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CÉRÈS | CHAPITRE 6
Royaume de Chô-Seon,
ancienne Corée réunifiée,
Jeong-Guk.
- A -
Trente minutes.
Il s'écoula ces temps-là depuis que le capitaine du babord nous trouva à tribord. Et dans ce laps, il me semblait que je passai par une myriade de sentiments fugaces, se déchirant et se mêlant, quelquefois. Un état consterné, d'abord, où les passagers autres constatèrent mes paupières révulsées, mes lèvres ouvertes à la demie, et mon teint hâlé devenir blême. Il céda la place à son voisin le doute puisque j'avais appris les lettres, mais pas ma géographie. J'ignorais où se situait l'île énoncée mais j'imaginais que ce devait être suffisamment lointain pour que Tae-Hyung me mitraille autant la tête. Cela dura les cinq premières minutes, lors desquelles je n'osai pas articuler le moindre son. Les vingt-cinq restantes, je subis le déferlement de sa frustration si ce n'était qu'une simple frustration. Euphémisme. Sa face expérimenta les joies du camouflage, celui où l'on changeait de couleur en deçà de ses émois.
Il me reprocha bien des choses, en somme.
Néanmoins, je n'ouïs pas un seul instant ce moment où il blâma d'être en ma présence. Il ne le fit guère. J'en déduisis que je le rassurais, peut-être. Je n'en restais que peu sûr. Or, après tout, le Kim demeurait mon cadet en cette vie, et je croyais ne jamais m'y faire...
- Toi, en fait, je ne sais pas... T'es complètement... Merde...
... Jusqu'à ce qu'il me ramène à la réalité.
- Certes mais...
Ses grands dorés se plissèrent, me toisèrent, me supplicièrent, plein d'un dégoût hyperbolé qui me tressaillirent. Je perçus l'incompréhension dans ses façons de scruter ma figure agitée de remords. Précipitamment, ses pas vinrent à moi qui le laissa appuyer la culpabilité sur mes épaules, et qui le trouva si impressionnant soudainement que, à l'instinct, je redressai lestement le chef, je vissai mes pupilles dans les siennes. Il creusa les sourcils, de plus belle, je déglutis davantage. Cela me conforta dans une curieuse impression. Sa bouche se retroussa vilement, d'une indécence coupable, dans quelques dires murmurés contre mon derme.
- Mais quoi ? Dis-moi, Jeong-Guk.
Je secouai vivement le menton : difficile de réaffirmer ma suprême autorité quand ce Tae-Hyung en excerçait une puissante dans sa vie de l'antan. Je ne savais pas encore ce que signait et signifiait ce "mais", il m'irritait. Deux de ses doigts pressèrent mon front dans un ricanement de malaise franc.
- Là, j'ai vraiment envie de te tuer.
- Tu ne le feras pas, me défendis-je aussitôt.
- Je le ferai si tu contraries encore mes plans...
La tension grimpa les rideaux, électrisante et rebelle. C'était précisément ce à quoi nous ressemblions. Deux beaux criminels, attirés par l'un et par l'autre, ancrés profondément dans un jeu de fuis-moi, je te suis. J'amorçai un pied à son égard, annihilant le risible de distance entre nos torses. Une proximité pareille ne m'embêtait jamais mais à présent, un embarras gagnait mon coeur tandis que les dactyles du non plus prince cueillirent ma pommette par un froid mordant.
- Qui était ce Hua ?
Kim Tae-Hyung freina sa caresse, main suspendue à l'air, lors de quelques secondes avant de reprendre d'un ton monocorde.
- Personne.
- Tu fous ta langue dans la bouche de gens que tu ne connais pas. Classe.
- Lâche-moi, Jeong-Guk. C'est lourd.
- Là, c'est toi qui me tiens cette putain de joue.
Je regrettai mes paroles sitôt prononcées, vectrices de mon amertume soudaine. Le Kim recula, se retira, nez froncé et irrité, il me tourna le dos.
Je voulus répliquer, paré à savoir le fin mot de son identité lorsque de lourdes bottes cognèrent le mât du navire, il oscilla. Je maugréai contre l'échine de Tae-Hyung qui, finalement, de concert avec moi, pivota envers la source sourde de ce bruit de bois battu. Le capitaine nous observait, chaussure dans sa poigne, et un peu malgré tout, je ne réprimai pas l'esquisse d'un sourire à cette image, à cette situation lunaire. Tout allait de travers. Tout irait de travers. Pourtant, je pourrais m'écrouler de rire sous les yeux exorbités de tous. Le petit équipage crierait au blasphème.
- Dix yang, ou vous passez à la planche ! On ne badine pas avec les sous, hein.
J'entendis le soupir de mon accompagnant, mêlé d'un allègre à qui l'dis-tu qui me rendit perplexe. La somme réclamée s'annonçait faramineuse, équivalente à des mois de dur labeur... Ce fut formellement pourquoi je m'adressai silencieusement à mon plus jeune. La culpabilité progressa sans la cesse mais que pouvais-je bien y faire ? J'étais sans le sou, je vivais des rentes des terres de mon épouse et de sa famille. Le chef du bateau approxima mon brun et lui fis gaiement les poches jusqu'à en sortir une bourse lacée. Tae-Hyung, lui, me broierait bien les miennes, de bourses... Écoeur.
- Merveilleux ! Bienvenus à bord !
L'homme clama, semblable à un héraut de la cour. D'autres paires d'attention se portèrent sur notre cocasse binôme qui ne possédait rien d'inaperçu. Un presque trentenaire aux mèches indociles, volatiles, sublimé d'épingles dans ses cheveux pagaillés, un caractériel, un voyageur aigri qui paraissait traîner des casseroles en nombre. Et un déjà quarantenaire à l'allure assagie mais indomptable, opportuniste, un retraité qui se pensait encore soldat de son roi. Nous similions le parfait équilibre entre le trop et le pas assez. Excellent.
Avec une parcimonie cruelle, je l'approchai, glissant la patte contre son bras. Les regrets assaillirent mes traits quand il m'étudia, en biais, d'un oeil mauvais que je ne déméritais pas. Je n'admettais pas si souvent mes torts mais, au désormais, notifier la répulsion sur ses nerfs me poussait à une forme de rédemption. Alors j'inspirai lourdement, j'expirai, j'ingérai ma salive, je désirai la cracher puis me rappelai que nous étions sur l'embarcation d'un bougon - j'imaginais que ce ne devait pas se faire - et que j'avais des excuses à formuler.
- Pardon pour tout ça.
Son sourcil se releva. À son léger pivot, je flairai l'attention singulière qu'il m'accorda, d'un coup. Un soupir fendit ma glotte, Ryong-Ho me rirait à la gueule, braillant que c'était bien la première fois que je réclamai un quelconque pardon en dix ans... Sauf qu'il n'était pas un quelconque. Sa fragrance embauma mon nez et ma pensée alla à l'ancien lui qui transportait toujours cette senteur sucrée, celle d'une guimauve. Et comme elle, le Kim se montrait de tendresse subtile, dissimulée derrière ses élans acerbes, à présent. Je leur découvrais une tranquillité commune, une force à se confondre en baume à chagrin, à apaiser et guérir sans la peine. Mon brun similait les pétales roses pâles de sa plante qui se conformait et cachait ses solides appuis, sa tige dressée, robuste, et fière. Et lorsque l'on creusait la terre, on y révélait sa source, sa racine collante, charnue, et mère nourricière. Oui, Kim Tae-Hyung était une guimauve à l'imprenante odeur de bienfaisance.
Il ne rétorqua rien, je m'en inquiétai et le lui prouvai en vissant mes semelles devant ses pas, j'assis mes paumes aux naissances de son cou, et verrouillant mes iris dans ses iris, je réitérai à mes convictions.
- Je suis sérieux, d'accord ? Je suis désolé. Je te promets qu'on va trouver une solution ensemble, tout ira bien. Vraiment, j'insiste, je suis navré et je refuse que tu te terrifies en pensant trop. Ne pense plus, regarde-moi, je suis là, je vais rembourser ma dette, je vais nous sortir de là, d'accord ?
Un long et impétueux silence suivit ma tirade. À ce temps alors, aucun de nous ne défit son regard de l'autre, et cela dura assez afin que le malaise ne me gagne en terrain. Et ce fut la seconde de trop. Tae-Hyung pouffa, portant sa dextre à sa bouche, et il s'esclaffa finalement, impossible de contenir sa grande gaieté brusque.
- Jeong-Guk, ne change rien ! il s'emporta, ce sourire immense aux lèvres. Ne change vraiment rien !
- Quoi ?
Mes orbes clignèrent à maintes, éberlués, à l'abasourde. Il me fallut un moment pour saisir les motifs de ce badinage. Mon cadet larmoyait tellement que je le soupçonnai de retenir son émoi depuis trop longtemps, d'avoir esquisser quelques amusements, parfois, lorsque je ne le zieutais guère. Comme quand il me montra son dos. Mon visage se fronça tout-entier.
Tae-Hyung se payait royalement ma tête.
- Tu sais quoi, abruti ? Je ne pensais pas un mot de ce que j'ai dit. Je ne suis ni désolé ni prêt à rembourser quoi que ce soit, je n'ai même pas d'argent.
Ses épaules se haussèrent joyeusement, il s'inclina vers moi afin d'observer mes rides se creuser d'agacement.
- Putain de Kim... jurai-je, et je le quittai sur son bonheur furtif.
L'entrée de la cale situait l'arrière. Il s'agissait d'une pièce à vivre aménagée en une salle de stockage où les commerçants rangeaient leurs marchandises dans des caisses mastodontes. Il n'y restait qu'un pauvre éclairage vacillant, et un effluve putride qui m'offrit une émétique amertume. Tae-Hyung me suivit vilement, pas gentiment non. Or, je méprisai sa présence : je m'affalai sur un siège d'inconfort, je ne me souciai aucunement de son hygiène puisque je réalisai juste que l'homme qui m'accompagnait demeurait un parfait modèle de la sorte de gens à ne pas côtoyer lors d'un voyage imprévu. Il risquerait de tout faire capoter, et je m'y refusai. Cependant, sa réaction à la découverte de ces lieux me tira une ricane allègre, foutrement mignon. Il paraissait comme à Chuseok, au don des cadeaux de la récolte, un enfant.
- Tu croyais que je t'en voulais ? Non, c'est une chance incroyable.
Un enfant dont j'ignorais quel était son foutu problème.
- Je me rendais au Japon, de toute façon, donc ça ne change rien. En revanche, tu me compliques les choses avec l'armée à nos fesses.
- Je ne suis pas désolé, t'entends ?
Un rictus s'afficha sur sa bouche, contentée et insoumise.
- J'ai entendu, fit-il. T'es rancunier...
- Ouais, ça m'arrive. Bon... Reposons-nous ici, et réfléchissons à une solution.
Tae-Hyung opina, s'installa au plus proche de moi sans le faire exprès, sans le doute, puisqu'il colla sa cuisse à ma cuisse dans un naturel déconcertant.
- Arrivés à Fukuoka, il nous faudra un logement, des vivres, des sous, médita-t-il, n'en faisant guère fi. Et il faudra que tu m'expliques pourquoi les gardes en veulent à tes fesses.
- Arrête de parler de fesses. Ça fait deux fois.
Son rire, déroutant, détonna à nouveau. Dans l'ouïe, ma tête, mon coeur, et chacune des parcelles de ma peau. Mes paupières se fermèrent à la lenteur, à la lourdeur, et auprès de moi, je sentis le corps léger de Tae-Hyung se mettre à pieds, et parcourir la pièce de ses bottes percutantes. Je ne le voyais pas mais je devinais ses allées et venues, à foison, déterminées, hâtées, et cela me rendit quelque peu curieux de connaître ce qui motivait un plus jeune aussi vivement. Je libérai ma vue afin d'étudier ses gestes d'un ton las, moralisateur, paternaliste, et digne de n'importe quel chef de patrie. Je contemplai sa marche, les plusieurs coups de regards qu'il jeta vers la porte, à la dérobée. L'originale guimauve aborda les grandes coffres sylvestres, il sortit un poignard et taillada l'ouverture des caisses sous mon intérêt aiguisé. De mon assise, je ne constatai rien du contenu de ces conteneurs mais je m'évertuai à focaliser mon songe sur les poignes du Kim. Des étoffes, des métaux, du coton, de la porcelaine, de l'herbe. Je frippai mes orbes ; Tae-Hyung emplit son sac de ces babioles. Atterrement. Ce n'était guère tant son souci de la discrétion qui m'alarmait, mais plutôt... Ça. Cette scène accablante qui se déroulait à mon devant.
- Tu veux les voler...
Davantage un état qu'une interrogation réelle. Le concerné réhaussa sa bouille ennuyée, il acquiesça.
- Je veux seulement rentabiliser la somme d'argent que tu viens de me faire perdre. Je vais revendre tout ce que je peux estimer intéressant.
Une balourdeur s'appesantit. J'oublierais presque que ce garçon n'avait plus que faire de la bienséance, et sa bien-pensance. En cette nouvelle vie, je le rencontrai alors qu'il articulait des combats juvéniles et clandestins. Par ailleurs, Kim Tae-Hyung ne masqua jamais sa libre volonté, celle que je lui enviais à mon tour, ici-bas. Il mentait encore. Même après sa mort. Je m'assombris. Il bobardait quand je le questionnais sur sa vie, sur ses relations, sur ce Hua qui me turlupinait plus que le reste. Il manipulait selon ses désirs et bien que cela semblait en parfaite innocence, d'abord, je ne m'empêchais pas de faire le lien avec le passé. Le châtain royal et son ego d'ici se révélaient être un unique et même homme. Mon muscle cardiaque se figea, et un douloureux tressaillis secoua ma carcasse endeuillée. Et mon souvenir revint à la missive d'Ah-Reum Rhee qui m'informa de la véracité de mes doutes. L'urne funéraire était vidée de ses cendres. Il existerait un plein de théories folles qui expliciteraient un prodige tel. Et la première racontait que si je ne tentai pas, tantôt, de l'arrêter de s'éloigner de Chô-Seon, les choses se serait déroulées différemment. À l'immédiat, ce Tae-Hyung, brigand et baratineur, était le même que le mien. En embelli. En plus farouche. En plus fourbe. En encore plus passionnant.
Un contentement me parvint tandis que sa besace s'engraissait.
- Tu crois qu'ils vont te laisser partir comme ça ?
- Aucune idée. Tu n'as qu'à leur demander.
À demande d'ironie, réplique semblable. Un point chacun, la balle au centre.
Le bandit se lamenta, feignant d'éteindre la sue de son front. Je le raillai, ce comédien, qui me faisait perdre grandement la tête dans tous les sens de ces termes. Je tapotai la place à côté afin de l'inviter à revenir ; il ne s'en fit guère prier et s'installa, tenant son sac à la fermeté contre ses battements de coeur. Mon regard de moi à lui témoigna de mes exaspérations, d'une récréation modulée, et surtout, d'un bouleversement énième dont je ne savais que taire.
- Qu'est-ce qu'il y a ? Si t'as peur de finir à la planche, je suis plutôt du genre à prendre la responsabilité de mes erreurs.
Je l'aimais à en crever.
- Donc tu sais que c'est une erreur.
- C'en est une seulement si tu te fais choper, Jeong-Guk.
Son implacable logique engendrait des stupéfactions. Je pensais avoir mûri, et voilà que je me retrouvais avec une version périmée d'un Jeon impertinent. Complètement, il avait raison.
À travers le hublot, nous observions la lune se refléter aux surfaces des eaux dans un spectacle mirifique. Je scellai ma mâchoire dans le creux de ma paume, patientant de l'instant où je pourrais tirer des vers du nez de Tae-Hyung. Maintenant, autrement formulé. Il quémanda ce qui traversait mon esprit quand je l'apposai sur lui. Dans un temps premier, je ne répondis que le rien, occupant le soin de méditer sa requête. J'harponnai ma lippe de ma dent avec la conscience que ma sensualité naturelle l'indifférait. Je rispostai une autre question en écho, à savoir qui était ce fichu Hua qui aspirait son âme plus tôt, de sa salive. Mon interlocuteur s'adossa, confiant et alors qu'il ouvrit la bouche, il répondit par une ultime devinette. Que Diable avais-je fait de Ryong-Ho pour le pousser ainsi à l'eau sans m'en faire ? Un vieux quarantenaire tel que moi ne remarquerait pas la joute de vers qui enclenchait une ribambelle de mémoires, comme tout. Nulle interrogation ne me vint plus, et à sa mine égayée, il donnait l'air de prétendre à une victoire silencieuse. Cela me croquit un sourire simple aux lèvres. La sincérité me poussa à le rassurer sur les capacités exceptionnelles de mon disciple. Là ne demeurait le problème, en fait. Il s'agissait surtout de savoir pourquoi un pareil acte alors par un naturel évident, prétentieux un peu, je dis seulement que dans ce moment aussi difficile qu'une course de chats et souris avec l'armée, je ne souhaitais pas que l'on y associe mon protégé. On l'aurait aperçu à mes côtés qui se vêtit de vêtements connaissables aux miens. Ryong-Ho était tout, mais loin d'être bête. Il saurait quoi faire, maintenant. Il y était préparé, et je pariais la tête de mon sénile d'Il-Nam qu'il ne m'en voudrait pas...
On parlait de Jeon Ryong-Ho. Bien sûr qu'il m'en voudrait, je lui appris la rancoeur, et il m'eut pour père.
Tae-Hyung me prêta l'oreille. Précisément, ce fut là qu'il me dévoila l'identité de Li Hua, il le présenta ainsi. Ce métisse, originaire d'un pays du nord asiatique, était de son âge, et ce fut lui qui l'initia "aux plaisirs adultes". J'entendis la description d'une relation amour-haine, une relation de dominé-dominant, une relation de transaction où l'un excerçait un pouvoir sur l'autre au risque d'y laisser le tout. Et hormis le fait qu'ils baisaient selon la bonne volonté du suprématiste, mon Kim se missionnait de vendre la marchandise contre des sous qu'il ne garderait pas. Ou alors, quoi ? Je l'interrogeai, et il plaisanta.
"Tu es bien curieux, Jeong-Guk".
"Tu n'as pas besoin d'être jaloux, Jeong-Guk".
- Ma jalousie t'emmerde, Kim Tae-Hyung.
Il rit. Il riait beaucoup... Et ça lui allait follement bien. Il ajouta que je jurais trop pour un homme si âgé. Or, il était tout aussi vrai que celui qui jurait si souvent se comptait dans les gens francs et loyaux.
Nous bavassions ainsi, simplement, sans contraintes, et il ne me laissa pas le loisir de me soucier de sa dépendance à Li Hua. D'ailleurs, je pressentis, comme un doucereux frisson, que mon confident ponctuel ne m'informait pas de tout. J'émis une méfiance sacrée quant à ses propos mais je n'en prouvai nul. Je n'en eus pas le temps lorsqu'un son sourd bascula nos maux dans l'obscurité. Un coup de tonnerre qui ébranla le navire de la droite vers la gauche et qui, à la place de nous bousculer, nous leva abruptement. Les billes rondes, je saisis la patte pendouillante de Tae-Hyung qui tentait encore de lier sa cervelle à ce qu'il se passait au-dessus de nos crânes. Sa seconde paume pressa sa tempe, il émit le geignement d'une migraine invoulue mais je le tirai à moi, hors des secousses intérieures. Il me remercierait plus tard, ou me graciait déjà lorsque je lui évitai de se faire assommer de quelque bois lâchant le plafond. Je l'amenai à ma suite, au refus de le laisser calmer son mal de tête, d'abord. Au dehors de la cale, sur le pont supérieur, les quatre membres de l'escorte criaient à l'assaille, courant sur le parcours que représentait le bateau et ses débris détruits par les canons.
- Que se passe-t-il ?
On ne me rétorqua pas. Aussi, c'était à peine si les officiers remarquaient nos mines affolées. Je délivrai la prise de Tae-Hyung, et rejoignis la poupe à l'allure, agitée par les remous de la mer. Dans la brume nocturne, et le chahut incessant, je discernai la forme d'un Byeongjeseon, bâtiment belliqueux qui prenait les flots. L'armée nous pourchassait à bombardes ; je songerais à demander au Kim pourquoi mon imbécile de frère était si... Orgueilleux.
Un deuxième canon fut jeté envers nous, et nos encontres, dans le tapage des soldats achlysiens, arborant fièrement le serpent se mordant la queue sur la coque. À l'extrême, et pressé, je reculai là où mon compagnon de chemin se souciait davantage de son sac de marchandises dérobées que de sa survie propre. Voilà une chose qui ne changeait pas. Le royal pensait à son titre, et il devenait de mon rôle d'asseoir ma défense sur son lui.
- À couvert !
Et ce fut les mots derniers du commandant avant qu'il n'explose goulument. L'embarcation oscilla de trop, et à point que nous le sentions chavirer désespérément. À corps baissés, nous nous redressâmes, pris d'un repentir à l'égard du bonhomme mort sous les planches. Les hurlements de terreur frétillaient à la cadence de mon esprit pensant, il nous fallait une issue. J'osais le déclarer : la présente situation nous offrait une diversion réjouissante à notre fuite.
- La barque... je soufflai. La barque, Tae-Hyung, prenons-la.
En criant gare, nous approximâmes ladite. Ou du moins, je l'approchai seul, et le réalisai quand, déjà, le canot secouriste frappa l'eau dans un ploc contrasté. Je pivotai vivement, je hélai le lent, impatient, qui s'affairait à amasser les perles échouées de sa besace au sol. Une énième secousse, l'armée nous rapprochait de la mort. Dans l'adrénaline naturelle de n'importe quel être humain normalement constitué, je jetai le premier bagage du voleur sur notre nouveau mode de transports. Je suivis ce geste, la ferme résolution de ne pas crever dans la coulée. J'élevai le chef, yeux soucoupes, bouche ouverte, coeur lourdaud, et un dernier canon retentit, Tae-Hyung perdit son équilibre et son commerce dans les vagues.
- Merde ! il jura, c'était lunaire.
- Tae-Hyung, pitié, saute sur cette barque ! Tout de suite !
Cet homme me rendait fou.
À ce temps, il parut prendre conscience du danger comme s'il n'exista pas, naguère. Debout, il marqua un ultime élan et s'élança à la course afin d'atteindre la sortie prenant le large peu à peu. Il atterrit dans les eaux sombres et lustrées de l'Est, les bras étendues à l'arrière de notre fortune maritime. Un hoquet frissonnant le statufia à la soudaineté, au seuil d'un soupir glacé. Je capturai sa poigne, et le hissai à bord avant que le choc thermique ne le tue, à l'immédiat. Nous demeurions cachés au-derrière des explosions, des bombes, des fumées épaisses de la garde. Cela suffirait pour que l'on s'éloigne suffisamment. À mes côtés, l'abruti revenait à son souffle, troquant sa lourde respiration contre un soupir serein. Shin Ga-Ram m'adorait. Il m'adorait tant qu'il ne voudrait jamais me tuer alors qu'ici, il m'aima tellement que ses hommes tentèrent de me faucher. Tae-Hyung ôta ses habits humides en dépit de la fraîcheur de la soirée. Il resta un instant ainsi. Or, plus je l'étudiais, je le dévisageais, je l'épiais, et me délectais de son corps porcelaine, et plus l'intense, la colère me vrillait.
- J'ai perdu les affaires, désolé.
Nom d'oiseau.
Cet énergumène se montrait curieusement soucieux. Il toucha son menton, d'une frénétique façon, j'étais encore plein de sentiments différents. L'existence même de cet homme n'avait aucun sens.
- Ne m'en veux pas, Jeong-Guk... Je voulais revendre les perles pour nous acheter à manger à Fukuoka, et j'avais trouvé une couverture pour toi, aussi. Tu n'avais pas prévu de voyager alors tu n'as pas d'affaires, les nuits sont un peu fraîches.
Son propos m'eut, j'admettais, il m'adoucit. Il brillait d'une rare déception, presque infantile qui m'étira une amertume. Je glissai les doigts entre les mèches de mes ébènes tandis qu'il enfila des vêtements secs de son sac, susurrant un discret remerciement pour mon acte salvateur. Comment aurais-je pu lui avouer, seulement, que je ne supporterais plus de le perdre une seconde fois ? Comment aurais-je pu lui confesser, sans rougir, qu'il consolait mon deuil à sa manière ? D'un moyen ou d'un autre, je l'ignorais, mais il était certain et sûr que je lui raviverais ses souvenirs. Promesse, et je la tiendrais. Mon vagabond fouilla son ballot, duquel il en extirpa une unique poire. Ce rire idiot, encore.
- On peut la partager, je n'ai pris que ça pour la route. Et tu peux te servir, j'ai des affaires plus chaudes que les tiennes.
Sa générosité ne possédait de prix. Depuis qu'il s'installa, je ne pipai plus mot, pas tant parce que je me ressentais lessivé, mais surtout parce qu'il me sidérait. Sidération. Consternation. Abasourde. Je le considérai longuement, orbes grands, sourcils à l'affût, quelle plaie, et cela me réchauffa, malgré tout. Je jurai de le ramener parmi mon monde et moi. Et peut-être que je me servais de ces congés contraints afin de manipuler sincèrement sa vie puisque, même si on s'amusait, il me tenait férocement à coeur qu'il réalise sa propre valeur. C'était certainement vain, mais qu'importait.
Kim Tae-Hyung était ma cause perdue, lui, celle pour laquelle je me dévoilais prêt à tous les sacrifices pour faire honneur au sien.
CÉRÈS | CHAPITRE 6
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Comme je suis en Nouvelle-Zélande pour plusieurs mois, les updates se feront le samedi matin (heure française) pour s'adapter au décalage horaire qui est de +10 ou 12h selon la saison.
J'espère que vous avez apprécié ce chapitre, n'hésitez pas à réagir <3
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