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ACHLYS | CHAPITRE 29
Royaume de Chô-Seon,
ancienne Corée réunifiée,
Jeong-Guk.
- G -
Un vague à l'âme généralisé. Pourtant, je demeurai là et j'assistai à ce face entre prince et roi. Le temps s'amenuisait sans que jamais ils ne s'épuisent. Tae-Hyung restait furieusement féroce ; son frère, encore plus. Son Altesse, Ah-Reum, se tenait ici, suspendue aussi aux lèvres silencieuses de tout-à-chacun. Nous patientâmes que tombe la sentence royale. Or, cela commençait à se faire long et nul ne savait si mon roi présenterait l'intention de quitter sa torpeur. Ses ambres dévisageaient son cadet tandis qu'une infime esquisse prit naissance sur ses lèvres. Il songeait ; j'ignorais à quel propos mais je ne me montrais pas inquiet, seulement impatient.
- Votre Majesté, rompa le ministre Jang. Veuillez faire preuve de clémence...
L'appelé ricana mais ne déclama rien. Son air malin étonnait et en agaçait certains. Il se leva, tête fière, et approcha le bas de son pied d'estale d'où il jubilait de son écrasante suprématie. Sa bouche s'ouvrit ; la mienne également, et dans un élan de fiel, il offrit satisfaction à notre attente.
- De clémence ? Alors que vous agissez en fourbe ? Quel ironie.
Dae-Ho le toisa, soûl d'amertume, boudeur dans son coin. Les dignitaires, à ses côtés, se jetèrent de concert aux bottes du monarque dont le regard trahissait un sérieux dégoût. Ce fut à cet instant précisément qu'entra la douairière. L'orgueilleuse allure de Soo-Ah saupoudra la salle du trône d'une atmosphère alourdie. Elle s'élança à la rencontre de ses deux fils et se positionna au-devant de son aîné adopté. Ses deux gris de marbre se portèrent sur l'échine courbée de son père, le Jang et alors, elle grimaça.
- Relevez-vous, père.
- Votre Majesté, pardonnez mon insolence...
Il se remit sur pieds.
- Mais en tant que conseiller-royal régent, je supportais difficilement de vous voir côtoyer ce garde. Il vous trahit, mon roi. J'ai pensé qu'il serait judicieux de me débarrasser de lui avant qu'il ne tente de vous assassiner comme lors de cette partie de chasse. Rien ne nous dit qu'il est fiable et s'il l'était, il ne copinerait pas avec les rebelles.
- Vous osez prétendre m'être loyal ? railla mon châtain, si peu convaincu.
- Oui, Votre Majesté.
Mon agacement criant tomba dans les iris intimidés de Chul, cet infidèle. En dépit de tout, il n'avait pas hésité à rapporter mon geste de la chasse à ceux à qui il aurait dû le taire. Son chef se baissa de honte. D'autres part, je me sentis rassuré de savoir Tae-Hyung porté par le dévouement de ses serviteurs même si c'était toujours et encore à mes dépens. Une angoisse me saisit : celle du Kim qui douterait de moi. Je me surpris à espérer qu'il révèle la nature réelle de notre relation pour les réduire au silence, qu'il révèle que nous étions d'un même sang, d'un même rang. J'en vins à me demander s'il en ressentait un quelconque embarras. Cette idée me révulsa. Un éclat de rire inextinguible lui prit tandis qu'il descendit du haut de ses marches, bousculant son assemblée et Dae-Ho. Tous se braquèrent sur sa folle hilarité. Il approcha la sortie près de laquelle je me trouvais. Une froide sueur glissa de ma tempe ; je me redressai doucement, préparé à lui adresser quelques mots quant au mépris affligeant qu'il offrait à ses subalternes.
À mon devant, il marqua un temps d'arrêt. Du bout de mes lippes, je soufflai le nom de son titre. Ses dorés se posèrent ainsi sur elles avant de s'imbriquer dans mes sombres. Je me figeai, stupéfait de réaliser la froideur de son regard.
- Votre Majesté, vous devriez... tentai-je alors qu'il s'éloignait sans m'accorder plus d'intérêt.
Sous le trouble de son indifférence subite, je rabattis mes paupières successivement, refusant d'y croire ou d'y accorder crédit alors qu'il restait évident que Tae-Hyung m'ignorait délibérément.
L'irritation me gagna puis se changea en une sourde agressivité que je traduisais par le tressautement de mes nerfs. Je fis volte vers le battant ouvert par lequel il avait fui. Je sortis à mon tour mais ne le vis nulle part. Ni ici ni ailleurs et je ne m'en perçus que davantage humilié. Son changement soudain d'attitude me laissa aigre. Kim Tae-Hyung ne me tenait plus par la main ; il les croyait même tous lorsqu'ils me portaient coupable de trahison, lorsqu'ils disaient que sa confiance envers moi demeurait une erreur. Tous avaient raison mais ça me rendait dingue que cela soit à ces instants où il paraissait le plus vulnérable.
Mon coeur me murmurait que, peut-être, je devais lui donner le bénéfice du doute. Et mon cerveau, lui, me hurlait "foutaises".
Je traversai la terre de la cour. Mains en poche, esprit contrarié, j'atteignis vite l'extérieur. À l'ombre d'un pin blanc, la silhouette de Ga-Ram se dessina. Une complaisance habillait sa bouche décharnée ; j'allai à lui, la mine irritée et irritable. Les fesses au sol, il éleva le chef, vraisemblablement amusé de me voir si embêté.
- C'est le moment idéal pour me dire que j'avais raison sur toute la ligne, m'agaça-t-il en me jetant un fruit que j'attrapai au vol.
- Qu'est-ce que tu fiches là ?
- Sympa l'accueil, Jeong-Guk. Je suis juste venu voir comment mon petit-frère allait, j'espérais que tu sortirais.
- Ah, tu m'en diras tant... J'ignorais que nous étions encore frères.
Il rit, l'enflure.
- Plus sérieusement, je voulais seulement m'assurer que tu es toujours de mon côté et que notre cible ne t'a pas influencé par ses mots doux. Il te ment, n'oublie pas.
- Je n'oublie jamais rien, Ga-Ram. Le truc c'est que je n'en ai plus envie, tu vois... Il aura beau me faire tout le mal possible, je m'attacherai toujours à en crever.
- T'es con ? Est-ce que tu réalises ce que tu dis ? T'es amoureux de ton propre frère, Guk. Qu'est-ce que tu dirais si je te disais que j'étais fou de toi ?
- Pour commencer, je te dirais non.
À la vue de sa mine vexée, je m'esclaffai. C'était un idiot mais il arrivait qu'il devienne amusant. Je lui tendis la main qu'il saisit pour se mettre sur talons.
- Comment tu l'as su ? Pour Tae-Hyung et moi, je veux dire.
- Depuis quelques jours, fit-il en m'invitant à la marche jusqu'à la capitale. Papa me l'a dit, il pensait qu'il était temps de lever la vérité.
Aucune réplique, j'avançai alors. Les rayons solaires tombèrent sur la plaine. Les petits commerçants s'égosillaient sur la vente à mesure que se densifiait la foule. Des souvenirs me revinrent. La nostalgie fut telle que je revis la figure pleureuse de mon roi lors de ce spectacle de marionnettes que nous avions vus ensemble des mois plus tôt. Je me plûs à nouveau à ses propos pleins d'ironie qui me renvoyaient, désormais, à la relation que nous entretenions. Tae-Hyung me l'avait explicitement formulé : une romance entre un monarque et son serviteur était une déviance. Et voilà que nous en étions là, à reproduire les mêmes schémas que ma mère avec Yeonsan-Gun, à s'époumoner d'amour et de chagrin l'un pour l'autre.
Même lorsque les étoiles peinaient à éclairer l'obscurité nocturne, son sourire illuminait son monde et m'éblouissait, moi.
Le réel me cogna de plus belle quand je me souvins qu'il était tellement plus qu'une couronne et des apparâts. Nous étions si tant ensemble que nos sangs avaient fusionnés pour n'en former qu'un. J'aurais dû l'appréhender ; maintenant, j'étais dépassé par la chose. Nous n'en avions reparlés et je souhaiterais, à la différence, que nous n'ayons pas à le faire. Discuter reviendrait à admettre cette vérité si lourde à porter. Or, je savais qu'A-Ra me dirait de ne plus perdre un seul instant. Sa pierre tombale était dressée à mon devant près de celle de notre mère, vide de son enveloppe charnelle. Je m'arrêtai ; et la main de Ga-Ram s'apposa grossièrement sur mon épaule.
- Tu as bien fait de l'enterrer là... Je sais que le roi a proposé de la faire inhumer royalement, avec les honneurs et tout ça... Ouais, t'as choisi le meilleur pour elle.
- Elle aurait détesté tous ces artifices... Puisse-t-elle reposer en paix, maintenant.
- Elle sera en paix quand sa mort aura été vengée, Jeong-Guk. Elle le mérite.
- Bon sang, tu recommences, soufflai-je, las.
Nous poursuivâmes notre route jusqu'à l'entrée de notre vieille bâtisse.
- Si tu veux venger sa mort alors vas-y, tue-moi. C'est moi qui n'ai pas su la protéger et j'ai tenu Tae-Hyung pour responsable alors que c'est mon amour pour lui qui a tué notre soeur.
Ga-Ram roula les épaules, peu de conviction. Il me suivit à l'intérieur puis jusqu'au sous-sol d'où nous pouvions saisir les dires vindicatifs de ceux que nous traitions en membres de notre famille. Uimundae paraissait remarquablement peu discrets ; je trouvais cela presque incroyable que l'armée ne leur soit pas déjà tombée dessus. Le nom de l'homme que j'aimais demeurait dans toutes les bouches. Tous s'interrogeaient sur la date du passage à l'acte, et tous se tournèrent à moi à mon arrivée, attendant que je fournisse réponses à leurs multiples questions.
Je balayai silencieusement la salle des yeux.
Rien n'y faisait : c'était une brochette de salopards que nous avions là.
Je n'avais en mémoire aucun de leurs noms. Famille, certainement, mais beaucoup perdaient la vie en se dévouant à la résistance. Connaître leurs identités serait comme rendre ces morts plus réelles, tellement plus douloureuses. Mon aîné pensait à l'inverse et évidemment, cela l'étonnait que je partageais chaque nuit, ma couche, avec une personne différente.
- Je ne veux plus me venger, annonçai-je en me laissant choir sur une chaise.
Des exclamations de surprises éclatèrent, jamais trop sonores, de crainte que je ne m'énervasse. La tête à l'arrière, je fermai les paupières, méditant ainsi sur l'importance de cette chose que je ne pensais jamais avoir à faire depuis le décès de ma mère.
Après quinze années, je respirais enfin...
- Tu nous fais ta crise d'ado à retardement, Jeong-Guk ? Tu nous lâches ?
Je me redressai sérieusement et plantai mon oeil vers le fond d'où venait cette gutturale voix. Elle appartenait à un homme mûr, accompagné de son épouse et de leur fille. Si jeune, elle me rappelait celui que j'étais, plein de colère.
- Oui. Oui, je vous lâche.
Sans jamais le quitter de mon attention impertinente, je coupai ma grenade de mes mains et en dégustai les petits grains rougeâtres qui se trouvaient en son sein. Je n'eus aucune honte à prononcer ces paroles puisqu'ainsi, je pensais mieux faire. Protéger Tae-Hyung, voilà ce que je décidai pour ma vie. Tae-Hyung, il m'apaisait et je n'avais besoin de rien d'autre.
- Et alors, quoi ? Tu vas nous balancer ?
- Bien sûr que non. Je vous lâche en tant que membre de la rébellion mais jamais, je ne vous dénoncerai.
- Bien sûr, intervint mon frère. Et ensuite, tu vas nous dire que tu n'as qu'une parole ?
- Tu peux dire ce qui te chante mais je suis sérieux, Ga-Ram. Je n'agirai pas contre vous, je ne m'opposerai pas non plus au roi.
Ma neutralité me servirait. Yeonsan-Gun était mort. Sa dynastie le serait aussi. Cependant, je laisserais cela volontiers entre les mains de mon frère. Voilà longtemps que je n'agissais plus pour eux. Voilà longtemps que je me tenais à retrait de toutes activités criminelles et cela, peu après que j'eus été embauché à la cour.
D'autres chuchots s'élevèrent. Je n'y fis pas attention et terminai ma grenade avec une délectation lascive et bavante. Ces échanges m'offrirent la ferme ambition d'aller jusqu'à mon Kim pour obtenir des réponses, pour gagner cette discussion que nous méritiions d'avoir. La nuit était tombée et le voilà qui, dans son bain chauffé, ne remarqua pas ma présence. J'approchai à de légers pas. Ici, seul le son de l'écoulement de l'eau comblait le vide spectaculaire de la pièce. Une senteur rosée chatouillait mes narines, les pétales flottaient à la surface. Tae-Hyung restait les paupières éteintes, la tête reposée contre le rebord de son bassin. Je sommai en silence à ses domestiques de quitter aussitôt la salle d'eau. La plupart n'y objecta rien mais je dûs en pousser d'autres comme Chul qui, visiblement, mettait un point d'honneur à m'embêter. Je me retrouvai seul, cette fois, avec mon roi.
Il ne bougea guère tandis que je m'asseyais près de son lobe. Les ondulations de ses cheveux glissèrent entre mes fins doigts ; mon regard, lui, patina sur l'élégance de sa figure masculine. Ce ne serait pas bien si je m'aventurais aussi loin.
- Navré de t'avoir ignoré, je ne voulais pas te blesser, commença le châtain, soulagé à ma présence.
- J'imagine que tu avais tes raisons... Mais ne refais plus jamais ça.
Il rit doucement et acquiesça en même temps que ses ambres se donnèrent à mes yeux. Nos regards s'accrochèrent un temps avant qu'il ne le détourne finalement.
- Alors... Tu te sens mieux ?
- Même si je le voulais, je ne pourrais pas... fis-je. Pas maintenant que je sais.
- Les choses rentreront dans l'ordre, il faut leur laisser le temps. Je me renseignerai davantage.
- Tae-Hyung, dis-moi à quel point tu me fais confiance.
Mon interrogation soudaine le surprit. Or, il savait mon besoin d'être consolé dans l'idée.
- J'aimerais ne pas avoir à douter. Tu imagines ? Je me méfie déjà de la Terre entière, je craquerais si je devais te rajouter à ma liste.
- C'est insupportable... Je me sens tiraillé entre mon frère et mon frère, et je déteste ça.
- Arrête, Jeong-Guk, nous ne sommes pas frères... Ne le dis pas.
- C'est pourtant le cas.
Ma bouche s'entrouvrit et mon coeur battit à tout rompre en moi. Une esquisse naquit sur la sienne alors que je me démenai pour comprendre là où il souhaitait en venir.
- Jeon Il-Nam, ton père, n'a plus toute sa tête alors il dit peut-être faux. Et quand bien même, hormis le sang, je ne vois pas en quoi nous serions des frères. Nous n'avons pas grandi ensemble, notre rencontre s'est faite comme deux amants auraient dû se rencontrer et puis, nous avons plusieurs fois partagés notre couche. Tu ferais ça avec Ga-Ram, toi ?
- Ah, pitié ! Mais qu'est-ce que vous avez tous à m'imaginer avec lui ?
Tae-Hyung éclata de gaieté, de quoi ravir mes sens.
- Je suis sérieux, Jeong-Guk ! Écoute, si être mon petit-frère signifie que nous sommes deux âmes-soeurs vouées à passer leur existence ensemble alors qu'il en soit ainsi, j'achète.
Ses mots retentissèrent, les miens restèrent coincés au fond de ma gorge. Mieux qu'un je t'aime, nos doigts se trouvèrent et s'enlacèrent. Ses lèvres vinrent en baiser quelques-uns, jamais sans se défaire de mes iris de plaisir. Délicatement, sa main tira sur la mienne, et alors, je me retrouvai plongé, tête la première, dans son eau de roses. J'y sortis le chef ; je grognai, de rage, de surprise, d'amusement ensuite... Je restai trempé ; l'eau, refroidie. Mon uniforme moulait mes courbes, et je le vis qui profita de la scène sans abandonner son intemporel demi-sourire. Comme un désir de le noyer.
- Ça va ? Tu t'amuses comme tu veux ?
Je m'agaçai.
- Si je te réponds que j'adore ce que je vois, tu t'en iras donc je vais seulement te demander si tu n'as pas trop froid...
- Je suis frigorifié.
- Viens par là, je vais te réchauffer.
- Plutôt mourir congelé.
- Dis plutôt que tu en meurs d'envie.
Il se moquait. Je n'avais pas la force de lui en vouloir et me demandais quel genre de personnes ne se plaignait pas d'un bain refroidi. Kim Tae-Hyung. Mon Kim, mon roi. Je le reconnus là. Je me mis debout et ôtai mes habits sans forme de procès. Bientôt, je me retrouvai nu et ne manquai pas le discret coup de langue qu'il glissa sur ses lippes. Je craignais le mauvais jeu licencieux dans lequel nous nous enlisions. J'en avais peur autant que je l'adulais. Ma nudité disparut lorsque je m'assis sous la flotte. Je feignis de jouir de ce bain forcé alors que je sentais continuellement son regard sur celui que j'étais. Il suffisait à me faire perdre le contrôle de mon souffle. Je ne ressentais aucune honte que de m'avouer à quel point je ne pouvais me passer de lui en dépit de ce qui semblait nous lier.
- C'est dangereux, Jeong-Guk... Tu sais que je ne suis pas du genre à m'embarrasser de détails comme notre sang.
- Un détail ? Tu as une drôle de conception de la vie.
- L'essentiel est que ça te plaise, peu importe le reste.
- Je ne dirai pas que ça me plaît... Mais nous avons toute la nuit pour en discuter, pas vrai ?
- C'est ta façon de me dire que tu veux faire l'amour ? rit-il, encore à la taquine.
- Non. Discuter, Tae-Hyung. Seulement discuter comme deux personnes normales qui ne portent pas atteinte à la pudeur.
Je m'épatai moi-même. Jamais je n'aurais cru pouvoir évoquer de telles choses. Après tout, je n'étais guère réputé pour être quelqu'un de prude, cela l'amusait plus qu'autre chose. Ses épaules se levèrent, sa tête m'invita à me rapprocher encore... Et je ne m'en fis pas prier plus que ça. Au diable les conventions...
ACHLYS | CHAPITRE 29
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