Chapitre 12 : Oser
Les rues baignaient dans une atmosphère d'une blondeur douce. Une pointe fade piquait la fraîcheur de l'air, signalant que le flétrissement avait entamé son travail sur la végétation. Les reins appuyés contre une barrière de trottoir, Thélia baissa les yeux vers son portable, qui venait de sonner pour la énième fois dans sa main.
Cela faisait trois bons quarts d'heure que Keitan aurait dû la retrouver. Apparemment retenu à un shooting pour un magazine de mode, il n'avait pas arrêté de lui écrire pour s'excuser de son retard. Elle finit par pianoter une proposition :
✉️ De : Thélia - 15 : 47
Est-ce que c'est urgent ?
On peut reporter, sinon
Cinq minutes plus tard, le numéro de l'agent s'afficha sur son écran. Elle décrocha, se couvrant son oreille libre de la main afin d'atténuer le brouhaha du trafic et de la foule.
— Thélia, encore désolé, vraiment. C'était pas prévu.
— Ça va, je comprends, l'assura-t-elle.
En dépit de quoi, elle l'entendit émettre un son ennuyé.
— T'as un truc à faire après ? s'enquit-il. Sinon, tu peux venir à l'agence directement, ça vaudra mieux que d'attendre dehors.
— Oui, mais j'ai encore le temps. T'es sûr que je peux venir comme ça ?
— T'inquiète pas ! On fait ça, alors. Je t'envoie l'adresse et je vais les prévenir pour qu'ils te laissent monter.
Thélia suivit son GPS jusqu'à l'agence de photographie située non-loin du point de rendez-vous originellement convenu avec Keitan. Parvenue au studio, elle se présenta à l'accueil en s'attendant à être conduite vers une salle d'attente. Au lieu de quoi, on lui fit prendre l'ascenseur jusqu'à l'étage où se déroulait le shooting. Aussitôt que les portes de la cabine se rétractèrent sur leur rail, Thélia fut durement bousculée de l'épaule par une silhouette féminine, qui entra d'un pas courroucé. Elle se retourna avec perplexité vers la femme plantureuse, aux longs cheveux de jais, qui cracha en écrasant un bouton du panneau :
— Qu'est-ce que vous croyez ? Que je vais me rabaisser à servir de faire valoir ? J'ai ma dignité, moi !
Une rousse trapue, montée sur de petits talons aiguille, se précipita vers l'ascenseur en la suppliant d'attendre et de les laisser s'expliquer, mais ne put que s'engouffrer avec elle avant que les portes ne se referment. Hésitante, Thélia suivit le couloir et pénétra dans un vaste studio aux murs blanc et parquet de chêne. Une odeur de circuits chauffés et de café froid flottait dans l'atmosphère confinée.
Une poignée de personnes entourait la vedette de l'URIAA devant un fond en toile sombre. Vêtu d'un blouson de cuir et d'un jean brut, Keitan s'efforçait d'apaiser le mécontentement ambiant. Main sur la hanche, un homme en costume fulminait :
— C'est quoi cette histoire d'inégalité salariale ? Elle avait rien à redire quand elle a signé !
— Je t'avais prévenu, Laura est réputée pour son caractère, lui dit sa collègue. Elle demande toujours des augmentations à tire-larigot.
Keitan étira un sourire qui se voulait embarrassé.
— C'est de ma faute, Benoit. J'ai mentionné mon cachet pour cette séance et...
En retrait près d'une plante en pot, Thélia ne put s'empêcher de hausser les sourcils. L'air de contrition artificielle qu'affichait Keitan lui donnait l'air davantage fautif. À croire qu'il avait cherché à faire réagir la modèle de la sorte.
Le dénommé Benoît, qu'elle soupçonnait être le directeur artistique, se borna néanmoins à lui tapoter l'épaule d'un geste compréhensif.
— Non, non, Keitan, t'en fait pas. Tu es la cover star de ce numéro, bien sûr que tu touches une rémunération à la hauteur. Laura est là pour la narration visuelle. Où est-ce qu'elle se croit ?
Là-dessus, l'équipe partit dans des discussions encore tendues et imprégnées d'irritation concernant les prises qu'ils leur restaient à faire et la façon dont ils allaient se débrouiller sans leur modèle. Se soustrayant à l'attention générale, Keitan coula un regard rusé vers Thélia, sans paraître le moins du monde étonné de la découvrir là. Comme s'il avait remarqué sa présence dès son entrée.
— Bon, commença-t-il en claquant des mains, prêt à s'éclipser.
Il avait à peine fait un pas en dehors du carré de toile, qu'une femme à la chevelure rose pêche avisa l'intruse.
— C'est qui celle-là ?
— Thélia Kerdaphy, la présenta Keitan d'un ton singulièrement lisse. Elle est avec moi.
— Oh, mais c'est parfait ! s'exclama Benoit. Si vous vous connaissez, ça peut marcher !
Sa collègue s'approcha de l'intruse, tapotant sa lèvre d'un doigt pensif.
— Oui, avec une silhouette comme la sienne, on peut en profiter pour mettre en avant la déconstruction des stéréotypes de beauté standard.
Thélia se raidit sous l'examen auquel elle se retrouvait brusquement soumise, tandis qu'un courant d'approbation restaura l'humeur de l'équipe. Les cheveux et iris teintés du jade de l'anxiété, elle tourna une mine déroutée vers Keitan. Il accourut aussitôt, devançant la femme afin de s'interposer à demi.
— Il y a méprise, Rodakine. Elle est pas modèle.
— Manifestement, gloussa Rodakine. Mais on a juste besoin d'une jolie petite jeune à te mettre dans les bras, mon chou. Elles peuvent toutes y arriver.
— Elle sera rémunérée, bien sûr, renchérit Benoît. Qu'est-ce qu'elle en dit ?
Derrière l'épaule de l'agent, Thélia jeta un coup d'œil à la mezzanine, le long de laquelle s'alignaient les portants. Soigneusement suspendue aux cintres, la nouvelle collection n'attendait que d'être portée. Se retrouver précipitée sous l'objectif et l'œil critique de cette équipe de mode lui asséchait la bouche de nervosité. C'était cependant une occasion inopinée d'approcher un univers qu'elle n'explorait jusqu'à présent que du bout de ses crayons.
Keitan s'apprêtait à protester derechef, mais Thélia lui saisit le bras sans même réfléchir. Un carmin vif s'écoula jusqu'aux pointes de ses mèches. Il pivota vers elle, les sourcils relevés de surprise, et ses prunelles suivirent le trajet de la pigmentation. Lui seul pouvait saisir l'émotion que sa couleur traduisait. Elle le relâcha pour s'adresser aux deux autres avec une politesse impeccable :
— Enchantée. Je suis hôtesse au Lucent et étudiante à l'IIM. Merci pour l'opportunité, je ferai de mon mieux.
Benoit étira un sourire de satisfaction carnassier.
— Ça, c'est ce que j'aime voir. Viens avec moi, trésor. Keitan, je te laisse avec nos stylistes pour la tenue suivante.
Keitan les jaugea l'un après l'autre, incertain, avant de plonger les yeux dans ceux de Thélia. D'un geste léger, il fit s'écouler la pointe de ses mèches pourpres entre ses doigts.
— J'allais te dire de ne pas te sentir obligée, mais si tu es déterminée à le faire alors... aucun souci pour moi.
Les mains fines et osseuses de Rodakine se refermèrent sur les épaules de la thaumaturge. Elle la conduisit à l'étage, où Thélia fut aussitôt assaillie d'une nuée de stylistes, qui la firent se changer avant de rajuster le moindre détail du cuir noir et velours rouge qu'elle revêtit. Ses mensurations étaient plus larges que celle de la modèle qui l'avait précédée, aussi durent-ils sélectionner des pièces ajustables. Elle fut ensuite assise devant le miroir de la coiffeuse pour que pinceau et éponges physionomistes enduisent sa figure de maquillage.
Quand elle put rouvrir les yeux, Thélia n'eut qu'une poignée de secondes pour évaluer son reflet éclairé par les LED éblouissantes. Les touches indécelables nuançant sa carnation mettaient les contours de ses traits en valeur, de sorte à lui conférer un aspect de jeune femme mûre, accomplie, dont la volonté concordait avec le rutilement rouge de ses yeux.
Ce n'était pas une autre qu'elle contemplait. C'était simplement une part d'elle-même qu'elle n'avait jamais pu observer auparavant.
Étrangement, ce constat lui permit de se lever pour se diriger sous les softboxes et les réflecteurs sans être rattrapée par sa nervosité. Un brin d'excitation provoqua même l'accélération de son pouls. Sylvius n'avait peut-être pas tort, lorsqu'il vantait la force de son état carminé.
Keitan la rejoignit alors, en tee-shirt boutonné à col V gris cendré et pantalon écarlate. Il l'étudia avec attention, puis se fendit d'un sourire appréciateur.
— Je sais pas trop ce qui t'a fait accepter de rester, mais ça te va super bien ! la complimenta-t-il.
— J'ai pas du tout envie de poser, lui avoua Thélia. Je suis restée parce que les tenues m'intéressent.
— C'était ça ? s'étonna l'agent avec un rire. J'aurais pu t'envoyer leur magazine.
Elle lui adressa une moue de désaccord, et il la poussa du coude en s'esclaffant de plus belle. Rodakine frappa dans ses mains.
— Keitan, garde-moi ses sourires pour l'objectif. J'en ai pas vu beaucoup, tout à l'heure.
Avant-même que Thélia ait pu s'interroger sur ce que l'on attendait d'elle, le photographe leur lança ses directives. Ses paroles ponctuées de claquements de doigts autoritaires, il leur demanda du mouvement, des éclats de vie et du dynamisme. Elle se retrouva pétrifiée, ne sachant plus quoi faire de ses membres.
Deux mains couvrirent alors ses yeux. Elle ne perçut plus que le cliquetis des prises de vue, qui commençaient déjà. Keitan fit doucement pression sur son visage, de sorte à lui faire ployer la nuque vers l'arrière.
— T'occupe pas d'eux, dit-il dans son dos. Le truc, c'est de pas chercher à avoir l'air naturel. Au contraire.
Son souffle lui balaya le front, puis ses lèvres effleurèrent sa peau alors que le photographe continuait de mitrailler. Le frémissement qui parcourut Thélia se réverbéra jusqu'au fond de son ventre. Rodakine les acclama d'une voix forte, et les encouragea à poursuivre.
Keitan la libéra, et saisit sa main pour la faire tournoyer dans une volte de mèches passées au grenadine dilué, suscitant davantage d'exclamations approbatrices de l'équipe. Sans temps mort, il s'accroupit face à l'objectif et referma les doigts sur les poignets de Thélia, qu'il attira jusqu'à ce qu'elle prenne appui sur ses épaules. Elle se tint un instant derrière lui, éprouvant la solidité de sa stature sous elle, puis il leur fallut passer à l'ensemble vestimentaire suivant.
Tandis qu'elle se changeait, Thélia pouvait entendre l'équipe de production commenter son alchimie visuelle avec Keitan devant les écrans sur lesquels ils pouvaient étudier le rendu. Habillée de daim et de laine, elle revint devant la toile de fond. Un assistant leur apporta un bol de fraises, qu'ils durent faire semblant de déguster. Craignant de se tacher de jus, Thélia se garda de mordre dans les fruits, au contraire de l'agent, qui ne s'en priva pas. Il exagérait tellement ses mimiques de régal, qu'elle se prit à pouffer et se livra à la pantomime, posant les dents sur la fraise qu'elle tenait comme si elle s'apprêtait à l'entamer.
Puis, les assistants jetèrent des pétales de fleur dans le flux d'air produit par un ventilateur à effet spécial. Les cheveux de Thélia volèrent, et elle en usa pour se placer de biais dans le courant, laissant ses mèches se dérouler devant son visage. Keitan, parsemé de pétales qui se prenaient dans les mailles de son pull, saisit aussitôt l'occasion. Il glissa son bras sous le sien, et se laissa fouetter par la chevelure de la jeune femme.
L'équipe voulut ensuite qu'il usât de ses lames. Keitan posa les yeux sur son hoplónie, soigneusement rangée dans ses étuis. Une ombre malaisée assombrit son faciès.
— On a déjà fait cette séquence avec Laura, argua-t-il.
Benoît balaya ses protestations d'un geste de la main.
— J'ai envie de voir ce que ça donne avec la nouvelle.
Immobilisée par le coiffeur qui aspergeait ses ondulations de spray après les avoir brossées jusqu'à leur redonner leur lustre, Thélia lança à l'agent.
— Ça me dérange pas, tu sais.
Elle comprit néanmoins les réticences de Keitan quand vinrent les nouvelles injonctions du photographe. Appuyée contre sa main, elle dut se cambrer en arrière, une jambe relevée, jusqu'à ce qu'elle ne tienne plus en équilibre que grâce à la pointe de son pied au sol et le soutien autour de sa taille. La posture de la parfaite oiselle sous le charme.
Keitan se pencha au-dessus d'elle, couteaux déployés dans les airs, un éclat matois dans le regard et au coin des lèvres. Consciente que seul son bras la retenait de s'écraser sur le dos, elle retenait à demi son souffle. Il était tout éclat et moire, boucle d'acier reluisant à ses oreilles, reflets d'or pâle coulant sur ses mèches, collier de barbe accrochant les feux des éclairages.
— Oooh bien ! s'enthousiasma le photographe. Relève le menton, ma belle. Encore. Voooilà. Penche-toi sur sa gorge, Keitan.
Paupières mi-closes pour lutter contre le vertige de la position, n'ayant plus que le fond du studio dans son champ de vision, Thélia déglutit lorsqu'elle sentit la pointe des épis dorés lui effleurer le dessous du menton et le souffle de Keitan courir sur sa trachée. Quelques cliquetis plus tard, il la ramena en douceur sur ses pieds. Au lieu de la lueur espiègle qui l'animait un instant auparavant, la préoccupation emplissait son regard.
— Ça va ? l'interrogea-t-il, s'assurant que la pose ne l'avait pas mis mal à l'aise.
Il n'en était rien. La proximité de l'hóplite depuis le début de la séance, son toucher et ses frôlements, l'enduisaient comme un baume, la pénétrant d'une tiédeur savoureuse et de pétillements agréables.
— Tout va bien, l'assura-t-elle.
Les tenues s'enchaînèrent. La chaleur des couches de vêtements se faisait étouffante, alors qu'on leur demandait toujours plus de rapprochement et d'intimité. On la fit s'étendre en travers du giron de Keitan assis au sol, les côtes reposant sur ses cuisses, le dos appuyé contre son torse. Il en profita pour lui chatouiller les flancs, avant qu'ils ne se relèvent. Prise de court, Thélia se recroquevilla avec un éclat de rire nerveux. Sa chevelure avait viré au blond de miel lorsqu'ils se remirent sur pied.
Puis, il dut la draper d'un manteau, le nez frôlant le contour de son oreille, comme s'il allait l'embrasser derrière celle-ci ou glisser des murmures dans ses cheveux. L'aura de l'agent qui l'enveloppait lui paraissait chargée d'une énergie suave et capiteuse. Pour la première fois, Thélia comprit l'émoi qu'il inspirait à ses abonnées.
Il l'étudia avec une curiosité malicieuse lorsqu'elle dut ensuite poser une main sur sa nuque et saisir le revers de sa veste de l'autre. Désormais accoutumée à son coudoiement, elle fut surprise de sa propre aise durant ce face-à-face. La voix de Benoit claqua alors :
— Remonte sa jambe contre ta hanche.
Thélia sentit sa face s'échauffer devant la suggestivité de la posture. Elle portait une paire de collants sous une courte jupe de cuir brun. Le framboise teinta inéluctablement ses ondulations. Cette fois, Keitan ne s'exécuta pas immédiatement, et la consulta du regard. La délicate ligne de crayon qui ourlet ses paupières rehaussait l'ambre voluptueuse de ses iris.
— Tu préfères que...? commença-t-il avant que le mouvement de Thélia ne l'interrompe.
De sa main en appui sur l'échine de l'agent, elle se stabilisa, et souleva un pied du sol, en un geste dépourvu de réflexion. Peut-être simplement pour se prouver qu'elle n'avait pas à être intimidée.
Le flottement indécis dans les yeux de Keitan s'évanouit. Un sérieux impassible sculpta ses traits. Il passa une main sous la cuisse de la thaumaturge, sa paume ferme contre le muscle relâché. D'une pression, il amena son genou à la hauteur de son propre bassin. Le cœur de Thélia s'emballa dans sa poitrine. Elle raffermit sa prise sur la laine chinée dont il était vêtu. Un sourire d'espièglerie rapace fendit alors le visage de Keitan.
— Il faut que j'arrête d'oublier de quoi tu es capable, hein ?
— Sachant que je le découvre moi-même sur le moment, répliqua-t-elle à mi-voix.
Il admit sa réponse d'une légère moue, mais n'eut pas le temps d'ouvrir la bouche, interpellé par le photographe, qui lui enjoignait de regarder vers l'objectif. Ce fut au moment de laisser redescendre sa jambe qu'il se pencha au-dessus de son épaule pour lui glisser à l'oreille :
— Comme toute personne qu'on dit courageuse.
✧ ✧ ✧
À la sortie de la séance photo, Keitan proposa d'aller dîner de frites et de tenders afin qu'ils puissent enfin aborder la raison pour laquelle il avait demandé à la voir. Thélia avait cependant prévu de dîner au squat avec les jeunes Asters ce soir-là, aussi se contentèrent-ils de café et de thé bus à une terrasse tranquille.
Elle fut donc rendue tardivement à Alphecas et s'engagea dans le dédale d'escaliers couverts de graffitis chamarrés, l'esprit encore absorbé par la discussion dont elle venait de s'entretenir avec l'agent. D'alléchantes effluves de friture et de poisson grillé flottaient dans le couloir. Son estomac émit des borborygmes d'appétit. En ouvrant la porte du local où étaient installés Meesha et Bélonias, elle ne s'attendait pas à trouver la table-basse couverte de plats fumants, tout juste ramenés de la cuisine commune.
Depuis sa sortie d'hospitalisation, Mystès avait monté deux étagères faites de planches en bois, érigeant une séparation entre les couches accolées aux verrières et le reste de l'espace. En surplus des minuscules LED des guirlandes lumineuses, les bougies jetaient une clarté mouvante sur les châles et foulards de récupération tendus aux murs.
L'ensemble donnait aux lieux un aspect convivial et chaleureux. En dépit de quoi, les propos de Keitan ternirent cette vision, et Thélia ne put s'empêcher de la voir pour ce qu'elle était vraiment : quinze mètres carrés que se partageaient deux préadolescents livrés à eux-mêmes, sans la moindre intimité, ni même la commodité de l'eau courante.
Meesha bondit sur ses pieds à son arrivée, et se jeta dans ses bras. Thélia passa une main caressante dans sa chevelure de jais, tout en balayant la table du regard. Une légère vapeur montait du riz au potimarron et châtaignes, les écailles grillés des poissons présentaient le scintillement de l'aluminium, et le dodu des beignets de patates douces promettait un moelleux qui lui mit l'eau à la bouche.
— C'est toi qui as préparé tout ça ? interrogea-t-elle Mystès.
— Avec notre aide ! clama Meesha, qui retourna auprès de Bélonias.
Ses yeux bruns pétillant de gourmandise, elle lorgna les plats chauds alors que Thélia allait serrer son collègue dans ses bras. En plein rétablissement, il n'était pas encore revenu travailler au Lucent. Son grand corps conservait la maigreur à laquelle les sévices infligés par Cebalraï l'avaient réduit ; il dissimulait sous un bonnet les cicatrices toujours visibles sous ses cheveux ras ; et l'indigo de ses iris demeurait voilé, mais il gagnait en vigueur de jour en jour.
— C'est long à faire, alors j'en préparerai pas tous les jours, les avertit-il. Mais c'était l'occasion. Puis j'en ai fait beaucoup, tu peux en ramener pour ta coloc et toi.
— Depuis le temps que je voulais goûter ta cuisine ! se réjouit Thélia.
Mystès lui avait fait part de sa passion et ses astuces culinaires lors de leurs pauses. Il était réputé au Lucent pour amener de temps en temps de quoi régaler ses collègues, mais elle n'avait pas encore eu l'opportunité d'en profiter. Thélia s'assit en tailleurs sur un coussin, et entreprit de faire le service du riz.
— Qu'est-ce que Adamer te voulait ? s'enquit l'hôte en lui tendant son assiette.
Le ton qu'il employa pour parler de l'agent interpella Thélia. Elle lui avait bien évidemment fait part de l'implication de Keitan, et Meesha lui avait relaté les repas et le festival, mais Mystès se montrait méfiant. En tant qu'Achernar, il ne voyait pas d'un très bon œil qu'un Aster de l'URIAA s'approche de ses protégés.
— Voir deux-trois trucs avec moi, mais on pourra en parler plus tard, éluda Thélia.
Ce n'était pas le moment d'évoquer les préoccupations de Keitan concernant l'avenir de Meesha et Bélonias. Comme il l'avait justement pointé, les deux adolescents se retrouvaient déscolarisés et déboutés de toute structure sociale. Or, pour Keitan, peu de perspectives s'offraient à eux s'ils ne se réinséraient pas dans le système. Chose que Thélia pouvait difficilement nier.
Néanmoins, lorsqu'elle mordit dans la panure croustillante de son beignet, et que la chair sucrée du féculent fondit sur sa chair, l'inquiétude se dissipa. Le temps d'une soirée, elle pouvait bien cesser de se tourmenter à propos du lendemain, et profiter des sourires vifs de Bélonias, de l'hilarité ravie de Meesha et de l'éclat d'allégresse qui jaillissait dans les yeux de Mystès.
Un chapitre tout doux !
On plonge dans la quotidien de vedette de Keitan !
J'espère que ce moment entre Thélia et lui vous a plu ~
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