𝟎𝟑. inspector gadget
QUAND Oliver traversa le Wreck, au coude à coude avec JJ et Pope, il sentait déjà grimper en lui cette dose d'adrénaline -devenue coutumière avant chaque nouvelles aventures des pogues- qui lui piquait le derrière, comme une aiguille.
Ça avait été une souffrance sans nom que de retourner en cours après tout cela. Il avait trépigné sur sa chaise, le cerveau en ébullition, et pendant les trois heures de biologie qui avait suivi, il n'avait absolument rien écouté. Son professeur ne s'était douté de rien, après tout il avait pris des notes. Seulement, les notes en question n'avait aucune espèce de rapport avec la reproduction des oursins, non, c'était un plan de sauvetage.
Et, alors qu'il descendait vers le ponton de pêche, face au restaurant, il se sentait prêt à partir. Il aurait suffit d'un mot, d'un texto de Blake, et il aurait fait tourner le moteur de son bateau, pour la rejoindre à Nassau.
- Kiara, ça doit être prêt à dix-sept heures !
La mère de Kie, Anna, faisait les comptes sous le porche. En passant près d'elle, Oliver lui décocha un petit sourire, accompagné d'un signe de main, qu'elle lui rendit bien volontiers.
- Il y'en a d'autres qui bossent ici ! Rouspéta Kie, en clopinant par-dessus un carton qui traînait.
- Ce ne sont pas mes enfants, rétorqua-t-elle, en replongeant le nez dans les calculs.
- Je te comprends Kiara, soupira Pope, lâchant son sac sur le banc. Ça me rappelle quelqu'un.
- Bobby est sympa, objecta Oliver, en montant sur le dos du banc, juste derrière le brun.
- Ouais, quand t'es pas son fils.
Le brun se rembrunit, joignant ses mains sur ses genoux, et Oliver pinça les lèvres. Merde.
L'ambiance chez le petit génie n'était pas au beau-fixe depuis la disparition de John B. Enfin, c'était plutôt dû à l'échec cuisant de Pope à son entretien pour la bourse universitaire -qu'il avait foiré en voulant sauver les fesses des pogues ce jour-là- mais lorsqu'il en parlait aux autres, il disait toujours que c'était suite à l'accident.
Ils n'osaient rien lui dire, mais ses amis avaient parfaitement conscience qu'il mentait. D'une, car Pope -bien qu'il soit bourré d'autres qualités- était un piètre menteur, et de deux, car ils avaient tous vu l'empreinte de déception dans les yeux charbons de Bobby, lorsqu'il avait compris que son fils n'irait sûrement jamais dans une grande école.
- Alors, s'exclama JJ d'une grosse voix, vaine tentative pour briser la gêne ambiante. On va aux Bahamas ?
Les dieux lui soient loués. Oliver le remercia d'un regard appuyé, auquel le blond répondit par un clin d'œil discret.
- Y'a aucune chance qu'on foute les pieds aux Bahamas, répondit Pope, glissant une main dans sa tignasse.
- John B sera arrêté tôt ou tard, raisonna Kie. Si on veut l'innocenter, on ne peut pas perdre de temps.
- Et je sais comment !
Plus déterminé que jamais, JJ se redressa, carrant les épaules, une lueur farouche brillant dans le fond du regard.
Ce genre de comportement chez l'adolescent, n'était jamais indicateur d'une quelconque logique. Il était l'impulsivité née. Aussi, Oliver fit craquer sa nuque, un léger rictus aux lèvres;
- Laisse-moi deviner, tu veux qu'on bute Ward ?
- Mieux ! Mais, je garde ton idée comme plan B.
Claquant son pouce et son index, JJ pivota vers lui, un immense sourire illuminant son visage.
- On kidnappe Rafe.
- Pardon ? S'étrangla Pope.
Oliver, dans son dos, partit dans un fou rire tonitruant.
- Arrête de rire ! Scanda JJ. Je suis très sérieux.
Oh oui, il l'était.
Le métisse le compris quand il vit son visage tiré, et un brin vexé par la réaction de ses amis.
En effet, la pensée que son plan soit ridicule ne lui semblait pas aussi flagrante qu'à eux, car, malgré leurs airs purement hébétés, il poursuivit;
- On l'enlève, on l'attache, et on lui fout le flingue sous le nez, jusqu'à ce qu'il avoue.
Kiara plissa les yeux, tentant de garder son calme.
- Tu veux qu'on le torture ?
- C'est un super plan, affirma t-il en haussant les épaules.
Il le pensait, oh oui, il le pensait. Cette idée brouillon n'était rien, comparé aux service que le blond souhaitais réellement faire subir au fils Cameron.
Tout cela, c'était sa faute, a lui et a son putain de flingue.
Si Rafe ne s'était jamais rendu sur le tarmac ce jour-là, Peterkin serait vivante, John B ne serait pas en cavale, et, le plus important pour JJ, et ce qui lui retournait l'estomac chaque fois qu'il se perdait dans ses songes, Blake pourrait encore prendre son père dans ses bras.
Alors oui, lorsqu'il déclarait a ses amis qu'il voulait torturer Rafe Cameron, il le pensait, du plus profond de son cœur. Pour une fois, son crâne et son organe était en parfaite harmonie.
Pope passa une main sur son visage, en grondant;
- Ouais, sauf que torturer quelqu'un c'est pas ça qui va éviter la taule à John B, JJ. En fait, si t'y penses, c'est même pire.
- Pourquoi ?
Là, Oliver intervint, arquant un sourcil vers son ami blond au cerveau limité.
- Tu comptes aider JB et Bex comment, depuis une cellule, gros malin ?
JJ jeta les bras en l'air, avant de s'avachir sur le banc, un peu froissé.
- Alors vous proposez quoi les génies ? Je voulais faire simple. Vite fait, bien fait.
- Ce qu'il nous faut, l'ignora Pope. C'est un témoin.
- Un témoin ? Répéta Oli, lui accordant sa pleine attention.
Comme chaque fois qu'il était focalisé sur un plan -un bon plan, pas comme ceux de JJ ou John B- Pope balançait ses mains dans tous les sens, signe de nervosité ou d'excitation, cela dépendait des situations, et là, au vu du soubresaut de sa cuisse, Oliver aurait plutôt penché pour la première option.
- On a vu l'avion de Ward au-dessus de nous, avec l'or dedans. C'est pas lui qui pilotait. Donc, le pilote était sur le tarmac, et il a vu Rafe tuer Peterkin.
A son air décidé, ils comprirent qu'il y avait longuement réfléchi. Et, en effet, le brun avait passé des nuits entières à cogiter, allongé dans son lit, fixant son plafond terne, sur la façon d'innocenter son meilleur ami.
C'était un homme d'esprit. Il savait que, physiquement, il n'avait que très peu de chance de surpasser ses adversaires, alors il avait peu à peu affûté son cerveau -aidé, bien entendu, par une aptitude innée- comme la lame d'un poignard.
De fait, même lorsqu'il croyait John B oscillant au fond de l'océan, comme le plus appétissant des casse-croute à requins, il avait réfléchit à un millions façons de le venger. La manière légale restant sa favorite.
- On doit trouver qui était le pilote, proclama Oliver, suivant le fil, tissé et entremêlé, comme une toile d'araignée, des pensées de Pope.
Celui-ci se tourna vers lui, un petit sourire au coin des lèvres;
- Ouais, exactement, et après faut le faire avouer.
Les yeux dans les yeux, ils comprirent qu'ils étaient sur la même longueur d'onde. Une onde faible, à peine audible, diffusant une douce musique, qui restait inécoutable pour le reste de la planète.
Ils marchaient sur la même corde, tels des funambules, une corde que seules les personnes avec leurs quotients intellectuels étaient en mesure de traverser. Une corde fine, fragile, sur laquelle il fallait poser un orteil après l'autre, au risque de basculer dans le vide. Et eux, ils la traversaient, main dans la main.
Les garçons parurent le comprendre, là, sur ce banc. Comme s'ils pouvaient voir cette corde, en palper le nylon, ça avait quelque chose de presque surnaturel.
- Et comment on fait ça ? S'enquit Kiara, brisant l'instant.
Ils sursautèrent.
- Euh, répondit Pope en se grattant la nuque. J'imagine qu'on va faire de l'espionnage.
- Ouais, l'appuya Oliver, les pommettes chaudes. On passe en mode James Bond.
Kiara les examina, tour à tour, méfiante, et Pope se rapprocha d'elle jusqu'à frôler ses doigts. Oui, ses doigts, à elle, Kiara, sa petite amie, évidemment. Oliver toussota en se détournant. Les yeux mi-inquisiteurs, mi-moqueurs de JJ était braqué sur lui. Se retenant de rire, le blond dressa les sourcils.
- La ferme Maybank, grogna le métisse tout bas, en lui assénant un coup de pied.
- J'ai rien dit !
JJ frotta sa cuisse endolorie, avant de répondre à l'attaque d'un revers sur le mollet. S'en suivit une bataille des plus épiques, constituée de gifle, juron, et d'un pincement de flanc, plus ou moins fairplay, de la part du blond. Oliver s'apprêtait de nouveau à se jeter sur lui, quand Pope les héla;
- Hé les gars.
Ils se stoppèrent, tandis que leur ami se tournait vers eux, inconscient de leurs enfantillages.
- Ouais ? S'écrièrent-ils de concert.
Moues innocentes tordant leurs lèvres, la tignasse en bataille, des bleus se formant lentement mais sûrement sur chaque parcelle visible de leurs corps, ils rangèrent prestement leurs mains derrière leurs dos.
Pope les scruta un moment, avant de secouer la tête -il préférait ignorer de quoi il en retournait.
- Woogie-woogie ?
Il brandit sa main, à moitié repliée, vers eux, et les deux amis se fendirent d'un grand sourire, avançant leurs doigts vers les siens.
- Woogie-woogie bébé.
❃❃❃❃
Le soleil se couchait à l'horizon, déferlant des nuances d'orange et de rose sur les vagues en contrebas. La voiture de Kie roulait sur le pont, du Bob Marley crachant dans les enceintes, une douce odeur de noix de coco -dont Kie s'embaumait le corps, matin et soir- imprégnait l'habitacle.
La vitre baissée, le nez dehors, Oliver profitait de la vue. D'ici, les gens sur la plage lui semblaient minuscules. Quelques surfeurs s'éclataient sur les rouleaux, un type envoyait un bâton, certainement couvert de sable et de bave, à son chien. L'atmosphère était paisible.
Oliver se gonfla les poumons d'air, les cheveux balayés par le vent, un sourire reposé flottant sur ses lèvres. Après avoir franchi le pont, il décida de se rassoir convenablement, gardant un coude à l'extérieur. Une décision stupide qu'il regretta amèrement.
À l'intérieur, c'était l'effervescence, bien loin de la tranquillité ambiante, qui régnait sur cette fin de journée pour le reste des habitants de l'île.
Mise à part Kie, qui tapotait des mains sur le volant, marmonnant les paroles d'une chanson en italien -dont Oliver ne bitait rien, sa compréhension de cette langue s'arrêtant au mot "ciao"- le reste de la bande était en proie à un ras de marais d'émotions, l'affolement restant en première place dans la longue liste.
- Si gars pilotait l'avion de Ward, répéta Pope, transit par son stress, pour la quatrième fois. Ils doivent forcément très bien se connaître.
- Alors, faut être direct.
Alarmé par le ton menaçant de JJ, Oliver sauta sur son siège pour lui faire face, et, en voyant ce qu'il tenait entre les paumes, poussa une exclamation, mi-de stupeur, mi-de contrariété;
- Qui lui a filé ce flingue ?
- Bah, c'est mon flingue.
- JJ, non ! Tonna Pope, pris de vertige.
- Comment ça, non ?
Kie jeta un rapide coup d'œil dans le rétroviseur intérieur, et, sa zénitude, qu'elle s'efforçait de conserver pour éviter de faire demi-tour, et d'aller directement frapper le père Cameron -et au passage, si l'envie lui prenait, Rafe- s'envola en voyant le blond charger l'arme.
- Mais t'es dingue ou quoi ?
Son visage était complètement tordu, ce qui, en d'autres circonstances, aurait été très comique.
- Les gars, tenta-t-il de les convaincre. Faut faire parler ce gars, sinon John B est foutu.
- Oh et tu vas le faire parler avec ça ? Brillante idée, Al Pacino ! Comme ça on pourra tous finir en taule, et puis on s'enverra des cartes postales depuis nos cellules ! C'est cool, ouais, vraiment très cool. Je t'explique, il est pas question que je porte du orange, tu m'entends Maybank ? Alors donne-moi ça.
Avec une rapidité surprenante, Oliver lui retira l'arme des mains. JJ poussa un hoquet offusqué. Le métisse grimaça à la vue du flingue, et faute de savoir quoi en faire, le fourra du bout des doigts dans le bagage au dos du siège de Kie, coincé entre un paquet de kleenex, et une brochure sur les raies manta.
JJ s'enfonça dans le cuir, les bras croisés, adoptant l'attitude renfrognée d'un enfant de cinq ans à qui on aurait confisqué son camion préféré.
- Super, grommela t-il.
Les trois autres soupirèrent. La crise était passée, et le flingue hors de portée.
Sauf que, apparemment, vu qu'il se redressait soudain avec véhémence, le corps dirigé vers Oliver, JJ n'en avait pas terminé;
- Et puis d'abord, c'est quoi ton problème avec le orange mec ?
- C'est juste super moche.
Oliver détourna le regard vers sa vitre, avec un air assez coupable pour que cela attise la curiosité du surfeur;
- La vraie raison, c'est quoi ?
Pas de réponse.
- Oli...
- Okay, c'est bon ! Scanda t-il, supportant très mal la pression. Tu veux savoir ? Je vais te le dire. C'est la faute de Garfield !
- Garfield ? S'étouffa Pope dans sa bouteille d'eau, qui écoutait la conversation d'une oreille distraite. Genre, le chat, du dessin-animé ?
- Oui, exactement, ce Garfield ! C'est un démon, d'accord ? Un vicelard, gros lardon paresseux. Je le hais !
Un long silence s'installa dans le quatre-quatre, seulement entrecoupé par la respiration lourde -presque bovine- d'Oliver, qui s'était échauffé la voix à force de hurlement.
Tandis que Kie pénétrait dans un quartier résidentiel, où absolument chaque maison était identique, JJ souffla, avec un poil de circonspection;
- J'ai des questions.
- Sur le plan ou sur le Garfield satanique ? Sourit Kiara en tournant dans une allée.
- Les deux.
- Je veux pas en parler, le coupa Oliver en sentant poindre l'interrogatoire. Le traumatisme est encore trop frais.
- Quoi ?
- Waouh.
Ce fut tout ce que trouva à répondre Kie, avant de se reconcentrer sur sa conduite. Oliver, refusant de s'enfermer de nouveau dans un énième silence embarrassé, jeta un rapide coup d'œil au GPS, et détournant habilement la conversation, toussota;
- Bon, et sinon, c'est quoi le plan ? On le fout dans le coffre, et on se la joue Tarantino ? Parce qu'on arrive là.
Et pour cause, quelques mètres devant eux se tenait une maison de banlieue, tout ce qu'il y avait de plus banal: blanche, le gazon fraîchement taillé, un pick-up dans l'allée. Kiara s'arrêta sur le trottoir d'en face.
- Le plan, annonça Pope en secouant une petite boîte blanche. C'est ça.
JJ fronça les sourcils.
- Des airpods ?
- Un mouchard, soupira son ami. Je planque mon téléphone dans sa voiture, et on écoute avec les airpods.
- Excuse-nous, inspecteur Gadget, railla Oli.
-Tiens, dis quelque chose.
Il fourra son cellulaire sous le nez d'Oliver, qui s'inclina légèrement, méfiant;
- Euh, JJ sent des pieds ?
- Hé ! S'insurgea le concerné.
Mais avant qu'il ne puisse riposter, Pope acquiesça, les laissant savoir que le micro transmettait parfaitement. Un mince sourire aux lèvres, pas peu fier de son plan, il retira les écouteurs.
- Klaxonne, crie, ou fais quelque chose si tu vois un truc suspect.
Kie, qui, jusqu'à lors, fixait la baraque d'un œil perçant, se tourna vers lui et hocha la tête, puis l'inquiétude déforma ses traits;
- Surtout ne fais rien de stupide.
- Je suis pas JJ.
- Et encore une fois, hé !
Pope claqua la portière, le dos voûté, et s'élança vers la maison du pilote. Les autres l'observaient en retenant leurs souffles.
Même dévoré par la terreur de voir le propriétaire débarquer, et dans le meilleur des cas, appeler la police, ou dans le pire, se jeter sur Pope, Oliver lui faisait une confiance aveugle. Il réussirait. Ainsi se contenta-t-il de broyer ses genoux sous ses paumes, la nuque tendue à l'extrême, en priant une ribambelle de dieux pour que tout se déroule sans accroc.
- Et sinon, débuta JJ d'une voix hésitante qui n'augurait jamais rien de bon. Comment ça va avec Pope, c'est cool ?
- C'est cool, approuva brièvement Kie.
- Cool d'accord.
La prise d'Oliver se resserra, le claquement de son fémur sous ses doigts était presque audible.
Car oui, à la surprise de tous -surtout en prenant compte du fait qu'elle l'avait rejeté la veille- Kiara avait fini par répondre aux avances de Pope. Donc, officiellement, ils étaient ensemble. Oliver ne connaissait pas les détails de ce soudain retournement de situation, et il ne voulait rien en savoir.
Quand Kie avait souhaité lui en parler, il s'était rebiffé, et lui avait, plus ou moins gentiment, claqué la porte au nez -littéralement, les gonds de la porte d'entrée des Knight avait été si violemment ébranlés que, pendant une seconde, Sienna et JJ avait cru à un séisme.
Pour rester serein, Oliver tâcha de ne focaliser son attention que sur la silhouette de Pope, à peine visible, qui se frayait un chemin jusqu'au pick-up.
Bien évidemment, c'était sans compter sur le blond, et son talent inégalé pour mettre les pieds dans le plat -a croire qu'il le faisait exprès.
- Au lit, il est un peu chelou, non ? J'veux dire, c'est Pope.
- C'est quoi cette question ?
Le surfeur fit la moue, haussant une épaule.
- Je sais pas, je suis curieux j'crois.
La mine écœurée de Kie attesta que, d'une, elle n'avait aucune envie de poursuivre cette discussion plus que gênante, et deux, qu'elle remettait sérieusement en question la qualité de ses fréquentations.
- Bah arrête, parce que là, c'est trop l'angoisse.
Oliver pouvait presque percevoir le frisson de gêne spasmodique qui secouait les épaules de la jeune femme. Mais, n'obéissant à personne, JJ continua, ne la laissant pas esquiver, agitant les mains;
- Entre un et dix, tu le classes où ?
- Tu continues ?
- Ouais, j'suis curieux.
- Non, t'es lourd.
- Il est moins bien que John B ou ?
- Quoi ? Cria Kie, outragée.
Le ton de Kiara était sans appel, à la prochaine question, c'est sa main qui prendrait la peine de lui répondre, par une grande tarte en pleine tronche.
Oliver inspira, détachant ses yeux du jardin, et -par il ne savait quel miracle- trouva la force de s'interposer;
- JJ, ferme la.
- Okay.
Kie lui lança une oeillade reconnaissante dont il se détourna habilement.
Heureusement pour eux -et surtout pour la mâchoire de JJ- le supplice prit fin un instant plus tard, quand Pope, le front en sueur, se réinstalla sur son siège;
- Phase une, terminée.
Il jeta un regard oblique à ses amis, ravie, le cœur battant, et vit leurs mines contrites. Puis, l'espace d'une seconde, il se stoppa sur les phalanges d'Oliver, remonta vers les veines saillantes de son cou, et sa bonne humeur disparut.
- J'ai raté un truc ?
- Crois-moi, dit Kie en faisant tourner le moteur. Vaut mieux pas que tu saches.
❃❃❃❃
-
Pourquoi c'est lui qui le fait ?
- C'est vrai, pourquoi c'est moi ?
La nuit engloutissait les alentours, alors que les quatres ados, toujours en planque, se disputaient sur la manière d'agir désormais. Ils avaient le plan, encore fallait-il réussir à l'exécuter...
Oliver, les pieds en éventails sur les cuisses de JJ -pour détendre ses membres, engourdis par la position assise- tenait son téléphone dans une main. Du bout de l'ongle il grattait sa coque tortue ninja, anxieux.
- Parce que t'es le meilleur pour changer de voix, expliqua Pope, pour la troisième fois en cinq minutes.
- Et je fais quoi ?
- T'as qu'à parler en bourgeois, proposa Kie en prenant un air pincé, le timbre affreusement aigüe. Comme ça.
- Non, désapprouva vivement JJ. Refais plus ça, c'est l'angoisse.
Kiara lui tira la langue. JJ se massa le menton, faisant mine de réfléchir, un coude contre la portière;
- T'as qu'a faire ton truc là, la voix super grave.
Oliver plissa les yeux.
- La voix super grave ?
- Ouais, ce que t'as fait au p'tit déj hier, quand j'voulais pas te filer le lait.
Le visage du métisse s'éclaira, et un rictus narquois fendit sa bouche, tandis que Kie et Pope échangeaient un regard perdu.
Quand Oli repris la parole, c'était avec un timbre bas et profond, qui n'avait plus rien a voir avec ses accents chauds habituels.
En fait, cette voix était semblable à celle d'un octogénaire, qui aurait commencé la nicotine avant même de savoir compter;
- Tu veux dire la voix de Bowser ?
- Parfait, sourit le blond, en retenant un fou rire. Faut qu'il flippe.
Se mettant dans la peau du personnage, Oliver se redressa, le doigt prêt à presser l'icône d'appel.
- Pense Billy Loomis, se murmura-t-il. Pense à Ghostface.
Il inspira, expira, racla sa gorge, et remua le haut de son corps, de son buste à son crâne.
- Okay c'est parti, déclara t-il en appuyant.
Oliver enclencha le haut parleur, le cœur battant dans la gorge. Le flux d'adrénaline qui lui montait au cerveau l'empêchait de penser correctement. À chaque bip, son pouls tapait dans ses tempes.
- Allô ?
Il sursauta et manqua de lâcher le téléphone. Les autres gigotèrent sur leurs sièges en l'insultant sans un son. Il articula un "vos gueules" muet, avant de mettre l'appareil sous son menton;
- Hello.
Il ravala le "Sidney" qui faillit lui échapper avec un poil de difficulté.
- Gavin est ici ?
- C'est lui-même. Qui-est-ce ?
- Je sais ce que vous avez fait Gavin.
L'homme au bout du fil rit du nez;
- Vous êtes-qui ?
- Et ce qu'on fait Rafe et Ward Cameron. Vous avez menti Gavin, et quand tout le monde le saura, que croyez-vous qu'il vous arrivera ?
- D'accord, ça ne m'amuse pas. Qui êtes-vous ?
Sa gorge le démangeait, comme un si une centaine de chats des rues prenait ses cordes vocales pour un griffoir, mais, le pouce en l'air de Pope l'encouragea à poursuivre;
- J'ai de quoi le prouver.
- Dites-moi qui vous êtes.
Il ne demandait plus, il exigeait.
Sa voix était presque aussi grave que celle d'Oliver, mais la sienne était marquée d'une terrible épouvante. Quand il perçut la faiblesse, Oliver s'enfonça dans la brèche.
Tout à coup, sans même qu'il n'en prenne conscience, il ne jouait plus.
Non.
Le visage blafard de Sienna, perdant un peu plus de couleur chaque jour qu'elle passait sans son mari.
La culpabilité gloutonne, qui risquait de l'avaler et de le déglutir, rendant chaque respiration un peu plus suffocante.
Les sanglots déchirants de Blake, incapable de supporter la douleur du deuil, une nouvelle fois.
Tout ça lui explosa au visage.
Sa voix n'était plus une imitation, mais bien l'écho d'une rage sombre, qu'il tentait d'étouffer depuis bien trop longtemps.
- Vous auriez pu les sauver, gronda t-il. Et je vais vous le faire payer.
Oliver n'aurait su dire si le craquement qu'il entendit ensuite provenait de ses phalanges, ou de la vitre de son Samsung. Alors que le pilote débitait des paroles incompréhensibles, 'agressivité qu'Oliver s'efforçait de maintenir sous la surface, menaça d'émerger, et de se muer en tsunami, engloutissant tout sur son passage.
Quand il sentit un goût métallique distinct envahir sa bouche, il raccrocha, jura, et envoya valser l'appareil, qui atterrit aux pieds de JJ.
- Et bah la vache, commenta celui-ci en ramassant le téléphone. C'était carrément flippant. J'ai failli me pisser dessus.
- JJ, maugréa Kie. Tais-toi.
Pope tendit le bras et pianota sur la cuisse d'Oliver.
- Hé, ça va ?
Il plongea son visage dans ses mains, ravala la bile ensanglanté qui s'épaississait dans sa bouche, et, ignorant la question de Pope, lui en renvoya une, avec la froideur d'une montagne;
- J'imagine qu'on a fini la phase deux ?
Pope retira sa main, serrant les lèvres.
- Euh oui, maintenant on attend.
Et il ne fallut pas attendre longtemps. À peine dix minutes après l'appel, un grand bonhomme engoncé dans une chemise à carreaux -bien trop petite pour son gabarit- sortit de la maison en furie, et se précipita vers son pick-up, l'air d'avoir le feu au derrière.
- Le voilà ! Avertit Kie. Couchez-vous.
Ni une, ni deux, JJ et Oliver s'étalèrent sur la banquette, alors que les deux autres renversaient leurs sièges en arrière. Des phares blancs illuminèrent soudain la pénombre, un léger vrombissement, puis des faisceaux lumineux frôlèrent la casquette du blond, avant d'être, a nouveau, plongé dans le noir.
Oliver releva le nez, la rue était vide.
- RAS, fonce Kie !
En trois mouvements, elle avait démarré, et mit les semelles sur les pédales.
- Attends, ma ceinture ! S'écria Pope.
- Oh bordel, pesta JJ. Mais on s'en tape de ta ceinture.
- Non !
Oliver passa entre les sièges avant, chopa la ceinture de Pope et lui attacha avec un grognement. Pope croisa son regard agacé et fit la grimace;
- Merci.
- De rien. Kie, roule !
D'une pirouette du volant elle les fit sortir du trottoir, projetant Oliver sur JJ, qui se prit les quatre-vingt kilos en pleine poire.
Grâce à ses manœuvres —et a son respect minime des limitations de vitesse— ils réussirent à rattraper le pilote.
Là se jouait toute la complexité de la mission: être assez près du pick-up pour faire fonctionner les airpods, mais garder une distance de sécurité, afin que, monsieur muscles et barbecue, ne se doute pas qu'il était suivi.
C'était délicat, et si anxiogène que Kie garda les mains aggripé au volant si puissamment qu'il était surprenant de ne pas y voir figuré ses empreintes.
- Il appelle Ward, leur transmit Pope.
Kiara hoqueta.
- Sans déconner ?
- Ouais.
- Il dit quoi ? Demanda JJ, en se penchant plus que de raison vers l'oreille de son ami. Hein ? Oh ? Pope ?
- Je le saurais si tu te taisais !
Bougon, il se laissa choir sur son siège, non s'en avoir, au passage, injurié le brun de "connard".
- J'entends rien, bisqua Pope. Colle-lui au cul.
- Okay.
Le pied sur l'accélérateur, Kie les rapprocha le plus adroitement du coffre. Ça sembla marcher puisque le front de Pope se déplia, et sa ride du lion s'évapora.
- Il parle de négocier quelque chose. Enfin, de renégocier.
Renégocier ? Oliver croisa les bras. Ça, ça ne sentait pas très bon. Mais le métisse ne s'inquiéta seulement quand, dans le rétroviseur, il vit l'expression ahurie qui figeait Pope;
- Quoi ? S'enquérit-il.
- Gavin a l'arme, susurra Pope, abasourdi. L'arme de Rafe, il l'a.
- Sans déconner ?
- Sans déconner.
- Putain, siffla rageusement Kie.
JJ jeta un coup d'oeil brillant à Oliver. Il l'avait. L'arme était encore là. La preuve tangible, inéluctable, que John B était innocent. Ils devaient la récupérer, à tout prix. C'était le seul moyen de les faire revenir à la maison...
- Je pense qu'il veut le faire chanter, renifla Pope.
- Je crois qu'il s'arrête.
Au moment où Kie prononça cette phrase, le pick-up fit une embardée, se collant à droite de la route.
- Je fais quoi je me gare aussi ? Balbutia Kiara, les mains tremblantes. Qu'est-ce que je fais ?
Oliver se posta entre les deux sièges de ses amis, et posa une main encourageante sur l'épaule de la brune.
- Kie, respire. Fais le tour.
Les garçons approuvèrent vigoureusement.
La moiteur de l'habitacle n'était rien comparé à la transpiration qui déferlait sous leurs t-shirts.
La tension était si électrique qu'Oliver aurait parié sur sa collection de jeux gameboy qu'il aurait suffit d'une étincelle pour tout faire court-circuiter.
Et à vrai dire, JJ et Pope n'aidait pas à apaiser la situation;
- Plus vite Kie.
- On va le perdre.
- Je fais ce que je peux !
Elle entreprit de faire le tour, sa conduite bien moins souple qu'à l'aller, pendant que Pope vomissait un chapelet d'injures —plus qu'il n'en avait jamais dis.
- C'est quoi cette merde ? Cracha JJ, le regard vrillé au pare-brise.
Barrant la route, des ouvriers installaient des panneaux "routes coupées, déviation".
Oliver n'était pas du genre pessimiste, mais, face à cet enchaînement infernal, il vit ressortir sa Blake intérieur;
- L'univers peut vraiment aller se faire voir.
- Arrête-toi Kie, ordonna Pope. Fais demi-tour.
- Okay, okay.
La jeune femme n'était qu'un fragile corps, un peu piteux en cet instant.
Oppressée, tel un bout de plastique qui attends d'être écrasé puis recyclé, par l'angoisse de ses amis.
Elle savait que reposait sur elle la réussite de cette mission, et regrettait grandement de ne pas avoir confié le volant à Oliver -qui n'avait, notons le, pas plus de sang-froid qu'elle.
- Je recule.
Mais comme l'univers était une garce, derrière eux, les ouvriers faisaient rouler l'un de leur gigantesque tractopelle.
- C'est une blague ? S'indigna Pope.
- Si c'est une blague, on est les rois des clowns, rétorqua Oliver.
Perdant le peu de patience qu'il lui restait, JJ ouvrit sa portière, se hissant contre celle-ci, apostrophant les pauvres ouvriers;
- Hé, on recule ! Faites demi-tour !
Bien entendu, les quatres hommes en tenues oranges ne lui accordèrent même pas un regard, ce qui ne fit que redoubler son énervement;
- Vous avez que ça à foutre ? Hé Pope !
Oliver tortilla sur son siège, juste assez vite pour voir Pope se précipiter dans la rue.
Sans même avoir eu le temps de consulter son cerveau, ses jambes se mirent en mouvement: il s'extirpa de la voiture, ajusta son gilet, et se mit à galoper derrière son ami.
Kiara sortit, l'oeil braqué sur eux, posant un pied sur le goudron.
- On les suits ?
JJ haussa un sourcil, partant déjà à reculons;
- Ouais, pas le choix.
Pope sprintait à travers les jardins tondus de Figure Eight, allumant au passage chaque lampe à détecteur de mouvement, mais il s'en fichait pas mal. Oliver, dans son dos, fort de ses années de surf -et de course poursuite avec la police- suivait la cadence sans grande difficulté.
Il en était à sa troisième barrière de sautée, et, alors qu'il se disait qu'il devrait sérieusement réfléchir à s'inscrire au Jeux Olympiques, catégorie saut de haie, il se retrouva dans une villa différente des autres.
Dans celle-ci se trouvait une grande piscine, pleines de ballons et autres jeux gonflables, avec d'autres ados à l'intérieur.
L'une des filles, en bikini, assise sur les épaules d'un jeune homme, leur fit un signe de main -visiblement peu déroutée de voir deux inconnus courir dans son jardin.
- Hé Pope ! L'appela-t-elle. Salut.
- Salut.
Il ne se retourna qu'une demi-seconde, mais cela suffit pour qu'il soit distrait. Il se prit les jambes dans la balançoire, et s'étala sur le gazon dans un râle.
Partagé entre l'hilarité et l'inquiétude, Oliver hésita un moment, lorgnant sur le corps ramassé avec un brin de malice, avant de finalement le rejoindre;
- Rien de cassé ?
Le nez dans l'herbe, Pope grogna.
- A part ma dignité ?
- On la recollera, rit Oli. Allez, debout soldat.
Chopant le brun par le coude, il le remit sur pieds d'une pulsion. Torse contre torse, nez contre nez, Oliver tenta de réguler sa respiration. Après tout, il venait de courir...
- Merde ! S'écria brusquement Pope, écarquillé.
- Quoi ?
- Les airpods !
Il se jeta à plat ventre sur le gazon, tâtonnant frénétiquement la terre. Quand il mit le doigt sur son précieux bien, il détacha ses poumons dans un long soupir, avant de fourrer l'airpod à son oreille.
- Sean ? Qu'est-ce que tu fous là, enfoiré de kook.
La voix de JJ chemina jusqu'à Oliver, peu de temps avant qu'il ne les voit apparaître, Kiara et lui, essoufflés comme rarement ils les avaient vu -même après leur été chaotique, constitués, principalement, de marathon improvisé.
- Bande d'enfoirés, haleta JJ en arrivant à leur hauteur. T'as quoi, des propulseurs dans les pompes ?
- Nan, sourit Oliver. J'ai des grandes jambes.
- Bah pas moi, contre-attaqua Kie, pantelante. La prochaine fois, si tu ne m'attends pas, je te tue.
- Oui m'dame.
Leur chamaillerie fut écourtée par un bruit singulier, le glapissement de Pope, une main sur l'oreille, qui les observaient, le sang ayant quitté son visage.
Oliver fut le premier à s'en préoccuper;
- Quoi ? Qu'est-ce qui se passe ?
- Il va rencontrer Ward, bredouilla t-il.
- Maintenant ?
Il ne put répondre par des mots, se contentant d'hocher furieusement la tête.
JJ ne leur laissa pas le temps de réfléchir, plus prompt que ses compagnons, il claqua des mains;
- Oh ! Vous attendez quoi ? Faut y aller, genre, maintenant !
Les autres réagirent au quart de tour, Kie se rua sur lui, le bousculant dans le flanc, pour rejoindre sa voiture -qu'elle avait laissé sans surveillance, grande ouverte, les clefs à l'intérieur- puis ce fut à Pope, qui, une nouvelle fois, salua ses amis baigneurs. JJ et Oliver restèrent à l'arrière.
- Pourquoi est-ce que ça sent le bourbier ? Gémit le métisse.
- Parce que c'est les pogues, fit JJ du tac au tac. Là où y'a un bourbier, on y est aussi.
- Je veux démissionner.
- Pas possible.
- C'est de l'abus de pouvoir.
- Ouais.
Oliver fronça les sourcils, en le scannant d'un air dégoûté;
- Je comprends pourquoi t'as fini avec Bex, vous êtes deux gros empaffés.
- Ouais je sais, ricana t-il, avec une expression de chiot énamouré. On va bien ensemble hein ?
- Oh ta gueule.
Sur ce, il repartit vers le quatre-quatre de Kiara, suivi de près par JJ, qui continuait à déclamer à quel point son couple était chouette. Quand il partit en sucette, vers la moitié de sa tirade, et s'aventura sur leur vie intime, Oliver lui mit une balayette, si forte, que le garçon vola jusque dans une sapinette.
Ils rirent en rejoignant le reste de la bande, sans se douter le moins du monde, qu'à des milliers de kilomètres d'eux, les trois rescapés jouaient leurs vies...
- Gigi
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