Liens de sang - Partie 7
Shiganshina, Mur Maria, 27 février 853
« Salagadou, la menchikabou, la Bibidi Bobidi Bou », pensa encore Livaï. Recette secrète que venait de leur expliquer Mike, dans son joli office bien plus respectable que celui de Hansi. À côté, éternellement assise sur une chaise, au milieu d'un espace rangé grâce à des commodes ordonnées, Marion alternait entre l'extase, le rire et le terrassement.
De ce que le caporal-chef en avait compris, les machines de la maison des Jäger avaient lancé l'alerte lorsqu'un titan Mural avait signalé sa présence à l'arrivée des américains. Un signal électrique codé qu'avait pu décrypter le résistant anonyme de la Garnison ; il l'avait même amené à déduire qu'il fallait envoyer l'artillerie lourde. Et il avait frappé un peu trop fort, car tous les géants des barricades du district nord s'étaient barrés, et que la cité était en miettes.
« À ce stade », lâcha-t-il, « on peut admettre que l'attaque des américains a été une réussite. » La châtaine inspira longuement, et parvint enfin à reprendre son sérieux. Son pauvre œil étudia le bureau tout impeccable d'un Mike debout à côté de la fenêtre.
« En effet, réfléchit-elle. Ils ont beau avoir été forcés de battre en retraite, les dégâts sont catastrophiques. Je ne sais pas quel était leur but ; s'ils voulaient casser la porte intérieure, ou pas... Certes, d'après le type qui est venu rapporter tout ça, le siège de la Garnison a déduit que ce n'était pas le cas, mais il faut plus d'un cerveau pour réfléchir correctement.
— Quels intérêts ils auraient tiré à envahir encore la zone du mur Maria ? intervint-il.
— Je ne sais pas. Ils ne savent – normalement – pas où sont les chèvres, et ne peuvent pas prendre le risque d'envoyer des titans dans ce territoire. Elles pourraient mourir, et ça serait la fin pour eux. Et j'aurais pu crever aussi, dans le processus ! »
Il la gratifia d'un air irrité : elle se raidit légèrement. Tu oublies constamment ce que je t'ai dit, imbécile. Souvenir éclair du cadavre d'Erwin, mal de crâne subit, il serra discrètement les dents. Le lien, il le savait. Cette ordure qu'il se traînait en double. S'il pouvait choisir sur qui le balancer, entre Erwin et Marion, il aurait à cet instant choisi cette dernière ; elle, au moins, ils pouvaient encore la préserver de la mort.
Tout du moins, lui comptait bien le faire jusqu'au bout.
« Nous avons donc la preuve que les Titans Muraux ne peuvent pas être complètement contrôlés, conclut sobrement Mike. Les commandes que tu as mises en place, Marion, étaient de toute manière assez simples.
— J'avais déjà complété la machine de ma sœur et de Grisha..., hésita-t-elle, le menton bas.
— Ce qui est pas mal, au vu du matos que t'avais, commenta le petit homme. »
Elle se contenta d'un petit sourire.
« Il faudrait éviter de les utiliser, dans ce cas, reprit-elle. Ceux de Shiganshina n'ont pas fait beaucoup de dégâts, puisqu'ils sont revenus sagement dans leurs tanières. Dans le district nord, ils n'ont pas fait exception, mais ils ont tué un paquet de civils et de soldats. Il faut pour de bon n'y recourir qu'en cas d'urgence.
— Je rapporterai ça à Hansi, posa le chef d'escouade. Marion, que penses-tu de l'attaque des américains ?
— On peut balayer une invasion du Mur Maria. Détruire le front qu'est cette cité est une option, mais ils l'avaient déjà fait, et Rhys Reiss n'est pas une personne qui répète ses stratégies deux fois. Si l'une a échoué, il changera la prochaine. Les américains ont tiré une tronche pas possible en voyant les titans Muraux : ce n'était donc pas intentionnel. Ils ne voulaient pas raser le district en soi. Peut-être mettre le bazar, tuer le plus de personnes, mettre un coup au moral aux Murs... Et en profiter d'une façon ou d'une autre. Tant de moyens et de risques pour de la discorde... Il y a quelque chose derrière, trancha-t-elle. »
Profiter de ce bazar. En 845, Annie, Reiner et Bertolt avaient profité de leur attaque à Shiganshina pour infiltrer les Murs... Il se figea un instant, les lèvres entrouvertes. La chercheuse lui lança un regard surpris.
« Livaï ?
— Ça ressemble diablement à ce qu'a fait le trio d'Annie, expliqua-t-il, l'œil plissé. Attaquer, puis s'infiltrer. Peut-être qu'ils ont voulu rameuter un espion ou deux chez nous. Mike, ton collègue des Brigades a éliminé pas mal de taupes, non ? »
L'intéressé acquiesça, son long nez froncé sous sa réflexion.
« Il faudrait confirmer cette hypothèse auprès de Rebecca », grimaça Marion. « Elle connaît Rhys Reiss mieux que personne. Ça sera certes douloureux pour elle... » Ces derniers mots se perdirent dans un léger murmure. Le caporal-chef les entendit tout juste. De la compassion car elle se faisait battre. Ces deux-là partagent au moins trois choses, maintenant : des génies de la science, leurs recherches au vingt-et-unième, et une souffrance psychique. Les grands esprit se rencontrent, hein.
« Je résumerai tout ça à Hansi à son retour de son entretien avec Gustav, ferma Mike. Dernière chose : le plan d'éradiquer tous ceux possédant le pouvoir de se transformer en titan Mural a bien été accompli.
— Une bonne chose de faite, commentèrent en chœur les deux autres. »
Ils n'en furent plus surpris. Ils se levèrent simplement, et retrouvèrent ce foutu couloir des officiers. Annie attendait à coté de la porte, adossée contre le mur de vieilles pierres inondée par cette foutue lumière blanche reflétée par de la foutue neige.
La jeune femme posa ses prunelles glace sur lui, puis sur Marion. Comme bien souvent, elle remit sa mèche platine derrière son oreille ; comme toujours, elle posa son poing contre son cœur sans grande conviction. Le saluait-elle désormais par cynisme ? Peu étonnant, de la part d'un monstre. Et en parlant de monstre... La base ouest est certes bien amochée ; cependant, il leur reste le titan Mâchoire, Quadrupède, Forgeron, et Femelle. Ils seraient bien capables d'attaquer. Nous, à côté...
À côté, ils avaient lui, Annie, Ymir, Eren, Mike, et Antoine. Sachant qu'il fallait au moins deux personnes pour tenir tête au Forgeron, et deux pour défendre Marion, il ne restait plus que deux soldats pour tenir tête à Gaby, Peak et Porco. Comment Diable pouvaient-ils accomplir une chose pareille ? Historia et Sasha ont tout juste tenu face à Grisha. Elles ne sont pas de taille contre Gaby ou Porco. Peak, peut-être... Mais ses mouvements sont si déroutants qu'on risque de se récolter d'autres morts.
Avec Mikasa en moins, et un Isaac essoufflé après avoir grimpé deux pauvres étages, ils étaient bien handicapés. L'albinos pouvait peut-être encore contrôler les titans basiques, mais pour bien peu de temps, et avec moins de précision. Qu'allaient-ils faire de lui ? Ce gars..., pensa-t-il amèrement. Il mérite presque d'aller en maison de repos. Il n'est plus utile, désormais.
Livaï avait beau ne pas le porter dans son cœur, il devait admettre qu'à rester là, l'américain se fait plus de mal que de bien. Si Marion était en danger, il allait vouloir courir à sa rescousse, et allait mourir au passage. Et cette Marion en question le vivrait particulièrement mal.
Il fit volte-face sous les regards surpris de la chercheuse et d'Annie, qui avait ouvert la bouche pour parler d'il ne savait quoi. « Je reviens », lâcha-t-il. « Un dernier mot pour Mike. Leonhart, au moindre problème, entre sans frapper, et traîne Marion par la peau du coup s'il le faut. Comme d'habitude. »
Il frappa à la porte de son collègue et entra sans attendre. Il le ferma avant de regarder ce que faisait le Résistant ; et lorsqu'il se retourna, il se retrouva presque obligé de froncer les sourcils. Le bougre fouillait dans ses tiroirs dans une grande concentration. Il leva ses prunelles pâles sur lui : sa face triangulaire ne montra qu'une petite once de surprise.
« Tu te lances dans l'administratif ? largua Livaï.
— Je cherchais des documents. Besoin de quelque chose ? »
Des documents. Le rapport pour Hansi, je suppose. « Par rapport à Isaac », commença-t-il. Il lui déblatéra la réflexion qu'il avait menée ; Mike se frotta le menton.
« En effet. Néanmoins, ça implique de trouver de l'argent pour financer ne serait-ce qu'une retraite de fortune. Éloigner Isaac d'ici...
— De notre base, précisa le noiraud. De Shiganshina, ça serait pas possible pour lui.
— En bref, l'éloigner un peu de Marion, mais pas trop. »
Le caporal-chef acquiesça, le chef d'escouade croisa les bras. « Je te rejoins là-dessus. Ça aussi, je le ferai remonter à Hansi. » Livaï le scruta un instant : cette nouvelle paraissait presque l'arranger. Mais je ne pourrais pas dire le contraire. Si elle n'est pas en forme, on sera encore moins bien calés. Elle a assez de problèmes comme ça, et nous aussi. « Cette démarche devrait être rapide », conclut Mike. Alors, le petit homme repartit de nouveau dans le corridor.
« r/titanfolk ? » répétait Annie, le regard fuyant. « No. I don't know this website. Reddit, was it... ? Sorry... » Et elle retourna dans un mutisme peu rassurant. Marion dévisagea la blonde, les épaules basses.
Leonhart aussi devient un sac à problèmes, tiens. Sa motivation avait baissé, depuis la dernière bataille. Les morts de Mikasa et de Reiner, conjecturait-il. Venaient-elles d'en parler ? Sûrement. Elles n'ont pas l'air en forme.
« Marion, il faut...
— ... aller faire un bilan de santé chez Weierstrass, compléta-t-elle. »
Et ils partirent en silence. Autour d'eux, on bougeait des caisses, on balayait les dalles, on partait s'entraîner. Ils passèrent devant le réfectoire sans le voir ; cependant, l'emplacement du cadavre de Jean, Annie ne parut pas le rater. Elle accéléra légèrement le pas, Marion ralentir un poil le sien. Livaï frôla l'épaule de cette dernière pour la faire avancer. Si son regard se baissa, elle suivit sans le moindre commentaire. Sans le moindre commentaire...
« Livaï », déclara-t-elle, « j'aimerais inspecter la cave d'Eren. » Annie elle-même s'arrêta, et montra enfin de la surprise. La détermination subite de la scientifique allégea drastiquement l'ambiance. « Cesser ton repos, hein », répondit-il, l'œil plissé. « Ça nous sera utile. » Il reprit sa route là-dessus.
Maintenant que tu es sur les rails de la conviction, tire Leonhart derrière toi, on ou ira nulle-part.
***
Shiganshina, 10 mars 853
« Salagadou, la menchikabou, la Bibidi Bobidi Bou », récita Marion. Ce chant ridicule résonna dans tout l'office rustique du docteur Jäger. Elle venait de tirer le bout de papier sortant d'un tiroir, de compter jusqu'à onze, et de babiller ce code exotique – mais peu surprenant de la part de la Résistance. Et je ne suis personne pour parler, avec ma Trinité Poitevine.
Quelque chose cliqueta sous une chaise, face au bureau encombré de feu Grisha. Elle s'y dirigea dans un petit soupir, non sans jeter une œillade aux planches lui ayant demandée, deux ans plus tôt, quel était son McFlurry préféré. Là était-elle tombée sur des ordinateurs, des fichiers et une vidéo du père de famille. Combien de choses renferme cette fichue pièce ?
Elle s'agenouilla juste devant l'un des pieds de bois du bureau, décala le tas de papiers posé contre lui, et étudia le bouton censé déclencher les titans de Shiganshina. Où étaient ceux pour les autres villes ? Elle ne parvenait pas à se souvenir clairement de ce qu'elle avait construit ici. Cependant, son instinct lui soufflait que, entre étagères et bibliothèques croulant sous les fioles et les livres et les feuilles, d'autres boutons activaient les titans d'autres cités.
Et celui pour Shiganshina, cité Sud du Mur Maria, se trouve... Elle sortit une boussole, et s'orienta face au nord. Elle se retrouva face au coin de la table. ... au sud de ce que forme ce truc. Donc... Elle fouilla minutieusement les autres angles du losange qu'elle se schématisait, à partir de quatre pieds de bureau. Et, à force de tâter le plancher poussiéreux, sous le regard très mitigé d'un Livaï adossé contre l'embrasure de la porte, ses doigts effleurèrent une anomalie.
Anomalie l'électrisant sur place.
« Personne ne nous a vus ? » « Je suis désolée, je dois laisser le matériel ici... » « Carla... Je vais devoir te dire au revoir. » « Maman, c'est qui ? » « Une amie à moi, simplement ! » Eren enfant, Carla adulte, Marion chercheuse chez la Résistance.
Au nord pour le district Nord. Au sud pour le district Sud. À l'est pour le district est, et à l'ouest pour le district ouest ! Elle fouilla bien plus frénétiquement, le cœur battant à tout rompre et les paupières écarquillées. On ne lui avait pas donnée la solution pour les autres cités. Était-ce pour qu'elle débloque ces foutus souvenirs ? Ils lui retournèrent l'estomac, mais elle ne vomit pas. Elle ne le pouvait pas.
Une planche s'abaissa légèrement ; elle la fit rapidement glisser, pour découvrir le bouton du district nord. Je suppose que le nombre de fois qu'on appuiera dessus... La chercheuse dut s'appuyer sur la paume de ses mains pour ne pas tomber sous son trouble dévastateur. ... donnera le nombre de Titans Muraux à libérer. Mais comment est-ce qu'ils ont su qu'il y avait une attaque à-bas ? Ce signal électrique, comment il a parcouru les Murs ? Les ordinateurs ? L'interface dans le premier tiroir à double-fond ?!
« Marion... », intervint Annie. L'intéressée releva brutalement la tête ; son crâne rencontra brutalement le meuble ; elle poussa un petit cri de douleur. La bonde s'était accroupie à côté d'elle, et la dévisageait désormais avec surprise. « Comment va ta tête ? »
Cette question sonna comme un changement de sujet. Non. La châtaine frotta son front en grimaçant.
« Des souvenirs, souffla-t-elle. Quelle plaie. J'ai bien fait de me cogner, tiens...
— Tu saignes, lui apprit Annie. »
Laquelle sortit un mouchoir de tissu de sa poche et lui tapota le front. Elle se laissa faire malgré son cœur s'emballant légèrement. Les prunelles bleues de l'ex-ennemie ne quittaient pas la sienne. Leah. Elle ressemblait beaucoup à Leah. Leah... Marion prit une longue inspiration ; Annie posa sa main sur son avant-bras.
« Tu as trouvé quelque chose ?
— Les boutons pour les quatre districts, déglutit-elle. Du reste, je suppose qu'ils envoient ce signal électrique par Titan via un réseau dans l'enceinte du Mur... Non, sous le Mur, pour réveiller les géants en question. Et ces géants-ci peuvent aussi interagir. Ils ressentent une attaque, ne peuvent pas complètement bouger, enclenchent un signal droit vers ce bureau... Mais comment est-ce que j'ai pu creuser des câbles électriques... ?
— Le réseau des Murs ressemble à un réseau local, réfléchit la blonde.
— Un LAN ?
— Quelque chose comme ça, j'imagine.
— Mais ça ne peut pas se faire physiquement. À moins que ces signaux soient enclenchés par des ondes émises d'ici au Mur, et du Mur à ici, via des récepteurs... De sondes radio, comme du Wi-Fi. J'ai fait ça, moi ?! »
La semi-géante détourna le regard. « On ne t'appelle pas un génie pour rien, je suppose. Et tu avais du matériel. » Marion sourit avec légèreté. Et l'autre ne le rata pas, car elle se figea subtilement. Son état ne s'arrangea pas lorsque la vingtenaire posa brièvement sa paume sur son épaule, pour repartir derechef à ses activités.
« Il faudra demander l'avis d'Antoine, décida-t-elle. Il vaut mieux deux avis qu'un.
— Tu aimes cette phrase, commenta Livaï, les bras croisés.
— Car elle est vraie, l'assura-t-elle.
— Peut-être. Dans tous les cas, je ne comprends pas ce que tu as dit plus tôt ; cependant, vérifier ce système deux fois ne fera pas de mal. Et Antoine est censé être un as en informatique, non ? lâcha-t-il. »
Elle leva simplement le pouce. Par contre, eux ne se ressemblent vraiment pas. Quoique... Annie et Leah non plus, loin de là, grimaça-t-elle. Elle se remit sur ses pieds, et s'étira un coup. Mais dès qu'elle ferma les paupières, des souvenirs éclairs l'agressèrent. Elle se raidit illico, l'œil écarquillé. Mal. Elle avait beau commencer à s'y habituer...
Se remémorer des temps révolus était plus douloureux que jamais.
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