Ces derniers temps, Minho n'avait pas envie de rentrer chez lui. Devoir faire face à sa tante et son cousin, leur sourire, et se rappeler que ses parents n'en avaient pas grand-chose à faire de lui, c'était devenu trop difficile. Pourtant, il n'en laissait rien paraître. Il gardait toujours son sourire assuré, comme si de rien était. Il était passé maître dans l'art de cacher ses sentiments. Et il le faisait tellement bien qu'il avait pris l'habitude de ne jamais dire ce qu'il ressentait. Il gardait tout pour lui. C'était mieux ainsi. Il se protégeait à sa manière.

C'est donc régulièrement qu'il passait devant le portail de chez lui sans s'y arrêter après les cours, partant s'installer sur le haut muret illuminé du doux soleil de fin d'après midi. Et Jisung le suivait. Sans un mot, il s'installait à ses côtés, observant son visage confiant. Ils ne parlaient pas beaucoup. Ils restaient simplement ainsi, côte à côte. Ils passaient du temps ensemble. La tension qui les liait ne faisait qu'accroître. Lorsqu'ils étaient proche l'un de l'autre, ils avaient l'impression d'imploser tellement leurs sentiments étaient forts. Pourtant, ils ne disaient rien. Pas un mot ne franchissait leurs lèvres. Ils étaient ensemble, ça leur suffisait. Pourtant un jour, Jisung n'avait plus su se contrôler.

Comme presque tous les soirs, les deux lycéens étaient perchés en haut du muret, les pieds ballants dans le vide. Minho regardait le soleil se coucher. Jisung regardait Minho. Tout était calme. Seuls quelques voitures passant sur la route derrière eux troublaient de temps à autre le silence. Mais Minho ne semblait même pas s'en apercevoir. Il restait immobile, le regard perdu dans le vague.

Dans ses yeux brillait un éclat de nostalgie. Ses lèvres roses étaient légèrement pincés, découvrant de petites fossettes sur son menton. Ses cheveux bruns ondulaient doucement sur son front, se coinçant de temps à autre dans ses cils sombres. Jisung ne pouvait détourner le regard de ses traits fins et envoûtants. Il était totalement hypnotisé par Minho. Il n'arrivait plus à respirer. Dans son ventre, tout se mélangeait.

- Minho... ? Souffla-t-il, les mains tremblantes.

- Mmh ? Répondit à moitié l'autre sans même prendre la peine de le regarder.

- Je t'aime.

Le souffle de Minho s'était coupé. Son corps s'était crispé de la tête aux pieds. Autour d'eux, le monde s'était comme mis à tourner. Il en avait oublié comment respirer.

- Flippant. Lâcha-t-il, le regard tremblant.

Un sourire s'était étiré sur le visage de Jisung. Mais pour une fois, Minho ne partit pas. Il resta simplement ainsi, les lumières orangés du coucher de soleil se reflétant dans ses yeux. Des milliers de frissons avaient traversé le corps de Jisung. Il n'avait rien dit de plus. Et ce silence l'avait fait trembler.

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Après cela, leur relation n'avait pas changée. Jisung suivait Minho sans rien demander en retour. Il lui donnait tout son être et toute son attention sans aucune attente. Alors Minho ne lui donnait rien. Il faisait comme bon lui semblait sans prêter attention à cette paire d'yeux constamment rivés dans sa direction. Pourtant, secrètement, il espérait que Jisung dise quelque chose. Il voulait qu'il s'énerve. Il voulait qu'il le kidnappe pour le garder rien que pour lui. Lorsqu'il séduisait des jeunes filles bien en rondeur, il voulait qu'il soit jaloux. Pourtant, Jisung ne faisait rien de tout cela. Il lui avait dit l'aimer, mais il ne lui imposait rien. Minho en devenait fou.

Un jour, alors que Minho rentrait chez lui après sa longue journée de cours, sa tante se trouvait dans le jardin. Elle étendait le linge, les grands draps humides ondulant sous la fraîche brise qui dispersait leur odeur de lessive. Lorsqu'elle aperçut Minho, un grand sourire illumina son visage.

- Bonsoir Minho ! Le salua-t-elle alors que le brun ouvrait le portail de fer qui grinça sur ses gonds. Tu as passé une bonne journée ?

- Mmh.

- Oh, tu étais avec un ami ? S'étonna-t-elle en apercevant Jisung qui restait en retrait, observant la scène depuis le trottoir de l'autre côté de la route. Tu peux le faire rentrer, tu sais ? C'est chez toi, ici. Je serais heureuse que tu amènes des amis.

- C'est pas mon ami. Il va rentrer chez lui.

- Oh Minho, tu vas pas le laisser comme ça. Il fait de plus en plus chaud ces temps-ci. Laisse-moi au moins lui offrir un goûter.

Minho soupira en levant les yeux au ciel, ses mains enfoncés dans ses poches.

- Fais comme tu veux. Lâcha-t-il avant de continuer sa route, entrant dans la grande maison de campagne.

Sur le visage de sa tante passa un sourire triste, avant qu'elle ne tourne la tête vers Jisung.

- Eh, mon garçon ! L'appela-t-elle en agitant le bras en l'air, ses joues rosies lui donnant un air de petite fille malgré les rides laissés par les années qui creusaient les coins de ses yeux.

Cette femme, elle avait l'air gentille. Pourtant, tout le poids du monde semblait reposer sur ses épaules rondes. La vie s'était acharnée contre elle, mais ses yeux brillaient d'une douceur indéfinissable. Ses longs cheveux sombres attachés en un vague chignon dans le bas de sa nuque et ses doigts abîmés contrastaient avec la délicatesse de ses gestes. Elle avait le monde entier sur le dos et le cœur sur la main.

- Viens, entre ! Sourit-elle à l'intention de Jisung qui avança de quelques pas hésitants.

Les mains tremblantes, le jeune lycéen franchit le portail, entrant dans la vie la plus privée de Minho. La femme aux cheveux sombres saisit sa corbeille à présent vide, avant de lui faire signe de la suivre. Elle poussa la lourde porte de bois et Jisung lui emboîta le pas, pénétrant dans la fraîche maison percée de soleil.

- Maman, c'est qui lui ? Lâcha froidement un jeune homme avachis sur le canapé, la télécommande de la télévision dans la main. Il semblait être au lycée, pourtant son uniforme n'était pas le même que celui de Jisung.

- C'est un ami de Minho. Sourit la femme en enfilant ses pantoufles.

- QUOI ?! S'exclama le garçon, son visage se déformant de colère. Pourquoi lui il a le droit d'inviter des amis alors que quand c'est moi tu refuses toujours ?! Tu le préfères à moi, c'est ça ?! Maintenant que t'as un deuxième fils tu me détestes ?! Y'en a plus que pour lui, de toute manière !

- Mais enfin Seungwoo, je ne préfère pas plus Minho à toi. C'est la première fois qu'il invite un ami. Il n'a rien fait de mal.

- Pfr, laisse moi rire. Ses parents se séparent à cause de lui et il fait rien de mal ?

- Seungwoo ! Il n'a rien fait de mal ! C'est pas du tout à cause de lui que ses parents ont divorcés ! Ça va pas de dire de telles horreurs ?

- Tu vois, tu le défends toujours ! Il a fait fuir ses parents et maintenant il vient voler ma mère ! C'est qu'un enfoiré !

- Seungwoo ça suffit ! Ne parles pas de ton cousin comme ça. Tu ne sais rien de ce qu'il vit.

Le garçon allait protester mais elle se retourna vers Jisung, mettant fin à la conversation. Elle paraissait gênée, affichant un sourire désolé.

- Excuse mon fils, il ne sais pas ce qu'il dit. S'inclina-t-elle rapidement. Tu peux monter à l'étage rejoindre Minho, je vous apporte le goûter. Sa chambre est au fond à gauche.

- Merci madame.

- Je t'en prie, appelle-moi tante Miyeong.

Jisung lui sourit, s'inclinant respectueusement avant de prendre le chemin des escaliers. Derrière lui, le cousin de Minho recommença à crier contre sa mère, lui ordonnant de lui faire un goûter à lui aussi. Jisung avait senti son cœur se serrer. Entendre ce gamin dire autant de mal de Minho avait fait monter en lui une colère noir. Il avait eu envie de lui sauter à la gorge. Heureusement, la tante de Minho avait coupé court à la conversation. Sans cette intervention, il n'avait aucune idée de ce qu'il aurait pu faire, et mieux valait ne pas y penser.

Le jeune lycéen prit une grande inspiration, et le calme l'envahi à nouveau. D'un coup, toute la noirceur qui l'habitait s'était effacée. En quelques secondes. Jisung observa partout autour de lui, ancrant dans sa mémoire le sol de moquette qui s'affaissait sous ses chaussettes blanches et les murs de papier peint tout droits sortis des années 30. Une douce odeur boisée habitait les lieux, donnant un aspect chaleureux à cette maison habitée par un foyer brisé.

Au fond à gauche, une simple porte de bois perçait le mur épais. Jisung frappa trois coups, avant d'abaisser la poignée. La chambre Minho était pareille au reste de la maison. Les rideaux à carreaux bleus semblaient dater du siècle dernier tandis que le sol de parquet était à moitié recouvert par un tapis aux tons clairs. Tous les meubles étaient en bois et presque aucun objet ne décorait les étagères. Malgré son aspect chaleureux, la petite pièce était relativement vide.

Minho était allongé sur les épaisses couvertures de laine clair qui recouvraient son lit. Il avait le regard rivé vers son téléphone, tournant dos à Jisung. Ce dernier referma silencieusement la porte derrière lui, avant d'avancer au milieu de la pièce. Il regardait partout autour de lui, enregistrant tout ce qu'il voyait. Mais soudain, il haussa les sourcils.

Jisung laissa tomber son sac sur le parquet, avant de faire quelques pas vers le bureau de Minho. Là, juste en face de la chaise, une photo reposait dans un cadre de bois peint de blanc. Le lycéen plissa les yeux, observant attentivement la petite image. Dessus figurait Minho. Il semblait avoir quelques années de moins. Le soleil éclairait sa peau bronzée tandis qu'un grand sourire illuminait son visage. Il tenait délicatement dans ses bras une petite boule de poile roux, comme si c'était la chose la plus précieuse de l'univers.

- C'est ton chat ? Questionna Jisung en caressant le verre du bout des doigts, les yeux rivés vers ce garçon qui lui paraissait tellement différent du Minho qu'il connaissait.

- C'était. Corrigea le brun sans même lever la tête de son téléphone. Mes parents n'ont pas voulu que je le prenne avec moi en venant ici.

- Il est où maintenant ?

Minho ne répondit pas tout de suite. À l'entente de cette question, un voile de tristesse avait assombri son regard. Pourtant il ne l'avait pas montré. Il avait continué à jouer sur son mobile, le visage impassible.

- À la SPA. Répondit-il simplement, pas un seul tremblement n'ébranlant sa voix.

Jisung hocha doucement la tête, sans rien ajouter. Mais alors qu'il était plongé dans son observation de ce cliché qui semblait dater de quelques années déjà, on toqua à la porte. Minho se leva de son lit en soupirant, partant ouvrir à sa tante qui tenait un plateau entre ses bras.

- Je suis venu vous apporter votre goûter. Sourit-elle d'un air bienveillant.

- C'était pas la peine. Trancha Minho en la laissant tout de même entrer.

- Mais si voyons, ça me dérange pas. Le contredit-elle en tirant la petite table basse qui était jusqu'à présent contre le mur de gauche. Comme ça vous pouvez discuter en mangeant, ça sera plus agréable.

La tante de Minho plaça la table basse au centre de la pièce, avant d'installer dessus deux bols remplis d'infusion aux baies d'omija ainsi qu'une assiette longue où reposaient plusieurs gâteaux de riz soufflé au sirop. Elle se releva ensuite, ne souhaitant pas les déranger plus longtemps.

- Oh, et si vous voulez regarder la télévision, venez donc au salon. N'hésitez surtout pas si vous avez besoin de quoi que ce soit.

- Merci beaucoup. Sourit Jisung, avant que la tante de Minho ne referme la porte, les laissant tous les deux.

Minho s'assit en tailleur sur le tapis, juste devant la petite table basse. Jisung fit de même, se retrouvant face à face avec Minho, son regard ancré dans le sien. Mais le brun coupa bien vite leur échange, baissant la tête vers son infusion d'omija. Dans le liquide rouge flottaient de fins bouts de poire découpés en forme de fleurs. Minho attrapa le bol entre ses doigts avant de le porter à ses lèvres, avalant plusieurs gorgés de ce liquide frais et sucré. Jisung le regardait. Son cœur avait raté un battement.

- Arrête de sourire et mange, espèce de psychopathe. Lâcha froidement Minho en reposant son infusion, piquant un gâteau de riz soufflé.

Jisung secoua la tête pour sortir de sa torpeur, avant de lui aussi se dépêcher de déguster le bon goûter de la tante de Minho. Comme à leur habitude, aucun d'eux n'avait parlé. Ils s'étaient simplement contentés de manger, passant du temps ensemble. Ils n'était pas des amis. Ils n'étaient pas des connaissances. Ils n'étaient pas non plus des inconnus. Aucun mot ne pouvait les définir. Ils étaient juste eux. Jisung et Minho. Ils ne se parlaient pas. Pourtant, chacun de leur regard échangé déclenchait en eux un ouragan. Leurs cœurs tremblaient. Silencieusement.