LXVIII
Quatre pattes marchaient rapidement derrière une valise noire, essayant tant bien que mal de l'attraper comme le ferait un chat avec une boule de laine. Un râle de son maître et l'animal stoppa, le suivant maintenant tranquillement parmi la centaine de personne qui les entourait, allant dans la même direction qu'eux. Valises de toutes les couleurs, parasols sous les bras, chapeaux sur le haut du crâne mais une doudoune sur les épaules pour supporter le soudain changement de température. C'est vrai que de passer de trente à dix degrés en trois heures était parfait pour attraper un rhume en ce début d'automne. Lui, avait tout prévu, avant d'embarquer s'était changé pour mettre un jean et un pull beige, adieu les shorts et débardeurs. Après un ou deux kilomètres à trimbaler sa grosse valise et son sac à dos dans l'immense bâtiment, il sortit enfin respirer l'air frais de la Corée-du-Sud qui lui avait tant manqué. Le visage en l'air, il laissa le soleil taper sur sa peau légèrement bronzée avec un grand sourire soulagé. Puis sa main vint prendre son téléphone dans sa poche de veste, Iphone 8, nouvelle SIM, et regarda l'heure : dix-heures deux. Très bien, il avait encore deux heures pour rentrer poser ses affaires. Alors tranquillement, il se remit en route vers un arrêt de bus en direction de la capitale, jetant parfois des regards à son chien doré pour voir s'il le suivait bien. Aucun problème, lui aussi était impatient de retrouver son second maître après un an de séparation. Le car arriva, ils montèrent et partirent pour une trentaine de minutes de route. Mais le voyage semblait long, les passagers calmes, les paysages serin, forêt jaune et rouge, entourant l'autoroute, alors il ne put s'empêcher de somnoler un peu et l'excitation de revoir son amour ne put combattre sa fatigue.
Quelque chose d'humide lui lécha le visage, le réveillant désagréablement en un petit sursaut, puis il râla en repoussant la chienne pour qu'elle descende des sièges. Les passagers sortaient l'un après l'autre du bus, lui faisant remarquer qu'ils venaient d'arriver à destination, merde ! Heureusement qu'il s'était fait réveillé sinon il partait pour Busan, une ville tout au Sud. Il se dépêcha alors de reprendre ses affaires, valise et sac, puis de descendre à son tour. La prison ne se trouvait pas dans cette partie de la ville, de toute façon il n'en avait rien à faire car il devait passer poser ses affaires chez lui. Alors c'est ce qu'il fit, il parcourut les rues en compagnie de son animal préféré, passa devant son bureau de tabac favoris où le propriétaire fumait devant, adossé à l'encadrement de la porte d'entrée. Vieux crouton de soixante-ans, peau ridée, yeux noires et origines indonésiennes, lui fit signe d'un coup de main, avant d'engager la conversation :
— T'étais passé où ?! Ca fait tellement longtemps qu'on s'est pas vu ! Je t'offre un paquet de clope ?
— Ah non ! J'ai arrêté de fumer.
— C'est vrai ? Depuis combien de temps ?
— Bientôt un an.
L'homme haussa des sourcils surpris avant de lâcher un rire gras, c'est ça c'est ça. Les yeux levés au ciel et il continua son chemin, en profitant pour observer à quel point le coin de la ville où il traînait avant avait changé. Certains bâtiments étaient en travaux pour une remise à neuf, certains avaient disparut, laissant place à un parc fleuri. Il passa dans la rue où se trouvait son ancien logement, mais l'immeuble avait été rasé, il n'y avait plus rien, seulement du chantier pour sûrement construire un remplaçant. Ce n'était pas plus mal, les marques du passé s'estompaient. Khundas trottinait devant lui en battant de la queue, totalement épanouie d'être de retour, remarquait son territoire en lâchant son urine par-ci par-là. Arrivés dans la rue de son refuge, quelques maisons avaient changé de crépis, de toit, une véranda de rajoutée. C'est vrai qu'il aurait pu prendre un taxi ou un bus de ville pour retourner chez lui au lieu de marcher plus d'une vingtaine de minutes, mais non, il voulait profiter. La chienne courut jusqu'à leur portail noir et le gratta avec une hâte immense de retrouver son lit. Elle fut la première à poser une patte à l'intérieur de la cour lorsque son maître ouvrit ce dernier, et elle se remit à courir à toute allure vers la porte d'entrée où la même action se passa. L'adulte déposa sa valise et son sac dans le salon et s'empressa d'ouvrir les stores afin que la lumière céleste fasse elle aussi son retour chez lui. Gamelle et verre d'eau remplient, les deux buvant en même temps jusqu'à la dernière goutte. Son regard sombre balaya doucement le salon, la poussière et les araignées avaient bien élue domicile alors la première chose qui sera à faire en rentrant, sera bien sûr le ménage. Mais cela attendra, il y avait quelque chose de bien plus important. Et pour prendre ce quelque chose, il reprit son sac à dos, le déposa sur le plan de travail de la cuisine et sortit une enveloppe blanche de la première poche. Il l'observa avec un immense sourire puis la coinça à l'intérieur de sa veste, comme si c'était une des choses les plus précieuses au monde. Il ouvrit ensuite tous les autres stores de la maison avec une joie immense, surtout en regardant la chambre de son petit-ami qui n'avait pas changée d'un poil. Ceci fait, il s'occupa jusqu'à onze heures trente à faire des machines de linges, de ranger sa valise et son sac comme si rien ne s'était passé. La chienne s'était endormie sur le canapé du salon, finalement, il n'allait pas l'emmener le chercher avec lui, mieux vallait la laisser se reposer. Lorsque l'heure ultime arriva, il retourna dans la chambre de l'adolescent, ouvrit un tiroir d'un de ses meubles pour prendre sa pierre de Lune et son téléphone, les mit dans ses poches de manteau puis partit de la maison.
Pendant le chemin pour la prison, mains coincées à l'arrière de son pantalon, sortant souvent pour saluer des connaissances, il se dépêchait tout de même avec le cœur battant de stresse, d'excitation et d'amour. Ce gamin lui avait tellement manqué et aujourd'hui, il allait enfin pouvoir le revoir, le toucher, l'embrasser, faire tout ce qu'il n'a pas pu durant un an. Le ciel se tintait d'un bleu clair illuminé par le soleil comme un temps d'été mais avec une vingtaine de degrés de moins. Une légère brise s'engouffrait dans ses cheveux ébène, les emmêlant sans pitié pour leur propriétaire qui ignorait complètement à quoi il pouvait ressembler car le physique était le cadet de ses soucis. Pour le moment, il ne fallait absolument pas qu'il loupe midi, alors il accéléra le pas pour être sûr d'être présent à sa sortie. Il ne voulait absolument pas louper ça. Pendant sa course en direction de la prison, il ne pensait qu'à Taehyung, Jimin avait complètement disparut de son esprit comme si il ne l'avait jamais côtoyé, connu. Maintenant, il se sentait beaucoup mieux qu'avant. La drogue, l'alcool, le tabac, il avait tout laissé de côté pour rester le plus longtemps possible auprès du jeune car les deux étaient devenus dépendant l'un de l'autre. Il trouvait qu'il devenait de plus en plus niais, mais au pire, il s'en foutait car il savait que le petit en avait besoin pour se sentir mieux dans sa peau. Lorsqu'il fut arrivé à l'entrée de la prison, qu'il avait empruntée déjà deux fois, il s'adossa à un mur de maison juste en face. Encore quelques minutes. Pendant ce temps, son esprit divaguait un peu dans tous les sens.
Il se revoyait deux ans en arrière, sortir de ce bâtiment, regarder le ciel enragé en soufflant de soulagement, s'ébouriffer les cheveux avec une main dans sa poche de pantalon, puis de partir à droite pour suivre la route bétonnée à travers les quelques maisons de ville. Sauf qu'aujourd'hui, il ne partira pas à droite, non, il partira à gauche sous un ciel azur. La gauche pour un nouveau chapitre de sa vie, une nouvelle histoire pour poursuivre celle qui venait de se terminer. Une porte grinçante l'interrompit dans ses pensées, et il fixa l'entrée à quelques mètres de lui. C'est alors qu'un immense sourire naquît sur ses lèvres lorsque la fine silhouette de Taehyung sortie, vêtu d'un pantalon noir et d'un manteau blanc, lui dévorant la moitié du visage à cause de la fourrure. Son cœur fondit, il n'avait pas changé, ses cheveux gris ondulés, son air innocent et ses yeux bicolores étaient toujours présent, ce physique qu'il avait toujours aimé et accepté malgré sa différence. Mais bientôt cette différence, celle qui lui avait permis de se rapprocher, allait bientôt disparaître et tout, absolument tout pourra repartir sur de bonnes bases et plus rien ne pourra les ramener au passé.
— JUNGKOOK ! Hurla le jeune en se précipitant vers lui afin de lui sauter dans les bras et le serrer autant qu'il pouvait.
Ses jambes entourèrent les hanches de l'adulte en réfugiant son visage dans son cou pour respirer après tout ce temps l'odeur qui lui avait tant manqué. Celui-ci le tint par le dos et le serra lui aussi afin de lui montrer à quel point il tenait à lui, qu'il lui avait manqué. Il le berça, l'embrassa dans la nuque, sur les tempes, sur le front, les lèvres pendant quelques minutes. Ce fut à Taehyung de se séparer, et de descendre le premier afin de le regarder, la tête un peu relevée à cause de la petite dizaine de centimètre qui les différenciait, avec des yeux émerveillés, heureux, complètement amoureux. Jungkook attrapa ses petites mains dans les siennes, lui rendant le même regard avec un sourire incontrôlable puis demanda :
— Tu vas bien ?
— Maintenant beaucoup mieux, le temps était tellement long sans toi...
— Je suis désolé, il fallait que je parte. Tu recevais mes lettres ?
— Oui, mais j'ai pas eu le droit de te répondre ni de les garder... Mais j'attendais toujours la prochaine et c'est ça qui m'a aidé à tenir là-bas.
— Ca me rassure alors, tu t'es fait des amis ? Comme tu m'avais dit ?
— Ouais ! Il s'appelle Taehyun en plus ! Presque comme moi ! Mais il a encore deux ans alors on se verra plus, il gonfla les joues et Jungkook piqua son doigt dans une pour faire exploser.
— Mais si tu le reverras, on retrouve toujours ceux qu'on a aimé.
— Arrête on dirait tu vas mourir d'ici peu. L'adulte ria en remettant une mèche de cheveux grise derrière sa petite oreille. Bref t'es aller où du coup ? Je veux touuuut savoir en détail !
— Je t'ai déjà dit où je suis allé dans les lettres !
— J'ai oublié, il fit un grand sourire innocent en plissant le nez, ses yeux ne faisant plus qu'un seul trait. Jungkook roula les siens dans un sourire.
— J'ai fait le tour de plusieurs pays dans le monde entier, dont certains où je t'emmènerai.
— C'est vrai ?! Lesquels ?!
— La Chine, la Thaïlande... La France aussi, mais on sera obligé d'y aller de toute façon.
Le jeune pencha légèrement la tête sur le côté pour montrer son incompréhension, pourquoi obligé ? L'adulte sourit d'autant plus en ouvrant sa veste pour en sortir l'enveloppe blanche, puis lui donna ce quelque chose. Il avait tellement hâte de voir sa réaction ! Taehyung loucha sur le papier rectangulaire, le prit de ses petites mains avec la bouche entrouverte par la surprise. Sans plus attendre, il l'ouvrit, en sortit une feuille pliée en trois comme une lettre, la déplia doucement et commença à la lire. Jungkook observait ses moindres réactions, ses petits froncements de sourcils, les petites larmes qui se formaient au coin de ses yeux pour venir rouler le long de ses joues et ses lèvres qui tremblaient furieusement. Sa lecture atteint la fin, il fondit complètement en larmes et alla se réfugier dans les bras de son homme en remerciant des milliers de fois.
— Tout est déjà prêt à l'hôpital, il ne manque plus que ton accord.
— J'le veux oui !! Je veux devenir normal ! Couina le petit en mâchant ses mots dans la veste de l'autre, qui sortit de sa poche le téléphone de ce dernier pour le lui tendre après s'être un peu reculé.
— Alors appelle-les, il faut que ce soit le receveur en personne qui donne sa décision.
Une nouvelle fois, Taehyung acquiesça un immense sourire en prenant son cellulaire qui lui avait aussi beaucoup manqué. Il le leva en l'air comme un trophée, la lettre coincée entre deux doigts, puis le regarda de tous les côtés possibles pour voir s'il s'était bien porté. Aucune égratignure, encore un bon pourcentage de batterie, alors il sautilla de joie sur place.
Ce quelque chose ?
C'était un œil.
Quelqu'un avait accepté de lui donner le sien avant de mourir afin de faire une bonne action et de rendre un jeune heureux. Le donneur était français, et Jungkook avait eu beaucoup de mal à en trouver un auquel le corps de Taehyung pourrait, avec un pourcentage élevé, accepté et non rejeté. Avant son procès, il avait trouvé un donneur coréen, donc moins loin, mais finalement, après avoir rappelé, pour une raison inconnue la femme du mari qui aurait pu faire part de son œil avait soudainement refusé. Alors, un mois après l'enfermement de son petit-ami, lorsque le douze octobre fut passé et qu'il était enfin débarrassé de son bracelet électronique, il a décidé de parcourir plusieurs pays étranger à la recherche d'un œil pourvut d'un iris noir. Sa recherche a duré moins d'un an, car il fallait acquérir la confiance de la famille et du donneur s'il était encore en vie. Ce n'était pas toujours facile. Normalement les dons étaient anonymes, mais Jungkook tenait à savoir qui sauverait en parti l'état mental de son petit-ami. A côté de cette recherche, lorsqu'il restait un ou deux mois dans le même pays, il travaillait comme il avait promis à Taehyung dans une de ses premières lettres. Mais peu importe le temps qu'il a fallu, car à partir de cet instant, l'histoire de sa cécité ne sera plus qu'un mauvais cauchemar, un mauvais chapitre.
Alors qu'il amenait son téléphone dans le creux de son oreille, Jungkook replongea sa main dans sa poche et en sortit sa pierre de Lune. Il divisa les deux bouts et le passa au cou du plus jeune afin de le clipser autour. Ce collier avait enfin retrouvé son propriétaire après avoir passé un long moment dans le noir, dans un tiroir froid et sans vie. Ce dernier loucha sur son bijou et sourit doucement en le touchant du bout des ongles, après avoir ranger l'enveloppe dans sa poche de doudoune. Une réceptionniste de l'hôpital décrocha et, pendant qu'il acceptait la greffe, l'adulte emmêla leurs doigts pour le tirer en direction opposée à celle qu'il avait prise il y a deux ans. Une direction où une nouvelle vie commençait, une où tout allait être paix et sérénité avec plus aucun gêneur, que ce soit petit-ami, ancien ami ou famille.
Une direction où ils allaient exister autrement.
~ THE END ~
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