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ACHLYS | CHAPITRE 5
Royaume de Chô-Seon,
ancienne Corée réunifiée,
Jeong-Guk.
— N —
Je préférerais être mort.
L'eau circulait avec mal sous les ponts. L'Altesse, reine, fulminait et rageait sous silence à la vue des situations lui glissant des mains. Mère et le fils s'estimèrent longuement dans la rétine sans que l'un ou l'autre n'abdiquât de cette joute paraverbale. L'ambassadrice Ming, et cause sous-jacente des conflits, s'en amusa, et moi... Moi, je me tus, laissant deux collègues emmener l'héritier au plus loin de moi. Je m'effarais, comme tous. Je ne réagissais pas à cette injustice ; qu'aurais-je pu y faire ? Et comment s'ouvrirait-il à moi à la suite d'une telle humiliation ? Le ministre Jang et ses conseillers me jaugèrent, la souveraine riota si macabre ; Eun-Hee chercha mes prunelles célestes et à ses côtés, le jeune garçon ne me montra pas d'intérêt particulier.
Somme toute, je préférerais la mort.
De ce bord-là, ces gens ne s'éternisèrent plus longtemps lorsque l'émissaire clama que mon manque apparent de matière à parler ne l'intéresserait pas. Dérisoire.
Mon coeur pulsait un peu vite. Et sans n'avoir la cesse, la même chose bouclait et bouclait dans mon esprit embrumé : Son Altesse, Kim Tae-Hyung, saisissant avec fermeté le poignet de l'invitée et se faisant éloigner sous les indignations de sa mère. Vente aux enchères ou celle d'esclaves, tous en doutait encore. Sur le vif, je m'adressai à Chul quand une malice se vivifia sur mes ourlets ; je venais d'avoir une idée centenaire. À ce penaud qui maquillait l'eunuque, je devinai bien qu'il ne possédait que, lui, l'envie de me fuir à grandes jambes.
— Non, monseigneur, ne me dites rien ! Je connais un peu trop ce sourire par Son Altesse et... Bref, je ne veux pas savoir.
Peu importait ses souhaits ou ses autres, je le ferais complice de mes méfaits sous la peine de subir la tension qui émanait de mon corps un peu irrité. Je capturai son boudin doigté que je pressai à la finesse des miens. Chul souffla une grimace, d'embarras par l'entêtement dont je me rendais fautif. Je ne le rencontrai qu'il y a des semaines mais sa dévotion suintait de ses pores et il manquait d'une cruelle volonté. Cela me suffisait amplement à tenter une approche un peu quelconque.
— Fais-moi entrer dans le palais du Prince héritier... S'il-te plaît.
Ha-Neul, ma mère adoptée, rabâchait à quel point je pouvais lui paraître vilain. Certainement parlait-elle de mes tendances à jouer avec les personnes de mes entours, de mes manies à manipuler mes environs, de mes désirs à tourner le tout en ma seule faveur. Je ne comprenais pas bien où elle en venait ; après tout, dans un monde similaire, il était de bon ton d'imposer ses caractères. À l'inverse, Ga-Ram ne m'enverrait guère en infiltration. Et Chul, ici, hésitait longuement. Un soupir fendit mon air, j'insistai de mon œil et obtins un léger opinement de la part de l'habillé en vert. Ses grands yeux bruns me fuirent, il courba doucereusement l'échine et me montra le dos.
Jeong-Guk : un. Le Chul : un zéro.
Sur les sentiers de la cour ne se présentaient que peu de passants : quatre ministres, trois dames, deux eunuques et un apprenti se promenaient là et ici entre les cinq palais. Près des appartements princiers, le capitaine Han gardait l'entrée avec l'un de ses hommes. Un peu candide, je crus que Kim Tae-Hyung quitterait sa tour et me surprendrait par l'arrière après avoir déjoué la vigilance de ses geôliers. Ou un fait véritablement digne des plus mauvaises histoires de sentiments que l'on racontait aux bambins de la rue. Bien entendu, j'hallucinais puisque cette Altesse se gardait bien de se montrer. Je quittais mon imaginaire lorsque l'eunuque me somma de patienter. Il s'éloigna un temps envers les battants ; je ne l'entendis pas un peu mais je me doutais qu'il s'arrangeait habilement pour me permettre le contact avec mon bourreau, ma victime prochaine et mon héros-sauveur.
Était-ce possible d'être autant à la fois ? Tout semblait, pourtant, à la portée de Tae-Hyung le Kim. Quant au Chul, il amena les gardiens au plus loin dont le mauvais capitaine Han qui faisait si mal son travail. Or, je jouissais de cette absence pour m'introduire en terre interdite. Quatre portes seulement mais l'impression d'être au-devant d'une montagne entière. Je bousculai les premiers battants, les seconds ensuite sans l'hésitation. J'ignorais bien ce que je lui dirais maintenant que ses grandes ambres quittèrent les pages de son papier pour s'accrocher à mes sombres d'intensité déroutante. Paraissait-il à la tristesse ? À la colère ? À la fureur ? Il demeurait uniquement là à me scruter sans ouvrir les lèvres. Que me tonnerait-il, de toute façon ?
— Tu es venu... Tu me manquais.
M'en voulait-il au point de m'infliger cela ?
J'alignai mes doigts et pinçai le dos de ma main en poussant un râle de misère qui suffit à le faire ricaner. Une détente manifeste se lisait sur ses royaux traits : nul de tracas et nulle d'inquiétude. Je lui manquais alors qu'il n'était ici que depuis une dizaine de minutes... Je lui manquais.
Le châtain ferma sa lecture et la laissa sur un coin de sa table ; ce geste me rendit fébrile, peut-être devrais-je consulter.
— Des bêtises, Votre Altesse. Vous n'êtes là que depuis...
— Je sais. Dis, tu vas m'appeler Votre Altesse encore combien de temps ?
Définitivement, ses parents me tomberaient dessus et me feraient exécuter pour familiarités. Kim Tae-Hyung, que vous avais-je fait de si grave pour mériter un tel déferlement ? Lui se mettait coupable de bien des choses. Sa famille et lui. Et en dépit, de réelles tensions persistaient entre eux tous.
— Et vous, vous comptez fuir ce qu'il s'est passé sur le parvis ?
— Je ne fuis pas, ça m'est juste égal, rétorqua-t-il alors.
Complètement égal, je craignais de comprendre. Évoquait-il le fait qu'on faillit m'enlever ? Ça lui était complètement égal ?
— Jang et mon père me haïssent et c'est d'accord. Je le leur rends au centuple et jusque-là, cela ne m'a jamais porté préjudice.
Je ne réalisais guère le pourquoi de son père à l'évoque. Le Kim âgé n'assistait pas à l'événement mais je décelais une emprise continuelle, perpétuelle jusqu'à l'éternel. Yeonsan-Gun possédait cette réputation-là, aussi. Celle de l'homme et du père sanguinaire sur sa nation et sa cour. En revanche, le ministre et conseiller Jang avait ce pouvoir plus grand du contrôle de sa pensée et des esprits autres comme celui de la reine. En tous les cas, mon appréhension redescendait ; ce Prince héritier était doué.
— Navré que vous ayez dû vous opposer ainsi à eux.
— Navré que tu aies assisté à ça... sourit-il, résigné et contrit.
J'inspirais, j'expirais, j'allais à la respiration. J'avançai de pas et m'assis à sa face, de l'autre côté de son meuble vernis au tampon. Je ne l'interrogeai davantage : je me trouvais là, voilà un début prometteur. Or, ni moi ni Ga-Ram et les autres ne possédions de plan final pour vaincre Sa Majesté et ses restes. À cette discute, je me demandais à quelle violence son aîné l'exécrait, lui, qui l'élevait malgré tout. En même temps, quelle sorte de monstre serait-il s'il désirait la mort de son père au même titre que moi ?
— Qu'est-ce que tu caches, Jeong-Guk ? Quel est ton secret ? Tu sembles constamment à l'ouest...
Mes billes s'arrondirent tandis que mon cœur résonnait partout en mon corps. Mon œil se forma fuyard, et ma chair subit mon angoisse accrue. Son intérêt soudain pour ma personne me terrifiait et tenait ma curiosité. Je pensais, d'abord, qu'il cherchait à prêcher le faux pour connaître le vrai. Puis, je m'expliquais que je commettais déjà une imprudence à rester si silencieux devant son air si inquisiteur. Sa question ne se posait pas à l'hasard. Néanmoins, la probabilité que je me retrouve moi, fils de la dame Jeon, à boulonner pour ces gens meurtriers n'existait qu'à minime.
De quel secret parliez-vous donc, mon prince ? Si vous songiez à mon ardente volonté de me venger de votre famille, à mon désir avide d'abattre ce monarchial régime alors je me retrouverais à l'échafaud pour ces fâcheux desseins.
Ses pupilles animaliques me scrutaient, me sondaient et me sourirent de même que ses lèvres étirées. Pour lui, je me terrais dans un mutisme au seuil de la jouissance, et cela dura de nombreuses secondes qui me parurent des heures entières. Je démêlai les mèches jais qui habillaient mon crâne et, un peu malgré moi, je soufflai un semblant de mon rire. Une exclamation joyeuse le secoua et me céda une humeur perplexe et curieuse de savoir les pensées qui traversaient sa tête bien faite.
— Tu es adorable... Regarde-toi, tu es là à te faire tourmenter par le Prince héritier alors que tu n'as aucun droit d'être ici. Tu t'inquiétais ?
— Vous plaisantez ?
— Je suis toujours très sérieux avec toi, Jeon Jeong-Guk.
Cette façon qu'il avait d'articuler outrageusement mon nom... C'était insupportable et en même temps, j'adorais ça.
— Et si on se tirait de là ?
— Se tirer quoi ? Une balle, tu veux dire ? Je doute que nous ayons besoin d'en arriver au suicide.
Un silence suivit sa réponse avant que je ne le brisasse par un éclat de gaieté aux larmes. Je n'en revenais pas. Serait-il réellement totalement et complètement ignorant pour ne point dire stupide ? Ou alors, il demeurait tellement prince qu'il en oubliait d'être humain...
— Tu te moques de moi ?
Son interrogatif me ramena à la Terre.
— Oui, je me moque mais je sais que ce n'est pas de votre faute. Je me rends seulement compte à quel point nous ne sommes pas du même milieu. "Se tirer de là"... Je parlais de nous enfuir d'ici, Votre Altesse.
— Ah, vraiment ? Et puis-je savoir comment ? railla-t-il comme si, à mon tour, je venais de dire la chose la plus absurde au monde.
— Déshabillez-vous.
— Pardon ?
— Seulement votre robe, laissez vos bas en place.
Rieur et moqueur mais ledit ne se pria pas d'obéir. Son bleu éclatant s'échoua sur le sol et rapidement, il se retrouva avec pour unique habit, un pantalon en lin limpide. Sa beauté me saisit de nouveau, ses yeux me capturèrent et le tanné de son thorax saillant me frappa. Je redessinais ses courbes à la précision d'un artiste. Je flattais le soulèvement régulier de sa poitrine, de sa bouche impertinente à demi-ouverte et du léger haussement de ses sourcils alors qu'en prétentieux, il prenait la conscience de faire son effet.
— Reste concentré, Jeong-Guk. On a des choses à faire, je crois... rit l'homme amusant et amusé de mes réactions sans effort de discrétion.
Je riotai amer, battis des cils et repris vivement mes idées originelles. Il me fallut un temps pour reprendre mes capacités et fait, je talonnai pour glisser d'une pièce à une autre. Une large bassine osmosée décorait un point de la salle d'eau ; je l'empoignai de mes paluches habiles. Au retour de mes pas, j'accélérai sans me défaire du poids que je supportais entre mes bras. Le Kim royal m'adressa une attention justifiée, il se questionnait sur les motifs de ma douteuse mise en scène. Arrivé au plus près de son enveloppe charnelle, je basculai le contenant d'un côté et déversai son contenu aquaphile sur les bas de l'Altesse qui ne retint un cri surpris puis un grognement sourd. J'ouvris les lèvres, apparemment désolé mais véritablement ravi de mon geste suicidaire. Lors d'un instant, j'émis un regret car finalement, je n'avais pas idée de comment il percevrait ma non maladresse. Ses traits durcis d'agacement laissèrent transparaître sa veine pulsant sous sa peau. J'amorçai un mouvement envers sa gracile silhouette mais je me freinai à la croisée de ses regards furibonds. J'humidifiai ma lippe, je la tyrannisai, ensuite. Mes réflexions s'enchaînaient, à la poursuite d'une échappatoire. Mes membres agirent ainsi d'eux-mêmes en causant de nouveau ma bavure aquatique.
Byeongshin — Imbécile ! je l'entendis jurer.
La liqueur claire se répandait entre la fermeté de ses cuisses, à la naissance de ses fesses et au long de son sexe. Je hélai l'extérieur et furtives, deux dames entrèrent, alertées par mes appels. Son Altesse m'observait, frustré, de ses orbes ronds, pensant certainement que ma connerie atteignait le fond.
— Dame Cho, apportez de nouveaux bas au Prince héritier... je justifiais. Et faites venir le médecin royal, je crains que Son Altesse ait eu un petit problème de vessie.
L'employée se garda de témoigner sa réaction devant son royal ; elle s'inclina de respect et se hâta à la sortie des lieux.
Un silence des plus absolus se profilait. Je n'osais pas un œil à l'égard de Son Altesse mais à mesure que le tic et le tac du cadran solaire progressait, j'ouïs une ricane légère avant qu'un rire quasiment fou ne prenne mon aîné. Je le contemplais épuiser ses cordes vocales, et un infime sourire s'esquissa à la commissure de mes lèvres.
— "Je crains que Son Altesse ait eu un petit problème de vessie"... Tu es complètement fou, tu le sais ?
Son interrogatif calma mes pulsions. En écho, je roulai les épaules et appuyai ma colonne contre le mur. Je me satisfaisais du seul fait d'éviter les représailles que provoquerait mon élan de zèle inattendu ; je soufflai un soulagement. Le Prince héritier agita ses ondulations trempées. J'ignorais si c'était de la folie ou mon ambition trop haute ; or, il devenait certain que cette absurde complicité entre nous se révélerait particulièrement intéressante.
— Vos serviteurs sont des abrutis, Votre Altesse.
— Tu en fais partie.
Enfin, je me rendais surtout sot de me plaire en sa compagnie...
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Le royaume dans son ensemble vivait à l'âme ; simplicité et joie paraissaient de mise mais simplement à la surface de l'humeur. Vêtu de mes vieux haillons, Son Altesse flânait sur mes pas, un peu émerveillé par chaque petite chose à sa vue. Le marché criait de broutilles à acheter pour ceux et celles qui ne pensaient pas à s'ils mangeraient le soir venu. Je parcourais tant ces rues à l'antan. Avec Ga-Ram. Avec A-Ra. Pour Uimundae, et mon Achlys en moi.
L'effluve des épices emplissait mes narines et captura celles de mon accompagnant camouflé. Cela m'ouvrit l'appétit. Partout ailleurs, le bruit incessant des voix et des scandes assourdissait, abrutissait et je m'amusais aux plaintes excessives du jeune prince dont je ne me lassais guère. Les commerçants me saluaient au bonjour et à l'au-revoir et certains ne manquaient d'acquérir de mes nouvelles, celles de ma soeur et mon frère. Je rentrais à mon chez-moi au milieu des passants et des étales.
— C'est tellement vaste et pourtant, on dirait que tu connais tout le monde.
Je pressentais l'envie dans sa remarque au châtain Kim.
À la capitale, les rues se succédaient et les unes ressemblaient aux autres puis l'une allait et la suivante n'était plus. Elles enchantaient l'héritier, et le tourmentaient, qui passait de râles de déplaisirs à des clameurs enjouées. Cet homme semblait une énigme à lui-même, un problème que jamais nul ne résoudrait par la crainte de se brûler les ailes et de tomber dans les abysses infernaux. Je l'observais continuellement et sans relâche : il portait mes guenilles mais conservait une dignité sienne. Je constatais de cela à la droiture de son dos et à ses pupilles infiniment perdues dans l'abîme de sa propre nation. Il découvrait un monde sous les poudres dorées qu'on lui soufflait au visage depuis près de vingt-et-un ans. Cela jouerait de sa carnation sucrée de soleil qui brillait au jour et le mêlait aisément aux ouvriers de la mine. Je pensais ainsi étonnant qu'il fasse ainsi tache auprès de sa famille dont la teinte opaline ne trompait personne.
Ici, l'existence allait là où l'on posait l'œil. D'un bord de la route, les négociants se disputaient les coûts. De l'autre versant, les enfants couraient intensément vers le carrefour et exultaient leur euphorie. Un théâtre populaire se déroulait entre les décrets légaux placardés sur des planches. Et malgré mes protestations peu convaincantes, je me laissais conduire par Kim Tae-Hyung, l'heureux, vers le public effervescent. La scène racontait la sinistre histoire entre une dame de la cour et un noble. Ils s'aimaient, ils se désiraient profondément et se cherchaient jusqu'à la haine. Le garçon s'enrichissait immensément ; et la femme, misérablement, s'appauvrissait. La violence de leur époque déteignait sur leurs passions immuables et dès lors que la mort toucha l'un, c'était comme si les astres tiraient leurs cartes pour donner à l'autre sa seconde chance.
Ce conte s'acheva sous les applaudissements de la foule — et de Kim Tae-Hyung qui ne masquait pas son émotion pompeuse. Alors une fierté grande m'enveloppa pour ce récit après l'avoir entendu mille et une fois.
— Et moi qui vous pensais insensible...
— Tu penses à haute voix, Jeong-Guk. Ça devient une habitude.
Je me déridai en retour, et il m'ignora au profit du minuscule rideau rougeâtre qui se fermait, annonçant la fin de cette représentation improvisée. Ses prunelles, et son attention, se perdirent au plus loin : je sentais que je le perdais, lui.
— J'ai trouvé cette histoire ridicule, cracha-t-il finalement après un temps.
Ridicule ? Il en pleurait encore !
Il se redressa doucereusement, échine droite et me considéra longuement. Que répondrais-je à cela ?
— C'est juste... Surréaliste. Un noble et une servante, c'est la pire des idées. Le rapport de domination entre eux est évident, ce n'est pas sain.
— Pourtant, cet homme a su voir au-delà de sa classe en essayant de la mettre sur un pied d'égalité.
— Non, c'est voué à l'échec. Ils auraient mieux fait de se tenir à distance l'un de l'autre.
Il restait catégorique, je m'interrogeais.
— Vous avez pleuré, Votre Altesse.
Ce constat l'étonna ; il se détourna de moi, réalisant la portée de mes mots. La portée de ses maux... Quelle était-elle ? Kim Tae-Hyung, quel était ton secret à toi ?
— Je te l'ai dit... C'était grotesque. Tellement grotesque que j'en ai pleuré.
Son avis tranchait, implacable. L'abrupte façon qu'il me confiait ses songes me contrariait autant que lui. Je savais où se trouvait ma place, je me tus et il ne me voyait plus. J'abaissai le chef, et l'invitant à passer devant, il le fit sans empressement.
Paradeur.
Les populations affluaient autour de nous. Sans tenir compte de ses habits abîmés, l'héritier prince ne léguait pas ses manières aristocrates y compris la façon dont il foulait la terre avec grâce, tête portée haute et une main dans l'autre à son derrière. Des gisaengs présentaient leurs faveurs aux fortunés, pour une nuit uniquement. Et quasiment tous mariés, ils acceptèrent évidemment de bon vouloir. L'Altesse s'en satisfaisait tandis que cela me répugnait et que je m'enterrais au-dessous de mon silence. Nous déambulions sans le souci de la sentence qui nous attendrait peut-être au palais. À quelques mètres, de longs cheveux épars et à la couleur des miens retinrent mon intérêt. La portante titubait, vacillait mais allait à la poursuite de son trajet, le coeur à poésie. Elle possédait deux têtes de moins que moi, une robe brune en toile délavée qui lui parvenait à ses jambes amaigries par la faim et ses chaussons demeuraient de trous par le temps. Son corps tremblait malgré la chaleur septembrale, elle s'écroulerait presque. Son Altesse l'aperçut aussi. Sans attendre de plus belle, je m'élançai vers la morte-vivante sous les bougonnements du Kim. En quelques foulées, je l'attrapai avec douceur et lui ôtai un cri rauque en effroi, et un dégagement relativement brusque de son bras. Et à l'instant, elle se débattit et se battait contre moi. Et son émanation fouettait, à l'effluve de selles, mes sens. Je n'avais pas la vue sur son visage mais je devinais bien sa terrible terreur. Alors elle hurlait. Elle hurlait qu'on ne la touchât pas.
— Arrête... Arrête, je veux seulement t'aider !
Mon timbre résonnait plus fort que le reste, et elle se figea. Un long et tempétueux calme s'ensuivit avant qu'elle n'éclata en pleurs et en spasmes. Et je paniquais un peu lorsqu'elle sanglota. Son souffle devenait de chaos et sa détresse m'atteignait encore quand elle se chut entre mes bras. Son corps se soulevait à intervalles irréguliers, il appelait mon aide et celle des cieux cruels. Sa parole s'épuisait à diverses pour maintenir les mots que je ne compris pas à l'immédiat.
— Jeong... Jeong-Guk...
Cette vocalise me désarçonna. Elle m'interloqua par ce nom, le mien, articulé entre deux plaintes. Sa voix, et puis... Sa si jolie voix tant éraillée, bordel, que je reconnaissais depuis le berceau.
— A-Ra...
Et afin de justifier ce qui me frappait de choc, elle se tourna brusquement, manquant de glisser jusqu'au sol. Je me débridai, et ratai un battement de mon cœur. Je pris une distance, reculant d'un pas, chancelant.
Oh et merde.
A-Ra.
Le hâlé de ses joues était ravagé par le limpide de ses larmes, le rouge de son sang et le bleu de ses boursouflures. Sa lèvre était fendue. Fendue et gonflée. Des ecchymoses décoraient ses poignets, ses chevilles, signes d'une retenue forcée. Je balayai mes gris au plus bas et horreur qui me soutira quelque chose pareille à un hoquet de terreur : sa robe était maculée d'un abondant pourpre sous la ceinture. L'envie de vomir me saisit. Mes vannes s'ouvrirent. Les idées affluaient à l'impossible d'y mettre de l'ordre. Son elle tout cabossé ne répondait plus de rien et se laissa aller contre moi. Mes iris vitreux filaient et se défilaient. Tellement de questions, si tant de possibilités. Ma tête me devenait douloureusement lourde. Je cherchais l'air qui me manquait, je suffoquais et palpais sa peau froide et moite de maladie. Son Altesse me rejoignit, assistant de cette scène assassine.
Bouleversement. Violence. Consumation... Dévastation.
Je l'entendis s'avancer : sa main s'apposa tendrement sur mon épaule. Il était là et pourtant, je ne m'éprouvais jamais si seul qu'en l'instant.
— Jeong-Guk, A-Ra a... Je crois qu'elle...
Je ne me décomposais pas, je devais me liquéfier, bouillir à la fois et enrager. Avec une lenteur remarquable, j'élevai le menton pour plonger mon havane de nuances dans les ambrés inquiets de l'Altesse. Mon étreinte se resserra, mes dents mordirent ma joue d'intérieur à la vigueur. Je réprimai un souffle et montrai ma face au soleil afin d'empêcher mon chagrin de couler devant l'univers. Il n'acheva pas ses dires mais ils parurent de plus en plus meurtriers à mesure que, moi-même, je prenais la conscience de ce qui arrivait à ma sœur.
Elle subissait un supplice pire que tout, et elle souffrait. Physiquement. Psychiquement... Sexuellement.
Quelque chose se brisait en moi, je l'entendais.
J'entendais la fissure de mon cœur désormais si lourd à porter.
ACHLYS | CHAPITRE 5
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