
𝟎𝟏. surprise, motherfucker
Elle regrettait. Pourquoi avait-il fallu qu'elle choisisse les Outer Banks ? Peut-être car elle n'avait pas d'argent, plus de maison et que d'une certaine manière, c'était son dernier foyer ? Sûrement les trois.
Oliver n'avait pas réfléchi une minute, il avait démarré le bateau à la seconde où elle lui avait donné une destination. Blake était imprévisible, au fur et à mesure de leur relation, Oliver s'était calé sur son rythme. Il était ce genre de personne, loyal, dévoué —souvent trop. Il donnait toute la confiance dont elle était incapable.
Blake regardait les alentours, assise à l'avant du bateau. Du bleu, absolument partout. Elle s'était toujours sentie étrangement hypnotisée par l'océan, ses profondeurs renferme de nombreux secrets, tout comme elle . Ces mouvements l'apaisait, elle se forçait à se focaliser sur l'eau, tentant d'oublier leur arrivée imminente sur l'archipel.
— Terre en vue, avertit Oliver, lunettes sur le bout du nez.
Ces mots étaient simples, innocents. Pourtant ils tordirent l'estomac de la blonde, si fort qu'elle se pencha au-dessus de l'eau, prête à cracher son dernier repas. Rien ne sortit. Elle aurait souhaité vomir, expulser sous forme physique toute son angoisse mais, même ça, on s'obstinait à le lui refuser. Oliver derrière elle, s'amusa de la scène. Sadique.
— Et bah alors, on a le mal de mer ?
— La ferme.
Un rictus moqueur étira ses lèvres. Il se retenait difficilement de rire. Blake se laissa retomber lourdement sur le sol, le foudroyant du regard. Pauvre con, pensa-t-elle. Cette situation lui plaisait beaucoup, il avait rarement, voire jamais, l'occasion de la voir montrer un semblant de faiblesse, et c'était rassurant de constater que quelques fois, elle aussi, pouvait craquer.
Elle se sentait lamentable, son corps la lâchait —-ce vieux traître— à cause de quoi ? De son père ? Ce salaud ne pouvait pas l'angoisser, impossible. Peut-être était-ce l'idée de revoir la maison ? Ce n'était pas chez elle, c'était chez Billy. Poser les pieds là-bas, c'était comme marcher sur les lignes ennemies.
Mais après tout, , avait-elle déjà seulement eu un chez-elle ? Elle avait grandi à Miami, pourtant elle ne s'y était jamais sentie à sa place. Le luxe, la folie des grandeurs, toutes ces choses qu'elle exécrait. Peut-être était-ce là son problème, elle ne se sentait à sa place nulle part.
— On va amarrer clocharde, prépare tes intestins.
Son corps partit brusquement en avant, son front cogna à un caisson. Elle lâcha un grognement, pouvant être qualifié de préhistorique, maudissant la conduite —si on pouvait appeler cela conduire— d'Oliver. Elle releva la tête, ses yeux tombèrent sur un panneau. Il était vieux, abîmé et sa peinture bleu-vert défraîchie rendait à peine lisible son contenu.
— Outer Banks, réussit-elle à lire en plissant les yeux. Un paradis sur terre.
Ils étaient arrivés. Oliver avait déjà les pieds à terre, s'évertuant à attacher le bateau. Elle attrapa son sac à dos, seul bagage qu'elle possédait. Elle sauta sur le ponton, suivit par son chien qui semblait avoir bien mieux vécu le voyage qu'elle.
Elle observa le paysage avec une expression craintive et peu aimable, comme à son habitude. Elle n'aimait pas ça, elle était en terre inconnue —du tout exagérée n'est-ce pas ? Son cœur était serré, elle appréhendait la suite.
— On se met en route ?
Il ne reçu pas de réponse. Elle s'était déjà éloignée, le regard dans le vide. Il poussa un long soupir, attrapa son propre sac —un espèce de vieux tissu noué par deux bout de ficelle— et courut derrière elle.
Aucun mot ne fut prononcé. Ils marchaient sur l'asphalte dans un silence angoissant. Oliver était inquiet, Blake avait toujours quelque chose à dire —une vraie mégère— mais là elle semblait perdue, loin, très loin, dans ses pensées.
Ses converses foulaient le sol d'un pas traînant. Elle tapa dans un petit caillou, l'envoyant valser. Elle jeta un regard autour d'elle, cet endroit n'avait pas changé. Malgré la pluie tropicale qui commençait à tomber, les lieux restaient paradisiaques. Les palmiers penchaient légèrement vers elle, comme s' ils étaient heureux de l'accueillir. C'était bien les seuls.
Blake avait toujours pensé que le jour où elle remettrait les pieds sur cette maudite île, ce serait pour toucher l'héritage de son père —elle était pragmatique. Pourtant elle était bien là, pas vraiment par choix, remontant la route du quartier de Figure Eight. Le quartier des bourges, celui de son père.
Au bout d'une quinzaine de minutes, très longues minutes, elle vit apparaître avec soulagement la maison en pierre blanche de son paternel. Elle semblait encore plus grande que dans ses souvenirs, peut-être l'était-elle ? Elle leva les yeux aux ciel, "trop tape à l'œil" se dit-elle. Arrivée devant l'imposante demeure, elle hésita. Elle aurait dû téléphoner ? C'était ce que les gens civilisés faisaient, n'est-ce pas ?
Elle haussa les épaules, après tout elle n'avait jamais très civilisée. Cependant elle ne semblait pas prête à faire un pas de plus, elle était tétanisée. C'était sûrement une immense connerie, elle pouvait toujours rebrousser chemin, rentrer à Miami. Oui mais après ? Elle retournerait à sa vie d'avant ? Plutôt mourir. Mais alors que devait-elle faire ?
Heureusement, elle ne put y réfléchir plus. Oliver l'avait déjà dépassé, se dirigeant d'un pas confiant vers le palier. Si d'ordinaire, il était le plus raisonnable d'entre eux, à cet instant il n'en avait plus rien à faire. Il était épuisé, frissonnant, et il sentait ses mains geler au contact du vent qui s'élevait. Il venait de Miami, il n'était pas taillé pour les climats froids.
La pluie était devenue ingérable en très peu de temps. Après tout, ils le savaient, un ouragan allait frapper l'archipel dans la soirée. La radio n'avait cessé de le répéter durant tout leur trajet, cependant cela ne les avait pas arrêtés, ils étaient courageux, ou, plus vraisemblablement, inconscients.
Elle finit par accélérer le pas, suivie de près par Bodhi. Son chien semblait aussi éprouvé qu'elle —voir d'avantage— par l'averse, il grelottait, des pattes au museau, s'ébrouant constamment. Elle grimpa les marches du palier, rejoignant un Oliver qui s'évertuait à réchauffer ses mains, les frictionnant frénétiquement. Elle leva sa main, prête à toquer sur la porte, mais celle-ci resta suspendue en l'air.
La porte blanche lui faisait face, un nouvel obstacle, une nouvelle hésitation. Elle ne voulait pas revoir son père, ce traître. Elle venait quémander son aide, et ça, elle ne supportait pas. Demander de l'aide, pour Blake, avait toujours était signe de faiblesse. Elle ne voulait pas être faible.
— Oh c'est pas vrai, grogna son ami. Frappe à cette putain de porte Bex !
Alors son poing s'abattit. Elle le retira immédiatement, mais c'était trop tard. A peine eu t-elle le temps de regretter que la porte s'ouvrit, laissant apparaitre une femme absolument sublime. Elle n'avait pas changé, grande, mince, brune, tout le contraire de sa mère. Son père avait changé de goûts autant en matière de femme qu'en niveau de vie. Elle était parfaite. Trop parfaite pour être sincère.
Son sourire accueillant s'évanouit, lorsqu'elle vit sa belle-fille sur le pas de sa porte.
— Avoue, sourit maladroitement la blonde. Tu t'y attendais pas à celle-là.
— Blake ? Mais qu'est-ce que-
Ses yeux, aussi noir que le charbon, passèrent plusieurs fois sur les deux amis et leur compagnon canin. La surprise dépeignait ses traits. Blake était déconcerté de voir qu'elle n'était pas contrariée, juste un peu perdue. Son visage s'éclaira finalement, elle avait terminé de traiter l'information.
— Bon sang. Il pleut des cordes, rentrez vous allez être trempés.
Elle se garda de lui dire qu'ils l'étaient déjà, ravalant sa mauvaise humeur. Pour le moment. Elle s'insinua dans la maison avec réticence, et fut accueillie par des effluves de vanille, son parfum. Un poids lourd appuya sur son cœur. Son instinct lui hurla de s'en aller, de fuir cette maison, son père et tous les souvenirs. Elle clôt ses paupières, tentant de reprendre le contrôle sur ses jambes fuyardes.
— Canaille ?
Cette voix familière, elle l'aurait reconnu entre mille. Elle était trop douloureuse et irritante. Mais elle n'aurait jamais pensé la réentendre un jour —à part dans un cauchemar. Elle se retourna lentement, mordant sa langue durement. Il se tenait devant elle, un sourire éclatant étirant ses lèvres.
Il était ravie, pas elle.
Trois ans, c'était long. Il y a trois ans, rien de tout ceci n'aurait été aussi pénible. Il y a trois ans, il aurait été là, à lui tenir la main. Sa seule présence aurait apaisé toutes ses angoisses, mais il n'était pas là, et tout était devenu insurmontable.
Son père avait changé, elle aussi. La dernière fois qu'elle l'avait vu, elle avait quatorze ans. Elle faisait une tête de plus qu'à l'époque. Quant à lui, il avait désormais des cheveux poivres et sels. Elle était forcée d'admettre que ça lui donnait un certain charme.
Ça aurait été plus simple de sourire, mais elle n'y arriva pas. Ses lèvres étaient figées en une moue blasée —son expression favorite— alors que Adam lui offrait sa mine la plus radieuse. Elle aurait pu lui arracher son sourire agaçant en un commentaire cinglant dont elle seule avait le secret, mais elle se retint.
— C'est vraiment ma petite fille ? S'écria t-il. C'est dingue ce que t'as changé, j'ai failli pas te reconnaître.
Oh, comme c'était étrange. Elle n'avait plus la même physique qu'au collège ? Normal à dix-sept ans.
— Pas moi, t'as toujours la même tête.
De con, ravala t-elle. Elle le laissa avancer, hors de question qu'elle bouge.
— Je sais, je suis toujours aussi beau.
— Désolée d'interrompre le moment, s'interposa Sienna. Mais qu'est-ce que tu fais là ma belle ?
La question qu'elle redoutait. Elle avait eu tout le trajet à bateau pour penser à sa réponse, pourtant rien ne lui venait. Elle savait mentir, c'était même sa spécialité, alors pourquoi se retrouvait-elle muette ? Elle se sentait oppressée, elle ouvrit la bouche plusieurs fois, elle avait l'air d'un poisson sorti de l'eau.
— En fait Blake pensait vous rendre visite, intervint Oliver. Vous savez pour...L'anniversaire ? On aurait dû vous prévenir désolé c'est de notre faute.
Son sauveur. Le sourire charmeur de son meilleur ami marchait toujours sur les adultes, et cette fois ne fit pas exception. L'excuse qu'il avait trouvé ne plaisait pas à Blake, se servir de ça, c'était immoral. Mais elle devait reconnaître que c'était rudement efficace. Sienna et son père échangèrent un regard gêné.
— On peut toujours repartir, marmonna Blake avec hostilité.
— Non ! S'écria son père, affolé. Vous pouvez restez, tu es ici chez toi.
C'était faux, mais Blake s'en contenta. Elle héla son chien, monta les escaliers sans plus de formalités. Elle entendit Oliver s'excuser pour elle. Qu'importe, Adam avait accepté, elle n'avait plus besoin de faire semblant.
- Gigi
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