𝟎𝟐. butterfly effect
C'était le chaos. La première chose qu'avait faite Blake en ouvrant les yeux ce matin-là, c'était de se précipiter à la fenêtre pour observer les dégâts que l'ouragan avait causés. Il avait fait trembler la maison toute la nuit. Une vraie calamité. Oliver était venu la rejoindre dans sa chambre, effrayé par l'ambiance apocalyptique. Une vielle manie entre eux, lorsqu'il avait peur, il dormait avec elle —après tout, c'était un gamin pleurnichard.
Le soi-disant paradis sur Terre était sans dessus-dessous. Les rues étaient couvertes de feuilles et d'autres débris, et le jardin de Adam avait été rudement malmené. Cette vision lui plaisait. Elle aimait l'idée que c'était sa venue qui avait déclenché ce cataclysme.
L'effet papillon, cette théorie selon laquelle un battement d'aile de papillon au Brésil pouvait déclencher une tornade au Texas. Blake avait toujours été fasciné par cette théorie. Aujourd'hui, en ce jour de pur chaos, elle ne pouvait s'empêcher d'imaginer que sa dispute avec sa mère avait provoqué un ouragan chez son père. Cette pensée la réjouissait, elle aimait l'anarchie, tout comme l'état de Figure Eight.
Le quartier bourgeois avait perdu son charme. C'était bien mieux ainsi, se dit-elle. Au moins cela reflétait son humeur. Elle était nerveuse, lassée et dépitée. Elle avait fait l'effort de s'habiller, l'avantage de l'île c'était qu'un simple haut de maillot de bain et un short était considéré comme une tenue lambda.
Elle se retourna vers Oliver, une expression de mère inquiète au visage. Elle l'observa fourrer nonchalamment un sandwich dans son sac à dos —sa poubelle à dos, comme elle aimait l'appeler.
— T'es sûr que tu veux y aller ?
— Oui, la rassura-t-il. Faut que j'aille voir mon grand-père, mais je vais revenir.
Il avait intérêt, elle n'était pas sûre de pouvoir s'en sortir seule. Du moins, sans tuer quelqu'un. Le grand-père d'Oliver était dans une maison de retraite, il perdait la boule. Elle savait que cette situation était dure pour son ami, c'était sa dernière famille, alors elle n'insista pas.
— Tu veux que je te dépose ?
Du coin de son œil noisette, Blake lança un regard méprisant à sa belle-mère. Un instinct la poussait à la détester. Qu'est-ce que cette femme avait de plus que sa mère ? Rien. Pourtant c'était elle qui se pavanait dans cette grande maison, alors que sa mère décrépissait dans leur taudis.
— Il peut se débrouiller seul, cracha-t-elle, dédaigneuse.
Sienna ne perdit pas son enthousiasme, agaçant d'autant plus l'adolescente.
— Je n'ai jamais dit le contraire, mais la route est longue et ce serait plus rapide en voiture.
Elle s'efforça de ne pas lever les yeux aux ciel, ou de grimacer. Elle n'était là que depuis un jour. Ce n'était définitivement pas le moment de rajouter de l'huile sur un feu déjà bien ardent.
— Ce serait avec plaisir, accepta Oliver. Mais je ne voudrais pas déranger.
Fidèle à lui-même, Oliver était charmant. Poli, serviable, un ange tombé du ciel. Le contraste avec le caractère peu avenant de Blake n'en était que plus frappant. Heureusement qu'il était son ami, et qu'elle l'aimait, autrement elle ne se serait pas retenue de lui mettre une claque.
— Sale traître, murmura-t-elle.
— Tu ne déranges pas voyons. Je t'attends dans la voiture ?
Il acquiesça sous le regard foudroyant de son amie.
— Oliver Flynn Abrams !
La menace sous-jacente de son ton n'effraya pas le métisse. Il y était habitué. Il se rapprocha d'elle, déposa un baiser sur son crâne alors que les traits de la blonde avaient pris un air mauvais.
— Je te hais.
— C'est faux, répliqua t-il. Tu m'adores. Et tu sais ce que moi j'adore ? Le cabriolet de ta belle doche !
La cabriolet rouge rutilante de Sienna. Un bijou, elle devait l'admettre. Mais peu importe, car dans l'esprit de Blake tout ce qui appartenait à cette femme était plus repoussant que du poison.
— Casse toi !
— Tu vas me manquer aussi grincheuse.
La porte claqua, le moteur vrombit, il était parti. Un calme plat régnait dans la maison. Elle n'avait aucune idée d'où se trouvait Adam, et elle s'en fichait. Elle observa les lieux méfiante, elle n'avait jamais aimé l'endroit, c'était trop luxueux, trop blanc, ça manquait cruellement de désordre. Elle avait la sensation d'être au beau milieu d'une maison témoin.
C'était étouffant, il fallait qu'elle sorte. Une balade lui ferait le plus grand bien. Même si elle n'aimait pas ça, cela valait toujours mieux que de rester sur place, à tourner en rond dans cette ambiance sinistre. Elle appelait Bohdi —son dernier allié— celui-ci rappliqua dans la seconde, sa queue fouettant joyeusement l'air.
Elle enfila ses converses noir, et attrapa son sac à dos. Elle sortit de la maison avec hâte, ne supportant plus l'atmosphère lourde qui y pesait. C'était comme si elle pouvait le sentir, elle entrait dans une pièce, et elle espérait l'y trouver. Elle s'arrêta un moment sur le palier savourant la chaleur douce du soleil qui dorait sa peau. Alors qu'elle était en train de se dire que ce n'était pas si mal, une voix l'interrompit.
— Tu vas quelque part ?
Si seulement elle avait pu la fermer.
Elle avait espéré ne pas croiser son paternel, malheureusement, comme souvent; l'univers avait choisi de l'ignorer. Il se tenait devant elle rayonnant, ses fossettes —dont elle avait hérité— creusant ses joues.
— Oui.
— Et on peux savoir où ?
La manière paternaliste dont il avait tourné sa phrase ne lui plaisait pas. Pire, ça l'horripilait, qu'il pense encore avoir le droit de se conduire comme un père.
— Me promener, Adam, répliqua-t-elle, cinglante. Je t'aurais bien proposé de venir mais, pas de bol, je suis allergique aux hypocrites.
Sur ces mots, elle le laissa. Poursuivant son chemin sur l'allée pavée qui menait à la rue principale de Figure Eight. Elle savait qu'il ne répondrait pas, soit trop estomaqué; soit trop blessé. Mais après tout, ne dit-on pas qu'il n'y a que la vérité qui blesse ?
Blake ne put que se rendre compte de la violence de l'ouragan, un seul coup d'œil à la route suffit pour qu'elle établisse un simple constat, c'était le foutoir. Un arbre d'au moins trois mètres s'était retrouvé brutalement arraché du sol, et gisait désormais en plein milieu de l'asphalte. Plusieurs oiseaux tournaient autour des immenses propriétés, menaçant d'attaquer à tout instant, la houle avait ramené de nombreux poissons et crabes sur les berges, attirant bon nombre de prédateurs.
— Paradis de mes fesses, roumégua t-elle.
Poussant un long soupir, déjà épuisée par l'énergie qu'elle allait devoir fournir. Elle avait beau être naturellement une bonne athlète, l'effort ce n'était pas son truc. Elle sauta sur le tronc de l'arbre avant d'atterrir de l'autre côté de celui-ci -avec une grâce approximative, Bhodi l'imita sans grande difficulté.
Ses yeux scrutèrent les alentours. Elle n'avait jamais franchement apprécié Outer Banks, et elle ne savait pas où aller —surtout le lendemain d'un ouragan. Billy la forçait souvent à le suivre lorsqu'il allait voir ses potes, mais elle ne les supportait pas. Une bande de jeunes cons friqués, aucune valeur de l'argent et aucune morale. Elle appréciait traîner avec eux, seulement parce qu'ils payaient ses consommations. C'était un rat, mais au moins, elle ne s'en cachait pas.
Avant qu'elle ne comprenne, ses pas l'avaient guidé jusqu'à une pelouse saccagée. Derrière celle-ci se tenait une énorme baraque, à l'architecture coloniale. Elle la connaissait bien. Elle y avait passé de nombreuses soirées, ennuyantes à mourir, ou bien diaboliquement regrettable, lorsqu'elle était plus jeune. Elle rebroussa chemin, elle n'avait pas l'énergie pour ça.
— Mini Knight ? Je savais pas que t'étais rentré au bercail.
Ce surnom. Elle fit volte-face, s'efforçant de réprimer un soupir. Premier jour, et elle regrettait déjà d'être ici. Un grand type s'avança vers elle d'un pas déterminé, un large sourire au visage.
Elle le dévisagea. Il n'avait pas tant changé en trois ans. Il avait pris du muscle, et son visage semblait moins enfantin, mais il portait toujours ses éternels polos rose —qu'elle avait toujours trouvé affreux.
C'était une rencontre qu'elle appréhendait chaque été lorsqu'elle venait ici. Non pas parce qu'elle en avait peur —Blake n'avait, pour ainsi dire, pas peur de grand chose— mais parce que ce garçon avait un don inné pour faire remonter des sentiments qu'elle avait enfoui, loin, très loin, dans un repère secret, verrouillé à triple tour .
— Pourquoi tu m'as pas prévenu ?
D'ordinaire, elle se serait contenter de lever les yeux aux ciel et de s'en aller. Mais pour une raison inconnue elle voulait l'affronter. Peut-être parce qu'elle ne l'avait pas vu depuis longtemps ? Ou, plus certainement, parce qu'elle avait besoin de défouler, et qu'il lui offrait une cible de choix.
— Peut-être parce que je ne voulais pas que tu le saches, attaqua-t-elle. Ou parce que ce que je fais ne te concerne pas, Rafe.
Son sourire amical retomba aussitôt . Le temps lui avait fait oublier que cette fille était la seule sur qui son charme n'avait aucun effet. Du moins, plus maintenant. De plus, elle n'avait aucune envie de raconter sa vie —surtout pas à lui. Elle fit un pas en arrière, tentant de s'éclipser.
— Rafe, t'as vu papa ?
Loupé. Une jolie blonde apparut derrière le garçon, une moue contrariée aux lèvres. Blake avait du mal à la reconnaître, pourtant elle ne semblait pas si différente. Trois ans, se rappela t-elle, trois ans c'est long.
— Je l'ai cherché partout, continua t-elle en avançant. Mais pas moyen de le trouv-
Ça y est. Ses yeux, d'un doux brun, quelque chose entre le chocolat fondu et le golden retriever, s'étaient posés sur Blake. Elle ne sembla pas surprise, seulement perdue.
Il y avait de quoi, après toutes ces années sans nouvelles. Elle se rapprocha doucement, comme on l'aurait fait avec un animal sauvage—ce qui correspondait assez bien à Blake— puis d'un coup, sans crier gare, elle l'attira dans ses bras.
— Hé Sarah.
Elle retenue une grimace. Sarah Cameron, la petite sœur de Rafe, n'était pas vraiment le genre de fille avec qui elle s'entendait habituellement, elle ne s'entendait pas avec grand monde, de toute façon. L'amitié entre leurs frères les avait forcés à sympathiser. Elle avait fini par s'en faire une amie, tout du moins, une copine. Chose rare. Mais c'était il y a longtemps, une éternité pour ainsi dire.
— T'es de retour ?
Si seulement elle avait pu dire non.
— Apparemment.
Cette nouvelle ravie Sarah, au vu du couinement d'excitation qui s'échappa de ses lèvres. Elle s'écarta de Blake, un immense sourire aux lèvres, qu'elle se força à lui rendre. Elle voulait être sympa, pour une fois. Après tout, la compagnie de Sarah ne pouvait pas être plus désagréable que celle de son grand frère.
— C'est génial ! S'exclama-t-elle avec un petit rire. Tu vas bien ?
— Je devrais aller mal ?
Le sourire de Sarah se tordit. Elle détourna, le regard fuyant, se mordant la lèvre. Blake savait pourquoi elle lui posait cette question, bien sûr qu'elle savait. Tout comme elle savait que Sarah n'allait surement pas aussi bien qu'elle le prétendait.
Celle-ci changea d'ailleurs vite de sujet.
— Tu fais quelque chose ce soir ?
Elle haussa les épaules, sur ses gardes —quand ne l'était-elle pas ? Elle sentit le piège se refermer lentement.
— Il y a une fête à la plage, viens.
Une fête ? Avec les amis de Sarah —les gamins pété de frique— très peu pour elle. Elle alla pour refuser...
— Mini Knight à une fête ? Pouffa Rafe, dont elles avaient oublié la présence, si charismatique qu'il était. Comme si elle savait s'amuser.
Si il y avait une chose que Blake ne tolérait pas, c'était qu'on la mette au défi —elle était très fière, et pleine d'égo. Si Rafe Cameron ne la pensait pas capable de s'amuser à l'une de ces petites fêtes de bourges, elle allait lui prouver le contraire. Et puis ça valait mieux que d'être coincée entre son père et sa belle-mère toute la soirée.
— Je serai là.
- Gigi
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