▌ 𝗗𝗜𝗦𝗧𝗥𝗜𝗖𝗧 𝗦𝗨𝗗, 𝗞𝗔𝗡𝗨𝗞𝗜. 02/11. 02:00.▌

Comme toujours, le fait d'aller sous le froid glacial et de traîner les pieds dans la rue jusqu'à pas d'heure ne dérangeait pas Red. Recouvert d'un épais pull rembourré, le jeune homme luttait contre la brume et l'ondée. Sa journée s'était relativement bien passée, et seuls l'accablante routine et les clients enragés avaient perturbé ses délicates idées.

Les avenues infâmes et malpropres du troisième district de Kanuki sentaient comme la fade étape avant la mort, et chaque personne qui osait effleurer une quelconque fortification ressortait avec des vêtements tachés. De fines particules de couleur vert absinthe se dessinaient sans cesse dans l'air et virevoltaient autour des quelques voitures qui circulaient à toute allure. Les nuées de lumière créées par les inexplicables êtres flottants enveloppaient la plupart des bâtiments et donnaient à ces derniers une lueur inquiétante.

L'attaque chimique qui avait ravagé Kanuki il y a quelques années n'avait rien épargné ; rares étaient les oiseaux qui osaient s'aventurer au-delà de la barrière magnétique et antinucléaire qui avait été dressée pour empêcher les résidus artificiels de s'échapper. La grande majorité des habitants n'était pas affectée par les radiations constamment émises par la ville, grâce au développement de leur Alter. Les Sans-Alter étaient cependant sensibles à ces dernières et ne survivaient pas longtemps à l'intérieur de la barricade. Les personnes aisées ou les héros étaient les seuls autorisés à la franchir. Nul ne savait ce qui arrivait si jamais un « infecté » osait sortir sans autorisation ou sans avoir passé des tests au préalable.

Parce que ceux qui avaient tenté n'étaient jamais revenus.

Le bruit qui retentissait à chaque fois que les chaussures de Red se posaient sur le béton résonnait contre les murs des ruelles. L'ambiance était angoissante pour quiconque aurait osé traîner près de lui, et la femme qu'il suivait depuis maintenant des heures devait avoir le même ressenti. Suivre sa proie sans relâche jusqu'à ce qu'elle panique avait maintes et maintes fois fait ses preuves depuis les débuts de sa carrière. La cible abandonnait souvent, plongée dans l'incompréhension et dans la terreur, laissant ses pires tracas l'envahir.

Enivré par l'adrénaline et par l'envie de découverte, le visage illuminé par les lampadaires qui filtraient une douce lumière jaune, Red accéléra le pas. Les fines gouttes de pluie qui glissèrent le long de son menton lui procurèrent une agréable satisfaction sans pareil, tandis que ses pas se hâtaient chaque fois que sa victime changeait de trottoir dans l'espoir de le semer.

Au moment même où la femme se mit à courir en resserrant sa poigne sur son sac à main, une grimace déforma le visage de son poursuivant ; tordue d'une étrange façon, sa bouche ne fut guère plus qu'un bout de chair malmené.

─ Arrête-toi, ordonna-t-il.

Les passants avançaient tête baissée quand il réussit enfin à l'arrêter. Son petit corps tout maigre fut plaqué contre un mur de briques en deux temps, trois mouvements. Un instant plus tard, sa clameur fut étouffée par la main moite et veinée de son agresseur. L'haleine fétide qui s'échappa de sa bouche quand il respira lui agressa le visage, rendant vaine toute tentative de ne pas lui inspirer le dégoût . Red sentait l'eau-de-vie et les oignons, et le mélange des deux éléments lui donnait juste envie de pleurer. Ce fut sans réfléchir qu'elle tenta de lui soutirer des informations.

─ Qu'est-ce que vous me voulez, bordel ?

─ Je veux ton pouvoir, ton Alter. (Sa voix dérailla et ne devint qu'un miaulement imperceptible.) J'ai besoin de toi, Cyan.

─ Qu'est-ce que vous racontez, sale rustre ? hurla-t-elle en tentant de se débattre. Je n'ai même pas d'Alter !

Les yeux écarquillés, arborant un rictus de colère qui détonnait avec le reste de son apparence, Red se sentit moqué et dut se retenir de lui arracher les intestins quand elle réussit enfin à se dégager de son étreinte. La jeune fille bondit alors sur ses pieds, les cheveux de jais rendus tout hirsutes à cause de l'humidité, et le menaça de ses poings fragilisés par le froid. Même si elle ne savait pas se défendre, elle paraissait prête à tout faire pour le combattre.

─ Battez-vous comme un homme, malotru ! gémit-elle en grognant comme un animal.

Les courts cheveux églantine du vilain effleurèrent le visage rond qui lui faisait face lorsqu'il s'approcha pour l'effrayer. Mais les grands yeux bleu charrette arrondis par la peur et les larmes finirent par calmer ses ardeurs. La minuscule bouche pulpeuse qu'elle possédait se souleva au rythme endiablé de ses respirations, alors que la robe moulante qui complimentait chacune de ses formes se déforma. L'éclat âpre qui faisait scintiller son regard était la seule chose qui lui permettait de ne pas rire de son état lamentable.

Envahi par l'envie de la ruiner, Red s'éloigna tout en gardant une distance acceptable avec la jeune femme. Leurs visages ne se touchaient plus et c'était une bonne chose. Pour le moment, le tueur avait décidé de ne rien faire de plus.

C'était son amie la plus lointaine, après tout. Blue ne l'avait pas nommée pour rien. Et le fait de la connaitre au préalable rendait les choses plus simples.

─ Je ne te veux pas de mal, murmura-t-il en détournant le regard. Je sais à quel point ton Alter te pose des problèmes dans la vie de tous les jours.

Ses épaisses couettes bougèrent dans tous les sens quand elle secoua la tête, pas le moins du monde convaincue par ses douces paroles mensongères. Bien consciente qu'il ne s'agissait là que d'un moyen de la tromper, la jeune fille se tendit et accueillit la suite de ses paroles comme des éclats de verre tranchants.

─ C'est la vérité, ajouta-t-il.

─ Tu m'as suivie pendant des heures. Ce n'est pas rassurant du tout !

─ Tu ne te souviens pas de moi, Sachiko ? (À l'aide de son doigt, Red boucla l'une de ses mèches rosâtres.) C'est normal, ça fait longtemps.

Le corps de la jeune fille se figea tout entier. Effrayée par la présence de l'homme, elle ne releva que l'emploi de son prénom qui n'était plus sorti de la bouche des gens depuis quelques années. Ses grosses lunettes rondes tressautèrent sur son nez à cause de son geste brusque, manquant presque de tomber, et ses sourcils redessinés se haussèrent de curiosité. Pourquoi cet homme au regard ensorceleur lui disait-il quelque chose ?

─ Tsutsu ? murmura-t-elle finalement après avoir détaillé de haut en bas l'homme qui la dominait tout entière. C'est toi ?

─ Oui, c'est moi. (Il utilisa l'un de ses doigts pour enlever la mèche de cheveux qui prit d'assaut le gloss pailleté qu'elle portait.) Est-ce que ça te dérange de me suivre, afin qu'on puisse parler dans un endroit plus privé ?

─ Pourquoi ? s'inquiéta-t-elle.

─ Un vautour nous guette.

Au même moment, une nuée de plumes écarlates vint s'écraser sur le mur à côté d'eux, emportant au passage la capuche de Red. S'il n'avait pas esquissé un pas sur le côté, l'attaque l'aurait probablement tué sur le coup et il y aurait laissé sa vie sans même avoir pu atteindre son but. Son agresseur savait cependant ce qu'il faisait, et n'avait pas voulu le tuer dès l'assaut initiateur. Agacé par le fait d'avoir été dérangé durant un moment aussi important, le vilain repoussa violemment Sachiko sur le côté quand un deuxième amas de plumes fonça sur eux à toute vitesse.

Hawks était là. Il ne manquait plus que ça.

─ Putain de fichu héros à la con ! hurla Red en commençant à courir tout en entrainant son amie d'enfance avec lui. T'es même pas capable de distinguer les vilains des victimes ! Héros numéro deux, mon cul. On dit que t'es le plus rapide, mais j'pense que les femmes répandent juste des rumeurs parce que t'es précoce.

L'attaque suivante le fit presque basculer en arrière. Devant lui, le héros se tenait sur le bord d'un bâtiment et les observait de ses deux yeux perçants. Le lustre qui flamboyait dans ses pupilles était à peine visible derrière ses lunettes teintées, mais rehaussait sa dangerosité. Lorsque Red s'élança en tirant Sachiko par le bras, le héros fit de même et les suivit. Ses gigantesques ailes fournies gonflèrent, tamisées par la lueur blanche qui passait entre les grillages qui le séparaient des devantures lumineuses. Une plume, puis deux, transpercèrent la peau du jeune criminel et vinrent creuser de profondes plaies dans son dos quand ils atteignirent la grand-rue. Hawks les suivait depuis le ciel coloré de fumée poivre et sel et anticipait chacun de leurs mouvements avec une adresse particulière.

─ Arrête de fuir, Red, déclara le héros d'une voix forte et autoritaire. Je vous rattraperai, toi et ton alliée.

─ Alliée ? s'indigna Sachiko. Qu'est-ce qu'il raconte, ce gourdiflot ? Il a une grenouille à la place du cerveau, ou quoi ?

Le jeune homme se demanda si le fait d'imiter les civils en allant se fondre dans le décor était susceptible d'augmenter leurs chances de survie. Alors que la pluie commençait à tomber, le héros numéro trois observa leurs mouvements d'un air méfiant, et ses sourcils se plissèrent lorsqu'ils remontèrent une sortie d'autoroute, puis enjambèrent les glissières de sécurité de cette dernière. Au grand dam de Red, les rails de sécurité firent trébucher Sachiko lorsque ses talons entrèrent en contact avec eux.

La jeune fille bascula de façon lamentable dans la boue et ils se retrouvèrent coincés, acculés par Hawks, qui atterrit sur le sol dare-dare sans même prendre la peine de jeter un regard au corps allongé sur le sol.

Tout ce qui l'intéressait, pour finir, c'était arrêter le stupide hackeur qui sévissait depuis maintenant des années sans que personne ne puisse l'intercepter.

─ Red, fichu diable insaisissable. (Hawks attrapa l'une de ses plumes et la pointa vers lui.) Abandonne, tout est fini. Tu es cerné, et si je ne t'attrape pas, les héros de mon agence se chargeront de le faire au bout de cette autoroute.

Les mains recouvertes de fourmillements inquiétants, Red sortit son téléphone. Son sourire se fit sardonique lorsqu'il ouvrit sa messagerie. D'un clic, il envoya sa localisation à ses alliés. À présent, la victoire était en sa faveur. Hawks ne releva pas à quel point ses longs doigts tremblaient et imagina que cela n'était dû qu'à la peur, avant de se contenter de soupirer lorsqu'un trou noir s'ouvrit sous la fille qui accompagnait sa cible. Celle-ci disparut au bout de quelques secondes en esquissant un petit cri surpris, mais eut quand même le temps de lui adresser un doigt d'honneur.

─ Crois-moi, héros numéro deux, j'arriverai à m'enfuir, siffla le vilain en commençant à reculer, amusé par la tournure des évènements. Et tu feras des cauchemars à chaque fois que tu entendras mon nom. Je suis Red, et personne ne peut m'arrêter. Retiens-le comme le bon piaf du gouvernement que tu es !

En ricanant devant la grimace irritée de son ennemi, Red fit circuler l'électricité environnante jusqu'à ses pieds. La chaleur complaisante qui envahit tous ses sens fut destructrice, tandis que sa tête crépitait comme un feu de bois déchaîné. C'était le symbole de sa liberté. Sa gorge contractée fut libérée, et bientôt, son cœur effectua des mouvements furibonds à l'intérieur de sa poitrine dans l'espoir de se libérer de la cage dans laquelle il était enfermé.

La petite mort lui fit perdre pied comme jamais il ne l'avait fait auparavant, et il hurla, ravi par le choc de son opposant. À tire-d'aile, Hawks recula en se rendant compte bien trop tard de ce que Red avait prévu de faire, et se retrouva paralysé. En quelques secondes, les lampadaires qui les encerclaient explosèrent dans une gerbe d'étincelles chargées, engloutissant l'autobus qui avait eu le malheur de se trouver là au plus mauvais moment. Les ailes en feu, le héros numéro trois dut se résoudre à prendre la fuite, et abandonna les malheureux civils. La déflagration, elle, emporta une grande partie de ses vêtements, les réduisant en cendres, et le laissa pantois face à ce qui venait de se passer.

L'électricité flottait partout dans l'air et soulevait la fumée jusqu'au ciel. Le spectacle aurait pu être magnifique, si des innocents n'avaient pas perdu la vie à cause d'un instant d'inattention crucial.

Le vilain n'avait pas hésité à se faire sauter pour échapper au héros. Qui eût cru que le criminel était aussi atteint par la folie ? Personne. Vraiment personne. Mais son attaque avait-elle été justifiée ? Bien sûr que non. S'il n'avait pas agi sans réfléchir, personne n'aurait perdu la vie, et il n'aurait jamais manqué ce foutu vilain.

Les lèvres serrées par les regrets qui s'acharnèrent sur lui, Hawks soupira et sortit son téléphone portable - qui, par miracle, n'avait pas été atteint - dans l'espoir de contacter ses coéquipiers. Quand la voix inquiète au bout de l'appareil lui vrilla les tympans, la sensation d'avoir été inutile lui brisa le moral, et Hawks ne put que répondre d'un ton funèbre.

La Commission de Sécurité Publique héroïque allait lui faire payer le prix de ses erreurs.

─ Red s'est enfui. Envoyez les pompiers et une vingtaine d'ambulances. J'ai également besoin de renforts.

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Le lendemain matin, en ville, tout le monde ne parla que de l'accident qui avait ravagé une partie de l'autoroute principale. Certains pleurèrent l'incapacité des héros à arrêter un simple hackeur, et d'autres se lamentèrent au sujet des cinquante-cinq élèves qui avaient péri en revenant d'un voyage scolaire.

Mais personne ne se rendit compte que le cinquante-sixième adolescent qui devait être là avait disparu sans laisser de traces.

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Bonsoir ! Je suis ravie de publier ce chapitre. J'ai longuement hésité à le poster à cause de mon retard énorme dans l'écriture de la suite. En tout cas, j'espère qu'il vous aura plu ! Vous aurez bien sûr plus d'explications sur ce qu'il s'est passé dans la suite de l'histoire.

Je me suis également fait un plaisir de traiter Hawks de précoce. C'est mérité.

A la prochaine !