𝐕
CÉRÈS | CHAPITRE 3
Royaume de Chô-Seon,
ancienne Corée réunifiée,
Jeong-Guk.
— V —
"[...] Et je ne reprendrai la route que lorsque fin mot de l'histoire, j'aurai.
Mon gamin, je t'embrasse à l'éternel.
— Jeon, ton adopté père, Jeong-Guk."
Je calligraphiais ces caractères venus du nord asiatique. Je les pensais et les repassais, je m'assurais qu'aucune faute commise, je pourrais transmettre cette missive à mon impétueux protégé. Les murs de la grande Hanyang entouraient ma présence tandis que je préparais le galop de mon messager jusqu'aux portes de mon hanok de province. Je respirais le grand air, et ses envolées de feuillées qui surélevaient mes amples habits de lin. Ryong-Ho recevrait mes alertes sous quarante-huit heures, et je le connaissais, il rirait et jeterait mon papier aux flammes.
— Veille à ce qu'il lise bien, je m'assurais auprès de mon porteur.
Son opinement mutin eut la raison de me faire craindre le contraire. De ce cavalier émanait une force combattante, l'aura d'un guerrier en rédemption, et son image seule me ramena à ce moi que je n'étais plus. Un esprit libre, avec le temps, entravé par le seul désir de son amour. Ma pensée se confirma dès lors qu'il mit son cheval à la course pour mes services.
Un esprit que rien n'arrêterait. Et à la disparition de Tae-Hyung, ce bout de moi partit avec lui.
Les cieux grisonnaient et préparaient le vaste monde à quelques averses printanières. Les habitants de la capitale grouillaient telle une fourmilière qui ne possédait de reine pour les gouverner. Chacun vaquait à ses occupes et se souciait peu de l'ordre et de l'abri. J'imitais ceux-là en ma conscience. Je ne prévoyais rien et voilà que je séjournais en ces rues populaires à la poursuite de mes chimères. Je l'expliquais à mon disciple dans les phrasés de ma lettre : je partais à la quête de réponses sur un passé douloureux encore. Un passé que je ne savais quitter et qui, par la magie, revenait à mes hantises. Le Kim ancien royal préoccupait chacun des pores de ma peau.
Ses pupilles fauves et hagardes.
Son nez racé et opalin.
Sa bouche impudente, si impertinente.
Je redessinais ses traits de face à la précision d'un artiste. Sa physionomie appelait la mienne et je ne saurais dire, Tae-Hyung prétendait tout ignorer. De moi, et de nous. Comme si, vingt années naguère, je fantasmais nos vécues et nos écumes. Pourtant, Ryong-Ho restait son fils. Et lorsqu'on avait un fils, c'était la preuve de notre existence.
Je repensais son regard imbibé de chagrin. La veille, je perçus aussi la fureur et le furieux désir de me quémander la provenance de mes cicatrices du corps. Cette souvenance me tira une grimace alors. Et s'ensuivit une contemplation qui dura. Dès lors, je ne révélais pas à mon châtain la cause personnelle de mes plaies fermées désormais. Shin Ga-Ram m'infligea des supplices pires que la mort même. Et deux décennies au futur, mes membres allaient à la souffrance, à une peine si grande et physique qu'elle amoindrissait les maux de mon cœur. Quelque temps passèrent quand Tae-Hyung glissa de vie à trépas. Ces événements se vivifiaient encore en ma tête et mes dermes. Je tombais en fièvre les mois qui vinrent, et je gagnais face à la petite vérole du singe au bout de trois semaines qui en durèrent trente. En dépit de ma guérison, je n'en demeurais pas moins alité de détresse. Je me contentais, de seule compagnie, d'un rat crevé et des quelques courriers de mon frère adoptif. Il me harcela tout ce temps puis quand je quittai mon sommier, mû par une rage vengeresse et soudaine, je le trouvai au sommet de ce siège monarchique qui n'appartenait à nul autre qu'à mon amour le plus tendre. Colère devint affliction et à son devant, je tombais à genoux. Je me rappelais de l'étonnement qui masqua sa solennelle stature puis de ce allègre « Jeong-Guk » qui cueillit son soupir et bouscula le restant de ma vie.
Les pleurs étranglèrent ma trachée. Je suppliais cet homme, cruel immortel, de me laisser vivre malgré ces longs instants sans nouvelles. Il ne me tuerait pas, je le savais en mon âme. Néanmoins, à ce moment, je laissais mon souffle s'épuiser et se tarir de mon sein détruit par la mort et l'amour. J'implorais le Ga-Ram, mon frère, de me défaire de mes runes tatouées. Tel devenait le châtiment des traîtres du groupe Ach-Lys, sanction actée par son chef. Nonobstant ses refus, — puisque je restais son cadet tant aimé — je me saisis de la lance chatoyante de fer rouge et les hurlements de douleur furent et réveillèrent la capitale et ses contrées.
De ce sombre récit, je n'en dévoilais que le peu à Kim Tae-Hyung qui haussa les épaules, n'ajoutant que tragédie à mon sentiment.
Dirait-il de même s'il avait connaissance de sa mère, reine ancienne, couchée sur le futon de cette maison traditionnelle ?
J'observais Jang Soo-Ah, à demi inerte sur le sol de cette case. Ces lieux appartenaient à mon père, le seul, à qui je versais quelques yangs à la journée. Il s'affairait aux courses lorsqu'il aperçut la pâle figure de cette femme aux froides allures. Ses vieilles guenilles ne trahirent pas un peu son identité royale mais nul inconscient n'oublierait le visage de cette grâce qui accompagna Yeonsan-Gun, le monarque tyrannique, des années. Jeon Il-Nam ne l'oublia pas, lui, cette souveraine, cause première de la disparition d'Ae-Cha, son épouse, ma mère. Or, il l'amena à un chevet et me contacta pour que je me tienne auprès d'elle. Me voici ainsi à observer la démente dans son inconscience. Le temps agissait sur son visage de marbre ; joues creusées de la misère du monde, paupières aux ténèbres et pâleur à l'extrême. Et malgré cela, cette femme restait des plus belles.
— Jeong-Guk.
Résonna le timbre sénile de mon pater.
Un soupir de ma glotte lui fit écho. Je logeai le menton dans la paume de ma main et me perdis dans une rêverie qui me rendit un peu sourd. Je m'interrogeais à maintes et demandais à savoir pour quelles raisons Il-Nam amena cette meurtrière sur la couche de son hanok. Il était bon samaritain mais je refusais la croyance d'une bonté comme la sienne. On ne sacrifiait pas sa fierté ainsi au profit de nos blessards. Il devait y avoir erreur ou une chose secrète qui justifierait cet élan d'absurde générosité.
— Jeong-Guk, s'il-te plaît.
— Quoi ? Tu veux que je te félicite ? j'ironisai d'ennui.
À travers son ombre dansante au mur, je perçus sa réponse farouche et négative. C'était bien ce qu'il me semblait ; mon père resterait un putain de saint et jusqu'à ce que les vautours s'agitent sur sa tombe. Un infime sourire décora le coin de ma bouche puisque peu importait à quel point j'insulterais cet homme, je l'aimerais même au-delà de la mort.
— T'en fais trop, j'ajoutai.
— Qu'aurais-je dû faire ? La laisser crever sur le trottoir ?
— Oui, papa. Oui, tu aurais dû.
J'examinais la figure alanguie de cette femme sur sa couche. Mes doigts ouvrirent ses paupières closes et découvrirent ses pupilles dilatées. Mes paumes palpèrent ses pores et firent état d'une anormale élasticité du derme. J'inspectai l'intérieur de sa bouche et remarquai la mystique présence d'un liquide à la couleur de la mort, et la sentence tomba dans un rire presque fou qui m'étrangla. À mon dos, l'œil inquiet de mon père m'écrasait d'angoisses. Je glissai mes dextres sur ma physionomie stupéfaite puis dans les mèches corbeau de mon crâne. Je pivotai et plongeai la vue dans celle de l'âgé.
— Elle a été empoisonnée.
L'information fila seule entre mes lèvres amusées. Une sidération l'enveloppa, lui, qui ne savait réagir à ces maux. Au fil de ma ricane, mon timbre se changeait en pleurs étouffés et plaintifs tandis que je songeais aux conséquences de ceci.
— Elle est... Elle... Tae-Hyung ne doit pas la voir comme ça, je conclus.
— Tae-Hyung ? Kim Tae-Hyung ?
— T'en connais d'autres ?
— Oui... Il y a le fils du potier, la geisha travestie, le poissonnier du quartier...
— Papa, le coupai-je, las.
Il se tut alors, et je lui offris ma place sur le bois de mon assise. Je tournais la tête maintes fois, porté par une émotion que je ne saurais décrire à mon père ce délirant. Un mutisme couvrit la pièce. Le mien de pensées vers l'homme que j'aimais, et Jeon Il-Nam parce qu'il s'inquiétait de ce que j'évoquais sur Tae-Hyung. Je ne prévoyais nullement de lui partager ce que je savais mais ma langue se déliait bien vite en ce début journalier. Je l'observais qui grattait la croûte à l'arrière de son crâne, et son corps voûté qui se balançait d'un pied à l'autre. Le gâteux marmonnait ses questions, celles qu'il devait avoir pour moi et alors j'entrouvris les lèvres afin de l'inciter à sa parole. Or, il me devança et lorsqu'au vif, il pivota vers la cloison où je m'adossais, il syllaba le nom de son fils véritable.
— Tae-Hyung... Tae-Hyung... Tae-Hyung est mort, Jeong-Guk.
Un soupir, et j'acquiesçai de mes tourmentes.
— Je sais. C'est moi qui l'ai...
— Ne le dis pas.
— C'est la vérité. Je l'ai tué, j'ai tué Tae-Hyung et pourtant, je l'ai vu. Je te le jure.
Il semblait méditer sur ce que je lui révélais et au fil de ses réflexions, la croûtelle tomba de ses cheveux presque plus. Je n'osais pas quémander s'il me croyait. Après tout, cela relevait d'une folie et il était bien certain que l'on me ferait brûler pour cette hérésie.
— D'accord, Jeong-Guk.
— Quoi « d'accord » ?
— Je te crois.
Et il restait sûr que mon père m'accompagnerait sur l'échafaud.
Mes orbes se débridèrent à cette soudaineté. Je plongeai à mes genoux et pris support sur les cuisses frêles du gris qui faiblissait un peu plus à mesure que je le dévisageais.
— Tu me crois vraiment ? Ce n'est pas une blague ? Tu ne mens pas, hein ? Promets-le moi !
Je saisis ses paluches entre mes mains puisque l'iris brillant, je surveillais sa rétorque qui tardait. Pour lui, je ne devais paraître qu'un enfant qui s'émerveillait à l'approche de Chuseok. Or, nous étions en avril et le temps des récoltes restait si loin encore.
— Papa ! je serrai un peu plus fort son attention.
— Eh bien, il m'arrive aussi de voir Tae-Hyung quand je sommeille... Toutes les nuits, en fait. Il m'appelle et me dit de te dire... D'enfin passer à autre chose car tu n'as plus dix-neuf ans et que le temps guérit tout.
Je pestai, bougon et me levai au quart de tour en maudissant ce fichu type qui se prenait pour mon géniteur.
— T'es vraiment drôle pour un vieil homme, c'est fou.
Je nourrissais des espoirs pour lui qui perdait un peu plus le fil de sa raison à mesure des années. Je me souvenais de notre croisée un peu sommaire dans les souterrains de la cour où il délirait à cause de ses années captives. La seule vérité tirée de ses poumons résidait dans sa filiation avec Tae-Hyung le Kim. Ces idées me dévastèrent un temps où je mis le lointain entre son corps et le mien. Et pourtant, je me souvenais aussi que notre relation ne s'étendait pas si haut. Il disait que si être son frère signifiait que nous étions deux âmes-sœurs vouées à passer leur existence ensemble alors soit, il l'accepterait. Alors je contais le vrai, lorsque je confiais avoir rencontré Tae-Hyung dans cette vie-ci. La guimauve tendait à nier tout ce qui franchissait mes lèvres depuis Dao mais mon cœur le reconnaissait, il le reconnaîtrait sous toutes ses couleurs.
— Il se tenait là, devant moi. Il était de chair et d'os ; il était si proche que j'entendais son cœur battre. Je sais que je ne suis pas fou, je sais que... Que je l'ai touché, que je lui ai parlé, qu'il m'a menacé de me jeter d'une falaise et que j'ai rêvé de le prendre dans mes bras.
— T'es toujours amoureux, soupira mon aîné sans le masquer.
— A-t-on besoin de l'être pour croire ? C'est ton fils, Il-Nam, et moi je ne suis rien. Tu ne sens vraiment pas qu'il est tout près ? J'ai l'impression de crever à chaque fois que je suis avec Ryong-Ho, il lui ressemble tellement.
Une fine esquisse dessina la forme de sa bouche. Elle s'emplissait d'une nostalgie que je ne saisissais que peu à cet instant où il n'articula mot. Le grand-père de ce fils que j'élevais caressa l'inconsciente reine douairière de son regard. Une tristesse compressait le haut de son buste et la parole qui suivit suffit à m'embarrasser.
— Jeong-Guk... C'est rare que tu dévoiles tes sentiments si librement.
— Tae-Hyung me fait souvent cet effet.
Je rétorquai à la nonchalance alors je ne fis pas état à l'immédiat des prunelles brillantes du patriarche. Sa vue s'égarait partout ailleurs sauf dans la mienne et ma culpabilité s'accrût pour cet homme qui perdit chacun de ses enfants, les deux de mes fautes désormais inaliénables. Mon palpitant se comprima quand les rappels de leur seule discussion fut celui où j'étais là, et où mon amour réclama les comptes de son abandon natal. Leur dévastation d'antan s'imprégnait en moi, encore. Et cela même alors que le Kim ne montra rien d'autre qu'une inquiétude pour le garde que je fus. Après cela, il n'eut qu'un vide profondément raciné entre ces deux et puis, Tae-Hyung mourut avant qu'Il-Nam ne soit relaxé par Ga-Ram. Le royaume portait son nom à lui à présent et surtout, il ne devait pas croiser ma blonde guimauve parmi les vivants. J'y veillerais.
— Si... susurra le septuagénaire. Si vraiment il avait survécu... Tu sais, Jeong-Guk, j'ignore ce que je lui dirais. Je m'émeus déjà en évoquant son absence alors...
— Alors je te le ramènerai.
Je lui adressai un sourire pour acter cette promesse choisie au hasard des mots. La surprise voila son faciès un temps qui dura peu. Il acquiesça seulement et m'accueillit entre ses malingres bras. Je sentais le doute poindre dans la façon qu'il avait de se tenir, et c'était un songe suffisant à l'accomplissement de ce que je lui dévoilais.
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Je quittai mon paternel dès lors que le soleil afficha près de seize heures. Les routes se vidaient à cet horaire qui marquait le début de la sieste pour beaucoup de cheôseonins, grands et bambins. Le régime de Ga-Ram améliorait la vie à la capitale. Or, sa folie à lui se trouvait ailleurs. On racontait qu'il formait ses hommes à la bataille et que ces entraînements similaient dangereusement la torture qu'un roi exercerait sur ses sujets. On disait aussi que le spectre de Yeonsan-Gun rôdait entre les murs citadins. Ses actes passés retentissaient encore dans les cœurs, et achevaient les plus faibles d'entre nous. Les souvenirs restaient. Ils se tapissaient dans l'ombre et sautaient à la gorge de celui qui espérait un peu de bonheur. L'ancien monarque enlisait le royaume entier dans une torpeur glacée comme si le temps ne se mouvait plus. Des massacres. Des massacres, encore. Des massacres, toujours. Et puis, les censures, les lois, et les interdits nombreux et absurdes. Ga-Ram mit un temps pour rétablir l'usage du hangeul, je le soupçonnais de détenir un bras droit plus long qu'il ne souhaitait le faire croire. Et pourtant, voilà près de deux ans que je ne remis pas les pattes devant lui.
À cette date, j'évoquais notre dernier face à face où trônant sur l'assise des Kim, il me toisait de sa condescendance.
— Tu es sûr de toi ? qu'il me demanda, ce sourire au coin des lèvres.
J'apposai l'œil sur le jingum jeté à ses bottes. Lors d'un moment, je m'interrogeais sur le lieu où il désirait en venir. Je crus, d'abord, qu'il réclamait un affrontement de nos deux partis. Néanmoins, je n'avais que faire du pouvoir qu'il me proposait puisqu'une rage brûlait en mon tout-entier moi. Je compris, vif, qu'il me proposait de joindre ses rangs en tant que conseiller régent. Quel putain de foutage de tête.
La mine froide et blafarde, j'imbriquai mon regard au sien sans réprimer la méchante raillerie qui peignait mon visage. Je scrutai cet homme qui, autrefois, appartenait à ceux que j'aimais plus que le reste. Je détaillais chacun de ses traits, chacun de ses battements de cils, et chacun de ses rictus que j'interprétais comme ses façons de me faire accoucher de ma colère. De ma poche, j'élevai mon pistolet à mèche avec lequel je ciblai ce désormais ennemi de mon esprit. Il ne broncha pas un peu, alors je lui adressai un sourire qu'il me rendit.
— Si ta tête apparaît encore devant moi, je te tire une balle entre les deux yeux.
Un éclat de rire secoua sa gorge mais je ne démordai pas, ce serait si facile et je n'avais plus peur. Je rangeai mon arme sans ciller et le plus sérieusement possible puisqu'il devenait certain que je le crevèrerais si je le rencontrais encore dans cette vie. Je me montrerais bien incapable de me contrôler, et je n'en éprouverais certainement pas l'envie. Pas après tout cela. Ces souvenirs se vivifiaient en mon sein malgré les années. Et à la mesure de mes pas s'ajoutait une brusque amertume à l'idée seule que je rêvais de voir Ga-Ram une fois comme prétexte pour l'achever. Juste une fois. Une seconde suffisait pour que mon doigt glisse sur la détente ou pour que mon glaive patine le long de son larynx...
— Essaie de m'attraper !
Cette voix toute juvénile apaisa mon sentiment. Et celle qui suivit affola mon esprit et fit naître des papillons au creux de mes lobes. Je discernai l'éclat marmotin qui caractérisait ses plaisanteries. Je virai le chef partout à mes environs. Vers le haut, vers le bas, à la gauche, à la droite jusqu'à ce que je trouvasse ses deux pupilles fauves. Elles s'amusaient de l'euphorie des petits garçons, et des filles qui accouraient autour de lui. La poussière s'élevait sous leurs jambes excitées, ces joies rosissaient les joues mais je n'avais d'yeux que pour le châtain-blond. Lorsqu'il m'aperçut, il approxima avec une telle vivacité sérieuse que j'émis un recul. Il paraissait si proche que nos souffles se mêlaient, que nos fronts se frottaient, et que sa main ne s'empêcha guère de trouver ma hanche. Nous restâmes longuement dans cette approche qui m'étonna. Il vacilla un peu et prit appui contre mon épaule, paupières closes. Il réalisa bien tard sa gestuelle et récupéra la distance qui nous était dûe.
— Jeong-Guk, je... Pardon, il soupira en laissant ses doigts se fondre à ses mèches.
Sa familiarité m'offrit l'espoir de sa souvenance revenue mais au plongeon de ses prunelles, je devinai qu'il n'en était rien. Tae-Hyung, le mien, possédait un regard tout particulier qu'il ne réservait qu'à moi. Il s'agissait d'une phosphorescence claire et belle quand il m'aimait, et là je ne découvrais rien de pareil devant celui qui me faisait face.
— C'est mon arrivée qui te met dans un tel état ?
— Tu rêves, s'agaça le Kim.
Je rêvais certainement. Dans un tel cas alors il n'existait plus beau songe que de voir se dessiner une ombre qu'on eut aimé jadis. La sienne, en l'occurrence, puisqu'à présent je réalisais tout juste le vrai de nos rencontres dernières. Celle de DaNo, celle des près, et maintenant avec les bébés de Hanyang qui réclamaient l'attention de cet autre qui m'en donnait à moi. Un sourire fleurit à mes lèvres. Tae-Hyung me toisait comme on maudirait le choléra mais en dépit de cela, je sentais une progression dans nos échanges. Cette fois-là, il ne me menaçait pas de finir échouer au pied d'une falaise. Il me montra le dos et, dès lors, retourna à ses occupations. Une inquiétude crût alors qu'une tension se vérifiait en son tout-lui. Pourtant, il maquettait encore sur des marionnettes construites de bois et de chiffons pour faire le plaisir à ses amis d'un jeune âge. J'étudiais son adresse par-dessus sa rotule. Ses longs doigts veineux nouaient, attachaient, tissaient et recommençaient un peu mieux à chaque fois. J'examinais la gravité gaie avec laquelle il ajustait les coutures. Je surveillais la douceur dont il usait pour tendre les jouets aux petits. Je ne m'empêchais pas de l'imaginer agir de même avec Ryong-Ho, son fils véritable. Il l'adorerait.
— T'as donc décidé de me suivre partout...
J'ouïs sa remarque qui me tira une approbation que je ne contrôlai pas.
— T'es pénible, tu sais.
— Aujourd'hui n'est qu'un hasard...
— Je ne crois pas vraiment à un hasard... Je pense que si tu es là, encore, c'est que le destin s'est trouvé forcé de me remettre sur ta route.
— La capitale n'est pas très grande, Tae-Hyung.
— Non, coupa-t-il en se levant. C'est toi qui prend trop de place.
Bouleversement.
Il me témoignait d'une irritation justifiée, d'une lassitude tempérée et il souffla de nouveau comme si ma présence seule convenait à lui boucher les voies respiratoires.
— Tu mériterais que je te fasse arrêter, poursuivit-il.
— Par la même occasion, tu pourras dire aux gardes que tu vends des drogues à Chô-Seon. Ils seront ravis, je suis sûr.
Sa bouche se tordit pour une grimace à ces dires. Ma langue se confia plus vite que mes pensées et alors je regrettais ces menaces. Elles résultaient d'un manque cruel d'efforts pour communiquer. Or, que voulait-il ? Même avec les années, Kim Tae-Hyung restait l'être que j'aimais à la mort et la haine. À certains temps, l'amour surpassait mes hostilités envers les royaux, envers mon ancien prince que je ne cessais plus d'adorer. Cela ne tombait pas tellement sous le sens ; je ne saisissais pas moi-même que mon âme toute entière lui appartenait depuis si longtemps.
— Ce ne sont pas des drogues, simplement des médicaments que l'on trouve sur d'autres contrées.
Il se justifia, bougon.
— Sa Majesté l'interdit, je rétorquai alors.
Une ricane railleuse tira sa bouche en une moue moqueuse. Ses bras se croisèrent tout contre son thorax et ses orbes se plissèrent un peu juste à la scrutation de ma face.
— Tu travailles pour Shin Ga-Ram ?
— Tu connais Ga-Ram ?
Je m'étonnais sans le pourquoi à ma connaissance. Le Kim plus royal montra un recul à ma question si spontanée alors que je ne prouvais jamais de mon lien avec le régnant. Ga-Ram restait mon adopté frère, nous grandîmes l'un avec l'autre et cela, on ne pourrait me l'enlever. Le châtain à mon devant pivota, à dos, et fuyard, il articula quelques mots aux enfants qui partirent le rire à la gorge. Il se redressa avec lenteur et les observa au chemin, la mine lugubre.
— Les enfants sont plus heureux depuis son avènement mais son existence suffit à détruire la mienne.
— Comme avec beaucoup d'autres, oui.
— Jeong-Guk, il syllaba comme un outrage silencieux.
Il alla à ses grandes foulées vers le muret construit de pierre et de lierre. Le châtain s'y hissa et ne m'incitant guère à l'y rejoindre, je l'y rejoignis tout de même. Nous demeurâmes de silence tout-plein, assis l'un tout près de l'autre tandis que je pensais l'enlacer entier.
— Tu ne comprends pas... Il me traque à chaque fois que je débarque à Chô-Seon.
Ses blondeurs voletèrent dans les vents et dévoilèrent la juvénile mélancolie qui lui seyait dans cette vie-là et l'ancienne. Je caressai sa silhouette gracile de mon œil obscur, et à ce temps, je ne savais plus quoi répondre. Alors un silence se fit, grandissant dans les méandres de ma crainte. Celle où le Shin Ga-Ram chassait le Kim, le mien, puisqu'il fut roi, fils du Gun. Un fin quelque chose étira la lèvre de l'homme dernier dont le regard tergiversait sur les bambins athlètes.
— Ces enfants sont ma consolation et mon inquiétude, ces enfants sont... Jeong-Guk, le roi ne le comprend pas non plus et s'est mis dans l'idée que j'étais un poison pour la cité.
— Et c'est ce que tu crois ?
— Je ne sais même pas pourquoi je te dis tout ça, fit-il à la ricane.
— Tae-Hyung, pourquoi tu organisais ces combats clandestins lors de DaNo ?
Un long instant pourchassa ma question. Un mutisme colossal qui entreprit nos deux cœurs, et scella nos lèvres dans une méditation curieuse. Un embarras taquina le Kim qui rameuta ses mèches à l'arrière. Nous demeurions de pierre et patience tandis que la hâte poignait mon corps. L'interrogatif allait au dessein de comprendre ses récréations, et cette passion qui le liait aux plus enfants malgré le secret de ses actes. Je contemplai ses pieds balançants au vide, et ne retins pas un hoquet lorsque son timbre me transperça tout complet.
— J'ai besoin d'argent alors je prends les paris.
— Qu'est-ce que tu me caches ?
— T'es une sorte d'officier ?
Il rit.
— Il fut un temps où j'étais jeune garde à la cour de Yeonsan-Gun, je rétorquai.
— Quelle horreur, mon pauvre ! Ce n'est pas étouffant de porter un uniforme toute la journée et tous les jours ? alors s'indigna le Tae-Hyung ingénu.
— Ça devait l'être davantage de porter une robe royale, je plaignais le Prince héritier...
Nos discutes tournoyaient à l'alentour du hasard. Nous entendions la ventée, elle sifflait et élevait les poils nucaux de lui et de moi. Le blond frissonna : je me prenais d'affection singulière pour chacun de ses sens sensibles au moindre pas de la nature. Les enfants cheôseonins criaient, s'évertuaient à s'attraper tous sans comprendre cette folie que d'en choper un. Je regrettais ces temps où j'accourais derrière Ga-Ram, plus aîné, lorsqu'il moquait mes pleurs quand je peinais à le suivre. Et ces larmes pareilles à celles de ce garçon joyeux, au-devant, qui se distinguait par sa taille minuscule.
Une tension naquit sur les épaules du bicolore à ma gauche. Tae-Hyung descendit du muret et approxima le marmot au genou tombé sur les gravats. Sa dextre tendre s'apposa sur le sommet du petit crâne tandis qu'un sourire croquissait sa bouche. Du bout d'elle, il fredonna un air avant de le taquiner sur d'éventuels supers-pouvoirs, et que ce qui ne nous tuait pas nous rendait forts. Ce bobo partirait. À l'instant où c'était douloureux, cela ne le rendait que plus vivant et il n'y avait de plus belle chose sur Terre que de se sentir respirer.
Kim Tae-Hyung prononça ces dires, et je les trouvais diablement faux.
— Ces enfants sont ta consolation, hein... je riotai dans un souffle.
Il n'existait pire philosophie que de se penser humain dans la souffrance. L'ayant vécu atrocement, c'était sans le doute la meilleure façon d'approcher la mort sans jamais la toucher.
La douceur du présent contrastait brutalement avec ces songes. Aussi, je me convainquais que mon aimé agirait en formidable père s'il connut Ryong-Ho petit. Cette idée me ravivait un peu mieux.
— Jeong-Guk ?
— Quoi ?
J'atteignis l'interpellant qui leva ses deux fauves vers moi en nettoyant l'égratignure du patient.
— Je t'ai dit que Shin Ga-Ram me causait des soucis, et que j'avais besoin de sous d'où les paris sur les enfants.
— Si je ne te connaissais pas, je dirais que c'est parce que tu projettes de fuir le royaume, j'ironisai.
Un grand calme s'abattit sur la rue comme une magie que l'on déploierait pour faire taire les bavards. Une chose rigolote subsistait avec Tae-Hyung, même après les années et à travers les vies. On lisait son coeur comme un livre aux pages hasardeuses et qu'il nous suffisait de remettre en ordre pour obtenir des réponses.
— Tu pars quand ?
— Dans cinq jours... Un bateau m'attendra au port d'In-Cheon.
— Pourquoi ?
— J'ai des terres à parcourir, et des clients à rencontrer.
— Je te l'interdis, et je n'empêchais plus mon timbre ému de s'érailler.
Son œil d'ennui parcourut ma face déterminée. Je décelai en lui un embarras las de mon attitude pénible. J'ignorais pour qui je me prenais en lui imposant son installation au plus proche de moi mais je restais à mes positions tandis que nos regards s'enlaçaient à tout jamais. Dans ma tête, je n'envisageais plus de le laisser partir.
Qu'importait ses propos tant que je le gardais à portée de vue et d'ouïe.
CÉRÈS | CHAPITRE 3
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