Chap. 64: Éviction
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SeokJin descendit immédiatement de la table. Comme prit de court, il fixa son père sans ciller, bien que le voir en personne sembla le tétaniser entièrement. Ça ne faisait certainement pas partie de son plan.
M. Kim jeta un bref regard aux invités, avant de s'avancer un peu à pas mesurés, le visage impassible. Il croisa les bras dans son dos, ce qui lui donna un air important, avec un côté presque détendu. Le silence était mortel dans la grande salle à manger. Le contraste était saisissant.
« SeokJin, dans mon bureau, dit-il. Tout de suite. »
Dans sa voix ne transparaissait aucune colère ni même une once de reproche, mais le châtain se crispa tout de même. Contre toute attente, il ne se dressa pas contre son père et obéit docilement; il passa à côté de lui sans baisser la tête et quitta la salle sans un mot ni un regard en arrière.
« Vous aussi, ordonna M. Kim à NamJoon. »
Le majordome, pâle comme un linge, hocha la tête et se fit le plus petit possible lorsqu'il suivit les pas de SeokJin. Juste avant de sortir, il osa jeter un discret regard en arrière. Il vit tout juste le visage rouge et déconfit de Mme Kim, et toutes les expressions choquées des invités, derrière leurs masques qui ne suffisaient plus à dissimuler les sentiments que la scène leur inspirait. Il entendit le père de SeokJin qui s'adressa à son public involontaire.
« Mes excuses pour le dérangement, passez une bonne fin soirée, lança M. Kim. Profitez bien de la fête. »
NamJoon quitta à son tour la salle en sachant qu'il n'y remettrait sûrement jamais les pieds.
Le trajet jusqu'au bureau de M. Kim ne lui avait jamais semblé aussi long. Il entendait devant lui SeokJin, qui avait une bonne longueur d'avance et derrière lui, à peine à un mètre sur ses talons, M. Kim fermait la marche. Ils ne s'adressèrent pas la parole et ne se regardèrent pas un seul instant sur la totalité du chemin. Arrivés devant la porte, il attendit que l'homme l'invite à entrer, ce qu'il ne fit pas oralement. Son patron poussa la porte. SeokJin se trouvait déjà à l'intérieur, devant le bureau. Il avait les bras croisés et n'avait pas pris la peine de s'asseoir sur la chaise en face. NamJoon alla se poster à côté de lui, sans oser lui jeter un coup d'œil. Il craignait davantage ce que pouvait ou allait faire le châtain que la discussion qui attendait le trio.
M. Kim alla s'installer dans son fauteuil et joignit ses mains sur son ventre. Il parut s'écouler une autre éternité avant qu'il ne parle.
« A quoi tu pensais ? »
La question, si anodine, avait cette fois tout l'air d'un reproche. SeokJin explosa immédiatement.
« A quoi je pensais ? Répéta-t-il furieusement. À rien. J'ai fais ce que je devais faire, ce que je voulais faire. »
M. Kim secoua la tête en signe de négation, les lèvres si pincées qu'elles disparurent momentanément de son visage.
« Je ne sais pas pourquoi tu te tenais debout sur la table, SeokJin, mais ce n'est pas un comportement approprié. Rien que cela te fait déjà dépasser les bornes. Je ne t'ai pas laissé autant de liberté pour que tu te donnes en spectacle devant tous les invités de ta mère !
– Ce n'est pas ma mère, rétorqua le châtain avec la même hargne. Et tu veux savoir pourquoi je me donnais en spectacle comme tu dis ? Je vais te le dire ! »
NamJoon lui jeta un regard alarmé et s'interposa immédiatement, sans même y réfléchir à deux fois.
« C'est de ma faute monsieur, affirma-t-il en faisant un pas en avant. Je n'ai pas suffisamment surveillé votre fils et je–
– Non ! »
SeokJin avait crié pour l'interrompre et le regardait avec un étrange air désespéré. Le majordome et lui s'échangèrent un regard; soit NamJoon parvenait à sauver les meubles, soit SeokJin détruisait tout. Il ne voyait pas d'alternative possible.
« C'est entre moi et mon père, NamJoon, souffla le châtain. Ne t'en mêle pas.
– Je ne peux pas... »
Sachant qu'une troisième personne écoutait leur échange, NamJoon n'osa pas donner la raison pour laquelle il voulait l'empêcher de parler. Peu importe comment il essayait de le faire comprendre à SeokJin, ce dernier resta aveugle à son regard appuyé.
« Je peux savoir ce qu'il se passe ici à la fin ? S'impatienta M.Kim, à présent clairement contrarié. »
NamJoon ouvrit la bouche pour donner une excuse quelconque, mais SeokJin plaqua sa main contre son torse comme s'il voulait le faire reculer. Ce qu'il réussit presque à faire, tant son geste fut brusque. Ça lui coupa le souffle.
« NamJoon, s'il te plait. J'en ai besoin. »
NamJoon se pinça les lèvres, hésita puis détourna la tête en serrant les dents. Il n'avait plus qu'à espérer que cela ne dégénère pas trop, bien qu'il sentait la tempête arriver. Il n'y pouvait plus rien, de toute manière.
« Alors ? Lâcha sèchement M. Kim. J'attend ton explication, SeokJin.
– Je n'ai pas d'explication à donner, affirma nettement le châtain. J'aime NamJoon. C'est tout.
– Tu veux dire, en tant que majordome. »
SeokJin regarda son père droit dans les yeux, avant de très clairement secouer la tête de gauche à droite. L'homme cligna des yeux plusieurs fois, ce qui lui donna un air bête, puis ce fut de la confusion qui plissa ses rides. Tout à coup, il paraissait plus vieux. Il se leva de son fauteuil et arpenta deux fois la longueur de son bureau, sans savoir quoi faire ou quoi dire.
« Impensable, dit-il, plus pour lui-même que pour les deux autres. »
Il jeta des regards aux portraits accrochés aux murs, peut-être à la recherche d'un soutien inaccessible venant des cadres. Le visage de sa défunte femme n'était qu'une image du passé. Une simple photographie.
« Pourquoi ? Marmonna l'homme, évasif.
– Il n'y a pas d'explication, lui répondit SeokJin. C'est comme ça, c'est tout.
– Non, insista M. Kim. »
Il fit encore quelques pas, avant de retourner près du bureau pour s'y appuyer d'une main en guise de soutien. Son regard se perdit sur la table devant lui avant de remonter pour accrocher les yeux de NamJoon.
« Vous, cingla l'homme en pointant durement le majordome. Ce n'était pas ce que je vous avais demandé de faire. Au lieu de l'éduquer, vous l'avez rendu...
– Il m'a rendu quoi ? S'interposa SeokJin, provocateur. Dis-le si tu l'oses. Dis-le, que ton fils est gay. C'est plus simple d'accuser quelqu'un, pas vrai ? »
M. Kim resta interdit devant la hargne de sa propre progéniture. Ses yeux sortaient presque de leurs orbites, comme s'il n'avait jamais vu son fils ainsi auparavant. Cela devait faire un choc, que de voir quelqu'un d'aussi enfantin que SeokJin se retourner subitement contre lui.
« Mais tu te trompes, continua SeokJin, à peine plus doux. Ce n'est pas ça le truc. Le truc, c'est que j'apprécie NamJoon en tant que personne. C'est lui que j'aime, lui tout entier. Je te l'ai dit, c'est comme ça. Et je m'en fiche pas mal qu'il soit un homme ou que ça soit mon majordome. Tu ne le connais pas comme je le connais.
– SeokJin, marmonna son père, totalement prit au dépourvu. Tu ne comprends pas que ce que tu dis... C'est... Ce que tu dis à un poids considérable. Tu as des responsabilités, une image à garder, tu ne peux pas avouer ce genre de chose comme ça. »
Le châtain haussa clairement les épaules, rejetant ainsi ce soi-disant poids. Tout cela ne l'atteignait pas ou du moins, pas en apparence.
« De toute manière, tu ne pourras pas le cacher à tout le monde. Ils sont sûrement déjà tous au courant. Les invités de ce soir se feront une joie de colporter la nouvelle. Alors n'essaie même pas.
– Comment ? S'insurgea l'homme, alarmé. Que... Tu leur as dit...
– Oui. Je l'ai annoncé tout à l'heure. Devant tout le monde.
– C'est une plaisanterie. »
SeokJin eut un rire amer, mais NamJoon décela quelque chose d'autre. Il l'observa discrètement; ses mains, nouées dans son dos, tremblaient. Le majordome imaginait sans peine à quel point le châtain devait être déchiré par cette discussion et par la réaction de son père; ce dernier ne le prenait pas au sérieux. Il en eut la gorge et le coeur serré de colère et d'empathie mêlés. NamJoon tendit sa propre paume pour la glisser dans celles de SeokJin. Le geste le fit trembler; un seul frisson, celui d'un sanglot réprimé.
L'homme en face d'eux n'exprimait même plus de colère, juste un désarroi profond et visible. Il y avait une telle peine dans son regard, une telle confusion, une telle déception. Et il avait l'air si fatigué.
« Vous, dit-il mollement, en désignant à nouveau NamJoon. Je... Je suis forcé de vous virer. Vous comprenez, je ne peux pas faire autrement.
– Ça ne fait rien, répondit le majordome, en empruntant son air le plus détaché malgré sa colère. Votre femme s'est déjà chargé de ça.
– Je vois, lâcha M.Kim. »
NamJoon serra la main de SeokJin, puis la lâcha. Il engagea un geste pour se détourner, sachant qu'il n'avait plus rien à faire ici.
« Merci pour tout, ajouta poliment l'ex-majordome. J'ai eu beaucoup de plaisir à travailler pour vous. »
M. Kim ne répondit rien.
« Il me reste une chose à te dire, papa, intervint SeokJin. »
M. Kim souffla bruyamment, abattu. Son fils prit une courte inspiration. NamJoon ne voyait pas son visage, mais il était certain qu'il devait être au bord des larmes, s'il n'avait pas déjà pleuré.
« Ta femme te trompe.
– Je sais, avoua l'homme. »
NamJoon eut du mal à cacher sa surprise. SeokJin également, car il jeta un regard à son ex-majordome, l'air de ne pas comprendre. M. Kim haussa les épaules.
« Ça fait un bon moment que je le sais. Un an ou deux, peut-être.
– Et... Tu ne lui as rien dit ? S'étonna SeokJin.
– Non, comment le pourrais-je ? J'ai aussi des choses à me reprocher... Je ne veux pas provoquer un divorce. TaeHyung n'a pas besoin de subir quelque chose de similaire à ce que tu as enduré toi.
– Tu fais au moins ça pour lui, souffla SeokJin. »
M. Kim hocha tristement la tête, bien que son mouvement ressemblait davantage au signe évident de son abattement. Cet homme avait depuis longtemps abandonné. Il recula pour s'asseoir dans son fauteuil, appuya son coude sur le bureau et se prit le visage dans sa main. De l'autre, il leur fit signe de sortir. SeokJin et NamJoon le firent en silence. Le majordome savait qu'il s'agissait du dernier ordre auquel il obéissait.
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