. Est-ce qu'il avait vraiment dit ça ? Est-ce que cet enfoiré de Maybank, ce surfeur à la noix, l'avait appelé "sa meuf" ? Est-ce qu'elle était en couple ? Comment c'était arrivé ?
Alors que son corps surchauffé sous l'accumulation de question, une voix rauque et narquoise retentit derrière elle;
— Je suis ému. Mon bébé a grandi si vite.
Ça eut le mérite de la faire rire. Boostée par l'adrénaline des dernières paroles de JJ, Blake pivota sur ses talons, pour rencontrer la ganache souriante d'Oliver. En l'ignorant, elle le dépassa pour rejoindre la porte vitrée.
C'était sans compter sur son ami, qui lui flanquait le train;
— Alors mademoiselle Knight ? S'exclama-t-il, moqueur. Quel est votre ressenti face à cette déclaration du joueur Maybank ? Un commentaire ? Vos fans réclament une réaction.
Fermant son poing, il le brandit sous le nez de la blonde, comme un micro.
— La ferme tocard, rit-elle.
Rire qui mourut bien vite, lorsque ses yeux se posèrent sur la cuisine de la maison, visible à travers les carreaux de la porte. C'était le moment. Seulement, une fois la main sur la poignée, elle sentit son courage l'abandonner.
— Putain.
— Hé, murmura d'une voix infiniment douce son ami. Ensemble ?
Il enveloppa sa main de sa paume, un sourire rassurant ourlant ses lèvres. Pourtant, il appréhendait cette confrontation, au moins autant qu'elle. Une bouffée de chaleur étreignit la blonde. Oliver était là, comme la première fois, donc ça irait.
— Ensemble.
Alors ils ouvrirent, tranquillement, en silence, comme s'ils voulaient retarder l'inévitable.
La première chose qui frappa Blake fut le parfum. Du couloir émanait une odeur épicée d'encens, il y avait tellement de fumée que s'en était presque cancérigène. Le métisse couvrit son nez avec son t-shirt;
— Tu crois que Sienna à pété un boulon ? Questionna t-il, entre deux quinte de toux.
Elle aurait pu en effet. Ce comportement maniaque était inquiétant, du moins il l'était pour Oliver. Blake, elle, n'eut pas besoin de plus de se soucier de cela, elle comprit vite les motivations de sa belle-mère.
— L'odeur, frémit-elle en pénétrant dans la cuisine. Elle a caché l'odeur de mon père.
C'était assez évident, surtout pour Blake, qui avait utilisé le même procédé pour se débarrasser de l'odeur de son jumeau, qui embaumait la chambre qu'ils partageaient, à Miami. A défaut d'encens, Blake avait tellement imprégné les murs d'effluves de cannabis, que le parfum de vanille de son frère avait complètement déserté la pièce.
Sur la pointe des pieds, tels des intrus, ils s'approprièrent l'espace. Sur le comptoir déjà, une multitude de gâteaux; oreo, granola, etc...Accompagné d'un pot de crème glacée, vide. Blake grimaça à leurs vue. Tout ça, tout ce sucre et ce gras, c'était tout ce que Sienna exécrait, si elle s'était empiffrée de ces cochonneries, elle n'imaginait pas l'état dans lequel elle devait se trouver.
Un bruit d'aluminium l'a fit sursauter.
— Bordel, Oli !
Celui-ci dévorait un cookie, la mine contrite, c'est la bouche pleine de chocolat qu'il lui répondit;
— Désholé, articula-t-il péniblement. Ch'ai pas man'ré auch'ourd'hui.
Sous son œil désapprobateur, elle le regarda déglutir son met. Elle ne lui en voulait pas, si elle-même n'était pas tiraillée par la faim —trop nouée pour avaler quoi que ce soit de toute façon— Oliver n'avait mangé qu'un maigre sneaker dans la voiture, gentiment proposé par Pope, à midi.
Avec un gros soupir, Blake pénétra dans le salon, lui aussi était désert. Mais alors qu'elle se tournait vers Oliver, pour lui indiquer qu'elle allait chercher Sienna là-haut, elle fut brutalement percutée par une masse sombre, et vive.
Son dos percuta le sol, et même si le tapis amortit sa chute, elle sentit quand même sa colonne vertébrale l'élancer. Le brouhaha tonitruant que fit son corps en tombant fendit le silence dérangeant.
Hébétée, Blake sentit un poids sur sa poitrine, puis de la bave se rependit sur sa figure. Bodhi lui avait sauté dessus, et lui léchait désormais minutieusement le visage, elle aurait souhaité le gronder, mais au lieu de ça, elle éclata de rire.
— Salut beau gosse, tu m'as manqué aussi.
Il émit un petit couinement en réponse. Blake finit par se dégager, les énormes pattes de son chien lui avaient détruit les seins. Quand elle s'accroupit, pour lui flatter les oreilles, alors que sa queue remuait dans tous les sens, elle l'entendit;
— Qui êtes-vous ?
Elle se figea. Conservant une fixité de marbre, la main dans les poils dru de Bodhi, et un silence absolu, Blake sentit ses membres trembler, tandis que la voix réitéra, approchant légèrement;
— Blake ? S'étonna t-elle. Oliver ?
— Hé Sien-
Le métisse se stoppa, sur le palier du salon, le cœur tambourinant. Quand il rouvrit la bouche, son timbre n'avait plus rien d'enjoué, il était bas, et vibrant d'horreur;
— Sienna, qu'est-ce que tu fous avec un flingue ?
Ses mots paniquèrent Blake, qui, oubliant son angoisse, se retourna brusquement, pour faire face à un révolver. Pointé sur elle, le canon du pistolet se faisait menaçant.
Pas pour longtemps. Se rendant compte de l'air terrorisé des adolescents, Sienna baissa son arme, dans un mouvement sec, une expression hébétée peignait son visage, elle semblait presque surprise d'elle-même.
— Désolée.
Son excuse se perdit dans le vent. Blake était hypnotisée par le pistolet, qui pendait dans la main tremblotante de sa belle-mère. Qu'est-ce que c'était que ce foutoir ?
Suivant le cours de ses pensées, Sienna lorgna elle aussi sur l'arme, avant de la poser précipitamment sur la table basse. Blake suivit sa trajectoire, puis, lentement, releva les yeux sur la femme devant elle, qui frottait compulsivement ses bras grelottant, triste, mais surtout, perdue.
Cette vision lui donna envie de pleurer. Aussi, sans un mot, elle s'approcha de Sienna. Hésitant un instant, elle finit par entourer ses épaules de ses bras, la berçant doucement contre elle.
Sienna se laissa faire, le corps comme anesthésié. Pour la première fois, dans ses habits de nuit —un jogging noir, et un t-shirt gris, appartenant à Adam— avec son chignon en fouillis et sa mine creusée, Sienna avait l'air fragile.
Après un long moment, calme, durant lequel même Bodhi s'était montré parfaitement silencieux, Sienna s'écarta un peu, pour scruter les traits de sa belle-fille. Blake tenta un sourire, qui se tordit vite, avec Sienna elle ne pouvait pas mentir.
Dégageant une mèche dorée, qui s'était échappé de sa tresse, du visage de Blake, elle lui caressa la pommette du pouce. Ce regard tendre, dont elle couvait la jeune fille, manqua de la faire défaillir.
— Sienna, soupira la blonde, les larmes aux yeux. Papa, il...
— Je sais.
Elle sentait que chaque parole prononçait lui coûtait. Sienna hocha simplement la tête, d'un air entendu, reniflant un peu. Son corps entier luttait pour retenir les torrents de son chagrin de s'échapper. Elle tenait bon, malgré la douleur immense qui devait la transpercer.
Blake ne put qu'être béate d'admiration.
— Je suis vraiment désolé.
Les filles pivotèrent, effarées. La tête basse, les épaules frémissantes, Oliver avait lâché sa phrase comme une plainte, enroué. De lui émanait une aura sombre, qui glaça le sang de Blake. Une impression de déjà-vu l'a saisit, et elle ouvrit de grands yeux. Non. Il ne devait surtout pas recommencer.
— Hé, l'appela-t-elle tranquillement. De quoi tu t'excuses ?
Toujours le nez vers le parquet, il ferma les poings, tapant du pied;
— C'est ma faute, rugit-il, mais sa voix se brisa. Tout est de ma faute. J'aurais pas dû le prévenir, je suis désolé, tellement désolé.
— Oh, Oli...
Comme un seul être, elles se déplacèrent jusqu'à lui, et Sienna prit l'initiative d'attraper son visage en coupe. Il pleurait, de long sillons d'eau se formaient sur ses joues, roulant jusqu'au creux de son cou, son expression était si misérable que Blake dû détourner le regard, chamboulée par cette vue.
Heureusement, Sienna n'écoutait que son instinct maternelle, et sourit au garçon, tout en lui frottant l'épaule, sa voix était aussi douce que du miel;
— Ne t'excuses pas Oli. Jamais. Tu n'y es pour rien, tu n'as rien fais de mal. Tu comprends ?
— Mais je-
— Non. Est-ce que tu as tiré sur mon mari ?
Son regard charbon plongea dans celui du garçon, intense. Incapable de bredouiller une réponse tangible, il se contenta de secouer la tête.
— Bien, approuva-t-elle. Alors tu n'as rien fait. Ce n'était pas toi. Le coupable est cet enfoiré de Ward Cameron.
Elle avait pris des accents durs, et ses iris flamboyaient. A l'évocation de ce nom, Blake reposa des yeux perplexes sur sa belle-mère.
— Comment tu sais pour Ward ? S'empressa-t-elle de demander.
Sienna se départit de son sourire chaleureux, qu'elle avait destiné à Oliver, pour prendre un air si sombre, que Blake sentit un courant froid lui mordre la peau. Quand elle obliqua vers elle, la sensation n'en fut que plus désagréable. Dans ses yeux, habituellement si bienveillant, régnait désormais une rage sourde.
— Je l'ai vu, se contenta de répondre.
Puis, sans une parole, elle s'éloigna vers le couloir.
Complètement sonnés, Blake et Oliver se mirent sur ses talons, sans trop savoir quoi faire. Durant l'ascension de l'escalier, le cerveau de la blonde se mit à fonctionner, à deux-mille à l'heure. Comment pouvait-elle avoir vu quoi que ce soit ? Était-elle là, à l'aérodrome ? Non, impossible. Connaissant le fort caractère de sa belle-mère, elle serait certainement venu les sauver, John B et elle.
Mais alors, comment pouvait-elle avoir vu ?
Oliver devait se poser la même question car il resta silencieux, les yeux bouffis par les larmes, quand ils arrivèrent enfin à destination.
Sienna les avait conduits jusqu'au fond de l'étage, devant une porte blanche —elles l'étaient toutes— une porte que Blake n'avait jamais franchie, même enfant. Derrière elle, la chambre de son père. Celle qu'il avait partagé, durant de nombreuses années, avec sa femme.
En posant la main sur la poignée, la nouvelle veuve, pivota légèrement vers eux. Ses épaules étaient crispées, et ses doigts sur la porte tremblaient sensiblement. Avec une grande inspiration, sûrement pour se donner du courage, elle finit par s'expliquer;
— Il était à l'hôpital.
Devant les moues inquiètes des adolescents, elle précisa;
— Ward. Il était là, et je venais de...
Elle souffla longuement, rejetant le visage en arrière, le cou tiré, pour ravaler le sanglot qui menaçait de la submerger. Quand elle se sentit prête, après quelques secondes, elle revint sur eux.
— Je venais de voir ton père.
Un haut le cœur, souleva la poitrine de Blake. Bordel. Évidemment, elle avait dû aller identifier le corps. L'image nette des traits d'Adam, figé dans une froideur morbide, manqua de la faire vomir. Pour se contenir, elle mordit dans sa lèvre, férocement.
— Ward est venu me trouver, enchaîna Sienna. Il est venu me conter son histoire débile, et me dire à quel point il était désolé, et je l'ai vu à ce moment-là.
Le sang dans ses veines pulsait, la haine l'a consumée. Son regard était empli d'une rancune si dévorante, que Blake recula d'un pas.
— Il y avait de la culpabilité dans ses yeux de fouine. J'ai mis longtemps à faire le lien, mais j'ai fini par comprendre. Il ne s'excusait pas pour ma perte, il s'excusait d'avoir causé cette perte. Ce fils de p-
Comme si elle avait pris une décharge, elle ferma brusquement la bouche. Ça faillit tirer un rire à Blake. Même dans un instant pareil, elle refusait encore d'utiliser des gros mots, devant des adolescents. Toujours avec cet air pincé, elle poursuivit;
— Donc oui, je sais. Ward a tué Susan et mon mari, et il fait passer mon neveu pour le coupable.
Oh. Blake voulut protester, mais son ami fut plus rapide;
— Ce n'était pas Ward pour le shérif, c'était Rafe.
— Rafe ? Se récria t-elle.
Les nœuds formaient dans les neurones de Sienna, semblèrent se démêler d'un coup. Le déclic se fit. Elle porta une main à ses lèvres.
— Pauvre garçon.
L'empathie de sa belle-mère était de retour. Une empathie dont Blake était incapable. Pourtant, elle avait vu la lueur désespérée dans le regard bleu sarcelle de son ancien "petit-ami". Au fond d'elle, elle était sûre que c'était la drogue, et tous les traumas qui l'avaient poussé à agir ainsi. Quand il avait dit qu'il avait sauvé son père, elle le savait, il y croyait.
Mais, malgré tout cela, Blake ne pourrait jamais s'enlever du crâne la vision du shérif, étouffant dans son sang. Et ça, ça dépassait tout l'amour, et la bienveillance qu'elle aurait pu ressentir à son égard. Il avait tué quelqu'un. C'était un meurtrier. Son Rafe avait disparu.
Elle fut tirée de ses songes, par un sirène de police —encore— qui dans la maison insonorisée, semblait très lointaine. Sienna sembla reconnecter à ce son.
— Enfoirés, pesta-t-elle tout bas. Venez.
Tirant sur la poignée, elle déverrouilla la chambre —en permanence fermée à clefs— et laissa les ados pénétrer dans la pièce, mais aussi Bodhi, qui venait de débarquer dans le couloir, et qui cavala jusqu'à la porte pour être sûr d'entrer.
A l'intérieur, Blake examinait tout. Sa curiosité avait pris le pas sur le reste. On se serait cru dans une publicité Ikea, tant tout était en ordre, épuré, et sobre. Au sol, un jolis parquet gris, couvert sur la moitié de la surface par un tapis crème, tout en peluche. Les murs étaient blancs, il y avait deux tables de chevet, qui entouraient un lit massif en bois clair. Sur celui-ci, il y avait tant de coussins, d'édredons et traversins, que Blake se dit qu'en se couchant dedans, elle serait capable de se noyer.
Dans le fond, un rocking-chair blanc, très chic, sur lequel était posé un livre. Il y avait des cadres, ça et là, sur l'une des deux tables de chevet, Blake perçut très distinctement une photo, dont elle se souvenait bien.
C'était au mariage de son père et Sienna. Le photographe avait insisté, assez lourdement, pour qu'ils prennent une photo de famille. Blake se remémora qu'à cette époque, la seule évocation de ce mot lui donnait envie de gerber. Sans Billy, qui l'avait —littéralement— porté tel un sac de patates, elle n'aurait jamais accepté de faire un tel cliché. A part elle, tout le monde souriait.
Revoir cette image lui serra la poitrine. Elle aurait dû sourire. Elle aurait dû se rendre compte de la chance qu'elle avait, de les avoir tous les deux, maintenant, elle n'en avait plus aucun.
— Tu ressembles au Grinch, commenta Oliver, qui lorgnait aussi sur l'image, la voix encore morne.
Sa tentative d'humour lui valut une œillade noir, mais Blake se sentit mieux. Il était là, lui. Un sourire goguenard étira les lèvres du métisse, et elle lui flanqua un coup dans le bras.
— Je suis jamais venue ici, l'infomat-elle.
— Ah ouais ? Pourquoi ?
— Bah c'était fermé, et j'ai toujours eu peur de tomber sur des jouets chelous, du genre pour adulte.
Oliver dressa un sourcil, en reluquant Blake des pieds à la tête, arrachant un gloussement à la jeune fille.
— Vous devriez vous asseoir, conseilla Sienna en claquant la porte.
Tout de suite moins amusés, les ados obéirent, prenant place sur le matelas. Sienna se mit à faire les cents-pas, croisant et décroisant les mains, nerveuse. Même Bodhi, couché aux pieds de sa maîtresse, inclina la tête devant l'agitation de la brune.
Elle finit par arrêter son cirque;
— Bon. Écoutez, les derniers jours ont été difficiles, vraiment difficiles, je le sais, mais il faut que vous soyez attentifs maintenant. D'accord ?
Ils hochèrent la tête en chœur, suspendu à ses lèvres.
— Les prochains jours seront encore plus durs, mais vous allez gérer, vous êtes des personnes intelligentes et pleines de ressources.
Son discours les motiva un peu, leur faisant regagner une énergie qu'ils avaient épuisés à courir partout. Elle s'assombrit;
— John B est accusé de meurtre, souffla t-elle. C'est du sérieux, tout le monde le recherche, la police, les habitants, les Cameron.
Sa mâchoire tressauta en prononçant ce nom.
— Je devrais aller voir les flics, lança Blake. J'ai tout vu ils me croi-
— Surtout pas !
Le cri de Sienna l'a fit sursauter. Raide, les sourcils froncés, Blake ressemblait à un chat sur le point de feuler. Sa belle-mère se détendit, passant une main lasse sur son visage.
— Ce que John B ne sait pas, reprit-elle modérée. C'est qu'il a un mobile.
— Quoi ? Glapit Oliver, une octave plus haut qu'il ne l'aurait souhaiter.
— Taisez-vous !
Ils la bouclèrent. Là, elle avait toute leurs attentions. Sienna chercha les yeux des adolescents, et se focalisa sur les pupilles de Blake. Tout son être transpirait d'une force qu'elle l'a soupçonnait pas d'avoir.
— John B avait une raison de tuer ton père. L'année dernière, après la mort de Billy, Adam s'est mis à paniquer. Pour toi, pour moi, pour l'hôtel. Il a compris que la vie était courte, et il a fait changer son testament.
Oh, non. Blake commençait doucement à voir où elle voulait en venir. Toujours agitée, Sienna se mit à faire craquer ses articulations, soudain accablée par le poids de la terre.
— Il y a mis de l'argent pour John B. Beaucoup d'argent.
L'effroi transforma le visage de Blake. Merde, merde, merde, merde. Ce geste, qui partait d'une intention si noble, allait coûter sa liberté à John B.
— Putain, grogna Oliver.
Blake lui coula un regard en biais. Il était rouge de colère. Oliver dans cet état, c'était rare, et jamais bon. Pour l'apaiser, elle lui prit la main.
— C'est pour ça qu'il doit partir, conclut Sienna, penaude. Loin, et vite. Et tu dois t'en aller avec lui ma puce.
Douche froide. Comme giflé par une vague, Blake se sentit sonnée.
— Quoi ? S'étrangla t-elle.
Sienna s'approcha prudemment, s'accroupissant face à elle, un sourire navré fendant son visage. Elle prit la main qui lui restait —celle qui n'était pas entremêler avec celle d'Oliver— et se mit à faire des cercles sur sa peau, du gras de son pouce.
— Tu ne peux pas rester ma belle, fit-elle tout bas, pour que la nouvelle passe mieux. Tu es témoin de quelque chose, duquel tu n'aurais jamais dû être témoin. Si tu vas voir la police, ou si les Cameron parlent de toi...
Une lumière s'alluma dans l'esprit de Blake, et elle reçut un choc à la poitrine.
— Ils me renverront à Miami.
Pinçant les lèvres, Sienna opina.
Bien sûr, comment n'avait-elle pas pu y réfléchir avant ? Légalement, Blake n'avait aucun droit d'être ici. Son père avait perdu sa garde, elle s'était enfuie de chez sa mère de nuit, et n'avait donc aucune raison de se trouver là. Et, même si elle témoignait, le temps que l'affaire passe au tribunal, ils l'a reverrait fissa dans son ancien enfer.
Le sourire glauque, sans vie, de Becky, percuta son esprit. Non, elle ne pouvait retourner là-bas.
— Je veux pas y retourner, gémit-elle, l'angoisse montant en flèche dans son organisme.
— Hé, chut, chut, chut.
Tendrement, Sienna berça sa main.
— Je te promets que tu n'y retournera pas. Tu me fais confiance ?
Blake sut à cet instant, face à la détermination contagieuse de sa belle-mère, et son air farouche, qu'elle lui confierait même sa vie.
— Oui.
Sa réponse parut soulagé Sienna d'un poids. S'éclairant d'un sourire lumineux, elle se redressa pour embrasser les cheveux de l'adolescente;
— Merci, susurra-t-elle d'une voix vibrante d'émotion.
Un lien s'était créé à ce jour là, dans cette chambre, à la lueur de la lune. Au moins, elles pouvaient compter l'une sur l'autre. Elles étaient les deux dernières Knight.
Carrant les épaules, reprenant contenance, Sienna s'écarta, revêche. Elle semblait prête à tout.
— Il faut qu'on vous trouve un bateau.
Oliver leva la main, comme en primaire;
— On en a un. On doit retrouver les autres demain pour le récupérer.
Elle acquiesça, le regard luisant d'une sorte de gloire parentale;
— Parfait. Donc, je n'ai plus qu'à vous donner le reste.
— Le reste ? S'étonna le métisse.
Arquant un sourcil, accompagné d'un sourire énigmatique, Sienna fit volte-face. D'un geste ample, elle ouvrit son placard coulissant. Il était immense, toute la largeur du mur. A l'intérieur, sur des cintres, les vêtements d'Adam pendait, ceux de Sienna aussi. La démarcation entre les deux était assez frappante.
D'un côté, les t-shirts, pantalon chino, et chemises repassées de son père. De l'autre, les vestes, pantalon droit, et robes sobres de sa belle-mère.
Mais Sienna ne fit attention, ni à l'un, ni à l'autre. Elle s'abaissa jusqu'à toucher le sol du dressing, et tâtonna du bout des doigts le bois, avant de se stopper.
— Euh, tenta Oliver. Sienna ? Qu'est-ce que tu-
— Ah, la voilà !
Sous les yeux consternés des amis, elle souleva une planche épaisse, l'a rejetant en arrière. Elle fouilla dans le trou, penchée en avant. Les adolescents échangèrent un long regard, les yeux ronds. Qu'est-ce que c'était que ce bazar encore ?
— Blake, l'appela Sienna, le nez dans le placard. Tu peux venir ?
— Euh, ouais.
La blonde se releva, jetant un petit coup d'œil paniqué à Oliver, qui haussa les épaules. En arrivant aux côtés de sa belle-mère, Blake épia le trou béant, et défaillit.
— Oh putain.
Ce n'était pas un trou, mais une trappe. A l'intérieur il y avait beaucoup de choses. Des liasses de billets, maintenu par des élastiques. Deux petits carnets noirs, que Blake, en plissant les yeux, comprit être des passeports. Et enfin, la raison pour laquelle elle venait de jurer: tout à droite, bien caché dans le coin, dans des étuis, des armes.
Blake ne les connaissait pas toutes, mais il y en avait quatre. Un taser, une matraque, et deux pistolets —dont elle était incapable de connaitre le nom. L'un des étuis était vide, et elle fit le lien avec l'arme que sa belle-mère avait braquée sur elle, et qui gisait encore sur la table du salon.
— Wouah, recula-t-elle. Attends, Sienna. Depuis quand on a des flingues ?
Les battements de son cœur s'étaient accélérés, et elle les percevait même dans son crâne. Comme le chant d'un tambour.
— Oh la vache, s'exclama Oliver, débarquant à ses côtés.
Bodhi, qui s'était lui aussi avancé, mit les oreilles en arrière, la queue entre les jambes.
Sienna se redressa, après avoir soupesé un des pistolets, et d'avoir chipé l'une des liasses. Face à l'expression affolée de sa belle-fille, elle confia les objets à Oliver, qui les attrapa comme il le pouvait, tenant l'arme entre son index et son pouce, l'a fixant comme si elle allait lui sauter au visage.
La respiration courte, Blake faisait de son mieux pour se calmer. Sienna posa ses mains sur ses épaules, l'obligeant à la regarder.
— Je sais que c'est beaucoup Blake. J'aimerais avoir le temps de tout t'expliquer, mais nous ne l'avons pas ce temps. Tu as dit que tu me faisais confiance, tu le pensais ?
Faiblement, Blake hocha la tête.
— Bien, sourit Sienna. Alors pour l'instant ne pose pas de question. Je te promets que je répondrai à tout ce que tu veux, quand tu rentreras.
— Est-ce qu'elles sont à toi ?
Par pitié, faite qu'elle dise oui. Mais comme l'univers aimait lui prouvait qu'elle avait tort;
— Non, annonça-t-elle à regret. Ton père avait un tas de secrets ma puce.
— Il fait chier, grimaça la blonde.
Ras le bol des secrets, des mensonges. Chaque fois qu'elle pensait qu'il ne pouvait pas y avoir plus, elle trouvait d'autres choses. C'était exténuant.
— Je te raconterai tout, promis une nouvelle fois Sienna. Mais pas aujourd'hui. La priorité c'est de vous faire quitter l'île, à John B et toi. Okay ?
A contrecœur, en pensant à son cousin, qui devait déambuler dans l'île, seul, effrayé, poursuivit par tous, Blake finit par soupirer;
— Okay.
Et, tandis que Sienna refermait la trappe, repartait de la chambre, affirmant que les ados avaient besoin de prendre une bonne douche, et qu'elle allait leur préparer un bon repas, Blake s'écroula sur le lit moelleux.
Le matelas pencha, et Oliver sauta à ses côtés —dépourvu de l'arme, et de la liasse, qu'il avait fourré dans un sac à dos. Étalés comme deux étoiles de mers sur la couette, ils fixaient le lustre de verre.
— Putain, finit-il par lâcher. T'as vraiment une famille de barge, ma vieille.
La remarque d'Oliver fendit le mutisme ambiant. Il marchait sur des œufs. Mais, après une minute d'un silence plein de tension, alors qu'il allait s'excuser, Blake se mit à rire.
— Il y a au moins sept-cent dollars dans la liasse, ajouta t-il, rasséréné, un immense sourire sur la ganache. Ton daron c'est l'oncle Picsou.
D'abord doucement, puis de plus en plus fort, ils rirent tout deux. Oliver ferma les yeux, tapant du poing, se contorsionnant sur le lit telle une truite hors de l'eau, tant il se bidonnait. C'était un véritable rire, un soulagement de l'âme.
A la fin de son hilarité, Blake recueillit une larme de joie, qui perlait au coin de son œil.
— Merci d'être là, abruti.
— Avec plaisir, sale chieuse.
- Gigi
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