𝟓.
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Vidé. Taehyung se sent exténué après cette journée éprouvante. Sa confrontation avec le platiné se rembobine inlassablement dans son crâne comme un film au point de l'épuiser encore plus qu'il ne l'est déjà et c'est à peine s'il avait ingurgité quoi que ce soit à l'heure du dîner tant il est contrarié. Son repas s'était résumé à trifouiller sa nourriture avec sa fourchette et à dévisager cette dernière avec une indifférence totale. Il avait picoré un peu, de minuscules bouchées avant d'abandonner, son ventre était trop douloureux pour pouvoir supporter une portion de pâtes supplémentaire. Le programme télévisé du soir, un drama répondant au nom de First Love, n'arrive pas à le détourner non plus de ses pensées maussades. Il regarde cet écran cathodique sans vraiment le faire, de cet œil explosé à force d'avoir pleuré jusqu'à l'épuisement, n'ayant que faire de ce qui se passe face à lui. Et l'heure défile lentement, beaucoup trop lentement. Le son de l'aiguille des secondes dans l'horloge accrochée sur le mur de son salon rythme ses songes qui vont et viennent, de ce cœur qui bat faiblement et de cette respiration à peine audible. Tout autour de lui semble nouveau et familier à la fois. Réconfortant, mais tout de même morose.
Après un énième soupir depuis qu'il a regagné son appartement, Taehyung décide d'éteindre la télévision, ne voyant aucun intérêt de continuer de mater cette émission qui n'avait pas su captiver la moindre seconde son attention. Les personnages sont remplacés par un trou noir et leur dialogues sombrent dans le silence le plus complet. Il ne reste plus que Tae, ce « tic-tac » constant et sa conscience bousculée, criblée de bruits parasites qui l'empêchent de voir clair en cette nuit noire.
Il se lève de son canapé en cuir et rejoint sa salle de bain avec nonchalance, avec appréhension. Une fois la lumière allumée, cette une pièce carrelée de gris anthracite du sol aux murs, composée d'une douche italienne, apparaît à lui. Dans cette salle de bain, où il adorait passer des heures à se préparer, se trouve un nouvel adversaire à combattre : son reflet. Taehyung avance à pas feutrés, amoindrit les mètres qui le distancent de son évier. Lorsqu'il est enfin tout proche de la glace, Tae reste un moment à se contempler, redoutant les prochaines minutes.
Son souffle devient fébrile, l'anticipation monte en flèche. Ce serait mentir de dire qu'il n'est pas effrayé à l'idée de revoir ce visage déformé, cette difformité qui est sienne et qu'il refuse d'accepter. Pourtant, l'ancien mannequin ose. Un soupçon d'audace s'empare de lui et guide ses gestes, manipule ses mains chevrotantes pour défaire ce bandage imposant. Cette peur viscérale s'épanouit en lui, dans chaque cellule constituant son corps, à mesure que sa chair se retrouve à nu. Taehyung ferme son œil, la terreur à son paroxysme alors qu'il ne lui reste que quelques bandages à ôter. Une fois sa peau entièrement à l'air libre, il attend un peu. Juste le temps que cette crainte redescende, qu'elle soit un minimum tolérable. Une fois ce court laps écoulé, une fois la mer devenue marée basse...
Il ouvre alors son unique paupière.
Sans surprise, Taehyung peine à respirer à la vue de toutes ces cicatrices et boursouflures que présente son faciès. Il ressemble à un être humain qui aurait muté au contact d'un élément radioactif, à une très mauvaise version de la créature de Frankenstein. Ce dernier au moins, il avait gardé ses deux yeux en parfait état. Pas comme lui qui s'en était crevé un en cours de route. Il ne s'était pas raté sur cette autoroute et une fois de plus, cette vision d'horreur lui rappelle violemment qu'il ne pourra plus exercer son métier, ni quoi que ce soit qui se rapporte à l'esthétisme. Le souffle court, il pivote légèrement la tête à droite puis à gauche, tout en scrutant chaque marque, tout en combattant sa répulsion.
Hae, son infirmière attitrée, lui avait confié peu de temps avant son départ de l'hôpital qu'il pourrait par la suite, s'il le souhaite, retenter la greffe s'ils parviennent à trouver un donneur compatible et qu'un oculariste pourra lui fabriquer une prothèse oculaire pour combler le trou béant laissé par l'accident. Qu'il pourra même choisir la couleur de l'iris, s'il désirait la personnaliser un peu pour égayer son visage. Cela avait touché Taehyung malgré l'apathie qu'il lui avait témoigné à ce moment-là, comme s'il s'en fichait de ses explications.
Néanmoins, même si cette solution pouvait réparer légèrement les dégâts que cet incident lui avait causé, l'ex mannequin reste sceptique. Même avec ces transformations apportées, il portera pour le restant de sa vie les marques indélébiles de cette journée traumatisante, dans sa chair et dans son esprit. Absolument rien ne changerait. Il fait juste preuve de réalisme, non de fatalisme et il n'est pas sûr que son avis évoluera par la suite.
Tant qu'il se sent encore capable, Taehyung procède à la toilette de son visage avec délicatesse et prudence à l'aide d'un gant. Cinq minutes plus tard, après avoir rincé celui-ci, il s'empare de sa serviette et sèche sa peau, tout en procédant aux mêmes manœuvres. Délicatesse et prudence. Deux mots d'ordre qu'il devra incorporer dans son vocabulaire et dans ses habitudes dès maintenant, s'il ne veut pas que cette partie endommagée craquèle ou attrape une infection. Il essuie en douceur sa peau, la frotte...
Quand soudain, la léthargie le foudroie. Son corps cesse de fonctionner, paralysé, le nez niché dans le tissu duveteux. Son cerveau, quant à lui, se remet à turbiner, à réfléchir plus qu'il ne le devrait en cette heure tardive. Sa querelle inopinée avec le platiné repasse pour la cinq centième fois dans sa tête, une fois de trop, toute sa capacité de mémorisation se concentre sur cette dernière, sur cet instant avant qu'il parte de l'immeuble où loge les locaux de Némésis Corporation. Sur ces bribes de mots qu'Hoseok lui a crachouillé au visage, l'haleine polluée de nicotine, alors qu'il n'écoutait pas, ou de moins ne le semblait pas.
Le souvenir revient. Clair, net, concret. Impeccablement distinct.
La scène se rejoue sous son œil gris bleu, comme s'il le revivait en temps réel.
« Estime-toi heureux d'en être ressorti en un seul morceau, Adonis. Parce qu'en temps normal, je ne rate jamais ma cible. Ma fureur ne prend fin que lorsque j'atteins mon objectif. Je te le répète : j'aurais aimé que tu crèves. Mais, au vu de ton état... Te voir souffrir est plus jouissif que d'apprendre que ton corps a calciné dans ta bagnole. »
Délicatesse et prudence, il s'était dit. Délicatesse et prudence.
Alors pourquoi ses doigts longilignes s'enfoncent progressivement dans sa serviette ? Pourquoi son visage se compresse de plus en plus entre ses paumes au point d'en avoir mal ? Quelle est donc cette émotion extrême qui se propage en lui, qui embrase sa poitrine ? De la tristesse ? Non, il l'avait déjà expérimenté sous toutes ses formes. De la colère ? Non... C'est un ressenti bien plus acéré qui est en train de l'emporter à contre-courant. La nécessité urgente de tout saccager. De tout ruiner de ses mains. De hurler, encore, encore, et encore, plus fort pour relâcher toute cette énergie mauvaise qui rampe en lui sournoisement. De massacrer le premier venu qui oserait l'embêter jusqu'à ce que le sang gicle pour apaiser son courroux. C'est un émoi bien différent de la colère qu'éprouve Taehyung. De la furie. Voilà donc avec exactitude quelle sorte d'agitation fait vibrer l'entièreté de cet homme qu'on a tenté de tuer par pure jalousie et rancœur. Que cet enfoiré d'Hoseok a essayé d'exterminer de sang-froid. La serviette recueille un premier hurlement du châtain, éperdu et déchirant. Un deuxième s'extirpe de son gosier puis un troisième, qui manque de peu de briser sa voix.
Puis vient le silence. Un silence inquiétant où Taehyung comprend enfin qu'il s'est fourvoyé pendant tout ce temps.
Le mannequinat, cet univers qui semblait tellement captivant et facile à vivre pour lui, ce monde où il avait trouvé toute l'adoration et l'attention dont on l'a cruellement privé dans sa jeunesse, cet univers luxueux où tous les vêtements et produits coûteux sont à portée de main...
Tout ça n'est que supercherie. Un ramassis de conneries. Un milieu où il n'aurait jamais dû mettre le pied et qui l'a condamné.
Lento, Taehyung relève la tête et pointe son regard droit sur son reflet, une perle salée solitaire dévalant sa joue. Il découvre son visage, sans se détourner, sans ressentir d'écœurement vis-à-vis de son propre reflet. Peut-être que Tae porte désormais l'empreinte du Malin sur le visage, mais il s'agit là de la preuve irréfutable qu'il a contrecarré le plan de la Faucheuse grâce à sa soif de vivre. Qu'Hoseok a lamentablement échoué dans sa tâche. C'est une véritable fierté d'avoir survécu. Pas besoin de tous ces prix de beauté et de toute cette myriade de compliments qui, pour la plupart, devaient être faux. Versace, Ralph Lauren, Lagerfeld, Chanel : ces grandes marques de mode qui le faisaient saliver il y a encore quelques semaines, l'indiffèrent complètement. Taehyung n'a plus besoin de tout ça, maintenant. Puis, jamais plus il ne retournerait jouer les Adonis sur les podiums. Tout ça est terminé.
Mais il ne compte pas laisser le platiné s'en tirer aussi facilement. Oh que non. Maintenant que la bête frétille, que le papillon a ressuscité pour se métamorphoser en cobra royal indomptable, Taehyung ne va pas se laisser faire. Triompher là où il a merdé. Parce qu'à présent que cette furie ruisselle dans ses veines, elle ne s'épuisera que lorsque vengeance sera faite.
— Une carrière dans le cinéma d'horreur, que tu disais...
Il ouvre le premier tiroir à droite de son évier et en ressort une grande paire de ciseaux, dont les lames reflètent la lumière qui émane du lampadaire juste au-dessus de lui. Il coince entre la pulpe de ses doigts une mèche de ses cheveux puis approche le ciseau de celle-ci, dans un mouvement résolu.
— Attends-toi à avoir un rôle de prestige dans le slasher où nous serons tous deux acteurs principaux, petite mégère. Moi, l'Erinye sanguinaire...
La mèche chute dans l'évier.
— Toi, mon souffre-douleur que je vais envoyer de l'Autre Côté, sans l'ombre d'un regret, conclut sombrement l'ancien modèle.
Le décompte funèbre est lancé. Il lui reste moins de deux semaines pour mettre son plan à exécution. Adonis cède son trône pour une nouvelle souveraine.
Adonis n'est plus. Appelez-le dès à présent Tisiphone et craignez sa fureur démentielle.
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