Chapitre V : Les Ténèbres et la Lumière
Les jours suivants furent marqués par une tension palpable dans les couloirs du château de Valtéra. Kaelan, qui avait quitté précipitamment les appartements de la princesse, passait ses journées à analyser chaque geste, chaque mot de la diplomatie qui se déroulait autour de lui. Mais plus il se rapprochait de Lanaëlle, plus il sentait la distance entre eux grandir. Une distance qu'il ne comprenait pas encore tout à fait.
Ce soir-là, dans la grande salle, alors que les torches projetaient des ombres dansantes sur les murs de pierre, Kaelan était seul, observant la lumière tremblante des flammes. Il n'était pas un homme d'émotions, et pourtant, il avait l'impression que quelque chose le rongeait. C'était Lanaëlle. Son esprit vif, ses mots percutants... tout en elle semblait une rébellion contre le monde qu'il connaissait, et cela l'obsédait.
Soudain, il entendit des pas approcher derrière lui. Il se redressa, tendu, mais une voix douce et familière le fit se détendre.
— Prince Kaelan... La voix de Lanaëlle résonnait dans la pièce comme une caresse glacée. Il se retourna lentement.
Elle était là, dans un costume simple mais élégant, une robe de velours bleu nuit parée de délicates broderies argentées. Ses cheveux tombaient en cascade autour de ses épaules, et ses yeux d'émeraude semblaient fixer un point au-delà de lui, comme si elle scrutait l'horizon d'un autre monde.
— Lanaëlle... dit-il simplement, cherchant à cacher la tension dans sa voix. Vous venez ici pour m'annoncer que la guerre est inévitable ?
Elle le regarda, un sourire fugace effleurant ses lèvres, comme une réponse silencieuse à sa question.
— La guerre... répéta-t-elle, son regard sombre se tournant vers l'horizon. Elle n'est jamais qu'un choix, Kaelan. Un choix de ceux qui refusent de voir la vérité en face.
Kaelan la scrutait, cherchant à comprendre ses paroles. Il savait qu'elle n'était pas une simple idéaliste, mais il n'arrivait pas à saisir ce qu'elle sous-entendait.
— La vérité... ?
Elle s'approcha un peu, ses pas légers et mesurés, ses mains croisées derrière son dos.
— La vérité est que nous ne pouvons pas continuer à vivre sous le joug des promesses de nos pères. Ni toi, ni moi. Nos royaumes, nos peuples, ne méritent pas d'être sacrifiés pour des accords qui ne sont que des illusions de paix.
Les mots de Lanaëlle frappèrent Kaelan comme un coup de poing. Il comprenait sa vision, mais le prix qu'elle demandait... il n'était pas certain d'être prêt à le payer. Mais en elle, il percevait une force indomptable. Une volonté de briser les chaînes du passé, et cela le fascinait autant qu'il le terrifiait.
— Que proposez-vous alors ? Il n'essayait même plus de cacher la curiosité dans sa voix. Il avait écouté son père parler de conquête, de gloire, mais là, devant lui, Lanaëlle offrait quelque chose de différent : une voie obscure, incertaine, mais pleine de promesses.
Elle s'arrêta, son regard pénétrant planté dans le sien.
— Je propose de tout reconstruire, Kaelan. De créer un monde où nos peuples ne se battent pas pour des terres ou des titres. Où l'on choisit la paix, non pas comme une fin, mais comme un commencement.
Kaelan, en silence, observa la princesse. Il ne savait pas si elle parlait en croyant sincèrement ce qu'elle disait, ou si c'était simplement une manière de repousser la guerre. Mais dans ses yeux, il y avait quelque chose de pur, d'authentique, qu'il n'avait pas vu chez beaucoup de ses semblables.
— Et pour cela, il nous faudra sacrifier tout ce que nous connaissons ? dit-il, sa voix plus froide qu'il ne l'aurait souhaité. Votre paix nécessite la destruction de l'ordre établi, n'est-ce pas ?
Elle le regarda, sans sourciller.
— Peut-être que certaines choses doivent être détruites pour qu'autre chose naisse, Kaelan. Sa voix se fit plus douce. Ne crois pas que je sois aveugle à ce que cela implique. Mais peut-être que tout ce que nous avons connu jusque-là doit être oublié, si nous voulons une chance d'aller de l'avant.
Il s'avança d'un pas, comme s'il voulait l'interroger davantage, mais avant qu'il ne puisse parler, un bruit étrange retentit à l'extérieur. Un cri, lointain, résonna dans la nuit. Les deux princes se figèrent.
Lanaëlle regarda Kaelan, les yeux écarquillés.
— Il se passe quelque chose.
Sans un mot de plus, ils se précipitèrent vers la sortie. L'ombre de la guerre, celle qu'ils avaient espérée éviter, s'annonçait maintenant sous la forme de cris inquiétants. Ils n'étaient plus que des spectateurs d'un jeu qu'ils ne contrôlaient pas entièrement.
Les bruits de pas précipités résonnèrent sur les pavés du château, et Lanaëlle et Kaelan s'élancèrent à l'unisson dans les couloirs sombres. Ils n'échangeaient plus un mot, mais leurs regards étaient chargés d'une compréhension silencieuse : quelque chose se préparait, un danger qu'ils ne pouvaient ignorer.
En arrivant à l'angle de l'aile nord, ils aperçurent une silhouette qui courait dans leur direction. C'était un messager, pâle et essoufflé. À peine eut-il vu Lanaëlle qu'il s'écria :
— Votre Altesse ! Il y a eu un incident à l'extérieur des murs du château. Des éclaireurs ont repéré un mouvement étrange près des frontières du royaume...
Kaelan s'approcha d'un pas rapide, imposant, ses yeux glaçant la scène.
— Un mouvement étrange ? Des rebelles ? demanda-t-il, déjà en train de calculer ce que cela pouvait signifier pour la situation politique fragile.
Le messager secoua la tête, les yeux remplis de terreur.
— Non, mon Prince... C'est... pire. Des forces inconnues. Des soldats vêtus de noir, aux armoiries inconnues. Ils ont... ils ont attaqué la garnison à la frontière. Nos hommes sont tombés en nombre. Ce n'était pas des bandits, mais quelque chose de plus... organisé.
Le silence qui suivit ces mots fut lourd. Kaelan sentit son cœur battre plus fort, l'instinct guerrier qu'il avait cultivé pendant toute sa vie s'éveillant en lui. Lanaëlle, quant à elle, semblait plus pensive, son regard lointain, comme si une nouvelle perspective se dessinait dans son esprit.
— Qui sont-ils ? demanda-t-elle enfin, sa voix calme mais remplie de tension.
Le messager se mordit la lèvre, une lueur d'incertitude dans ses yeux.
— Nous ne savons pas encore, Votre Altesse. Mais les éclaireurs ont parlé de silhouettes mystérieuses... presque fantomatiques. Ils sont nombreux et parfaitement organisés. Nous avons envoyé des renforts, mais... il est difficile de savoir si cela suffira.
Kaelan échangea un regard avec Lanaëlle. Ses yeux bleus se durcirent sous la tension qui montait. Une menace venait de surgir des ténèbres, et il n'était plus question de diplomatie ou de négociations. La guerre était à leurs portes, mais de manière imprévisible, comme une ombre qui se déploie sans prévenir.
— Nous devons nous préparer à l'invasion. Kaelan se tourna vers Lanaëlle, une décision ferme dans sa voix. Peu importe qui ils sont, ils ne peuvent pas entrer sans réponse. Le royaume de Valtéra doit se défendre.
Lanaëlle le regarda longuement. L'ombre de la guerre qui venait de se dessiner sur le royaume n'était pas celle qu'elle avait envisagée. Mais une fois de plus, la réalité venait s'imposer sur ses idéaux. Son regard se fit plus dur, plus résolu.
— Alors nous combattrons. Elle inspira profondément, la voix plus grave, comme un écho de ses propres pensées. Mais cette guerre ne sera pas comme les autres, Kaelan. Elle ne peut pas l'être. Si nous ne voulons pas qu'elle engloutisse tout, nous devons agir différemment. Peut-être qu'au fond, c'est ce que nous attendions.
Kaelan fronça les sourcils, sentant le poids de ses mots. Il connaissait l'esprit combatif de Lanaëlle, mais il devinait aussi qu'il y avait en elle une volonté de changer quelque chose, même en pleine tourmente. Peut-être allait-il devoir écouter sa vision, si elle pouvait les guider à travers cette tempête inattendue.
Le messager, toujours là, semblait sur le point de s'en aller, mais Lanaëlle leva la main pour l'arrêter.
— Nous allons organiser nos troupes. Mais d'abord... Elle se tourna vers Kaelan, son regard déterminé. Il est temps d'en savoir plus sur nos ennemis. Cette guerre n'est peut-être pas celle que l'on croit.
Kaelan la fixa, l'expression de plus en plus grave. Un frisson d'incertitude parcourut son échine, mais il hocha la tête. Cette guerre, cette menace, était bien plus complexe qu'il ne l'avait imaginé. Il se demandait si, en suivant Lanaëlle, il n'était pas en train de prendre le premier pas vers quelque chose de plus grand, plus lourd encore que les traditions et les devoirs du passé.
— Nous ferons ce que nous devons pour protéger nos peuples. Il s'approcha d'elle, son regard se durcissant. Mais sache que je n'irai pas sans savoir ce qu'ils veulent réellement.
Lanaëlle sourit légèrement, un sourire teinté de défi et de compréhension.
— Alors allons chercher les réponses, Kaelan. Avant qu'il ne soit trop tard.
La salle de guerre était sombre, éclairée seulement par les braseros de fer qui projetaient une lumière vacillante sur les cartes et les papiers éparpillés. Kaelan et Lanaëlle se tenaient face à une grande carte du royaume, scrutant les lignes qui traçaient les frontières, les villages et les routes. Autour d'eux, les généraux et conseillers s'agitaient, murmurant leurs préoccupations, mais c'était vers eux que tous les regards se tournaient. La menace qui planait était plus grande que tout ce qu'ils avaient imaginé.
— Nos frontières sont vulnérables ici, ici et ici, dit un des généraux en pointant sur la carte. L'ennemi a frappé à des endroits stratégiques. Ils connaissent notre territoire aussi bien que nous.
Lanaëlle écoutait en silence, son regard fixé sur la carte, un froncement de sourcils marquant son inquiétude. Mais au fond, elle savait que la véritable bataille serait ailleurs. Pas seulement contre des soldats mystérieux, mais contre les anciens démons de son royaume. Contre la guerre elle-même.
— Et les renforts ? Kaelan interrogea, sa voix basse mais autoritaire.
— Ils arrivent, mon Prince, répondit un autre conseiller. Mais si ces forces sont aussi nombreuses qu'on le dit, ce ne sera pas suffisant. Et ces hommes, ou créatures... on ignore tout d'eux. C'est comme s'ils avaient surgit de nulle part.
Lanaëlle se tourna lentement vers Kaelan, un éclair de détermination dans les yeux. Ce n'était plus seulement la guerre traditionnelle qu'ils devaient préparer, mais une guerre contre l'inconnu. Une guerre où il n'y aurait pas de règles, pas de certitudes.
— Il faut en savoir plus sur ces soldats. La voix de Lanaëlle était ferme, et l'intensité de ses mots résonnait dans la pièce. Je ne crois pas qu'ils soient d'ici. Peut-être viennent-ils d'un autre royaume, ou... peut-être sont-ils quelque chose de bien plus ancien.
Kaelan la regarda un instant, cherchant à comprendre. Les rumeurs d'une armée fantomatique l'inquiétaient tout autant, mais l'idée qu'il pourrait y avoir quelque chose de bien plus sinistre derrière ces attaques lui paraissait presque absurde. Pourtant, Lanaëlle semblait si sûre d'elle, si convaincue. Il la connaissait assez pour savoir qu'elle n'agissait jamais sans avoir un plan en tête.
— Qu'avez-vous en tête ? demanda-t-il, bien que le ton de sa voix ne trahissait pas la moindre hésitation. Il était prêt à suivre, si nécessaire.
Elle s'approcha de la table, les yeux toujours fixés sur la carte, comme si les réponses étaient dissimulées dans les lignes de cette géographie. Puis, elle se tourna brusquement vers lui, son regard brillant.
— Nous devons nous rendre à la frontière. Personnellement. Un léger sourire effleura ses lèvres. Avant que les renforts n'arrivent, il faut comprendre d'où viennent ces attaques. Je vais mener une mission discrète. Nous ne pouvons pas attendre que tout se déclenche sans savoir ce que nous affrontons.
Kaelan resta un moment silencieux, impressionné par l'audace de sa proposition. Il savait qu'elle était capable de prendre des risques, mais cela... Cela signifiait un danger direct. S'aventurer à la frontière sans renforts suffisants était une folie.
— C'est dangereux, Lanaëlle, dit-il, les yeux sombres. Nous risquons de tomber dans un piège.
Elle soutint son regard, sans fléchir.
— Si nous ne prenons pas ce risque, nous resterons dans l'ombre, à attendre une guerre qui nous engloutira sans que nous sachions pourquoi. Il est temps de passer à l'action. Nous devons voir par nous-mêmes.
Kaelan ferma les yeux un instant, pensant aux risques. Puis il soupira, se redressant.
— Alors, je viens avec vous.
Lanaëlle le fixa, surprise. Elle pensait qu'il serait réticent, mais la décision était déjà prise dans ses yeux. Il était prêt à prendre ce risque, à marcher à ses côtés dans l'inconnu.
— Kaelan, vous savez ce que cela implique, dit-elle doucement, comme une mise en garde. Ce ne sera pas une simple mission. Si nous partons, il n'y a pas de retour en arrière.
Il hocha la tête, le regard déterminé.
— Je ne fuis jamais, Lanaëlle. Et je ne laisserai pas un danger invisible prendre nos royaumes sans me battre.
Lanaëlle sourit légèrement, un sourire rare mais sincère.
— Alors préparons-nous. Nous partons à l'aube.
Les préparatifs furent rapides. Une petite escorte, discrète et efficace, les accompagnerait. À l'extérieur du château, dans la lueur pâle de l'aube, Lanaëlle et Kaelan montèrent leurs chevaux, prêts à quitter la sécurité des murs pour s'aventurer au cœur du mystère. Les bruits de la guerre, lointains mais proches à la fois, se faisaient de plus en plus forts dans leur esprit.
Ils savaient qu'au-delà des frontières du royaume, ils trouveraient des réponses... ou ils s'y perdraient. Mais il n'y avait plus de retour en arrière possible.
Ils partirent ensemble, l'un à côté de l'autre, vers l'inconnu.
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