Une fois la crise de nerfs de M.Mikkelsen passée et le numéro de salsa arrivé à son terme, le tournage put reprendre normalement, alors que le Soleil disparaissait définitivement dans les flots flamboyants et que la nuit enveloppait le monde de son étreinte sombre.

Tous attendaient l'arrivée du prochain participant quand une forme indistincte, diaphane et irréelle, apparut sur le pont plongé dans l'obscurité. Elle s'avança doucement, face à l'assemblée tétanisée, laissant dans son sillage une empreinte d'un blanc phosphorescent.

-Un...un fantôme ! fit Nora en tombant dans les pommes, aussitôt rattrapée par Esteban qui semblait toujours ignorer que la jeune femme n'était pas une candidate.

-Appelez SOS Fantômes ! suggèra un cameraman particulièrement intelligent.

À mesure qu'elle approchait, la silhouette se précisait, et bientôt tous purent constater que "l'esprit" n'était autre qu'une jeune femme habillée d'une longue robe blanche, et à l'air courroucé. À leur décharge, elle possédait de longs cheveux d'un blond presque blanc, une peau qui ignorait la signification du mot soleil et des yeux d'un bleu délavé, presque translucide.

-Bonsoir, fit la jeune femme d'une voix étonnamment puissante au vu de son apparence frêle. Je m'appelle Luna, j'ai vingt et un ans et je poursuis des études de médecine en vue de devenir chirurgienne. Pour information, SOS Fantômes n'existe pas et je n'en suis pas un. Enfin, il me semble.

Et sur ces paroles très rassurantes, elle alla rejoindre ses camarades, qui reculèrent de quelques pas au contact de son aura glacée.

Dix bonnes minutes passèrent, et le prochain candidat n'apparaissait pas. Quelques membres de l'équipe de tournage partirent à sa recherche, et une rumeur accusant Luna du meurtre des autres participants avait commencé à circuler quand la porte vitrée se rouvrit de nouveau pour laisser apparaître un jeune homme habillé de vêtements sobres et sombres et à l'impressionnante masse chevelue, qui formait comme un nuage sur sa tête. Il était grand, mince, et dégageait un magnétisme assez impressionnant, renforcé par ses yeux ambrés et perçants.

-Où étiez-vous ? l'interrogea aussitôt M.Mikkelsen, las de ces jeunes qui se croyaient tout permis.

-Oh...eh bien écoutez, je m'appelle Leo, j'ai 23 ans, je suis originaire de Polynésie Française et je suis détective privé. Voyez-vous, je pense qu'il y a un saboteur à bord, qui n'hésitera pas à passer à l'action dès que nous serons coupés du monde, sans défense. En effet, j'ai récemment constaté la disparition de deux mousses au chocolat, un gel douche au monoï et trois coussins Harry Potter. Je me suis permis de mener quelques investigations, mais pour le moment sans résultats.

-Écoutez, Leo, à part le fait qu'en premier lieu ces objets ne vous appartiennent pas et ont sans doute été déplacés ou mangés par des personnes présentes sur ce bateau, vous venez de nous faire attendre dix minutes dans le froid avec...ces...gens ! Excusez-vous, je vous prie ! exigea M.Mikkelsen, agacé.

-Je tiens tout d'abord à préciser que le gel douche au monoï m'appartient, et qu'on me l'a donc subtilisé, mais je ne compte pas m'excuser pour une chose aussi futile, répondit Leo avec une arrogance remarquable.

- Faites-le !! Immédiatement ! ordonna le présentateur, à bout.

-Bon, puisque vous insistez...p...p...par...ppp...oh et puis zut c'est trop dur ! soupira le jeune homme, à qui la notion de "reconnaître ses torts" était visiblement étrangère.

Comprenant qu'il n'obtiendrait rien de plus de ce Sherlock Holmes de très mauvaise qualité, M.Mikkelsen le laissa pour cette fois en grommelant et invita la prochaine candidate à entrer.

Mais, au lieu d'une jeune femme, ce fut une épaisse brume pourpre, qui semblait constituée de poussière ou de sable qui apparut sur le pont. Pourtant, aucune tempête n'était prévue et de toute façon aucune substance présente dans les environs n'avait cette coloration.

Ils ne voyaient plus rien, le sable leur rentrait dans les yeux, la bouche, tous les pores de la peau, le vent chargé de particules leur fouettait le visage quand soudain une voix s'éleva parmi le tumulte :

-Bonsoir, je m'appelle Astrea, je suis âgée de vingt-deux ans et je suis voy...

Mais son entrée quoique théâtrale fut gâchée par les bruits très mélodieux que produisirent ses semblables en avalant de travers ou en régurgitant le corps étranger qui s'était frayé un chemin en eux, ainsi que les vociférations du présentateur qui promettait une séance de torture à l'inconsciente.

Quand, enfin, le nuage fut dissipé et que chacun se fut purgé, tous les regards - plus qu'assassins - convergèrent vers la jeune femme. Elle possédait une épaisse chevelure noire et ondulée, une peau d'une teinte ébène, ainsi que deux yeux d'un bleu surnaturel, qui semblaient toujours perdus dans le vague.

-Quoi ? demanda-t-elle d'un ton un peu agressif. Je suis navrée, je pensais que ma poudre d'apparition était au point.

-Eh bien laissez-moi vous dire, mademoiselle, que ô surprise ce n'est pas le cas ! Venez ici ! Et que je ne vous entende pas ! ordonna le présentateur d'un ton sec.

Il s'apprêtait à se lancer dans une diatribe sur "cette jeune génération qui se croit tout permis" quand un bruit sourd l'interrompit, suivi du son très reconnaissable d'un corps qui tombe avec autant de grâce qu'une merde qui s'écrase sur le sol.

L'agitation provenait de la porte vitrée, ou plus exactement de la personne se trouvant derrière la porte vitrée et qui venait de faire les frais de la matière transparente. Après un chapelet de jurons particulièrement distingués, un jeune homme à la peau mate et aux yeux d'un vert intense passa l'entrée et fit quelques pas maladroits, visiblement encore étourdi.

Il était habillé d'une élégante chemise verte ouverte sur des muscles puissants rentrée dans un jean bleu nuit, et ses cheveux noirs savamment décoiffés semblaient faire l'objet d'un soin particulier. Il épousetta son costume et se passa la main dans ses cheveux courts pour essayer de se donner une contenance, mais avec Marietta et Mona qui se roulaient littéralement par terre de rire et la bosse diforme qui émergeait sur son front haut, ce n'était pas aisé.

Il se racla la gorge, se dandina d'un pied sur l'autre pendant quelques instants puis se présenta :

-Bonsoir, je m'appelle Luigi, j'ai...

Mais personne ne sut jamais quel âge il avait car Marietta hurla un "Mais où est Mario ?" et retomba dans une hilarité qui ne tarda pas à gagner ceux qui l'entouraient.

Luigi estima que le moment n'était pas venu de parler de son métier- professeur d'aquagym pour les seniors-.

Et on se retrouve dans le prochain chapitre pour découvrir les quatre candidats restants !