𝐎
ACHLYS | CHAPITRE 27
Royaume de Chô-Seon,
ancienne Corée réunifiée,
Tae-Hyung, 27 Octobre 1504.
- O -
Un irréductible cauchemar, cela ne pouvait être que cela : un mauvais rêve duquel, bientôt, je m'éveillerais.
Certainement, aurais-je préféré ne rien savoir de ce que, à l'aube, Jeong-Guk m'avait informé. Cela n'avait rien d'un piège mais je restais au sentiment d'être pris dans un guet-appens inéluctable. Les senteurs horrifiques des prisons m'atteignaient et me rappelaient, ici, combien j'étais vivant et sain. J'avais l'impression du contraire. Liens du sang. Impossible. Toutefois...
Je paraissais impavide au contraire de mon Jeon qui se livrait à une panique jacassante. Ses mains veineuses accrochaient désespérément les barreaux d'une cellule, celle de cet homme que nous étions venus voir, celle de Jeon Il-Nam dès lors que son souvenir était revenu à l'esprit de mon cadet dans un songe. Son père, peut-être même le mien, le nôtre. Jeong-Guk devait être le second fils d'Ae-Cha parce que nul doute, je devais être le premier. Je n'avais eu le désir de le croire lorsqu'il vint à mes appartements, livret en possession dont j'ignorais l'existence.
Les yeux vitreux du gris me dévisageaient, moi tandis que je demeurais à l'appui contre la cloison opposée. Voilà de longues secondes que mon ébène avait posé cette fameuse interrogation qui nous brûlait tant les lèvres. Jamais de réponse, seulement un moment interminable où il ne considéra que moi. Et un malaise me prit. Jeong-Guk soufflait des "papa" en supplications sans qu'il n'appuya ne serait-ce qu'un regard pour celui qui l'avait abandonné. Ce tableau m'était pénible.
- Ne restons pas là, rentrons... me laissai-je dire en avançant.
- Reste ! s'égosilla finalement l'homme gâteux. Par pitié, Tae-Hyung, ne pars pas...
- De quel droit osez-vous me parler si familièrement ? On s'en va, Jeong-Guk.
Le trouble m'atteignit. L'anxiété, en compagnie. Le timbre du grêle résonnait en moi ; il s'agita, secoua frénétiquement le chef puis saisit vigoureusement la main de mon garde qui soubresauta. Le voir ainsi me tordit la rétine, c'était terrible.
- Papa, bordel... Je suis là, parle-moi...
Sa voix s'érailla. Je me pinçai les croissants de chair, si peu accoutumé à le constater si vulnérable. Le susnommé apposa, cette fois, son attention sur l'apostrophant. J'imaginais que le Jeon, en faisant face à ce père perdu, devait retrouver quelque part un bout de sa mère. De la nôtre ; bonté divine...
- Ae... Ae-Cha voulait que vous vous rencontriiez... Son voeu a été exaucé. Tae-Hyung et Jeong-Guk, mes... Mes enfants.
" Les aînés sont les racines qui nourrissent les cadets, et les cadets sont les branches qui portent les fruits des aînés. "
Confucius.
Je me débridai, mon autre se chut à genoux. Le choc fut grand, trop brutal, trop violent. Ce prisonnier délirait, cet homme était fou, cet homme était mon père, cet homme était le père de Jeong-Guk. Nous étions consanguins. Je chancelai à la mémoire de toutes ces fois où nous l'avions fait, de toutes ces fois où nous nous étions aimés sous les draps. Je portai l'oeil plus bas, vers l'objet de mon désarroi. Je déglutis alors qu'il maintenait ses prunelles rivées vers la poussière et pourtant, je n'osai rien à son égard. Une autre chose plus singulière me vint : mon abandon natal qui me poussa à plonger dans les presque-éteints de Jeon Il-Nam.
- Pourquoi ? Pourquoi m'avoir abandonné ?
Un riotement avant de rétorquer à ma demande.
- L'hiver, Tae-Hyung... Tu n'allais pas y survivre, tu comprends ? Je... Nous étions si pauvres et toi, te voilà en vie. Je n'ai pas cru ta mère lorsqu'elle m'a dit que tu avais été recueilli par la cour...
- L'hiver... Ça doit être ça, oui.
Je me défis de ces implores intenables et m'en allai à la sortie de ces souterrains étouffants. Néanmoins, je m'immobilisai à l'inflexion désespérée de mon Jeong-Guk et luttai pour ne pas avoir à fondre sur sa bouche en consolation.
- Tae-Hyung, ne pars pas sans moi. Je t'en prie.
- Je reviens, j'ai seulement besoin d'être un peu seul.
Ou un peu rationnel, ne serait-ce qu'une fois dans ma vie. Je déposai un tendre baiser sur le sommet de sa tête. Cette histoire me terrifiait. Je n'avais idée de comment agir, comment réagir, comment l'aimer... Chose cruelle et aigre qu'était le destin. Je cheminai à reculons, souhaitant faire état une nouvelle fois de la mine que je laissai à mon tendre. À l'ouverture des lieux, une vague de froid m'envahit : novembre se profilait. Nerveux, je glissai mes doigts entre les mèches de mon châtain et soufflai, réalité de plein fouet. C'était étrange.
Le jour se levait sur la vérité et je pensai, désormais, à l'une des raisons pour laquelle Ae-Cha aurait été arrêtée. Elle demeurait ma mère biologique et je supposais bien que Yeonsan-Gun avait souhaité mettre le voile absolu sur mes origines paysannes. Je me mis à suffoquer, à étouffer et me tins au mur en cherchant mes pas. Les paroles précédentes faisaient la ronde dans mes pensées. Mes ambres s'embuèrent sitôt que je tentai de mépriser mes larmes. Or, un sanglot m'empoigna ; un autre, ensuite. Mes enjambées me portèrent, je rasai les façades pour éviter que l'on me remarquât. Sans rien prévoir, ce fut chez Eun-Hee que je m'arrêtai. Ma soeur restait endeuillée par la perte d'A-Ra alors j'hésitai un temps avant que sa présence ne se fit voir à l'entrée de son palais. La surprise se perçut sur ses traits chagrinés ; doucement, elle me fit signe et je la suivis en son intérieur.
Le palais de ma cadette demeurait, parmi tous, le plus petit mais le moins impersonnel. Je talonnai la brune en insistant le souci que je me faisais pour elle plus que pour moi. Sa peau rougie trahissait un épuisement peiné et une lutte foncière pour ne point en pleurer. Nous entrâmes tous deux. Un sourire de façade habillait ses lèvres pleines lorsqu'elle m'invita à m'asseoir au plus près d'elle.
Je fis plus que cela.
Sa tête reposa contre mon épaule et mes bras entourèrent sa fine taille avec délicatesse. Le silence se fit longuement avant qu'elle ne décide de le barrer.
- Où est votre ombre ?
Jeong-Guk.
Sa voix était vague à l'âme, si décousue, si à la perte de son éclat d'origine.
- Avec un ami, répliquai-je.
- Vous avez pleuré ?
Sa remarque me tira un amusement.
- Toi aussi... On a l'air de deux idiots.
- Je suis plus jolie quand j'ai les yeux rouges et les cheveux désordonnés...
Je roulai des épaules et baisai sa tempe.
- Votre Majesté, tout va bien ?
Avais-je l'air d'aller mal ? J'en serais contrarié. Pourtant, je semblais un peu maladroit, un peu marqué par les traces de mes pleurs. Je mis un temps pour répondre. Que dire, de toute façon ? Que rien n'allait comme je l'entendais ? Que Jeong-Guk souffrait terriblement et que j'en restais la cause première ? Que cette idylle me tourmentait jusqu'à ma cicatrice la plus ancienne ? Mes orbes clignaient, mes iris fuyaient et aussitôt, je fus incapable de parole. Gorge nouée, langue pâteuse, c'était soudainement comme si cette seule question dernière me faisait encore plus de torts que mes maux propres.
- Tae-Hyung. Je suis là, tu me vois, non ?
- Je sais... Dis-moi comment tu vas, Eun-Hee.
Le détournement du sujet lui tira un froncement de sourcils. Or, il était le seul moyen que j'avais pour ne point fondre en désespérance.
- Bonne nouvelle : je respire ! Tu peux le dire que j'ai une mine affreuse, je suis persuadée d'être la plus jolie du royaume...
- Eh bien, tu as l'air d'humeur à plaisanter... J'y vais, fis-je sur le départ.
La main de la comique se hissa à mon habit. Je la regardai, elle resta suppliante et ses prunelles, je le vis, s'excusaient et me quémandaient de ne pas partir. Sa lèvre tremblait et je me figeai, soucieux de savoir ce qui lui traversait l'esprit.
- A-Ra l'était, argumenta-t-elle.
Un silence puis elle m'invita à reposer fesses avant de poursuivre peu gaiement.
- A-Ra... C'était la plus belle, la plus empathique et la plus drôle des filles qui m'ait été donné de rencontrer. Et... Et elle est morte.
- Je suis navré, Eun-Hee.
- Tu n'es pas doué pour consoler les gens, Tae-Hyung... riota-t-elle. Le soir où elle est morte, j'étais là, cachée alors que j'avais suivi Dae-Ho jusqu'au marché. J'ai tout entendu là-bas, j'ai tout vu et je t'ai vu, toi, avec Jeong-Guk. Vous étiez beaux à combattre ensemble.
Une nostalgie esquissa ses lèvres, elle parut égarée dans ses récents souvenirs les plus épouvantables. Un picotement me prit ; je ressentis une chose semblable à un coeur trop éploré et alors revint ma culpabilité.
- Tu n'en as même pas discuté avec lui, je me trompe ? Et il t'en a voulu. Ce doit être dur pour lui, je le conçois, mais tu n'as pas à amasser ses pots cassés. Tu n'y es pour rien.
- Il a voulu me protéger, c'est pour cette raison qu'elle est morte.
- Et puis ? Où est passée ta joie, Tae-Hyung ? Jeong-Guk t'aime tellement qu'il a laissé un tel sacrifice se faire, t'en rends-tu compte ?
Quelle importance alors que je me terrai dans mon mutisme. Eun-Hee m'adressa une oeillade qui ne pouvait laisser sa place à quelconque protestation. Mes doigts glissèrent encore dans mon brun au rythme de mon palpitant qui ralentissait sa cadence.
- À toi de ne jamais l'abandonner, finit-elle en recevant son service à thé de la main de sa dame. Voulez-vous une boisson, Votre Majesté ?
- Avec quelques gouttes d'alcool... S'il-te plaît, j'en ai besoin.
Elle me rit au nez mais s'exécuta en commentant ma discutable consommation. Je rétorquai ainsi que je demeurerais prudent. Bientôt plus ou moins hydraté et mieux gris dans mes chaussons, je quittai les lieux sous la commande de ma soeur et ses conseils. J'arpentai, dès lors, les chemins et ouïs les chuchots à mon passage. Ma rougeur faciale ne devait passer inaperçue mais qu'importait ; peut-être même qu'ils faisaient seulement état de ma marche solitaire qui, habituellement, était suivie d'un cortège de gens. Le soleil m'aveuglait, ne me rendant que peu certain de là où mes pas se posaient. Une nausée me tint et alors, je m'accrochai à une colonne. Je ne dégurgitai pas ; si je le faisais, Jeong-Guk le sentirait et me montrerait inquiétude. Décemment, je ne pouvais me rendre à lui dans une pareille émotion mais le vin mêlé à la chaleur du thé élevait un meilleur confort en moi. Je foulai les dalles au gré des murmures incessants. Tous regards restaient rivés sur ma figure comme si tous attendaient ma chute prochaine pour me sauter à la gorge. J'empêchai mes jambes de se dérober ; la pression, si grande. Chul, lui, dingua face à moi, affolé tandis que je le considérai d'un ambre surpris et d'un sourcil levé.
- Votre Majesté... La salle du trône... amorça le joufflu.
- Quoi ? m'amusai-je. Elle a encore été changé en bordel ?
- Non... Non mais votre frère, il... Et le capitaine Jeon...
L'eunuque me remit les idées. Or, je ne quémandai davantage alors que je pressai déjà la jambe jusqu'au bâtiment au centre de la cour. Le petit me suivit, à demi-accroché à ma robe dragonnesque. Ma mâchoire se serrait, mes paumes jaunissaient et mes veines saillaient sous ma peau suante. J'étais terrifié et de contradiction, je n'avais entendu ce que mon passionné domestique souhaitait m'informer. J'étais terrifié et suffisamment soûl pour espérer pouvoir me décontracter lorsque je serais en mesure de faire face et non, dos.
Les battants s'ouvrirent sur tout un monde, celui sur lequel j'admettais ma méfiance la plus sûre.
Les ministres se portaient là, tout malin qu'ils restaient. Un nombre de soldats déguisait les murs tapissés de reliures. Et mes prunelles tombèrent dans les siennes qui me scrutaient du haut de mon estrade. Dae-Ho. Un fin sourire étira mes lèvres, je l'approchai ; sa silhouette me gardait en une joie de retenue que je ne compris pas encore. Mon frère me toisait, il me jaugeait, il me défiait de venir récupérer ce siège royal sur lequel il était installé à son aise.
ACHLYS | CHAPITRE 27
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro