Chap. 62: Vérité
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SeokJin ne tenait pas en place. Il lui semblait avoir retourné tout le manoir, avoir arpenté tous les couloirs, avoir ouverts toutes les portes. Même si, en réalité, il avait surtout à peine fait le tour d'un étage. Néanmoins, il avait inspecté quelques pièces –où NamJoon n'avait, en réalité, jamais mis les pieds– jusqu'à ce qu'il songe à descendre tout en bas du manoir.
Debout devant la porte des cuisines, dans cet endroit aux murs sordides, où il n'y avait pas de papier peint, pas de délicates décorations, SeokJin ne se sentait pas chez lui. Il n'était descendu dans ces environs que rarement; la dernière fois, ce fut pour rejoindre NamJoon dans sa chambre de bonne. Cette pièce si exiguë qu'au premier abord il ne viendrait à l'esprit de personne que quelqu'un puisse vivre et dormir à l'intérieur. Cela l'avait tant étonné que le souvenir était resté gravé dans sa mémoire et revenait parfois le rendre perplexe. Dans ses souvenirs néanmoins, il n'avait jamais fait attention au chemin pour s'y rendre.
De l'autre côté de la porte, les domestiques discutaient avec grand bruit, sans se douter un seul instant que le fils de leur patron se tenait juste là. Et qu'il allait ouvrir sans toquer. Ce qu'il fit.
Ce fut le silence total. Tous s'étaient arrêtés, les mains dans l'eau de vaisselle, le balais en main ou devant les fourneaux. Tous sans exception. SeokJin observa les visages tournés vers lui et, après un blanc qui dura une éternité, il recula puis referma lentement la porte. Il s'en détourna et plissa ses lèvres dans une grimace de réflexion. Il était peut-être allé trop loin pour chercher son majordome. Oui, peut-être. Il repartit dans le couloir, décidant d'oublier ce qu'il venait de faire. De toute manière, il n'avait pas trouvé son majordome dans tous ces visages étrangement inconnus mais à la fois familiers. Il avait à peine reconnu HoSeok, dans le tas.
Depuis que NamJoon avait été convoqué le matin même, son majordome avait tout bonnement disparu dans l'effervescence soudaine dans laquelle le manoir avait été plongé. SeokJin s'était inquiété, au début. Toutefois, plus il arpentait les couloirs, plus il comprenait qu'une autre réception se préparait. Si sa mère de substitution avait fait venir son majordome, c'était peut-être bêtement pour qu'il gère l'événement. Comme la dernière fois.
Oui, peut-être juste pour ça.
SeokJin passa sa main sur sa bouche et détendit partiellement ses traits, trop crispés à son goût. Il traversa un couloir, ignorant les coups d'œil étranges des domestiques qu'il croisait. De toute façon, ce n'était pas comme si l'un d'entre eux allait lui demander comment il se sentait.
Il ne savait pas où il allait, mais ses pas fermes le menaient bel et bien quelque part. Avant même qu'il ne le réalise, il était de retour dans sa chambre et s'affala sur son lit. En se tortillant un peu, le châtain hésita à tout bonnement appeler quelqu'un pour qu'il aille chercher NamJoon à sa place. Il se redressa subitement, prêt à sauter à nouveau de son lit.
Mais il n'alla pas au bout de son idée. Et si NamJoon était vraiment occupé ? Il allait le déranger, le stresser encore plus. SeokJin souffla par le nez, se laissa retomber et appuya son menton dans sa paume, le coude enfoncé dans son coussin. Il frotta son index entre ses sourcils froncés.
« Satané NamJoon. »
[...]
NamJoon se pinça le nez pour étouffer un éternuement. Ça n'était pas le moment. Il épousseta son pantalon en espérant que la marque de pied que TaeHyung avait laissé ait disparu.
Alors qu'il frotta son index sous ses narines dans un geste nerveux, NamJoon essaya de se rappeler de tout ce qu'il avait à dire. Il allait devoir aller droit au but, même s'il aurait préféré ménager SeokJin; le temps jouait contre lui. Après la discussion qu'il avait eut avec TaeHyung, il avait un peu réfléchit. Il devait la vérité au châtain. La courte pause qu'il avait réussit à se ménager en donnant quelque chose à faire à absolument tous les domestiques en charge de la réception ne lui laissait que, disons, dix minutes de répit. Dans le meilleur des cas.
Dix minutes pour avouer à SeokJin qu'il avait foiré, qu'il était viré et qu'ils allaient sûrement devoir faire leurs adieux après la réception. Il ne savait pas ce qui allait se passer ensuite. Quoi qu'il en soit, il allait bien devoir se décider à toquer. Les secondes passaient et ne l'attendaient pas.
NamJoon leva son bras mais détourna sa propre main pour frapper son front. Il leva son autre main, crispée en un poing ferme, mais à nouveau il arrêta son mouvement juste avant que ses phalanges ne touchent le bois. Il s'en mordit les doigts. Bon sang, il n'osait pas ! Le majordome piétina sur place sans faire de bruit, de peur qu'on l'entende ruminer de l'autre côté. En plus, son nez le démangeait. Il avait envie d'éternuer. Le pire serait que SeokJin ouvre la porte avant qu'il ne soit vraiment prêt à le confron–
Ah.
NamJoon cessa de gigoter et cligna bêtement des yeux. Il avait une impression de déjà vu. Une parmi tant d'autres.
« Ah, dit-il.
– Ah, répéta SeokJin. »
NamJoon se creusa la tête pour trouver quelque chose à dire. Sans succès, puisque ce fut l'autre qui prit les devants.
« Je me demandais où tu avais disparu. Mais finalement tu n'étais pas bien loin. »
Le majordome marmonna une réponse qui, en sortant de sa bouche, ne signifiait plus grand chose de véritablement compréhensible. Embarrassé par lui-même, il sentit le courage dont il s'était armé fondre comme neige au soleil. SeokJin, ignorant, s'écarta de la porte pour l'inviter à entrer. NamJoon passa le seuil précipitamment et s'en maudit; à présent, il avait l'impression d'être un idiot, car il se comportait trop bizarrement pour que le châtain n'ait pas déjà des doutes. Le silence qui suivit la fermeture de la porte ne lui parut que plus oppressant. Il se faisait peut-être des idées. Beaucoup d'idées.
Mais au vu de l'expression sur les traits de SeokJin, ce dernier se doutait déjà que la discussion n'allait pas forcément l'enchanter. Néanmoins, il fit comme si de rien n'était et alla s'asseoir sur le bord de son lit. Il joignit ses mains tel un enfant sage, bien qu'il n'en était rien.
« Tu avais l'air de vouloir dire quelque chose, dit-il simplement, avec un peu de curiosité dans la voix.
– Ou-Ouais, bafouilla NamJoon, qui était bêtement resté debout au milieu de la chambre. J'ai quelque chose à t'annoncer et euh, tu as bien fait de t'asseoir. »
SeokJin fronça les sourcils au commentaire. On pouvait presque voir les rouages tourner dans son crâne; qu'est-ce qui pouvait être si important pour qu'il doive supporter l'annonce en étant assis ?
« Je n'aime pas du tout la tête que tu fais, NamJoon, avoua le châtain.
– Ah, lâcha le majordome en retour. Il se serait bien regardé dans le miroir, juste pour voir la « tête » dont il parlait. À la place, il passa une main hésitante sur sa propre joue. Désolé. »
SeokJin fit une moue à moitié exaspérée et se leva subitement pour flâner dans la pièce. NamJoon le regarda faire. Pourquoi fouillait-il dans sa commode alors qu'il était sur le point de lui annoncer une nouvelle terrible pour eux deux ?
« Bah quoi ? Fit le jeune maître en voyant son domestique avec un air si effaré. S'il te faut encore dix minutes pour te mettre à parler de ce qui ne va pas, je compte bien m'occuper en attendant. Tu peux t'asseoir, si ça t'aide à te décider. »
Quel insolent, songea NamJoon en grinçant presque des dents. Il aurait mérité une leçon de morale, mais le majordome n'avait vraiment pas la tête à ce genre de chose. Ce n'est pas comme ça qu'il voulait que l'autre se souvienne de lui une fois qu'il ne sera plus là.
La simple idée de partir le tourmentait déjà.
« Tu tires vraiment une tête d'enterrement, commenta encore SeokJin. T'as mangé un truc périmé ?
– À ce point ? »
Le châtain hocha la tête plusieurs fois. NamJoon soupira mollement.
« Madame Kim veut que j'organise cette réception. C'est la dernière fois que je le fais, expliqua-t-il.
– C'est ça qui t'inquiète ? Si tu aimes tant que ça organiser des fêtes, tu n'as qu'à le dire. De toute manière, elle adore ça alors...
– Non Jin, interrompit le majordome. Tu ne comprends pas, c'est la dernière fois de toute ma carrière. Je suis viré. »
SeokJin le regarda sans paraître saisir ses mots durant cinq longues secondes. Puis il fronça les sourcils et, alors que le silence se prolongeait, esquissa un sourire incertain. Il croisa les bras et inspecta son majordome du regard, comme s'il essayait de flairer une supercherie, mais il ne vit rien d'amusant sur le visage de NamJoon. Pas un seul rictus. Juste son air grave et sérieux.
« C'est une blague ?
– Non, répondit le majordome, les lèvres pincées. Il répéta l'annonce, bien que cela lui faisait mal de le dire à nouveau. Je suis viré. Je dois partir après la réception, sinon...
– N'importe quoi, balbutia SeokJin, qui venait tout juste de réaliser qu'il ne s'agissait pas d'une farce. Pour qui elle se prend ? Ce n'est pas à elle de décider de ça ! »
Il se précipita brusquement vers la porte mais NamJoon l'intercepta avant qu'il ne l'ouvre. Le majordome lui agrippa les épaules pour forcer son regard dans le sien. SeokJin était furieux et sa voix était emplie de haine lorsqu'il s'exclama aussitôt:
« Elle n'a pas le droit ! »
Il essaya de se dégager de la prise de NamJoon, sans grand succès, et cela l'agaça.
« Laisse-moi passer, je dois aller lui parler, je dois lui dire ce que j'en pense, de sa décision de m–
– Ça ne sert à rien Jin, s'empressa de répondre le domestique, qui sentait que tout allait partir en vrille s'il le laissait passer. Même son vocabulaire avait déjà viré de bord. Elle a tous les droits ici, et elle a de quoi nous faire chanter.
– Mais tu es MON majordome ! »
SeokJin le regarda droit dans les yeux, comme si le simple fait de le dire était un argument suffisant. NamJoon réalisa alors qu'il était au bord des larmes. De tristesse ou de colère, impossible de les démêler; les traits crispés du châtain vacillaient entre ces deux états. Le majordome eut alors une faiblesse dans les bras, comme s'il allait le lâcher et finalement le laisser aller. Il sentait son nez le picoter et sa gorge se serrer affreusement. Il baissa les yeux, incapable de regarder l'autre en face.
« Ça ne sert à rien, répéta-t-il encore, tout bas, d'une voix quasi étouffée. Si tu vas lui parler dans cet état, tu risques d'aggraver la situation. Il faut... il faut rester calme et...
– Et alors ? Marmonna douloureusement SeokJin. Je la déteste de toute manière, alors qu'est-ce que ça change que j'y aille comme ça ? Qu'est-ce que ça va changer ? »
NamJoon le lâcha et appuya son dos contre la porte. Il passa ses mains sur son front et remarqua qu'elles tremblaient un peu. Son cerveau réfléchissait à toute vitesse, poussé à fond par les émotions, mais c'était comme si ses pensées tournaient en rond et faisaient une boucle infinie dont il n'arrivait pas à s'extirper.
« Je voulais juste te dire la vérité, marmonna-t-il. Je devais te la dire. Cette fois-ci... il n'y a pas de solution. »
SeokJin renifla et s'essuya rageusement les joues. Sa colère le rongeait tant qu'il devait la faire sortir, peu importe si elle touchait NamJoon involontairement.
« Au fond tu t'en fiche, c'est ça ? Tu fais comme les autres, accusa-t-il avec ardeur. Quand il n'y a plus de solution, tu t'en vas, tu abandonnes, tu prends la fuite ! C'est plus simple, plus simple pour toi...!
– Jin, ne dis pas ça...
– Ça ne te touche pas, pas vrai ?
– Si, bien sûr que si, mais...! »
NamJoon manqua de s'étrangler avec ses mots et sa peine. Pourquoi le châtain n'ouvrait-il pas les yeux sur sa situation, pourquoi ne voyait-il pas l'impasse qui se dressait devant eux ?
« Mais imagine que tu y arrives, qu'elle revienne sur sa décision, et ensuite ? Continua le majordome. Elle va me pourrir la vie si je reste, Jin. Elle va nous pourrir la vie. »
SeokJin se mordilla les lèvres sans savoir quoi répondre à ça. Il contenait sa colère mais n'arrivait pourtant pas à cesser de piétiner, ni à arrêter de croiser les bras pour les décroiser ensuite sans arrêt. Le besoin urgent de sortir de la chambre lui compressait l'estomac, toutefois son amant se dressait sur son chemin et il ne pouvait rien y faire.
« Elle risque aussi de tout raconter à ton père, continua NamJoon, sur le même ton de panique et de détresse mêlée.
– Lui raconter quoi ? S'exclama SeokJin, les nerfs à vif.
– Elle sait pour nous deux, et elle a menacé de le dire à ton père. C'est pour ça que je ne peux rien faire ! Qu'est-ce qu'il penserait de son fils s'il apprenait ?
– Mais je m'en fiche de ce qu'il peut bien penser, insista nerveusement le châtain, alors que tout se mélangeait dans son crâne. S'il se souciait vraiment de moi, il... »
Il ne termina pas, et le silence dévora la fin de sa phrase. Il souffla bruyamment par le nez et reprit, avec toujours plus d'ardeur:
« Je m'en fout de ce qu'il pense.
– Ce n'est pas vrai, le contredit NamJoon, têtu lui aussi mais surtout face à une véritable impasse. »
Il ne savait pas comment gérer la suite, et il avait l'impression d'aller droit dans le mur. Le châtain faisait à présent des allers et retours devant lui, d'un pas trop certain. Il s'arrêta brusquement.
– S'il me rejette, alors je viens avec toi, décida subitement SeokJin. Tu pars, je pars.
– Non, s'étrangla presque le majordome en secouant la tête. Ce qu'il craignait venait d'arriver. Non, ça ne marche pas comme ça... Tu ne peux pas– tu ne peux pas décider de ça à la légère. »
Effronté, le châtain croisa les bras dans une posture de défi. Il était trop borné pour admettre que son idée était insensée.
« Ma décision est prise. »
NamJoon secoua à nouveau la tête. Il ne pouvait pas le laisser faire ça; c'était déraisonnable, totalement exagéré. Il ne voulait pas en arriver là, mais à présent qu'il voyait le châtain prendre le pire chemin, il ne voyait pas d'autre solution.
Sa gorge se serra. NamJoon prit une grande inspiration, comme s'il allait plonger dans le vide. Il avait l'impression d'avoir du sable dans la bouche lorsqu'il articula les mots qui scellèrent leur destin respectif.
« C'est terminé. »
Silencieux, l'expression du châtain se décomposa petit à petit.
« C'est terminé entre nous, Jin, répéta NamJoon. On arrête tout.
– Quoi ? SeokJin sembla totalement désarçonné. Qu'est-ce que tu racontes... ça ne peut pas, non... »
Le majordome arbora l'air le plus détaché qu'il pouvait offrir à cet instant précis. Son cœur battait furieusement dans sa poitrine et il avait l'impression que le regard brûlant de son interlocuteur allait transpercer sa peau.
SeokJin fondit en larme sous ses yeux.
Y assister déchira quelque chose dans son torse, entre ses côtes douloureuses. Sa vue devint floue et il s'empressa d'essuyer ses paupières mouillées, sans vraiment y parvenir. La tristesse de SeokJin rendait l'air entre eux si lourd qu'il en devenait presque irrespirable.
« T'es vraiment le pire, NamJoon, sanglota le châtain, alors qu'il cachait son visage inondé sous des mains tremblantes. La colère faisait tressaillir sa voix. Comment tu peux me faire ça, après... après tout ça– »
Immobile, NamJoon resta de marbre et muet comme une tombe. Il ne pouvait qu'être d'accord; lui aussi se trouvait affreux, si affreux qu'il en avait honte. Il n'osait même plus le regarder pleurer. C'en était trop pour lui.
NamJoon emprunta la porte contre laquelle il était appuyé. Dans le couloir, il entendait toujours SeokJin sangloter. Il faisait ce dont le châtain l'avait si violemment accusé; il prenait la fuite.
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Ouais euh, voilà quoi.
Pour celles et ceux d'entre vous qui lisent également Abysse, moonkokyuu en a fait un manga et il est vraiment cool alors allez y jeter un coup d'œil :D
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