–    Je t'offre le café, s'il te plait, conjure un jeune brun à lunettes.

Son interlocuteur, petit blond depuis des années, ricane tendrement à sa demande.

–    Je suis déjà en retard, lui répond t-il. Tu crois que j'ai le temps de traîner avec toi ?

– Tant pis pour toi, grimace le brun.

Lee Felix ne peut s'empêcher de lever les yeux au ciel. Il écoute son partenaire se plaindre à travers son téléphone, le suppliant presque. Il donne un coup d'œil à sa montre, remarquant déjà l'heure tardive. Il s'étouffe avec son thé avant de toussoter. Il presse le pas vers son agence, s'excusant auprès de Wooyoung, son petit-ami.

Le lycée, ça remonte à une éternité maintenant. Le temps des nouvelles rencontres, ses amitiés et celles qui n'existent plus. Mais honnêtement, il ne veut pas s'en souvenir. Il a rejeté le passé, et a appris à vivre dans le présent. Il a ses amis, sa famille, et son copain.

Il n'a jamais été pour l'expression "ravaler son vomi". D'abord, parce que visuellement, ce n'est pas terrible. Et plus sérieusement, parce que lorsqu'une relation est finie c'est forcément qu'il y a un rouage fissuré.

Mais avec Wooyoung, c'est différent. Il veut croire en eux. Felix évite de repenser à leur première relation. Elle a été immature et sans avenir. Le plus vieux a fait des choix douteux, mais Felix a pardonné, peut-être stupidement, mais leur relation n'a jamais connu de temps plus chaleureux. Ils partagent un appartement dans le centre, les mêmes draps, la plupart de leurs repas, et ils ont l'intention d'adopter un chien si l'occasion se présente.

Sans parler de leur groupe d'amis, qui ont été surpris à leur amitié tout d'abord, puis à l'évolution de leurs sentiments. Certains ont été compréhensifs, d'autres ont acceptés mais ne partagent aucun moment avec Wooyoung. Comme par exemple, Bang Chan, le cousin de Felix, et son copain Lee Minho. C'est simple : ils évitent d'être dans la même pièce que le brun à lunettes, et le brun à lunettes prend sur lui pour comprendre leur comportement. Quelques années sont passées depuis le lycée, mais les souvenirs sont toujours là.

Felix envoie un baiser à travers son téléphone avant de mettre fin à l'appel. Il presse le pas, encore, avant de passer les portes automatiques de l'entreprise dans laquelle il travaille. En parallèle avec son école de management, il avait un stage de plusieurs semaines avec cet établissement. Puisqu'il y connait suffisamment de personnes avec le temps, il a réussi à se créer un début de carrière en temps que meneur de jeunes talents. Ce n'est pas le métier idéal, quoiqu'on en dise, Felix est jeune, et sa tête enfantine n'assure pas toujours une aura charismatique. Il a assisté plusieurs managers, mais là, c'est la première fois qu'il gère une seule et unique personne. Felix sait ce qu'il doit faire, les listes qu'il faut remplir, le bien être de la future célébrité et tout ce qui se passe au niveau de l'organisation générale.

Mais bien sûr, il fallait qu'il arrive en retard.

Il montre en vitesse son badge à la sécurité avant de se précipiter vers les escaliers. L'ascenseur prend trop de temps, apparement. Il atteint son étage en loupant quelques marches. Sa montre lui annonce ses trois minutes de retard, et il se décide de se présenter dans la salle de réunion. Il adresse des salutations bafouillées et des excuses rapides. Lorsqu'il s'assoit à sa place, près de son supérieur, il remarque deux nouvelles têtes.

–    Lee Felix, jeune manager, présente le président. Il travaille pour nous depuis quelques années, il est parfaitement formé.

Le blond tique à la formulation du "pour nous", mais ne relève pas l'information. Il sert la main aux clients, par politesse.

–    Notre mannequin a quelques problèmes d'orientation, précise son agent, sûrement. Il va arriver.

Ils font rapidement les présentations. L'agent, Kim Chongho, vieil homme au crâne dégarni, un joyeux sourire et une carrure imposante. Il porte une chaine en argent, et une grosse montre au poignet. De ce qu'il explique, il tient à quitter l'entreprise, et ouvrir un magasin de savons. Rien à voir.

Et le second homme, l'attaché de presse. Hong Seojun, un petit gars sérieux, lunettes sur le bout du nez. Il ne parle pas vraiment, mais il tripote sa chemise en carton bleue, signe d'anxiété. Son rôle, c'est de contrôler l'image que le mannequin renvoie. Il rattrape les erreurs comises et étouffe les articles de journaux.

Dans le milieu, le modèle est encore considéré comme un amateur. Il a posé pour de petits magazines, des publicités pour des parfums et des produits de beauté en tout genre. Il a un avenir prometteur, bien qu'une dizaine de scandales ont déjà envahis les journaux et les réseaux sociaux sur son profil.

Felix n'a pas entendu parler du lui, bien trop occupé à se concentrer sur sa propre carrière. Honnêtement, il n'a pas pensé en arriver jusqu'ici. Il s'était orienté par pure curiosité. La licence l'avait bien intéressé, jusqu'à son master, et tout s'est rapidement enchaîné. Et en son honneur. Il a trouvé un petit stage en tant qu'assistant dans la plus grande agence de management. Au début, il ne servait que le café et portait les manteaux. Et la dernière année d'étude a été la plus enrichissante. Il avait correctement travaillé, et anticipait les demandes de son maître de stage. De plus, ça arrivait qu'on lui demande de contacter des marques, de s'occuper d'emploi du temps et de planifier des rendez-vous importants. Il est très organisé, droit, et ponctuel. Sauf aujourd'hui.

Le mannequin est en retard de dix minutes maintenant. Tout le monde commence à s'impatienter, surtout l'agent Kim qui massacre le sol avec son pied. Il n'arrête pas de se racler la gorge. Tandis que le silence règne entre lui et Nam Songho, le supérieur de Felix, ce dernier entame une gentille discussion avec l'attaché de presse. Puisqu'ils vont travailler ensemble afin de gérer une nouvelle célébrité au caractère d'adolescent pré-pubère. L'ambiance est chaleureuse entre les deux. Felix se permet même de lâcher quelques ricanements sympathiques pour détendre l'atmosphère.

C'est alors qu'on toque à la porte. La tête de Kim Sunmi, la réceptionniste, apparaît discrètement dans l'entre-bâillement. Elle passe une main dans sa frange rousse avant d'entendre la permission d'entrer. Elle s'excuse, par politesse, avant d'apprendre l'arrivée tardive du mannequin.

– Enfin ! S'exclame gravement, avec une pointe d'agacement, l'agent Kim.

Le retardataire rentre dans la pièce, alors que Sunmi referme la porte derrière ses talons. Le regard de Felix est immédiatement attiré par la chevelure mi-longue de couleur rouge écarlate du garçon. Il porte une casquette, et même un masque chirurgical pour l'anonymat. Mais ses mèches sont reconnaissables, et trop tape à l'œil pour ne pas le reconnaître.

L'agent Kim se lève pour attraper le jeune homme par les épaules, en l'incitant à prendre place sur l'un des sièges libres. Il défait son accoutrement, et dévoilant son visage.

Felix tombe des nues. Impossible n'est pas possible.

– La star d'Internet, Hwang Hyunjin.

C'est là, à ce moment précis, que Felix ne sait pas où se mettre. Il faut qu'il détourne le regard, mais les pupilles de son ancien camarade ne cessent de le fixer. Il plonge dedans, les souvenirs, les pleurs, la rupture. C'est douloureux, mais Felix en veut encore. Il s'apprête à dire quelque chose, mais l'agent Kim s'empresse d'annoncer la décision de son départ.

– C'est Lee Felix, ton nouvel agent, présente l'ancien.

– On se co-

Felix le coupe rapidement en lui tendant la main.

– Enchanté.

Personne ne doit savoir. Personne.

Hyunjin regarde sa main sans comprendre. Il plisse les yeux, tout en essayant de ne pas grimacer. Son regard passe à son visage, puis à sa main encore. Il prend quelques secondes pour accepter l'accolade.

Le contact donne des frissons. Il y a une ambiance bizarre, mais personne n'en fait la remarque. Felix transpire des mains et brise immédiatement la proximité. Il se rassoit correctement.

La situation ne peut pas être pire.