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Chapitre 2 : Conversations








Kaya récupéra la monnaie de plusieurs mains levées au-dessus du comptoir, et la fourra dans la caisse enregistreuse.

— Y a un Blood & Sand ! lança-t-elle d'une voix forte afin que Malachias Saan l'entende par-dessus le brouhaha ambiant.

Le propriétaire du Baroudeur leva un doigt pour lui signifier qu'il serait tout de suite à elle, puis aligna des shooters, dans lesquels il versa un alcool fumant avant une remarquable dextérité. Les shots servis, il se tourna vers sa commise de bar.

— Alors, le Blood & Sand, entama-t-il d'un ton pédagogue.

Sous l'éclairage rubescent des spots disposés autour du comptoir, Malachias lui enseigna comment préparer la recette au shaker. Kaya ne travaillait pour lui que depuis quelques heures, mais elle admirait déjà ce non-Aster quadragénaire, aux bras couverts de tatouages minutieux et au visage marqué d'une tâche de vitiligo qui lui décolorait l'œil et tranchait de blanc sa chevelure ébène. Elle regrettait d'ailleurs de ne pas avoir visité le bar plus tôt.

L'atmosphère brute des lieux, avec ses murs de béton nus et ses piliers esquintés, l'avait frappée dès qu'elle avait poussé la porte. Les parois laissées à demi abattues et les escaliers métalliques montant aux niches supérieures permettaient une circulation qui irriguait le bar d'une vie houleuse.

Établissement clandestin et réputé du milieu astérien, le Baroudeur attirait la faune la plus diverse de la société Bryvasienne. En l'espace d'une poignée d'heures, Kaya avait identifié bon nombre de non affiliés, receleurs et Asters provenant des Constellations rivales. Sans se donner la peine de sourire ou de paraître aimable, absorbée par la densité du flux de clients, elle préparait les commandes que lui rapportaient ses collègues de salle, et tendait boisson après boisson aux consommateurs alignés au bar.

Bien que son appartenance au territoire de Varmanteuil place le Baroudeur sous le contrôle des Régulus, les lieux n'étaient régis par aucune règle autre que la non-agression. Dans la pénombre blanchie par les rubans de LED de chantier, aucun grief ni conflit de l'extérieur n'était admis. Du moment que le propriétaire payait sa taxe aux Régulus, Kaya savait qu'Isaac lui laissait une certaine marge d'autonomie.

Car Malachias, en sa qualité d'informateur, figurait parmi les figures reconnues et intouchables. Il avait fait de son établissement une véritable plaque tournante du renseignement. Son réseau colossal en avait fait l'intermédiaire le plus efficace de Bryvas.

Lorsque Nori Saan lui avait organisé une rencontre avec son mari, l'entretien d'embauche s'était résumé à quelques questions sommaires. Dès que Malachias avait été assuré que le profil de la clientèle ne risquait pas d'effaroucher l'esthésive, le contrat avait été signé. Ravie de l'opportunité, Kaya s'astreignait depuis qu'elle avait enfilé son tablier à se former aux techniques et exigences du métier.

Comment préparer chaque cocktail de la carte, utiliser la tireuse, nettoyer la verrerie, encaisser. Toujours maintenir l'espace propre. Oublier la politesse, aller au plus rapide. Signaler à son patron tout client qui se montrerait inconvenant ou agressif. Se rendre dans la cour privée si elle avait besoin d'aller prendre l'air cinq minutes, plutôt qu'aux sorties de secours. Être à jour dans ses vaccinations si elle comptait se rendre aux toilettes.

Sous les directives de Malachias, Kaya prépara avec application la boisson rouge feu. Sitôt qu'elle l'eut servie, elle fut apostrophée par le client qui venait tout juste de se glisser sur l'un des tabourets du bar.

Si la plupart des buveurs présentaient une allure carnassière, certains, comme celui-ci, auraient pu être confondus avec de respectables citadins. Trentenaire bien mis dans sa chemise chocolat, la physionomie élégante, il dégageait néanmoins une décontraction matoise qui convainquit Kaya de son aise dans ce milieu.

— Un Black Russian,s'il-vous-plaît, réclama-t-il avec une politesse dégagée.

C'était davantage de savoir-vivre que l'esthésive n'en avait rencontré de toute la soirée. En guise d'appréciation, elle priorisa sa commande, et s'attela à la préparation de sa vodka liqueur de café. L'homme l'observa, un fin sourire de sollicitude aux lèvres.

— Vous êtes nouvelle.

L'éclat gazeux des néons se reflétait dans ses yeux noisette et moirait la soie de ses boucles châtaines. Kaya désigna le verre dans lequel elle remuait les ingrédients, et ironisa en réponse :

— Je me débrouille si mal que ça ?

— Non, pas du tout, la rassura-t-il avec un léger rire. C'est juste que je ne vous avais jamais vu avant.

Après un dernier tour de cuillère, elle fit glisser la boisson vers lui.

— Vous aurez le temps de vous y faire, je suis là quatre soirs par semaines.

— Au plaisir, alors, répliqua-t-il en la saluant de son verre.

Malachias passa à ce moment-là derrière l'esthésive.

— Faye, t'avise pas de faire du charme à mon employée. Sauf si c'était toi qui lui en faisais, l'Épine.

Il la surnommait ainsi depuis qu'un Cebalraï éméché l'avait grossièrement qualifié de fleur afin de lui adresser des analogies déplacées, et qu'elle l'avait rembarré avec sa verve habituelle.

Kaya secoua négativement la tête en roulant des yeux amusés, tandis que le dénommé Faye levait les mains d'un air innocent.

— Je faisais connaissance, c'est tout. Tu n'emploies pas n'importe qui, après tout.

Il resta au comptoir le temps de siroter son cocktail, et la commise et lui n'échangèrent plus que quelques paroles de circonstance, au passage. Accaparée par le service, elle le vit de loin en loin échanger avec d'autres clients, mais ne remarqua même pas son départ.

Bien plus tard, une fois que le rythme eut considérablement ralenti et que la salle ait commencé à désemplir, Malachias se trouva suffisamment dégagé pour discuter avec sa nouvelle employée. Très renseigné sur le squat Alphecas, fief des Régulus, il s'intéressa à la population de danseurs qui occupait son toit quand il apprit qu'elle y appartenait. Tandis que Malachias remontait les chaises sur les tables, ils discutèrent de la vie de ces sportifs urbains, artistes dans l'âme, qui se nichaient dans toutes les anfractuosités que Bryvas leur offrait.

— Tu vas à la marche, samedi ? s'enquit finalement Malachias.

Les annuels Gynéortis, fête célébrant le mérite des femmes, approchaient. Ils s'organisaient traditionnellement en festivals locaux et permettaient aux participantes de promouvoir leurs talents. L'esthésive avait déjà l'intention de se rendre, autant pour profiter de l'ambiance que pour prendre quelques clichés. Elle cessa de passer un chiffon imbibé de produit sur le comptoir, et se tourna vers son employeur.

— Nori y va ?

— Oui, avec quelques hôtesses, je crois.

La dirigeante du Lucent piquait l'intérêt de Kaya depuis qu'elle avait appris sa connexion avec Cineád. Elle prit note de demander à sa colocataire si elle était du nombre, intéressée par la perspective de faire les Gynéortis avec elle.

— Je comptais y aller. Je vais voir avec elles s'il y a moyen de s'y rejoindre.

Se réunir avec la thaumaturge et son employeuse pour une raison autre que les individus perturbateurs qui gravitaient dans leur vie lui ferait le plus grand bien.


✧ ✧ ✧


Installé en faction sur le rebord d'un toit d'immeuble, Keitan surveillait la devanture aveugle d'une boîte de nuit branchée d'Hamalex. Retrouver les Becrux qui avaient cherché à enlever les protégés de Mystès Wittelbach ne lui avait posé aucune difficulté. Kerdaphy avait proposé de tenter d'extirper l'information à son ancien associé, mais il avait préféré lui éviter cette peine.

Il suffisait à Keitan de conjuguer les renseignements de l'URIAA et d'Achernar pour disposer d'un diagramme assez complet et actualisé du réseau des Constellations. D'autant que les Becrux qu'ils pistaient se situaient trop bas sur l'échelle pour bénéficier du couvert occulte des trafics plus conséquents.

Bientôt, un homme aux cheveux ras, panse confinée sous une légère veste, quitta l'établissement. Il s'alluma une cigarette, et Keitan renifla de mépris en avisant les griffes épaisses qu'il arborait. Celui-ci n'était qu'une petite frappe incapable de manifester davantage de son animal compagnon. Rien de comparable à Nori Saan ou Setsuha.

Keitan se redressa et le suivit en altitude, se déplaçant de perchoir en perchoir, jusqu'à ce que le Becrux bifurque dans un passage. La lueur de sa cigarette flamboya dans l'obscurité. Le type s'immobilisa en titubant devant un mur, et descendit sa braguette. Keitan tenait son opportunité. Il se laissa tomber dans le vide, roula à travers l'Éther, et se réceptionna derrière le Becrux occupé à soulager sa vessie.

Le son de ses semelles heurtant le bitume fit sursauter l'homme. Sa cigarette bondit de ses doigts pour rouler dans la flaque d'urine à ses pieds. Il fit volte-face, abattant son bras lourd, toutes griffes dehors.

Keitan l'esquiva d'un pas, et riposta en envoyant une poignée de ses lames de jet. Elles frôlèrent le Becrux, avant de se ficher avec un bruit sec dans la pierre derrière lui. L'impact des projectiles mortels de part et d'autre de son corps le figea. Sa physionomie congestionnée par l'alcool se changea en un masque éberlué devant l'agent qui lui faisait face.

Les narines agressées par les vapeurs cataboliques et la brusque sudation de sa victime, Keitan le scruta derrière ses verres tactiques. Une seconde volée de lames lévita devant lui et demeura suspendue dans les airs, cernant le Becrux d'une menace explicite.

— J'ai besoin de renseignements. Merci de coopérer.

L'homme essuya d'un pouce nerveux la transpiration qui emperlait sa lèvre supérieure.

— Vous faites erreur sur la p...

La pointe en carbone d'un conteau de jet piqua sa jugulaire.

— Pas du tout. Qu'est-ce que Becrux voulait à Mystès Wittelbach ?

Une lueur calculatrice s'alluma dans les yeux du type.

— Ah, lui. Depuis quand l'URIAA s'intéresse à ce genre d'affaire ? On a fait aucun grabuge.

— Où est-ce que je peux le trouver ?

Le Becrux ricana.

— Ça, c'est avec Cebalraï qu'il faut voir, maintenant.


✧ ✧ ✧


L'angoisse se nichait en boule nauséeuse dans l'estomac de Thélia. L'épaule tirée par le poids de son sac de course, elle composa le digicode, et poussa la porte en bois, encore trop familière, de son ancien immeuble. Les escaliers étroits grincèrent sous ses pas. L'odeur surannée des lieux, le papier peint granuleux, ne lui inspirèrent aucune nostalgie ni sentiment de retour au foyer. Chaque marche qu'elle gravissait serrait davantage sa gorge.

Thélia avait prévenu son père qu'elle passerait en fin de journée. Son message était resté sans réponse, la laissant dans l'incertitude quant à l'accueil qu'il lui réservait. Au mieux, il l'esquiverait et s'arrangerait pour ne pas être présent. Au pire...

De distants coups de tonnerre roulèrent au-dehors quand elle inséra sa clé dans la serrure. Les volets entrebâillés la firent écarquiller les yeux dans la pénombre. Des relents de bière éventée emplissaient l'appartement. Son pied buta sur le verre d'une bouteille, et elle renonça à retirer ses chaussures. Thélia navigua prudemment jusqu'à la cuisine pour y déposer son chargement. Ses semelles collaient au lino par endroits.

Au passage, elle distingua les emballages de plats à emporter, les sacs poubelles amoncelés, et les déchets convertis en cendriers improvisés. L'étroite fenêtre verticale de la cuisine laissait heureusement entrer le jour. L'oreille aux aguets, Thélia entreprit de déballer ses achats.

Le pas traînant de son père la prévint de son arrivée sur le seuil de la pièce. Jiros Kerdaphy s'avança, la mâchoire broussailleuse, environné d'une âcreté de survêtements malpropres portés depuis trop de jours consécutifs. Planté dans l'espace réduit entre le frigo et le lave-linge, il branla de la tête, les lèvres pincées, étudiant sa fille comme s'il contemplait l'objet de toute sa désapprobation.

— Comme une voleuse, siffla-t-il. T'allais passer comme une voleuse.

— Je t'ai dit que je passerai. Je t'ai fait des courses. Je vais faire une machine, aussi. Si t'as du linge au sale.

Une piètre tentative de l'amadouer. Son père ne donna aucun signe de l'avoir entendu. Il s'approcha pour examiner les produits qu'elle triait sur la table. L'échine de Thélia se raidit. Elle se saisit d'un paquet de pâtes, qu'elle alla ranger dans le placard afin de rétablir une distance entre eux.

— Tu reviens quand ? s'enquit son père d'un ton imprégné de fiel.

Le sang monta à la figure de la thaumaturge. Le vert de sa chevelure s'approfondit.

— J'ai trouvé une colocation. Je reviens pas, déclara-t-elle sans parvenir à donner à son timbre fermeté voulue.

— Oh, c'est une colocation, maintenant ? C'est plus des petites vacances pépères pendant que ton père trime ?

Thélia discerna, aussi sûrement qu'elle percevait la lourdeur de l'atmosphère orageuse, la hargne que son père n'attendait que de défouler. La langue changée en plomb, elle souleva un pack de lait. Sa voix ne fut qu'un filet vacillant quand elle glissa :

— C'est bientôt la rentrée. C'était mieux que j'ai mon...

— La rentrée ? Ça se finissait pas cette année, ton bazar ? s'insurgea son père.

— Non, je t'ai expliqué. J'ai fait une prépa et j'ai été admise au concours de l'IIM.

Il lâcha un sifflement écœuré et secoua la tête avec aberration.

— L'IIM. Mais ça dure des années ce genre d'études ! T'es complètement inconsciente ! Compte pas sur moi pour engloutir mon salaire dans tes projets pour gosses pourris gâtés ! L'IIM ! Mais elle se prend pour qui ?

Un débit blessé envahit Thélia. Peu importe ce qu'elle argumentait, son père trouverait toujours à redire. Elle avait déjà peiné à ce qu'il la laisse entrer en classe préparatoire à la sortie du lycée, alors qu'il l'enjoignait à se dégoter le premier boulot venu pour alléger sa charge financière.

Plutôt que de lui rétorquer qu'elle payait seule ses études grâce à son prêt étudiant, Thélia résolu de poursuivre son rangement en silence. Sans faire mine de l'aider alors qu'elle s'affairait devant lui, son père examina le contenu du sac.

— T'as pas pris de viande. Y a que des œufs, observa-t-il en soulevant des articles au hasard.

— On mangeait jamais beaucoup de viande, de toute façon, glissa-t-elle.

— Mais c'est pas assez, y a aucune protéine, là-dedans ! Je me crève à bosser la nuit, y me faut du consistant, comment tu veux que je tienne, là ?

Les entrailles comprimées, Thélia plissa la bouche. Son père avait la plupart du temps davantage d'alcool que d'aliments dans l'estomac. Il saisit finalement une boîte parmi le nécessaire hygiénique qu'elle avait acheté pour sa colocataire et elle.

— Et ça, t'avais besoin d'en acheter autant, peut-être ? cracha-t-il.

Thélia réagit sur une impulsion défensive. D'un geste vif, elle lui retira le lot de serviettes des mains. Sa protestation franchit ses lèvres avant qu'elle eût pu mesurer son contrecoup :

— Ça te regarde pas ! Surtout que je t'ai tout payé !

Les yeux brunâtres de son père s'écarquillèrent de sidération. Le moindre trait de son visage se mit à exsuder de colère, comme le suint expulsé d'un abcès crevé. Ses paupières tiquèrent, sa bouche se crispa. Le bras de Thélia se retrouva soudain broyé dans un étau. Le tonnerre gronda en même temps qu'elle poussait une exclamation, choquée par la poigne qui la secouait.

— Comment tu me parles ? fulmina son père. Comment tu me parles ? C'est comme ça que je t'ai élevé ?

Ses doigts s'enfonçaient compulsivement dans la peau de Thélia, lui écrasant les muscles. Elle se regimba pour se soustraire à sa main brutale, la figure plissée de douleur.

— Lâche-moi !

Surpris par son cri, Jiros se figea. La vision de son faciès entièrement tendu de rage, des veines saillant à son cou, paniqua Thélia. Elle s'arracha à sa prise et s'insinua entre lui et le frigo. Englouti par sa fureur délirante, son père n'eut pas la présence d'esprit de la rattraper, mais ses beuglements la poursuivirent jusque dans sa chambre.

Le discours qu'elle n'avait que trop entendu reprit à plein volume entre les murs de l'appartement : elle était une ingrate, une connasse pourrie gâtée, qui n'avait aucun respect pour lui et allait le laisser crever dans un caniveau.

Thélia fit rapidement le tour de sa chambre, pour ramasser les affaires qu'il lui manquait et les fourrer dans un sac de sport. Elle y ajouta sa boîte de pastels et son carnet d'inspiration truffé de notes et d'images découpées.

Les hanses bien calées sur son épaule, Thélia prit une grande inspiration avant de quitter le refuge de sa chambre. Les yeux baissés, la tête rentrée, elle marcha droit à la porte d'entrée, et quitta l'appartement de son père.

L'orage la surprit alors qu'elle effectuait la dernière portion du trajet de retour. Courbée sous la pluie qui tombait drue, elle s'élança en courant. Son haut fluide lui colla presque instantanément à la peau. Ses talons éclaboussaient ses mollets à chaque foulée. Le temps de parvenir au sec, les précipitations diluviennes l'avaient douchée.

Hors d'haleine, Thélia se mit à panteler dans le hall de son immeuble, la peau couverte de chair de poule. Son cœur battait à l'en étouffer, et des frissons la parcouraient, davantage imputables à son démêlé avec son père qu'à sa brève course.

La fournaise pesante qu'elle trouva dans sa chambre l'oppressa dès qu'elle y mit le pied. Elle laissa tomber son sac détrempé par terre, et ouvrit sa fenêtre en grand. Balayée par la moiteur des bourrasques pluvieuses, Thélia se tint dans l'encadrement, à laisser le fracas du déluge et du tonnerre assourdir l'écho des vociférations qui résonnait encore sous son crâne.

Un jour gris, ténu et sans contrastes, baignait la pièce. Thélia prit alors conscience des endolorissements sous son épaule. Elle souleva sa manche humide, pour découvrir les rougeurs qui cerclaient son bras. Un brusque sentiment d'injustice chargé d'amertume lui fouilla la poitrine. Elle le refoula avant qu'il ne perce trop profondément, et s'apprêtait à retirer son haut, quand un message fit vibrer son portable dans son sac.

Le nom d'Adamer et les premiers mots qu'elle put lire sur la notification la poussèrent à déverrouiller son écran. Elle ne s'attendait pas à ce qu'il la contacte si vite après la rencontre avec le pyrocien de Rigel qu'elle avait sabordé.


✉️ Adamer – 18 : 24

Salut Kerdaphy


✉️ Thélia – 18 : 24

Salut


Profitant de l'ouverture, elle s'empressa de taper ensuite :


✉️ Thélia – 18 : 25

Désolée pour avant-hier


✉️ Adamer – 18 : 25

Je voulais m'excuser pour l'autre soir


La réponse de l'agent de l'URIAA arriva en même temps qu'elle envoyait la sienne. Thélia écarquilla les yeux, avant d'étirer un sourire d'amusement penaud.


✉️ Adamer – 18 : 25

Oh


✉️ Thélia – 18 : 26

T'avais raison

On aurait pas dû venir et interférer


✉️ Adamer – 18 : 26

Non, écoute, j'ai eu tort de vous traiter comme ça

Vous le méritiez pas


Un réconfort inopiné dilata le cœur de Thélia. Elle parcourut sa réponse à plusieurs reprises, l'agréable douceur qui s'épanchait en elle se densifiant à chaque relecture.


✉️ Adamer – 18 : 27

Pour être honnête, j'apprécie ce que vous avez fait

J'approuve toujours pas, mais j'apprécie quand même


Surprise, Thélia prit place sur son lit sans décrocher les yeux de l'écran.


✉️ Adamer – 18 : 27

Il y a pas beaucoup de monde qui prendrait ce genre de risques pour moi, après tout 😆


Ça, elle s'en doutait. Peu de gens auraient l'audace de prétendre vouloir sauver un Aster de l'URIAA. Un atout astérien, comme ils étaient appelés au sein de la brigade.


✉️ Thélia – 18 : 27

T'es un ASTAT, aussi..


✉️Adamer – 18 : 28

Oui


Sa réponse laconique l'interpella. Alors qu'elle s'interrogeait sur une possible mésinterprétation, son téléphone vibra répétitivement entre ses mains.


✉️ Adamer – 18 : 29

Tu étais violette

J'avais jamais vu cette couleur, avant

C'était la colère, pas vrai ?


✉️ Thélia – 18 : 29

Tu prends des notes de mes couleurs, en fait ?


✉️ Adamer – 18 : 29

Non 🙄

Normalement, pour énerver quelqu'un, j'ai pas besoin d'aller jusqu'à le menacer avec mon Arété


La remarque la fit rire, mais Thélia préféra clarifier :


✉️ Thélia – 18 : 30

J'étais pas énervée contre toi

J'étais énervée pour toi


Ce qui lui avait rongé les entrailles, ce qui avait brièvement écumé dans ses veines, si fort qu'elle en perdait le souffle, c'était une fureur indignée face à ce que l'attitude de l'agent venait de lui faire comprendre : personne ne se soucierait de le voir risque sa vie, car il ne s'agissait que de ce qui était attendu de lui.

Alors que, depuis le début de l'échange, les réponses d'Adamer avaient été instantanées, la suivante se fit attendre.


✉️ Adamer – 18 : 33

Ça te va si on continue en visio ?


Thélia cilla devant le message. Elle se redressa pour fermer sa fenêtre, et répondit par l'affirmative. L'agent lança aussitôt l'appel. Elle fit glisser son pouce sur l'écran, laissant le visage d'Adamer apparaître à l'écran. Son nez busqué accentuait l'éclat perçant de ses yeux d'oiseau de proie. Les pattes effilées de sa barbe traçaient une ligne subtile à l'angle de sa mâchoire. Son sourire jovial se décomposa instantanément en une mine étonnée.

Oh, tu t'es pris la pluie !

Thélia prit subitement conscience de sa chevelure mouillée qui gouttait dans sa gorge, et de l'étoffe humide de son haut adhérent à sa peau.

— Ah, oui. En revenant des courses. Attends.

Elle éteignit la caméra le temps d'aller se mettre une serviette autour des épaules, puis revint s'installer sur son lit. Manifestement chez lui, le dévalement de la pluie le long des fenêtres produisant de ténus remous d'ombre dans ce qui devait être sa chambre, Adamer lui décocha un regard espiègle. L'ambre de ses iris et les fossettes de son sourire recelaient à eux seuls une flavescence solaire, dont elle pouvait presque éprouver la tiédeur.

J'imagine que toi, ça te dérange pas trop, la pluie, supposa-t-il en référence à son Arété.

— Si je dois manipuler l'eau, c'est une des meilleures configurations. Mais y a pas que ça. Je ressens l'Éther à travers l'eau, alors plus il y en a autour de moi, plus je me sens...complète. Et puis, j'adore le son.

Comme pour illustrer ses paroles, un éclair flasha, suivit l'instant d'après par un grondement fracassant. La déflagration s'épancha en houle majestueuse dans l'esprit de la thaumaturge. Une onde apaisante parcourut ses nerfs. Ses mèches bleuirent.

Le gros plan sur le visage d'Adamer lui permit de ne rien manquer de l'attention fascinée avec laquelle il l'observait.

Ça m'étonne pas que tu sois redoutable sous l'orage, s'amusa-t-il.

Thélia esquissa une grimace contrite. Sans doute faisait-il référence à son intervention au parc Pegasi. Elle n'aurait jamais pu se dresser face à la collègue ASTAT de l'agent s'il n'avait pas plu aussi fort ce jour-là.

— Mais toi aussi, non ? questionna-t-elle en se remémorant ses incessantes traversés de l'Éther ce jour-là.

Il acquiesça, l'observation de Thélia suscitant une lueur surprise dans son regard.

C'est la foudre, révéla-t-il. Un vrai geyser d'Éther.

Elle lui adressa une mine impressionnée. Il fallait une maîtrise prodigieuse pour s'approvisionner en Éther aussi brut et volatil que celui brassé par les cumulus. Un Éther céleste. Cela lui seyait.

— D'ailleurs, comment les Asters de l'URIAA s'approvisionnent ? interrogea Thélia. Vous avez des Garennes ?

Non, il y a pas assez d'Asters au sein de l'URIAA pour qu'ils investissent dans des Garennes. On doit se débrouiller.

La thaumaturge plissa la bouche, hésitant à lui faire part des réflexions désapprobatrices qui la traversaient. Si les ASTAT de l'URIAA ne pouvaient compter que sur leur propre réserve d'Essence et devaient s'arranger pour se fournir en surplus, ils se trouvaient désavantagés face aux Asters des Constellations ayant accès aux Varennes de leur territoire. Sans lui laisser l'opportunité de formuler sa remarque, Adamer reprit :

Meesha et Bélonias vont bien ?

— Très bien, même. Ils sont contents d'avoir leur espace à Alphecas. Les squatteurs non Asters sont plutôt bienveillants avec eux, en plus.

Tant mieux. Mais sur le long terme, il faudra réfléchir à des arrangements plus... pérennes.

Le bras fatigué de tenir son smartphone devant son visage, Thélia ramena un genou contre sa poitrine pour y prendre appui. Elle avait bien conscience de la précarité de la situation des adolescents. Ils ne pouvaient pas vivre Indéfiniment à ses frais, déscolarisés, dans un squat contrôlé par une organisation criminelle.

— Je sais. La priorité, c'est Mystès, pour le moment. Pour être honnête, j'espère qu'il aura des solutions pour eux, quand on l'aura retrouvé.

T'as raison, pour eux il y a pas d'urgence, à l'heure actuelle. L'important, c'est qu'ils soient tirés d'affaire. Je devrai pas tarder à pouvoir te faire un point sur la situation de Mystès.

Le cœur de Thélia eut un sursaut dans sa poitrine. Elle se redressa.

— T'as du nouveau ?

Je préfère pas m'avancer sans confirmation, mais je te donne bientôt des nouvelles, d'accord ?

Ça peut pas être bon. Tu sais que ça peut pas être bon.

Elle se força à articuler :

— S'il y a quoique ce soit, je veux pas que tu mettes les formes. Je veux juste que tu me le dises.

C'est promis, Kerdaphy.

Quand elle eut pressé l'icône de fin d'appel, Thélia s'affala à plat ventre sur son lit. Le nez dans la couette, elle serra les doigts sur son portable. L'âme encore meurtrie par la violence qu'elle avait essuyée chez son père, dévorée par l'angoisse de ce qui avait bien pu arriver à Mystès, elle posa un regard absent sur son écran éteint. Elle avait envie de rappeler Adamer. Simplement pour discuter.






Un chapitre un petit peu long, j'espère que ça a été !

On retrouve Kaya, qui démarre son nouveau boulot, et fait une rencontre intéressante ! Vous l'avez reconnu ? ;)

Puis Keitan avance dans ses recherches sur Mystès...

Et un petit rapprocha Thélian pour terminer ~

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