« tu te souviens du jour où tu m'as rendu mon maillot? »

jude ne savait pas d'où lui venait le courage de passer à la prochaine lettre, maintenant que sa joue était déjà bien rouge, autant continuer et s'achever. ce n'est pas comme si ce n'était pas mérité. mais pourtant, le ton de cette lettre avait l'air complètement different de la lettre précédente. comme si caleb avait suffisamment vidé son sac pour se sentir mieux, mais qu'il n'en avait pas fini avec lui.

mais évidemment qu'il s'en souvenait, il n'avait jamais vécu une altercation plus insolite, puisque c'était le jour où caleb et son père se sont croisés pour la seule et unique fois.

pourtant, ils ne se sont pas échangé un mot, seulement un regard qui voulait tout dire. des yeux offusqués, qui hurlait à son fils qu'est-ce qu'un plouc pareil faisait entre les quatre murs de sa maison. comment ce pouilleux aux habits couverts de boue et de sueur pouvait avoir le cran de se présenter devant lui sans un bonjour? et inconsciemment, alors qu'il savait pertinemment les reproches et le scandale injuste qui l'attendait, jude savourait ce tout petit moment. comme un enfant qui sait d'avance qu'il a fait une bêtise mais qui se pardonne car cela fait partie de son éducation. le numéro quatorze d'inazuma japon se disait que pour une fois, ce n'était pas si grave de décevoir un peu son père. peut-être aussi parce que c'était caleb qui foulait les interdits et que ça avait quelque chose de terriblement jouissif. mais d'un peu égoïste aussi.

"nous mangerons ensemble ce soir." avait-il seulement adressé à son fils avant de disparaître dans son bureau, comme d'habitude. et caleb avait rit, se moquant de lui en disant que ça sonnait comme un vieux date pourri. et jude s'était instantanément détendu. parce que d'un regard extérieur voir un père annoncer un repas comme on annonce un décès ça n'avait définitivement aucun sens.

« je l'ai détesté juste avec son portrait ridicule pendu au mur, alors quand il a ouvert la bouche imagine un peu »

il n'était pas sur que quelqu'un ait un jour osé dire à un autre qu'il n'aimait pas son père. caleb est décidément le culot incarné. mais ça lui avait fait un peu de bien aussi, c'était rafraîchissant d'entendre des mots qui auparavant n'ont pu être traduits seulement par quelques regards gênés, compatissants. comme si remettre en question tout ce qui pouvait sortir de la bouche de son père était un tabou qui l'entourait complètement. qui l'étouffait lui et tout ceux qui tenteraient de lancer ce sujet. mais caleb n'a jamais eu froid aux yeux lui, jamais.

« t'es brillant putain. évidemment que tu l'es. il faudrait être un sacré connard pour ne pas reconnaître ta valeur, même si ça m'arrache la gueule de le dire. mais t'as rien à foutre dans ce monde jude. c'est pas ta place là-bas. les finances, les relations, l'argent, l'honneur, y'a dans aucune de ces merdes tu seras aussi extraordinaire que tu l'es sur un putain de terrain. et encore moins si tu continues à te faire dicter gentiment tout ce que tu dois faire. sort toi les doigts du cul et gueule un coup où tu vas vraiment finir ta vie dans un métier puant avec cette foutue barbie blindée. »

parfois son père ne s'adresse pas à jude non pas comme on s'adresse à un fils, mais plutôt comme à un trophée. il rêve qu'il prenne la relève dès la fin de ses études, qu'il répande le nom "sharp" là où tous les honneurs se rassemblent, qu'il gravisse les échelons que lui n'aura pas le temps d'atteindre, qu'il épouse même une fille d'une famille prestigieuse. comme ariel kan la fille du pdg de la fédération japonaise des jeunes espoirs sportifs. c'est bien la seule raison pour laquelle il l'a laissé continuer à jouer au foot tout ce temps. c'est la seule "perte de temps" qu'il ne lui ait jamais autorisé. lorsque ray dark avait décelé en lui un talent pour ce sport, il s'est toujours demandé depuis si la fierté qu'il avait dans ses yeux ce jour là était celle d'un père fier ou d'un espoir d'un merveilleux mariage à venir.

c'est vrai qu'il la trouve jolie, avec ses longs cheveux bleus et sa peau laiteuse. mais elle n'a pas les muscles finement tracé, ni la mâchoire carrée. et le jour où son père interceptera ses pensées honteuses dès qu'il lui amène cette fille, il ne saura alors où se cacher.

« franchement je me suis demandé ce qu'elle avait de si spécial quand je la croise dans les couloirs de la royale. ton imbécile de père regarde le compte bancaire en premier, mais il ne prendrait pas le risque de marier son bijou à n'importe quelle cruche pouvant ruiner tout son travail. alors je suis sympa, quitte à recevoir ton faire-part de mariage autant te dire si ta future vie conjugale pue d'avance. »

quelle délicate attention.

« puis elle m'a adressé la parole, une fois, et j'ai compris. elle est éloquente, intelligente, sincère, elle a tout de l'épouse aimante. une jolie poupée à qui on a appris à hocher la tête mais qui conserve malgré tout un caractère ivre de liberté, d'indépendance. exemplaire, droite dans ses bottes jusqu'à ce que papounet tourne le dos. elle est comme toi. elle est parfaite. »

quelle horreur. jude n'ose même plus finir sa lettre, les lettres tremblent tellement dans tous les sens qu'il n'arrive presque plus à la lire correctement, pourtant, il visualise parfaitement où caleb veut en venir. et d'un coup, c'est comme si il se sentait s'effondrer petit à petit, prêt à toucher le sol. comme un coup fatal, car il sait parfaitement que caleb et de ceux qui arrivent à voir des choses en lui ne peut pas voir.

« parfaite pour toi si tu aimais les filles. »