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CÉRÈS | CHAPITRE 2
Royaume de Chô-Seon,
ancienne Corée réunifiée,
Tae-Hyung, 04 Avril 1525.
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Je trouvais une satisfaction malsaine à penser cet homme voleur comme terrorisé par ma lame tortionnaire de sa main. Les billes impassibles, j'enlisais mon glaive au travers de sa paume. Et il suppliait, grognard et souffrant, que je l'épargne. J'étudiais sa face fuyante, ses yeux perçants et sa bouche terne tordu d'une foi mauvaise. Je contemplais son corps de bosses et sa lâcheté du coeur comme on observerait une traîtrise. Je tendis ma dextre, encore, et perdis patience de l'imbécile qui objectait de m'offrir mon dû. Je prenais un plaisir coupable à le tyranniser mais lui, paraissait plus que ravi de se voir si soumis à mon désir. Quelle personne saine de l'esprit accepterait volontiers de se voir couper le doigté ? Son timbre écaillé hélait une aide inexistante puisque l'insensé ignorait, qu'à Chô-Seon, tout le peuple vivait pour sa poire.
— Monseigneur... Monseigneur, je vous en prie... Ah- ... !
Il implorait sans jamais n'avoir la cesse. L'hypocrite me portait haut par ce titre honorifique qu'il usait pour obtenir ma grâce. Néanmoins, il ne réalisait pas encore que je ne restais qu'un pauvre vagabondeur, un pauvre fou qui errait les villes et pillait les villages. Je m'en irritais sans le masquer. Mon client me devait des sous, et je n'attendrais plus des nuits pour les acquérir. Son visage se tordait à la douleur et à mesure de cela, il sentait certainement que bientôt l'usage de sa main lui serait impossible. Alors, je lui présentais la mienne en gage de ma meilleure volonté.
— Won, mon argent.
J'insistais en ne lui montrant pas une once de mes doutes. Il ne s'embarrassait pas pour m'escroquer alors autant ne pas jouer si franc jeu avec ce type de personnages. Ledit hocha frénétiquement son crâne décrépit, corps tout tremblant, et m'indiqua d'un geste du menton la coque du sotdae - bateau de pêche - amarré au ponton. Won ajouta que ce que je recherchais avec tant de virulence se dissimulait sous le gouvernail. Je libérais abruptement ma poigne de mon couteau et considérais longuement la véracité de ses dires. Du bout de ses lèvres, il réclamait d'abord que je lui donne enfin cet opium venu d'Occident. J'émis une hésitation. Après tout, rien ne me certifiait qu'il disait vrai. Je m'éloignais de son ombre et vers l'arrière, je me conduisis pour vérifier ses informations. La brise maritime s'éleva à la cadence de mes pas. Le port se clairsemait de monde tandis que je foulais la poussière au qui-vif. Mes bottes se pressèrent de heurter le sol du navire. Mes talons claquaient le plancher grinçant. Au coin de mon oeil, j'apercevais le marchandeur soucieux de rompre avec la lame de mon arme. Bien en vain puisque je n'avais guère ménagé ses phalanges. Je progressais sur le pont, je m'aventurais ici en parcourant de mes sens mes environs.
La senteur des poissons agressaient mes narines à m'en offrir des palpitations, non loin je percevais à l'ouïe le son des cordes et des encres que l'on levait puis des voiles nombreuses que le vent bousculait. Et sous cette cohue méridienne, je soulevais une planche et y découvris une poche engrossée et lacée. Je m'en saisis avec la fermeté et l'extirpai jusqu'à ce que fesses cognent le par-terre. Je grimaçais, sourcils plissés et éveillai mes pupilles vers le saignant qui m'étudiait longuement sans la parole. Je me pris d'un infime sourire sur le coin puis sortis une parcelle d'opium séché d'un sac en papier. Cette drogue lui servirait à deux malheurs : apaiser ses maux sans les effacer et une dépendance débordante. Dans chacun des cas, Ryu Won ne s'en tirerait guère sur le long. Pourtant, je lui lançai la denrée prohibée de loin, et en chien, il se rua sur elle. Cette vue me satisfît alors sans attendre, je dénouais la bourse et la stupéfaction m'enlaça lorsque je réalisais l'escroquerie de ce scélérat.
— Sshibal ! Merde, je jurais.
Je vidais le contenant sous mes pieds et résonnèrent les cailloux et les pierres à la place de mes sous. Je contemplais le fruit de ma naïveté avec des billes rondes de stupeur. Progressivement, mon chef se releva afin de retrouver cette canaille qui osait me voler. Or, je ne rencontrais que le rien, un désert ponton et quelques gouttes hémoglobines sur le muret. Je grognais ma frustration et laissais la pointe de ma botte taper dans un objet que je n'identifiais guère, déjà pris par mes regrets. J'exultais ma rage lors d'un temps qui me parut éternel. Mes pupilles fauves croisèrent le soleil brillant et moqueur au-dessus de ma tête et je me sentis pris d'une curieuse impression. L'univers tout entier semblait se dresser face à moi pour épier mes faits et ma mauvaise fortune.
Quel pays maudit.
Un soupir fendit ma glotte. Je choisissais, néanmoins, de ne pas me décourager. Il me restait quelqu'un à voir. Un grand dadais qui, autrefois, servait dans la royale armée. Des épaules robustes, une bouche en cul-de-poule, puis de grandes pupilles de faucon. C'était ainsi que l'on reconnaissait le commerçant le plus fortuné de la région.
Li Hua, ou cet homme métisse à qui je devais quelques milliers de yangs.
J'approchais sa svelte silhouette qui scrutait le peu de mes faits. Ses prunelles sombres et perçantes transcendaient mon âme et ne m'amenait guère à la détente. Je déglutissais et m'étranglais de salive. Hua n'apprécierait pas que je lui revienne les poches vides. J'osais me réconforter dans l'espoir qu'il soit dans un bon jour et que je puisse retourner à mes voyages récurrents. Le lieu de notre croisée situait une impasse entre deux hanoks, davantage plus loin de la vie portuaire. La senteur verdoyante s'éloignait à mesure de mes pas mi-assurés. Mes bottes foulaient les dalles, et mon oeil fauve filait au constat des tuiles recouvrants les toits. Mon chemin s'éclairait de lanternes où les habitants lettrés écrivaient leurs voeux pour l'année quand janvier de Jupiter le permettrait, dans des mois. Ces mots et ces maux rédigés en hangul, adopté de nouveau par le système, représentaient les craintes et les espoirs, bien souvent les désirs les mieux enfouis. Et sous les lumières se dessinait l'ombre de Hua, belle et confiante.
— Qu'est-ce qui t'a pris si longtemps, Tae-Hyung ?
Son timbre tonna puissamment à faire voler les volatiles.
Cette interrogation sonnait par une fois le temps que je mis pour le retrouver, et par deux fois ma longue absence pour cause de mes explorations occidentales. Je ne lui rétorquais rien et je pressais mon baiser contre le sien. Nos bouches dansèrent, se choquèrent et s'ouvrirent pour laisser nos souffles et nos rosées se mêler. Mes mains se lacèrent à ses doigts puis remontèrent à ses bras, sa nuque, ses joues dont les pommettes rosissaient de désir. Nos corps se collèrent et une faible plainte taquina ma voix.
— Doucement, mon ange, rit mon amant le Li.
Je repris la distance et contemplais ses lèvres enflées par mon assaut. Hua demeurait mon aîné de plusieurs décennies. Ses cheveux grisonnants tombaient sur le devant de sa tête, de même que ses iris gâteux qui trahissaient son âge de sagesse. Je poursuivais mon examen de sa personne au détail de sa peau laiteuse et son grain de perfection. Un sourire alacrite illumina son visage avant qu'il ne mette finalement les pieds au plat.
— Alors ? Tu as mes sous ?
Je songeais à tantôt et pris d'un grognement de râle, j'embrassais encore et sans la cesse, ses lèvres dont je ne me passais pas. Au fil de nos salives partagées, mon sexe s'éveillait au picotement comme si le seul toucher de cet homme suffisait à embraser tous mes sens. Or, il me repoussa encore et fermement, réalisant mon essai de noyer sa question. J'exprimai un bougonnement contrarié, je soufflais et m'éloignais en glissant mes dactyles entre mes ondulations bicolores.
— Mon argent, Tae-Hyung.
— Je ne l'ai pas, ta thune.
Un grinçant rire lui secoua les entrailles. Il semblerait que je venais de faire la meilleure plaisenterie du siècle. Pourtant, j'étais profondément sérieux.
— Le type à qui je devais vendre de l'opium m'a berné donc... Je n'ai pas ce que tu veux, Hua.
— Et je dois me satisfaire de cette réponse ?
— Tu n'as pas d'autres options.
Ma réplique le mécontentait ; un rictus tordit sa bouche. Li Hua approcha, bras contre poitrine et plongea son regard sombre dans le mien plus clair. Notre relation jalonnait l'ambiguë. Voilà deux années que je le connaissais et nous soufflions, de tous temps, le froid et le chaud. Je me souvenais de notre rencontre première sous les hauts-vents de février. La soirée se profilait et alors, il apparut à ma face dans son bel habit pour quémander son chemin au jeune ivrogne que je restais. Et je me souvenais de sa poigne enserrant mon poignet et sa volonté me sauvant de l'armée à ma chasse. Aujourd'hui, je lui devais tout et il ne s'embarrassait pas à me le faire comprendre.
— Je ne vais le dire qu'une fois, Tae-Hyung, alors écoute bien. Je n'ai pas l'éternité à te consacrer, tu saisis ?
— J'ai fait au mieux, je te le jure.
— Fais-en plus.
Les conséquences, pour ma pomme, seraient terribles. J'ignorais leur portée. Or, Li Hua tenait sa réputation de bandit, vicieux et vicelard comme si le monde lui devait le monde. Je le scrutais longuement, patient de l'instant où il ajouterait qu'il attendrait que je lui rembourse mes dettes. Seulement le rien au sortir de sa gorge. Un rien continuel et cynique qui baissa ma tête, soumise. Le métisse laissa un sourire s'épanouir sur ses lèvres si charnées. Bouche que j'embrasserais encore à l'amour si je ne reconnaissais pas le son métallique des épées militaires. Je reculais de pas, billes arrondies de mes craintes solennelles. Les troupes royales se déplaçaient dans les ruelles à la cadence de mon coeur tapant. J'entrouvris la parole mais je me ravisais si vite en comprenant sa menace amusée au-derrière de ses grands airs. Il soufflait à ma pensée que je paierais plus vite si la garde se trouvait tout près.
— T'es futé, c'est pour ça que je te désire tant, fit-il à la taquine, liseur de mes songes.
J'élevai un sourcil et considérais la mutinerie de mon amant qui se jouait de mes nerfs. Sa raillerie d'accoutume ne me faisait guère bondir de mes pieds. Au contraire, je m'éloignais silencieux, amer que cette entrevue s'achève sur une telle note de maints SI.
— Je te revois dans trois jours. D'accord, Tae-Hyung ?
— Ça doit être ça, oui.
Je lui montrais dos et me glissais dans les sentiers, mains aux poches. Au plus loin, je percevais les voix grossières des soldats sous les ordres généraux. Ils me recherchaient avec la véhémence pour les articles que je vendais sur ces terres à l'illégal. De la poudre à canon, des livres de l'ailleurs, des graines de thé et des herbes médicinales. Et pour ces imports, on me jetterait aux prisons avec les rats.
Quelle vie de misère.
Je vagabondais dans les quartiers. Ici, les riches s'enrichissaient, et les pauvres s'appauvrissaient sous la couronne d'un dirigeant que l'on ne connaissait jamais. On racontait que les inconscients sur sa route retournaient à la terre et que d'eux, il ne restait que poussière. Cela faisait sept années depuis que je ne remettais ma présence en ce pays. Lors de ces temps, je vis le vieux continent dont la France et ses guerres, l'Écosse et ses réformes, puis l'Afrique et ses mille et un trésors. Avant cela, j'ignorais que des États pareils au Songhaï, au Bénin ou aux villes swahilies existaient en nos civilisations. Chô-Seon se distinguait de ces contrées par son régime confucianiste et ses puissantes fortifications. Or, je revenais surtout pour comprendre mes origines et désormais pourquoi ces rêveries assaillaient mes nuits. La brume envahissait le divin monde des songes et une pièce à la senteur de la mort apparaissait. Je ne discernais que le rien hormis les battements irréguliers de mon souffle presque éteint. Et des pleurs. D'affligés pleurs qui opprimaient ma poitrine d'un familier désespoir. Je ne saisissais pas ; je souhaitais comprendre. Je me demandais si humblement comment un être si triste pouvait habiter la Terre. Je rêverais de l'enlacer entre mes bras, joue contre joue, peine contre peine et lui susurrer ces mots que l'on ne me disait guère.
"Tout irait bien".
Les candides contaient qu'à la force de répétition, ce mantra deviendrait réel. Je désirais les croire. Cependant, lorsque l'on vivait une vie malhonnête comme la mienne, on prenait conscience de ces desseins si cruels. Avec cela, je tenais à coeur que cet homme ou cette femme gorgée de chagrin sèche ses larmes et se rassure d'un meilleur avenir. Je tissais ces silencieuses pensées au fil de mes pas. L'armée se montrait proche mais une chose souciait mon sixième sens. Une présence qui pesait ; une présence mutine et discrète que je ne distinguais pas. Je sentais, néanmoins, les bruissements chantés des feuillages et un souffle qui jalonnait le mien. Je restais sur mon vif et épiais le moindre des mouvements à mon entour. Mes observations se soldaient par des bouts de cheveux par ici, et d'un peu de derme par là. Or, rien qui justifierait que je devine mon suiveur. Son parfum de bois chatouillait mes narines et me gratifia d'un indice sur sa condition sociale. L'aristocrate n'allait pas à la discrétion et j'imaginais qu'il me poursuivait depuis quelques temps, désormais.
J'arpentais les rues sans me défaire de l'idée que je n'étais pas seul. Ça me travaillait et me tenaillait et me tenait à l'haleine de ne point mettre de nom sur cette ombre qui me pourchassait. Je pensais qu'il serait meilleur de l'interroger et lui quémander ce que, Diable, il me voulait. Néanmoins, cela restait bien moins amusant.
Et moi... Moi, j'adorais jouer.
Une impression curieuse me titillait. Celle d'un déjà-vu omnipotent et dont je ne saurais aller à la souvenance. Mes mains moitaient, mon organe vital rossait et je me sentais si migraineux que j'en pleurerais encore.
Je sillonnais les terres, les miennes ces belles plaines. Elles s'étendaient à vue perdue et je les domiciliais au gré des propriétaires. Le vert dominait les alentours et m'apportait une quiétude racinée. Cha Young-Nam me hurait s'il me trouvait au vagabondage ici et pas chez lui. Le vieil homme, miraculé de quatre-vingt ans, se portait tel un chef dans les hautes tours de son hanok familial qui n'accueillait que moi. Le décrépi n'avait que mes voyages nombreux pour nourrir son oisiveté. Je le faisais de grâce puisqu'il restait, en dépit de tout, mon unique figure de père.
Je frappais du bout de ma botte quelque poussière, pensif et posé çà et là et même au-devant de mon pourchasseur qui ne se cachait pas. Je l'imaginais à mon dos, traînassant du pied et coquinerie à sa face. Je le concevais à ma hauteur de taille et d'un arôme floral à faire tressauter chacun de mes sens. Je le supposais d'une finesse de ses traits remarquables, et d'une lourdeur à ses pas comme si le poids du monde lui pesait. Et je devinais tout cela rien qu'à la portée de ses pupilles sur ma nuque.
Je ne prêtais guère plus de geste et je l'ouïs, il fit de même. Un sourire illumina le coin de ma bouche et mes membres prirent appui contre la souche de l'arbre à mon côté, de cette fin de lignée végétale qui jalonnait la plaine. Je fis pivot à maintes sans jamais tomber dans les filets de sa contemplation. Alors j'élevai mon timbre, à la recherche de ce rêveur dominical.
— Qui que tu sois, montre-toi ou c'est au pied d'une falaise que tu finiras.
Et encore fallait-il que je le saisisse et trouve cette falaise, sujet de ma menace dernière. Je grimaçai, si peu fier de ce que j'en formulais et de rire qui, malgré lui, j'entendais et berçait mes lobes.
— Au pied d'une falaise ? T'as juste aucune idée de l'endroit où je suis, pas vrai ?
Je devais admettre ma surprise. Je ne songeais pas même à sa rétorque lorsqu'il me dit ces choses véritables. La frustration m'enveloppa et je maudissais la raillerie dont faisait preuve cet homme partout et nulle part à la fois.
— Hé... Ne te moque pas, je plaignais.
— Lève la tête, je suis là, il fit alors.
Je portais mes pupilles de fauve aux cieux et le soleil me rappela sa journalière présence en aveuglant ma vue. Je plissais les orbes, j'apposais la main en visière et à cet instant, je le perçus dans les feuillages. Je tombais de mon air supérieur en faisant état de son identité. Je reconnaissais sa bouche mutine et ses prunelles à la fois si penaudes et moqueuses. Je reconnaissais l'infime cicatrice qui barrait sa joue de gauche ainsi que sa nonchalance prétentieuse qui me frappait encore.
Son regard orageux s'appesantait sur ma silhouette. J'ignorais encore tout de ses besoins et pourtant, un infime contentement se dessinait à mes lèvres. Du haut de sa branche, il épiait le moindre de mes faits. À mon par-terre, je guettais la petite négligence qui me pousserait à lui demander pourquoi il me suivait, pourquoi il me surveillait. Je demeurais méfiant : cet homme était noble anobli du fait de sa tenue de tradition.
J'empaquetais le restant de mes affaires que je dissimulais dans le creux d'un arbre voisin et à la suite d'un oeil au ciel, je finis par lui adresser ma salutation. La stupéfaction tira chacun de ses traits et je m'interrogeais ; pensait-il réellement que je ne remarquerais pas sa présence si familière ? Je reconnaîtrais ses ébènes parmi un million et même au-delà de la mort. Je reconnaîtrais sa bouche farouche, ses grands sombres hagards et ses dextres abîmées par le temps même dans la nuit la plus noire puisqu'il s'agissait de ces mêmes qui saisirent mon poignet, il y a deux journées. Je contemplais son agilité prouvée à la descente de cet arbre puis le fin mouvement de ses hanches à mesure de ses pas à moi.
Quel appel au vice.
Cet homme divertirait Hua si je le lui offrais en guise de mes dettes. Il le comblerait de la courbe de ses reins à son intimité la plus racinée. Alors ce songe en mon sein, j'accueillis l'inattendu qui m'approchait comme on approcherait un blessé animal.
— Tu me suivais.
Mon timbre tonna et ainsi, un silence s'installa. J'observais le curieux intérêt qu'il portait à ma figure et le doux battement de ses cils qui agissait comme si un fantôme apparaissait à son regard. Mes sourcils se creusèrent, je ne parvenais pas à saisir ce qu'il me souhaitait.
— Tu ne vas pas me répondre ?
— Je ne te suivais pas.
Un fin sourire habilla nos lèvres à tous deux puisque l'un comme l'autre avions la connaissance de ce mensonge dernier.
— Ah non ? Tu ne me suivais pas ?
— Ça dépend. Est-ce que tu me feras arrêter si je te réponds oui ?
— En effet mais ce n'est pas ainsi qu'une conversation devrait commencer, je fis à sa rétorque.
Son havane de fascinantes nuances détailla mon allure minutieusement. Du jais émanait une chose nomologique, une mélancolie précieuse alors même qu'il me considérait passionnellement. Un jeu s'installait de tension ; mon estomac se galbait de chatouillis et je m'étonnais de mon pourpre aux joues. Jeon Jeong-Guk, du nom que je lisais au bout des lèvres sur le médaillon qu'il portait autour de son cou.
— Jeon... Jeong-Guk.
Je faisais état de ces syllabes qui confortaient un peu mieux le visage médium de l'ébène.
— Oui, il me répondit.
— Rien, c'est juste ton nom.
Un contentement lumineux éclaira ses pupilles d'ordinaire obscurcies. Il paraissait mû par d'idées nouvelles et cela me rendit curieux de plus belle.
— T'es toujours aussi tarte...
Sa remarque ne m'arracha pas un soupir ou quelconque chose justifiant de ma contrariété. Autrement dit, le Jeon m'insultait et j'y trouvais aucune jouissance certaine à cette entente.
— Je préfère la guimauve, personnellement.
Et cette fois, je le perçus sur le fil d'une émotion camouflée. Le Jeon suscitait maints questionnements et je ne saurais dire pourquoi je ne détestais pas cet échange entre nous, aussi simple fut-il. Nos distances s'amenuisaient considérablement et dès lors, je crus voir les pleurs de l'achlys tourmenter ses joues barbues de quatre jours. Mes sourcils se creusèrent au souci de son chagrin. Mon cœur palpitant souffrait déjà de le contempler dans sa souffrance alors de mes mains, je saisis les siennes et me laissais happer par son humide vision.
— Tu te rappelles ? Tae-Hyung, tu t'en souviens ?
— Oui... j'allais à la susurre, dévoilant ses sombres pétillants d'espoir.
Cet homme, au noir vêtu, me scrutait et de pas, approximait ma confuse figure. Sa prudence m'évoquait son désir, et celui de me garder au plus près de lui. Jeong-Guk tremblait, mains amoitées et son attitude hésitante trahissait une chose qui le portait en coupable à mes pieds. Je songeais à l'idée, alors, qu'il me devait un pardon et mille excuses pour un mal dont j'ignorais tout. Nul n'aborderait un visage tel s'il ne possédait pas de charges à son coeur.
— Je me rappelle de toi, Jeong-Guk, tu... Tu étais présent aux festivités de Da-No.
Une déception limpide traversa chaque parcelle de son derme laiteux. Un rire d'acrimonie secoua sa langue et fit trembler les terres. Je suivis le parcours de ses doigts habiles à travers les mèches de son chevelu macassar.
— Et ? il amena en rétorque.
— Et ? Et quoi, monseigneur ? C'est déjà bien étrange qu'on se parle comme si on était amis mais ça l'est davantage alors que tu me suis partout où je vais. Tu travailles pour le roi ? T'es un espion ? Je te prierais d'arrêter.
— Tae-Hyung, arrête. Comment peux-tu me faire ça ?
J'ignorais tout de ses dires et je m'en irritais. Cet homme me sondait de ses sombres implorants mais je me dévoilais incapable de répondre à ses sentiments. À mon tour, je dévisageais ses traits tirés par l'épuisement et le chagrin. Or, j'y décelais surtout un terrible tourment qui le tenaillait depuis longtemps. Ses ébènes décoraient la forme de son pâle visage et je me surpris à le penser d'une splendeur curieuse. Mes orbes papillonnaient, mon organe vital se serrait en ma cage au thorax et je songeais à la possibilité qu'il s'évanouisse entre mes bras. Je tyrannisais ma lèvre subalterne, et allais à la pitié pour ce garçon de douze ans, au moins, mon aîné. Une douleur pulsatile me prit abruptement au crâne comme si la seule vision de cet être suffisait à lanciner mon existence. Je gémis ma peine sans contrôle et apposai la paume contre mon front. L'insistant se pressa tout contre moi sans la crainte de mon repoussoir. Ma bouche s'entrebailla d'inattendu alors que mon corps se tendait à ce seul contact. Je ne percevais que sa lubie démentielle qui me tirait dans ces idées saugrenues. Et je n'entendais plus que le mépris pour sa personne qui noircissait mon âme comme un peintre indocile sur sa toile. Ce noble annobli m'abominait.
— C'est ce qu'on vous apprend chez les riches ? je me repris. À être aussi collant ?
Je soufflai mon horreur et par ses épaules, l'éloignai de ma personne.
— Écoute, j'ai bien compris que je ressemblais à ce type dont tu n'arrêtes pas de parler, c'est agaçant. J'ignore pourquoi nous portons le même nom ou dans quel foutu hasard je m'embarque mais je ne suis pas lui. Je ne suis pas ce Tae-Hyung.
Mes paroles témoignaient de mon aversion et d'une dureté qui devait lui faire ouïr la raison. Je reculais et confrontais ce regard incendiaire qu'il ne semblait réserver qu'à cet autre qui n'était pas moi.
— Je suis convaincu du contraire alors ne me repousse pas.
À mesure de son entêtement, j'égarais ma patience. Voilà trop de minutes que je m'épuisais à comprendre cet homme qui se fichait bien du temps que je perdais à lui refuser ma présence à ses côtés. Lors d'une seconde, je crus qu'il me raillait et me prenait en condescendance du fait de son titre supérieur. Néanmoins, la plaisanterie durait et je préférerais mettre mes pensées au service de mon prochain voyage. Ma langue claqua mon palais si amer et je pivotai mon talon dans le but de le fuir. Je marchai, l'esprit à la brume et je rajouterais que j'accourus certainement vers un ailleurs où il ne me trouverait plus. À mon derrière, je tressaillis à l'écoute de son timbre qui tonnait mon nom avec une passion telle, une fièvre qui m'évoquait d'obscures choses. J'accélerai en défiant la bourrasque de printemps qui branlait ma face. Un air doucereux flottait dans la ville, une malheureuse harmonie de tambourins et de cordes instrumentalisées qui résonnait à la cadence de mon coeur. Je ne saisissais pas ce qui arrivait à mon tout-entier si calme d'ordinaire. Je me sentais hors de moi et de sue. L'effroi et le froid paralysaient mes sens alors que la météo se prêtait au soleil d'avril. Je freinai mon trot et oscillai au demi-tour lorsque l'on saisit à nouveau mon bras. Mes sourcils se creusèrent et je n'attendis guère pour ôter mon poignet de cette poigne entreprenante. Sa réplique ne se fit pas attendre : il hurla sa douleur pour un risible geste de maladresse qu'il ne semblait pas comprendre.
Cet homme se tenait la rotule avec une hargne qui me terrorisait. Je percevais son haleine haletante, son souffle raccourci et sa sueur excessive. Son numéro ne me tirait pas un rire alors même que je me prenais d'inquiétude en me questionnant sur l'intensité à laquelle je lui fis mal.
— Arrête ton char... je grognais. Fais-moi voir ton épaule qu'on en finisse et que tu me lâches un peu.
Ma demande le paralysa à la soudaineté. Je l'approchais et à mesure, il recula en s'épuisant d'excuses toutes trouvées. Il disait et répétait que ça allait, qu'il ne souffrait pas et que je me fourvoyais sur ses intentions. Sa bouche ne semblait faite que pour ces bêtises alors s'il voulait tellement de mon attention, je lui en donnerais.
— T'as pas bientôt fini de fuir ? Je veux seulement regarder où tu as mal ou remettre ton bras en place au besoin...
Il grimaça, m'étirant un sourire sur le coin. Quelle drôle de personne, celui-là. Je n'avais nulle idée que les Chô-Seonins se comportaient si curieusement. Et lui, refusait mon aide alors qu'il passait cette dernière heure à tenter ma patience. Cet étranger ne tenait pas la route.
— Quoi ? Je ne te repousse pas là, et maintenant tu veux me quitter ?
— Ce n'est pas ça. Je t'en prie, Tae-Hyung, recule. Je ne veux pas que tu voies ça.
— Tu supplies beaucoup, papi.
Je le raillai.
Et sans crier gare, je tendis le bras et déchirai la manche de son habit sous son ahurissement. À présent, je me montrais moins malin quand l'horreur m'arracha la rétine. J'hoquetais ma stupéfaction à la vision de son membre rougi à la manière de l'atrocité. Mon palpitant faisait la ronde et une importante nausée me gagna. J'apparaissais moins malin à son devant maintenant qu'il considérait ma réaction avec une attention toute particulière.
Je recherchais ma contenance par maints gestes comme ma langue humectant mes lèvres ou mes mains amenant mes mèches bicolores vers l'arrière. Son corps marqué par le fer rouge appelait le secours et criait l'agonie. Les nombreux dessins serpentaient son bras et se rendaient visibles par une torture dont je ne saurais expliquer l'avènement. Le noble ne baissait, pourtant, pas ses sombres regards comme si la honte évitait sa rencontre. Malgré cela, je comprenais de ses agissements d'antant qu'il lui importait véritablement que je ne découvre pas et jamais sa douloureuse peine.
— Que t'est-il arrivé ?
Je l'interrogeai à la prudence.
Ma question plana longuement dans un mutisme qui lui servait à hésiter sur ses mots prochains. Néanmoins, il ne s'en priva plus et d'une articulation solennelle et chagrine, il exprima finalement le fond de ses songes.
— J'ai débuté une guerre perdue à l'avance, et voilà ce qu'il reste de moi.
Ses propos me surprirent ; je ne les compris pas mais une chose restait certaine, désormais : ce guerrier avait une histoire à me raconter, et ceux-là, je ne me lassais pas de les écouter.
CÉRÈS | CHAPITRE 2
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