Vengeance - Partie 2
Annie resta figée, les lèvres entrouvertes. Gaby. Gaby, une Braun. Une Braun devant laquelle était mort Reiner. À l'extérieur, ses rugissements titanesques rebondirent dans tout le district. Si elle était là... Peak, Porco, sont aussi présents. Ses prunelles tremblantes se posèrent sur sa main libre, celle qui ne se crispait pas sur l'épaule de la scientifique. Elle sentait presque du pourpre, dessus. Pour qui avait-elle fait ça ? Marion ? Mais ce n'est pas moi qui l'ai achevé. C'est Alma. Ses dents se serrèrent peu à peu. Et pourtant...
« Annie, garde Marion, jeta sèchement Livaï. Antoine, viens avec moi, on va au front.
— Qui d'autre va se charger de moi ? laissa tomber la borgne. »
Le bras de la blonde retomba le long de sa hanche. Antoine vérifiait minutieusement ses lanières et ses manettes de commandement, malgré le trouble qui l'avait habité toute la journée durant ; et le regard du caporal-chef restait toujours acéré. Sasha même serrait les dents, prête à aller affronter le camp adverse.
Elle aussi mettait ses deuils de côté. Alors, pourquoi la semi-géante restait-elle plantée là ? « Qui d'autre va se charger d'elle ». Je resterai dans la base... Mais elle eut beau se faire violence pour mener un raisonnement logique, rien ne venait. Tout chez elle s'était glacé : ses muscles, son visage, son sang.
« Je servirai de second garde. »
La voix grave de Mike l'effleura tout juste ; elle regarda sans le voir Livaï acquiescer, et ordonner les autres soldats. Eren passa, l'air lugubre. Armin rejoignit Marion et le chef d'escouade en boitant. Et moi. Je vais être avec eux aussi.
« Direction les sanitaires, trancha Mike.
— Des chambrées différentes des nôtres ne seraient pas mieux ? énonça Marion avec lenteur. M'étonnerait qu'ils viennent les fouiller en premiers... alors que des sanitaires, on leur a déjà fait le coup...
— Soit. On va dans mon dortoir. »
Ils partirent, Annie ne bougea pas. Le boucan précipité autour d'elle lui était complètement étranger. La chercheuse parut le remarquer au bout d'à peine trois pas, car elle se retourna sans attendre. Les paupières de l'américaine s'écarquillèrent lorsqu'on la traîna par le poignet. « Après la porte », murmura-t-elle de sa voix pâteuse, « préviens ma mort. S'il-te-plaît. » Le temps qu'elles arrivent à la porte, elle la lâcha, et lui servit un sourire peiné. Armin aussi se tourna vers elle ; les cernes soutenant ses yeux la heurtèrent à demi.
Il y avait eu des pertes. À quoi bon continuer ? Pourquoi s'affrontaient-ils encore ? Étaient-ils idiots ? Ce conflit, au quarante-et-unième, ne servait qu'à prouver que les titans et les machines à voyager dans le temps pouvaient fonctionner au vingt-et-unième. Comment en étaient-ils arrivés à des changements de camp et des meurtres ?
Ce monde était si incohérent qu'elle n'y comprenait plus rien. Tout ce qu'elle avait voulu avait été de revoir son père... Et de retourner deux mille ans plus tôt... dans une autre lige d'univers, réalisa-t-elle, l'œil rond. Une ligne d'univers où la guerre n'allait jamais être finie. Les américains n'auraient eu aucune raison de me laisser prendre ma retraite pour ces retrouvailles, alors que je suis une arme de taille. Ils en sont même arrivés à l'assassiner. Cette promesse était impossible depuis le début.
Tout ce à quoi elle s'était raccrochée en détruisant la porte de Shiganshina, se préparant à assassiner ses camarades de promotion, tuant Marco, massacrant tous ces soldats du Bataillon, et affrontant Eren et Mikasa et Armin, avait toujours été vain. Mes actions ont toujours été vaines. Qu'est-ce que je fais ici, alors... ?
Autour d'elle, le monde entier s'écroulait. Elle entendit certes le battant de la chambre du chef d'escouade grincer, leurs pas s'y précipiter, et la clef la verrouiller de nouveau. Cependant, le reste lui était totalement flou. Il faisait noir, il n'y avait plus rien. Simplement la lumière chaude d'une torche dansant sur de vieilles pierres, un lit ordonné, un bureau étroit, et une armoire plus simple que jamais.
Du reste, à quoi servaient ces trois personnes l'entourant ? À quoi est-ce que je sers ?
« Annie ! »
Le ton tranchant de Marion la ramena avec violence à la réalité. L'œil de la chercheuse était enflammé.
« Why... are you calling out my name ? répondit l'intéressée.
— Car tu ne répondais pas. Si tu restes distraite comme ça, c'est ma fin. Pour une fois...
— Qu'est-ce que cela devrait m'importer... ? »
La châtaine bloqua dans l'instant. Ses lèvres formèrent des mots qui restèrent interminablement muets. « Pourquoi je devrais en avoir quelque chose à faire ? » continua l'américaine d'un timbre tremblant. « Cette guerre n'a aucun sens. Je l'ai déjà perdue. Alors, pourquoi me battre dans le vide ? Te préserver de la mort, tu as dit... Tu serais une perte comme une autre... »
L'intéressée baissa la tête ; elle ne vit plus rien de son visage. Cependant, son monde se déchirait trop pour qu'elle en ait quelque chose à faire.
« Es ist nicht..., intervint Armin.
— Vous n'avez rien à voir... avec moi, débita-t-elle encore en anglais. Ça n'a jamais été comme ça. Vous tous... Marion, pourquoi tu es venue au quarante-et-unième ?
— Annie, coupa Mike.
— Pourquoi tu me mets dans une situation pareille ?! s'écria-t-elle. »
Cette Marion se redressa d'un coup et enfonça avec violence son poing dans sa mâchoire. La semi-géante chancela en arrière dans un hoquet ; du sang dégoulinait déjà de sa bouche. Elle toussa lorsque des dents se décrochèrent de ses gencives. Sa stupeur était si grande que la douleur de cet uppercut irradiait tout juste son visage. La française se frotta les phalanges ; les deux autres, eux, restèrent estomaqués.
« Car la science est ma passion. Ne pense pas que je vais me pardonner pour ça. Et si tu veux te casser de là, vas-y, mais ne viens pas chialer si on crève dans le processus ! » rugit-elle.
Lourd silence. Annie planta, Armin planta, Mike planta, Marion tenta de calmer sa respiration. « Tu sais, un pain, ça fait mal. Tu dois le ressentir autant que moi... Non... ? » souffla-t-elle d'une voix brisée.
Un second éclair frappa la terre, là-bas. D'autres mugissements naquirent, un grand fracas leur parvint de l'autre côté de Shiganshina. « Je ne sais pas ce qui a été échangé », énonça sombrement Armin. « Mais, Annie... Si tu ne veux pas que les autres meurent, tu n'as pas à attaquer. Juste à défendre. »
« Promets-moi... que tu reviendras. » « Annie, pourquoi ?! Arrête ça, Annie ! » Et si les voix de son père et de Marco résonnaient interminablement dans son crâne, jamais celle de la chercheuse ne vint-elle : car elle n'avait jamais servi à Annie des promesses, des mots inutiles, des prières, ou que savait-elle encore. Elle avait appris à être directe et à agir en prime, dans un doux pragmatisme dont l'ex-ennemie n'aurait jamais cru avoir besoin.
Et ce coup de poing le lui prouvait pour de bon.
Je ne pourrai pas revenir. Je ne pourrai pas effacer la mort de Marco. Les atrocités que j'ai commises, mon père ne pourra pas les balayer... car je ne le reverrai jamais. Mais, en face de moi... Il y a quelqu'un capable de me remettre en place de la sorte. Une chaude vapeur s'échappait déjà de sa bouche. Ses incisives se régénérèrent en quelques secondes : là posa-t-elle ses iris sur Marion, laquelle ne la quittait pas du regard. Regard dont la sourde souffrance la heurta de plein fouet. Elle avait passé ses nerfs sur la seule pouvant la comprendre, ici.
« I'm sorry, lui murmura la blonde d'un ton bas.
— Dans ce cas, retourne à ton travail. Je ne sais pas pour quoi tu te bats... »
Elle prit une inspiration saccadée. « Mais si aucun futur ne se dessine pour toi, je peux bien tenter de t'en creuser un avant de partir », souffla-t-elle.
Avant de partir. De quel futur tu parles ? Tu veux créer un club de combat libre, peut-être... ? Annie retrouva peu à peu un sérieux tombal. Je te regarde faire. Essaie au moins de rester en vie jusque-là...
***
Au même instant
Livaï vira sèchement dans une allée sombre. Plus loin brillait la haute lance du Titan Forgeron : il se dressait au beau milieu d'une artère, entre des maisons aux vitres et toits éclatés par sa transformation. Les soldats de la Garnison lui avaient tourné autour avaient vite décampé. Mais avant de comprendre l'inutilité de cette action, le caporal-chef devait s'occuper de charcuter Hannah Steel seul.
Seul, car Antoine refaisait le portrait de Porco, Eren s'occupait de Gaby, et Ymir affrontait Peak – tous dans des quartiers différents, tous tentant de se rapprocher de la Braun. L'attaque ennemie paraissait plus désorganisée que jamais. Que Diable s'était-il passé ?
Il dégaina deux épées, les paupières plissées. Dans quelques mètres, il allait arriver derrière les pieds immaculés de son adversaire. S'il s'attardait ici, il en était fini de son effet de surprise.
Il planta son axe dans un coin de bâtisse, vira d'un coup derrière le géant et trancha ses talons en un éclair. L'autre s'écroula sur les genoux ; il remonta illico sous son aisselle droite, pour la sectionner dans un grognement. Cependant, il hoqueta dès qu'il se retrouva devant le thorax un monstre.
Une anguille de fluorine naissait droit vers son buste.
Son axe se planta plus loin, il s'écarta de justesse, le pic lui entailla l'abdomen. Il serra les dents sous la douleur, mais plongea bien vite sur le côté : son ennemie abattit son poing à l'endroit même où il s'était trouvé, et le souffle de l'impact alla jusqu'à faire voler des tuiles derrière lui.
Elle n'avait rien à voir avec Annie. Lui et Hannah Steel s'étaient battus, et elle semblait déjà comprendre sa façon de combattre – pire, savoir la contrer. Lui avait dû l'assaillir avec l'aide d'Antoine... Car nous étions complètement à découvert. Ici... Ici, il avait des appuis. Mais même avec ça, il restait incapable de la tuer, même dans un environnement pareil : il ne pouvait que la ralentir. Objectif largement suffisant.
À genoux. Un membre en moins. Livaï fonça sur son poing armé, et remonta sèchement son avant-bras. S'il explosa en de nombreux morceaux, ses épées éclatèrent sur son biceps : de la fluorine. Il dérapa dessus avec agilité, tira de nouveaux sabres et fila derechef vers ses yeux. Il en déchira les lambeaux, esquiva un coup de dents, aveugla son opposante, piqua dans son dos immense. Il brillait presque, dans la nuit. Au même titre que la fluorine sur sa nuque.
« Get Braun and leave ! » rugit-elle. Sa voix déformée cilla les tympans du trentenaire. Braun. Visaient-ils la base ? Non, quelque chose cloche. Je ne comprends pas un mot de ce qu'ils disent, mais ils n'atteindront peut-être pas Marion comme ça. Il revit l'instant où il l'avait écartée de justesse du bras de Wilson, il y avait un an de cela ; tout le désarroi de la scientifique le frappa encore. Les américains n'allaient peut-être pas atteindre la base comme cela, et Marion était certes solide... mais le risque zéro n'existait pas.
Alors il redoubla sa prise sur ses manettes de commandement, patina sur le sol et chargea droit vers le crâne du monstre. Celui-ci se tourna illico, les mâchoires ouvertes : Livaï se décala sèchement, planta son axe dans sa gorge, puis y plongea sans y repenser à deux fois.
La puanteur de la bouche de Hannah Steel le heurta pour de bon. Il bloqua sa respiration ; et enfermé dans une cage baveuse et chaude, chercha son chemin le plus vite possible. Dès qu'il glissa sur la langue immense du titan, il ficha sa pointe dans son palais et fonça droit vers l'emplacement de sa nuque, pour y planter une lame avec force. Le hurlement qu'elle poussa manqua pour de bon de le sonner.
Néanmoins, la lumière l'attendait, derrière lui. Aussi assourdi était-il, il fonça tout de même à l'extérieur, et chargea une autre lame : là passa-t-il autour des joues du monstre en un éclair. Elles se déchirèrent dans une giclée de sang. Sa mâchoire béa ridiculement, mais elle criait encore : nouvelle des plus mauvaises. Hanah Steel ne s'était pas évanouie le moins du monde. Alors que l'air de l'extérieur le glaçait au travers de ses habits humides, il partit encore derrière sa nuque.
Le cristal avait beau ne pas avoir éclaté, les mouvements de l'officière était bien plus précipités. Il esquiva un coup de coude ; un éclat l'aveugla derrière la vapeur de ses blessures ; une réelle vague de branches de fluorine perça celle-ci. Livaï atterrit sur un toit, le souffle court. Son ennemie reprenait ses appuis, mais commençait à s'essouffler. Utiliser des pouvoirs pareils épuiserait n'importe-qui.
Ses muscles aussi le brûlaient. Mais il n'allait pas s'arrêter là. Il lui restait de l'énergie en réserve ; énergie qu'il pompa sans attendre. Il explosa, entailla, évita, dérapa. Dérapa. Des plantes de la géante surgit un sol de cristal : de nombreuses broches grandirent à pleine vitesse. Il eut beau prendre de la hauteur, l'une d'elles taillada profondément sa jambe gauche. Son cri de douleur, il l'étouffa de justesse ; mais il voyait trop bien son sang se déverser sur les pointes translucides.
Lorsqu'il tenta de fuir, son mollet céda sous lui.
Son cœur rata un, deux, trois battements. Il tombait littéralement vers sa mort ; il eut beau tenter de s'appuyer sur son autre pied, la douleur dépassait l'adrénaline. Il eut tout le temps de voir ces pics se rapprocher de lui. Il avait retenu Hannah Steel. Mais était-ce suffisant ? Allait-elle tout de même attaquer la base... et attraper Marion ?
Il n'avait pas pu sauver Erwin. Si la chercheuse y passait également... Non, il n'aurait pas même le loisir d'y penser. Car il tombait littéralement vers sa mort.
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