
❅ XXXVI ❅
« Ne lutte plus... Repose-toi désormais... »
Allongé, le corps mort sous sa chaude couette, et les yeux fixés sur les aurores boréales à travers la large fenêtre, cette phrase tournait en rond dans sa tête tel un poisson rouge dans son bocal. Un poisson qui ne savait plus quoi faire, perdu entre deux mondes. La vie étant devenue dure, froide, un vrai martyr, valait-il mieux sauter hors de l'eau, ou continuer à se battre ? Il pouvait choisir, il fallait simplement qu'il se détende, qu'il décontracte le corps meurtri qu'il traînait depuis trop longtemps. Et là, il pourra enfin être abrégé de toutes ses souffrances. Y avait-il une place pour lui au paradis ? Même, est-ce que ce lieu divin existait réellement ? Mourir faisait-il mal, peur ?
— Est-ce que ça fait mal de mourir ? Yoongi avait tourné la tête, fixant le sol.
— C'est... C'est plus rapide que de s'endormir.
Un fin sourire étira ses lèvres pâles, il se souvenait de cette conversation. C'était un soir où il avait rejoint son amour sur le toit de l'hôpital, quelques temps après qu'il se soit évanoui dans le musée. Peu avant, dans la journée, Taehyung avait reçu plus de détails concernant sa maladie, et le verdict était tombé ; il ne lui restait plus que six mois à vivre. L'horloge tournait tellement vite. Cela faisait une dizaine de mois qu'ils se connaissaient, avait une relation devenue de plus en plus forte et ambiguë au fil des jours. A présent, il tenait à Yoongi autant qu'un membre de sa famille, tel son frère ou son père. A chaque regard posé sur lui, sur sa peau blanche, ses cheveux crème, en était un nouveau. Et il aimait cette sensation, cette sensation de découvrir de nouvelles choses à chaque regard, c'était magique. Le fait qu'il soit doté de pouvoirs surnaturels, ou eu une vie longue d'un demi-millénaire, lui passait au-delà de la tête, il n'y pensait même plus, sûrement parce que l'amour rendait aveugle. Son cœur ria :
— Qu'est-ce que tu lis ?
— Un livre, ça ne se voit pas ? Avait répondu Yoongi, lassé.
Leurs voix résonnaient à travers son âme, comme des échos dans une église, tous les bons moments qu'ils avaient passés ensemble refaisaient surface. En y repensant, c'était l'une de leurs premières véritables conversations, et cela le replissait de mélancolie, de regrets.
— C'est quoi cette langue ?! Ca ressemble à du chinois mais c'en est pas non ?
— C'en est du vieux.
— Et tu comprends ?!
— Ouais, ce n'est pas compliqué. Taehyung posa un doigt ganté en dessous d'un mot.
— Genre là c'est écrit quoi ?
— Que tu soûles une personne qui aimerait lire tranquillement.
— Sérieusement...
— Que tu m'énerves.
— Mais aller !
— Eh ben ! J'viens de te le dire !
— Ca veut dire ça ?
— Non.
— T'es chiant... Aller sérieux c'est écrit quoi ? Le plus vieux soupira.
— Cœur.
— Et le passage ?
— C'est la dernière fois.
— Oui oui ! Le visage illuminé, Taehyung dû attendre quelques secondes pour que Yoongi se décide enfin à lire.
— C'est écrit... Je t'aime. Ces mots coulent dans mes veines, c'est le sang qui alimente mon cœur. C'est sûr que le jour où je cesserai de t'aimer, ma vie s'arrêtera. Mais tant que mon âme existera, je continuerai à t'aimer quel que soit le temps ou même l'endroit.
Il avait suffit d'une seule fois, une seule écoute pour que ce texte s'encre dans sa mémoire, comme s'il lui était destiné, comme si tout cela avait été le déclencheur de leur histoire. Des larmes se mirent à rouler sur ses joues, venant s'étaler contre le coussin pour disparaître à travers le tissu. Il avait peur. Peur de partir, de laisser toute cette vie dernière lui, de laisser Yoongi seul. Que deviendrait alors son père, n'ayant plus aucune nouvelle de son fils ? Il se lancerait à sa recherche, puis découvrirait d'un jour, le seul fils qu'il lui reste est parti à l'autre bout du monde afin de mourir ? Pour son temps limité, jamais il ne lui en a fait part. Jamais son père a su qu'il allait déployer ses ailes si tôt. Le seul point positif qu'il trouvait à sa fin, était qu'il allait pouvoir revoir son petit frère, son oncle et sa tante afin de s'excuser. S'excuser d'avoir été le seul à survivre, et d'avoir continué sa vie alors qu'eux, en ont été privés. Ce jour là, il ne savait pas qui avait appelé les secours, et pendant sa période de reconstruction, il eut haït cette personne d'avoir fait cela. Qui ne comprendrait pas ? Seulement les plus égoïstes. Toujours les yeux fixés sur les couleurs vertes du ciel noir, les images défilaient devant lui, lui rappelant chacun des moments passés avec Yoongi.
Leur premier repas au restaurant de l'université.
— Mange quand même, après t'as sport.
— Comment tu sais que j'ai pris l'option sport ?!
— T'es sérieux ? Tu m'as cassé les pieds avec ça je ne sais combien de fois !
— Ah oui ! C'est vrai !
Un lointain rire.
Les premières réflexions lors de l'installation d'une amitié, et sûrement pas les dernières.
— Tu ne peux pas venir avec moi... ? S'il te plait.
— Y'a écrit nounou sur mon front ?
Un lointain râle.
Les premières inquiétudes de Yoongi, dites à son père.
— Comment va Taehyung ? Ce n'est pas grave au moins ?
Une lointaine larme.
Les premières déclarations, après un long moment sans se voir.
— Ca fait longtemps.
— Ouah ! Tu ne m'as pas envoyé bouler ! Qu'est-ce qu'il t'arrive ? T'es malade ?
— Je suis content de te voir, je n'ai pas le droit ? Mine surprise et joues rougies.
— Hm si, bien sûr que si. Mais je n'aurais jamais pensé que c'était réciproque...
Un lointain battement de cœur.
Les premiers doutes.
— Ca fait une semaine que je fais des rêves bizarres.
— Du genre ?
— Ca se passait au Royaume d'Har, sauf que t'étais là avec les cheveux bruns et de vieux habits.
Une lointaine vie.
Les premières révélations.
— En réalité... Un long soupir. Sache au moins que... que... Je suis mort Taehyung.
Une profonde tristesse.
Les premières preuves, grâce à son père.
— Taehyung, tu parles encore à son ami Yoongi ?
— Pas vraiment, on s'est... un peu disputé il y a quelques jours.
— Est-ce que tu sais s'il a quelqu'un de sa famille qui lui ressemble beaucoup ?
Une lointaine photographie.
Leur premier achat.
— Tu serais d'accord pour qu'on s'achète un truc pour tout les deux ?
— Que penses-tu de ceux-ci ? Ceux avec le flocon et la lune.
— Mais !! T'as vu le prix ?!? Je n'ai jamais eu cette somme de ma vie !
— Monsieur ! Nous allons prendre ces deux là-bas.
Une lointaine joie.
Le basculement au musée.
— Quelque chose m'appelle...
Une lointaine vérité.
Leur première réalité.
— J'ai fais le lien avec tout ce qu'il s'est passé d'étrange nous concernant... Il me manque des pièces du puzzle mais sache Yoongi que... Que je te crois maintenant.
Un lointain soulagement.
Leur deuxième réalité.
— Je me nourris seulement de médicaments maintenant tu sais. Il me reste moins de six mois depuis avant-hier.
Un lointain désespoir.
Leur première dispute.
— J'ai besoin d'être seul en ce moment, Tae.
— Tu ne l'as pas été assez durant toute ta vie ? Colère dans la voix, sourcils froncés.
— Tu ne penses pas que vivre durant des siècles sans aucune mémoire est déjà lourd à supporter, et qu'en plus, sans que je le veuille ni que je m'y attende, je me souviens de tout grâce à la réincarnation de ce qu'était mon petit-ami et celui qui a fait de ce que ma vie est maintenant ?! J'ai besoin de réfléchir !
— Mais réfléchir à quoi ?! Si tu dois te débarrasser de moi vu que je sais ton secret ? Il nous reste moins de six mois à vivre d'après ce que tu dis, on ne sait pas ce qu'il se passera au bout de ce laps de temps ! J'ai envie de passer le reste de ma vie avec toi et seulement toi, les infos ne font que de parler de ce qu'il s'est passé au musée, on ne sait pas quand est-ce que les mecs de la zone 51 vont venir te chercher... !
Une lointaine peur.
Leur première bataille avec la police.
— Appelez toutes les unités ! Min Yoongi a disparu !!!
— Yoongi... Où es-tu...
Un lointain stress.
Les premiers secours.
— Yoongi !! Yoongi c'est moi, c'est Taehyung ! Je t'en supplie réponds-moi !
— Il y a des glaçons dans le congèle, juste au dessus du réfrigérateur... Il faut que tu en mettes dedans... C'est le... Le seul moyen pour que je guérisse plus vite...
Une lointaine peur de perdre
quelqu'un de cher.
Leur première étreinte.
— Pourquoi tu fais ça... Je dois sentir le poney...
— Tu prendras une douche après.
Un lointain confort.
Leur premier fou rire avec des crêpes au chocolat.
— Tu manges encore ça à ton âge ?!
— T'en mange plus ?
— Quand j'étais petit !
— Y'a un âge pour manger ça ? C'est trop bon ces conneries !
De lointains rires aux éclats.
Leur premier baiser.
— Tae...
— Mh... ?
— Est-ce que je peux faire quelque chose... ?
— Quoi- quoi comme chose ?
— T'embrasser... Je peux ?
Une lointaine délivrance.
Leur première relation sexuelle.
— Tu as peur ?
— Non...
— Tu-
— Oui, fais-moi voyager loin d'ici. Je veux oublier ce qu'il s'est passé ces derniers jours...
Une lointaine danse.
Leur seconde dispute.
— Partir où ?
— En Laponie.
— En Laponie ?! Tu rigoles j'espère ?! Tu crois faire quoi là-bas ? Voir le Père-Noël ?!
— Calme-toi Taehyung...
— Alors depuis tout ce temps, tu m'as pris pour ta pute ?!
Le début d'un lointain mensonge.
Leur conversation d'hier.
— Tu luttes contre elle... ?
— Mh... On peut dire ça... Je... Je suis vraiment fatigué... Chaque geste que je fais me fait mal, me prend toute mon énergie, je n'en peux plus... C'est pour ça que je veux te dire maintenant à quel point je t'aime...
— ... Ne lutte plus Tae... Reposes-toi désormais...
Une proche réalité.
Son oreiller se mouillait au fur et à mesure des larmes l'atteignant après avoir roulé sur un parcourt blanc cadavérique. Il ne voulait pas oublier tous ces bons et mauvais souvenirs, s'il en avait eu la possibilité, il aurait remonté le temps à l'âge de ses quinze ans, l'âge où la mentalité fini de se former, et d'ensuite chercher Yoongi. Il voulait continuer à le découvrir, continuer à forger cette boîte à souvenir, à collectionner les sentiments de la vie. Mais la nature lui en privait. On dit souvent que la nature est bien faite, intelligente, belle, mais derrière ce masque de bienveillance, la mort ouvrait grand ses bras. Dans le monde des vivants, seul l'Homme pensait à la mort grâce à la réflexion dont la nature l'a doté. Les animaux eux, dépourvu de cette capacité, sont pris dans l'élan de la vie et la vive au maximum. L'Homme, lui, freine ce mouvement par la peur de mourir, et si c'était demain ? Et si c'était aujourd'hui ? Pris d'angoisse et d'infériorité face à l'immensité du monde, il se cache derrière la religion. Le paradis, l'enfer, une vie après la mort, des croyances propres à chaque être.
Alors que son regard continuait à fixer le ciel par delà la fenêtre, un bras venu de derrière entoura son bassin et le tira contre son propriétaire, joignant ainsi son dos froid à un torse chaud. Un visage endormit se cala dans sa nuque, et un soupir de bien-être caressa sa peau. En temps normal, des frissons auraient parcourut son échine, mais à présent que la fatigue le dévorait, son corps n'en était plus capable. Posant sa main sur celles jointes à son ventre, Taehyung sourit, ferma les yeux et se laissa tomber dans les bras de Morphée, si ce n'était pas Dieu.
Avant que tout ne devienne plus que bataille et larmes, le jeune était le premier à se lever, Yoongi restant dans leur lit à glander sur son téléphone ou continuant de somnoler un peu. Mais depuis quelques temps, les rôles s'étaient inversés tout naturellement. Le glacier se levait tôt afin de toujours préparer quelque chose de bon à son amour pour le petit-déjeuner. Petits-déjeuners bien sûr apportés au lit. Lorsqu'il entrait dans leur chambre, Taehyung se trouvait toujours assis sur le matelas, les cheveux en batailles et le regard porté au loin.
Mais ce matin là,
tout allait dans l'autre sens.
Arrivant dans la pièce à coucher, le plateau remplit de biscotte à la confiture et d'un lait chaud dans les mains, Yoongi s'arrêta à l'entrée, les yeux fixés sur le plus jeune. Cette fois-ci, il était allongé, comme lorsqu'il avait quitté le lit. Il ne dormait pas, il le sentait. Il sentait le dernier brin de vie qui flottait dans l'air. Alors il comprit. Le petit-déjeuner déposé sur une commode en chêne, il s'avança lentement, contournant le lit afin de s'agenouiller près de lui. Le corps caché sous la couverture, seul son visage ressortait. Son visage blanc, ses yeux noirs, ses lèvres bleues, si les circonstances avaient été autres, il ne serait amusé à le taquiner en le comparant à un panda. Mais là, il ne pouvait pas se le permettre, car le premier degré aurait été maître. Sa grande et fine main s'approcha de sa peau froide, afin d'en caresser une partie. Son front, son arrêt de nez, ses lèvres, son menton. Des picotements apparurent à ses orbes, l'obligeant à cligner plusieurs fois afin d'essayer de les faires partir, sans succès. Ses membres tremblaient, l'émotion l'envahissait pour la première fois en cinq cent ans de vie.
D'une lenteur impériale, Taehyung ouvrit de moitié ses paupières, et regarda Yoongi. Un sourire. Mais lorsqu'il aperçut des larmes couler, ce fut son tour. Le sourire disparut, son corps fut soudainement pris de spasmes, et les perles salées dévalèrent une nouvelle fois son visage creusé. C'était trop dur. Par le mime d'un « non » de la tête fait par le glacier, lui incitant de ne pas pleurer, de rester positif, il vint le prendre dans ses bras afin de joindre leur tristesse. Le voyage prenait fin, leur histoire arrivait au denier chapitre.
— J... Je suis désolé... S'excusa d'une petite voix le jeune, bouche posée contre sa nuque.
— Chhhht... Ses pleurs s'intensifièrent.
— J'en... J'en peux plus Yoon... J'en peux plus... C'est...trop dur... Yoongi le regarda dans les yeux, avant de se forcer à sourire.
— Mon amour... Lève-toi et brille maintenant...
Malgré son envie de résister, la tristesse était omniprésente chez chacun des deux. L'un ne voulait pas quitter l'autre, et l'autre ne voulait plus qu'il souffre, voulait qu'il trouve enfin la paix intérieur. Il connaissait cette peur, cette peur de tout laisser derrière soit, de quitter un monde dont on ne voulait que le bien. Le pire était de mourir lentement, lorsque la mort t'attrape d'un coup, tu n'y sens pas, mais lorsqu'elle te prend peu à peu, là vient l'effroi, l'angoisse de ce qu'il y a après, si c'est un sentiment horrible ou si tu ne sens rien. Et c'est ce dont avait peur Taehyung, mais la vie devenait tellement difficile que son pauvre corps, son pauvre cœur, refusait de continuer cette guerre sans chances de victoire. Les doigts caressant ses mèches ébène, les visages à quelques centimètres l'un de l'autre, les pupilles croisées, les larmes tombantes, c'était là que ce jouait la fin de la pièce.
— Yoon...
— Mh... ?
— Est-ce que... tu peux me donner mon bracelet... ? Tu sais... Celui qu'on s'est acheté... Sa voix était tellement faible que même très proche, il fallait deviner le sens des mots.
— Oui...
Le glacier se leva alors, sans précipitation, se déplaça à l'autre bout de la chambre pour arriver devant une étagère. Une étagère faite de bois où le couple avait apposé tous leurs souvenirs des moments passés ensembles. Photos, bijoux, bibelots, et un tas d'autres objets qui avaient une valeur infinie à leurs yeux. Il prit alors délicatement les deux bracelets, l'un au pendentif de lune et l'autre de flocon. Le premier, il l'attacha à son propre poignet, et le second, celui au cristal de glace, alla prendre place au poignet de Taehyung avant de disparaître à nouveau sous la couette. Etant revenu vers celui-ci, Yoongi monta dans le lit, se faufila sous les draps, et, dans une délicatesse venue des cieux, il déplaça l'âme fatiguée entre ses jambes, et entoura ses bras autour de son buste, la joue gauche appuyée contre sa tempe droite. Un faible sourire avait illuminé sa triste mine. Rien ne pouvait égaliser un câlin venant de la personne que l'on aimait le plus au monde. Ses yeux se refermèrent, les deux amoureux se bercèrent lentement, une petite mélodie sortant des cordes vocales du glacier.
— J'ai hâte de te revoir dans une autre vie Yoon...
— Moi aussi, en espérant quelle soit encore mieux que celle-ci...
— ... Merci...
Leurs lèvres se rencontrèrent une énième fois, longtemps, peut-être une trentaine de secondes, avant qu'il ne reprenne sa mélodie, l'un contre l'autre. Une mélodie qu'un père pouvait chantonner à son enfant pour qu'il s'endorme, une mélodie qui élevait les esprits, les faisaient basculer dans un monde magique, divin. Un monde où la souffrance n'existait plus, un monde où les âmes perdues depuis longtemps retrouvaient un être cher, un être qui avait continué à vivre. Et, elle, courant alors dans leurs bras afin de les serrer contre elle, se verrait être la plus heureuse, car enfin, elle était du côté auquel elle aurait dû appartenir depuis sept longues années.
Lorsque Yoongi eut terminé de jouer sa mélodie, le brin de vie avait disparu. Il n'y avait plus rien, plus même un battement de cœur. Se retenant une nouvelle fois de craquer, il se retira du lit, allongeant une nouvelle fois le corps inerte, avant d'amener la couverture jusqu'au sommet de son crâne, le couvrant ainsi entièrement. L'horloge ne tournait plus, à partir de cet instant, le monde avait pris une pause, car une âme parmi tant d'autre venait de décoller, de déployer ses ailes. Les deux ne s'étaient pas dit je t'aime, car tout avait été traduit par le dernier baiser qu'ils s'étaient échangés. Prenant un sweater et un pantalon noirs dans leur grande penderie pour les enfiler, il n'osait pas penser au fait que quelques minutes auparavant, Taehyung et lui avaient eu leur dernière conversation, leur dernier au revoir. Le dos de sa main effaça des perles d'eaux aux coins des yeux, avant qu'il ne se retourne face au lit. Mais alors qu'il allait s'y rendre, des picotements le firent tiquer, et son regard se dirigea vers sa main en train de se désintégrer en centaines de flocons. Il y en avait aussi qui traversaient la couette, provenant du défunt. Alors voilà, il avait eu raison ; lorsque la fin sonnerait pour Taehyung, elle sonnerait aussi pour lui, car le lien qui les unissait ne pouvait résister à l'absence de l'un.
Après avoir vite enfilé ses baskets, il retourna à la chambre, prit le corps toujours couvert de la couette, dans ses bras et se dirigea lentement vers l'entrée de la maison. Il ne regarda pas les photos d'eux, placés un peu partout dans leur grand salon, il ne regarda pas les vêtements de son amour perdu trainé au sol ou sur le canapé, il ne regardait rien, car la blessure était déjà beaucoup trop profonde. Elle n'avait pas besoin de l'être plus. Dehors, le temps était glacial, blanc, aucune couleur ne se reflétait dans la neige ou sur le lac, le ciel vide. La nature venait de créer un nouvel ange, donc elle se montrait désolée. Mais il était trop tard, les excuses de suffisaient plus. Ses pieds s'enfoncèrent dans la neige, et, pendant qu'il marchait sans réel but, ses iris devinrent blancs. Les mètres de poudre de cristal se transformèrent en centimètre, la maison disparue pour faire place à des ruines, et la clarté vira aux ténèbres. Après six cent ans, il avait remis les pieds sur sa terre natale. Mais ce n'était plus aussi beau qu'autrefois ; la moitié avait disparu avec le temps et l'attaque. Le palais se devinait, quelques maisons, et les fortifications aussi à perte de vue. Ce lieu n'était pas touristique, il l'avait été interdit pour cause de dommages collatéraux aux personnes venant ici. Une légende disait que si l'ont allait aux pieds de la falaise, l'une des plus sacrée au monde, ou que si l'ont marchaient à travers le royaume à but touristique, on pouvait entendre des cris agonisants. Des cris venant des habitants en train de brûler vif. Certaines personnes devenaient folles, comme possédées par les âmes d'Har. Il a aussi été interdit car le nombre de maison prenant feu augmentaient de plus en plus, et les propriétaires n'étaient que des personnes insultant ces légendes. Des légendes pourtant vraies. Car pendant que Yoongi marchait à travers ce qui était autrefois les rues de marchandises, des cris de douleurs, des pleurs s'infiltraient dans ses oreilles. Certaines fois, il croyait même reconnaitre la voix, car les souvenirs qu'il avait retrouvés de son ancienne vie étaient frais, comme si tout c'était passé hier. Il se souvenait de chaque détail, de chaque rue, de chaque habitant, de chaque maison.
Les corps s'envolant en petits flocons au fur et à mesure de ses pas, il se dépêchait tout de même de rejoindre sa maison, celle où Hoseok et lui habitaient avec sa famille. Il tournait à droite, à gauche après une cinquantaine de mètres, les yeux toujours fixés devant lui, car s'il regardait ne serait-ce une seconde le corps qu'il transportait, même s'il était caché sous un drap, les pleurs qu'il retenait sortiraient en un torrent. Il ne savait pas s'il arriverait à se calmer. Non, c'était impossible. Soudain, il s'arrêta. Il l'avait retrouvée. Il avait retrouvé sa maison. A ce moment là, il bénissait ses souvenirs, car sans eux, jamais il n'aurait pu revenir à cet endroit là, cet endroit n'étant plus que ruine et douleur. Il n'y avait plus de toit, seul les cloisons en pierre avaient résistées au temps, et tout ce qui était fait de bois avait disparu en cendre. Les fenêtres se devinaient, et sa mémoire reconstruisait tout. Celle-ci, celle devant lui, la plus en hauteur, était celle de leur chambre commune. Ses yeux piquaient une nouvelle fois. Revenir ici lui procurait un sentiment horrible, le déchirait.
Prenant le courage à deux mains et sentant que la vie le quittait à petit feu, Yoongi entra dans ce qu'il restait de la maison, et déposa Taehyung sur le sol poussiéreux. Ses yeux se fermèrent pour contrer les mirages que créait sa mémoire. Autour de lui, une femme faisait à manger, un homme était assis à la table de bois avec deux enfants autour de lui. Quelques secondes plus tard, un adolescent aux cheveux bruns et à la peau de porcelaine descendit de l'étage, échangea quelques mots avec la femme avant de recevoir dans ses bras une petite fille aveugle au grand sourire.
— C'est fou comme elle te préfère toi à moi quand même, fit un second adolescent qui venait d'entrer à son tour dans la salle, allant en même temps embrasser la mère.
— Qui voudrait de toi aussi ?
Les rires résonnaient au creux de son oreille, des larmes finirent couler sur ses joues, n'arrivant plus à résister à ce déchirement. Lorsqu'il rouvrit les yeux, ses jambes et ses bras se décomposaient encore en flocon, et le corps inerte de Taehyung aussi à travers le tissu. Il avait l'impression de se volatiliser comme dans un film de science-fiction. La fatigue le prit d'assaut, alors il s'allongea aux côtés de son amour, chercha sa main froide vêtue du bijou avec la sienne, la serra et clos une nouvelle fois ses deux paupières, se laissant ainsi aller au mouvement de la mort. Un coup de vent, et le drap fut emporté avec des milliers de flocons dans le ciel où, derrière les nuages noirs, la Lune souriait d'une tristesse joyeuse accompagnée de nouvelles deux étoiles.
A partir de cet instant là,
Pour tout le monde, Kim Taehyung avait quitté ce monde à dix-sept ans dans un accident de voiture.
Et pour tout le monde comme personne, Min Yoongi avait quitté ce monde six cent ans auparavant, poignardé par l'amour de sa vie.
~ FIN ~
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