Chap. 50: Soirée
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Le soleil avait décliné, terminant sa course dans l'océan et, comme la queue d'une comète, il avait laissé derrière lui une traînée orangée, uniquement visible dans l'eau calme de l'étendue bleutée. À mesure que le temps passait, les activités de l'île se faisaient plus festives, plus bruyantes.
La majorité des touristes de l'hôtel étaient partis s'amuser hors de l'établissement luxueux, et la famille Kim se retrouva donc dans une ambiance assez calme en pénétrant dans le restaurant se situant au rez-de-chaussée du bâtiment. La grande salle n'était pas bondée, mais une bonne partie des tables étaient tout de même occupées. Un léger bruit de fond ainsi que la musique entraînante d'un petit orchestre couvrait les moindres silences, et malgré cela, l'ambiance était loin d'être dérangeante.
NamJoon accompagnait SeokJin, se tenant à ses côtés, prêt à intervenir au besoin. Il était encore un peu contrarié de ce qui s'était déroulé avant, mais le souvenir prédominant restait tout de même son étrange découverte; le collier qu'il avait trouvé par hasard, et qui contenait deux photos, dont une qu'il n'avait pas pu identifier, faute de temps.
Cette impression dérangeante le perturbait. La curiosité le rongeait, il n'avait jamais autant désiré connaître l'identité de quelqu'un; et malheureusement, il n'allait sûrement jamais le savoir.
NamJoon secoua vaguement la tête, comme pour reprendre ses esprits. C'était mal, il ne devait même pas penser à aller de nouveau fouiller dans les affaires de son jeune maître. D'ailleurs, il avait autre chose à faire à l'instant; SeokJin le regardait intensément, sûrement attendait-il que son cher majordome tire sa chaise pour qu'il puisse s'asseoir, ce que NamJoon fit, au bout du compte.
La petite famille s'installa autour de la table dressée et, chose surprenante, les deux frères étaient assis côte à côte, comme si c'était absolument normal. NamJoon observa attentivement les regards que ces deux-là se lancèrent; il fit soudain le parallèle avec la venue de TaeHyung, l'autre fois, et détourna les yeux aussitôt. Dans un coin de sa tête, il constata qu'HoSeok n'était pas présent.
Une deuxième chose surprenante survint peu de temps après. Alors que le majordome se tenait non loin, SeokJin tourna vaguement la tête vers lui, comme s'il ne voulait pas attirer l'attention mais qu'il souhaitait tout de même lui parler. NamJoon l'écouta attentivement, bien qu'un peu surpris, lorsqu'il dit:
« Je te libère de tes fonctions, le temps du repas. Il marqua une pause, jeta un regard à ses parents qui discutaient du choix du vin avec le serveur, puis reposa ses prunelles sur son domestique. Profites bien de ton temps libre, ajouta-t-il. »
Et d'un signe de main, il lui indiqua de s'en aller. NamJoon recula, hésitant, mais finit tout de même par obéir. Il laissa les deux frères ensembles et disparut de la grande salle à manger, un peu perplexe cependant.
Instinctivement, il remonta les escaliers, franchit quelques couloirs et ce, jusqu'à la chambre de SeokJin, mais au lieu d'aller dans la sienne, qui se trouvait juste à côté et qu'il n'avait presque jamais occupé, il sortit sa carte magnétique, puis entra dans la pièce du châtain.
Il referma la porte sans un bruit. Le silence régnait comme un tyran dans cette salle exagérément grande pour une seule personne. NamJoon, unique être vivant dans un tel endroit, se sentit soudain tel un intrus. Il savait ce qu'il venait faire ici, et lui-même ne l'approuvait pas. Pourtant, sans parvenir à se convaincre de la malhonnêteté de ce qu'il envisageait, le jeune homme se dirigea tout droit vers la penderie, là où attendait les bagages.
Il s'accroupit devant la valise et il n'eut aucune peine à trouver ce qu'il cherchait; il lui avait suffit de soulever une pauvre chemise pour tenir entre ses mains le collier.
Sachant déjà ce qu'il contenait et comment l'ouvrir, NamJoon activa le petit mécanisme pour révéler les photographies à sa vue. Avec délicatesse, il écarta celle qui représentait la femme et se saisit de l'autre. Là, il observa avec attention le cliché qui avait tant piqué sa curiosité.
Il s'agissait tout bonnement d'un homme assez âgé. Il souriait à l'objectif, et son visage, empli d'une sagesse et d'une bonté propre aux personnes d'un certain âge, reflétait une sincère sympathie. Ses cheveux étaient totalement gris, presque blanc. Il était habillé comme un domestique; veston noir, chemise blanche. Malgré la vieillesse, il se tenait avec une droiture inébranlable. Le papier avait les bordures déchirées, et de ce fait, on pouvait aisément conclure que le portrait appartenait sûrement à une autre photographie, plus grande. Preuve de plus, on pouvait même apercevoir le haut de la tête d'un enfant, dont on ne voyait que les cheveux bruns dépasser.
Cette photo provoqua un sentiment étrange chez NamJoon; pourquoi SeokJin gardait-il si précieusement le cliché d'un vieux domestique ? Il avait beau y penser, il ne trouvait pas un soupçon de réponse. Tout cela ne fit que le troubler, aussi décida-t-il qu'il en avait assez vu. Il remit tout à sa place et cacha le collier au fin fond de la valise, là où il ne le verrait plus. Puis il se releva, perturbé.
Que faire, à présent ? Il lui fallait tuer le temps, mais NamJoon savait qu'il allait perpétuellement être hanté par ce qu'il venait de découvrir, et ce, des heures durant, jusqu'à ce qu'il ait une réponse satisfaisante. Il n'allait pas pouvoir empêcher son cerveau de cogiter.
Il allait vivre une soirée de tourment.
[...]
SeokJin attendit que le repas soit totalement terminé pour enfin daigner prendre en compte la présence de son demi-frère, qui lui avait lancé des regards insistants tout au long de la soirée. Leurs parents, quant à eux, étaient partis au bar siroter un cocktail entre adultes, les laissant seul à leur table.
Vaguement diverti, SeokJin balada son regard d'un point à un autre, observant tantôt l'orchestre qui enchaînait les morceaux depuis le début de la soirée, tantôt les autres tables où les vacanciers terminaient leurs mets. Mais il sentait qu'on le regardait, que son demi-frère le fixait ardemment. Cette pression était là depuis un moment déjà, et il commençait à trouver cela agaçant.
Lorsque ses deux orbes noisettes se posèrent finalement sur lui, l'expression de TaeHyung passa d'une sorte d'inquiétude à une once de soulagement. SeokJin le vit bien et se dit, dans un coin de sa tête, qu'il ferait peut-être mieux d'être plus doux avec lui. Ses traits s'adoucirent, s'accordant avec l'ambiance posée du restaurant, mais lorsqu'il remarqua son propre comportement, il se ravisa.
« Tu voulais quelque chose ? débuta le grand brun, en saisissant la carte des desserts et en y jetant un coup d'œil. Il semblait lui proposer un dernier plat, mais ce n'était pas le cas. »
TaeHyung hocha la tête, s'agita un peu sur sa chaise et, ses mains tripatouillant le bord de la nappe, il se lança vaguement.
« Moui, marmonna-t-il. Je... je, enfin, c'était au sujet de la dernière fois, où–
– Tu t'es déjà excusé, interrompit SeokJin, en abaissant sa carte. Il ne voulait pas parler de cela maintenant, pourtant il n'allait pas avoir le choix.
– Oui, répondit TaeHyung. Mais toi, tu ne m'as pas pardonné. »
Le grand brun grimaça légèrement. Effectivement, il ne lui avait pas pardonné. À vrai dire, il n'avait jamais cessé d'être acerbe avec lui depuis ce jour, depuis les accusations de NamJoon. SeokJin lâcha un « tss » d'agacement, plus hautain qu'il ne l'était en réalité.
« Et alors ? »
Le coin de la bouche de TaeHyung tiqua. Lui aussi, il prit un ton provocateur.
« Je ne comprend pas, débuta le plus jeune, comme s'il allait se lancer dans une très longue tirade. Pourquoi tu réagis comme ça pour un simple majordome ?
– Il s'appelle NamJoon, rectifia SeokJin, acerbe. Et ce n'est pas un simple majordome.
– Alors qu'est-ce que c'est ? s'énerva TaeHyung. »
Silence. SeokJin regarda ailleurs, car il sentait la colère monter. Bizarrement, il n'avait vraiment aucune envie de s'énerver maintenant, surtout pas contre son frère. Du moins, pas une fois de plus.
TaeHyung parut se calmer soudainement. Ses épaules redevinrent moins raides, plus lâches. Cependant, il garda sa mine contrariée.
« Tu n'as jamais réagi comme ça pour les autres, constata alors le brun, à mi-voix. »
Un autre silence, plus long. SeokJin se retint de dire que les autres, eux, n'étaient jamais restés aussi longtemps à ses côtés, n'avaient jamais été comme NamJoon. Ils s'étaient succédés sans raison, le quittant sans justification, laissant alors suggérer que leurs départs étaient dûs à SeokJin et à sa personnalité désagréable. Ce dernier n'avait, dans ces moments-là, plus que son frère vers qui se tourner.
Soudain, le châtain comprit pourquoi TaeHyung semblait si réticent et si amer. Il ne passait plus de temps avec lui depuis que son majordome était là. Pourtant, SeokJin doutait. Ne devrait-il pas, au contraire, être heureux pour lui ? Heureux que quelqu'un veuille enfin rester à ses côtés malgré son caractère ?
Il se tourna vers son demi-frère, exempt de toute aversion. Puis il détourna les yeux, posant ses orbes noisette sur un point vague, dans la pièce.
« Qu'est-ce qu'il y a de différent, cette fois ? marmonna TaeHyung, en le voyant fuir ainsi.
– Je ne sais pas, mentit SeokJin dans un murmure. Je... je pense que lui, il ne me laissera pas tomber. »
Son ton, malgré le peu de volume qu'il y avait mis, était convaincu. Du moins, il l'espérait avec tant de force qu'il avait fini par être certain de ce qu'il avançait. Il avait confiance en NamJoon. Jamais il ne partirait comme les précédents, jamais il ne le laisserait.
TaeHyung était abattu, mais l'autre ne le vit même pas. Il se leva subitement, faisant horriblement grincer les pieds de la chaise. Les regards se tournèrent vers lui. Celui de SeokJin également, qui afficha un air surpris.
« Moi aussi, je ne t'aurai pas laissé tomber. Mais là, c'est toi qui m'abandonne, lâcha TaeHyung, la gorge serrée. »
Il amorça un mouvement pour s'enfuir, la tête basse, mais la main de SeokJin attrapa son poignet pour l'empêcher de partir. Les deux frères se regardèrent dans le fond des yeux.
Le grand brun regrettait d'avoir été si négligeant. À présent, ça lui semblait stupide, déraisonnable. Il ne savait même pas pourquoi il continuait à être si désagréable avec le garçon qu'il considérait comme son vrai frère. SeokJin plissa ses lèvres, pensif.
« C'est vrai, je ne t'ai pas pardonné pour l'autre fois, dit-il lentement, alors que le visage de TaeHyung se décomposait lentement. Et c'est stupide. »
Il posa la carte qu'il tenait avec sa main libre sur la table, puis serra doucement le poignet de l'autre. Sa langue formula les mots avec plus de peine qu'avant, comme si son ego le retenait de s'exprimer.
« Je suis désolé pour ça... »
TaeHyung secoua la tête de gauche à droite, chassant précipitamment ces mots qu'il ne voulait pas entendre. Il se rassit précipitamment, se laissant presque choir sur la chaise, l'air peiné. SeokJin lui adressa un sourire sincère, rien que pour lui. Il frotta le dos de la main de son frère, comme pour le consoler. Dès cet instant, les mots ne furent plus vraiment nécessaire.
« Tu veux que je commande une tarte au citron pour toi ? demanda gentiment le châtain, comme pour sceller leur réconciliation. »
TaeHyung esquissa un faible sourire, soulagé. Il hocha la tête vivement.
[...]
La chambre était silencieuse, morte, immobile. NamJoon était installé sur le sofa une place, dont le moelleux ne parvenait pourtant pas à chasser ce pourquoi son cerveau cogitait tant.
Affalé ainsi, il fixait un point dans la pièce, les sourcils un peu froncés. Les valises n'étaient toujours pas rangées correctement depuis qu'il avait fouillé. Il n'était même pas retourné dans sa propre chambre d'hôtel, restant dans celle de son jeune maître sans même en connaître la raison.
NamJoon n'entendit le bruit de la poignée que lorsque SeokJin entrait déjà dans la pièce et referma derrière lui. Les deux hommes se fixèrent alors, en silence, sans rien échanger d'autre que des regards.
SeokJin parut vaguement se gratter l'arrière de la tête. Il bascula son poids sur une autre jambe, l'air légèrement incertain.
« Tu voudrais pas... qu'on aille faire un tour ? »
NamJoon fut surpris par la demande et il ne le cacha pas. Il était déjà très tard, toutefois, il hocha la tête machinalement pour accepter. Il avait peut-être bien besoin de prendre l'air, histoire de se rafraîchir les idées.
Ils se préparèrent rapidement, n'emportant avec eux que leur mutisme et leurs chaussures. Lorsqu'ils sortirent de la chambre et que NamJoon referma derrière eux, il avait l'impression d'être un adolescent privé de sortie; il avait peur de se faire voir. Mais voir par qui ? La question restait entière.
Le jeune homme suivit SeokJin, collant presque à ses talons. Plus ils longeaient le long couloir en direction de l'ascenseur et moins NamJoon se sentait à son aise. Mais ils s'engouffrèrent dans la cabine de métal sans que rien ne leur fasse obstacle. Le grand brun, lui, gardait un calme olympien à juste titre. Il appuya froidement sur la touche du rez-de-chaussée, les portes se refermèrent, cachant de justesse les silhouettes qui apparaissaient à l'angle du couloir.
À nouveau, ce fut SeokJin qui ouvrit la marche en sortant de l'ascenseur. NamJoon suivit, muet, observant tous les visages inconnus qu'il croisait en passant devant la réception, sans pourtant parvenir à tous les voir, et ce jusqu'aux grandes portes vitrées donnant sur l'extérieur. Le brouhaha s'estompa alors, et les deux hommes n'eurent aucun mal à trouver le chemin menant à la plage privée de l'établissement. Le béton laissa place à un ponton en bois, puis à du sable.
Devant lui, NamJoon parvenait à deviner que l'océan s'étalait, qu'il était là, tapis dans l'ombre, à grignoter le sable par à-coup. Il sentait l'air humide sur son visage. L'odeur salée envahissait ses narines. Il jeta un coup d'oeil à SeokJin, qui se tenait plus en avant.
Il faisait sombre, trop pour parvenir à distinguer la limite exacte entre eau et terre. Néanmoins, l'éclat pâle et discret de la lune ainsi que les éclairages venant de l'hôtel de luxe, plus en arrière, les aidaient dans leurs déplacements; ils savaient ainsi où se trouvait l'autre.
Les mains dans les poches, NamJoon se demanda s'il devait ôter ses chaussures; il eut sa réponse lorsqu'il vit SeokJin quitter ses tongs pour les laisser là, dans le sable mi-humide mi-sec. Le plus jeune en fit de même, plus précipitamment ceci dit, afin de ne pas quitter des yeux le châtain. Ce fut étrange de sentir le sable sous ses pieds sans le voir clairement.
SeokJin avança sans hésitation, et NamJoon lui lança alors un « attend » qui sonna très inquiet. Il craignait ce qu'il n'apercevait pas, là-bas, vers cette étendue infinie, et voir SeokJin s'y diriger l'angoissait étrangement.
Le châtain se retourna en entendant la supplique de l'autre; il tendit alors ses mains, et NamJoon, qui l'avait rattrapé, s'en saisit. SeokJin fit quelques pas en arrière, frissonnant lorsque l'eau froide vint lécher ses talons. Il tira sur ses bras pour que l'autre se retrouve aussi les pieds dans l'océan, et la plainte que cela arracha à NamJoon fit glousser le jeune maître.
« Ne vas pas trop loin, ordonna le plus jeune, en prononçant ces mots davantage comme une complainte que comme un ordre. »
SeokJin esquissa un sourire, mais dans l'obscurité, ce ne fut qu'un mouvement brouillon. En compensation, NamJoon serra ses doigts dans les siens, les emmêlant pour ne plus les dissocier.
« Tu as peur ? lâcha alors le châtain. Sa voix sonnait curieusement. »
NamJoon secoua la tête en signe de négation. Son geste fut perçu.
« Même pas un petit peu ? »
Le grand rose haussa les épaules, moins certain qu'avant.
« Si quelque chose arrive, l'hôtel est trop loin pour qu'on s'en aperçoive et que l'aide vienne...
– Alors je compte sur toi pour me sauver, dit SeokJin, rieur, tout sauf sérieux. Et puis, si personne ne peut venir m'aider, ça veut aussi dire que personne ne peut venir nous déranger. »
Le bruit des vagues couvrit le silence. NamJoon sentait les phalanges de l'autre se resserrer doucement mais fermement sur ses propres mains. Il baissa les yeux pour voir leurs paumes ensembles, puis releva la tête pour poser son regard sur le visage mi-éclairé de SeokJin.
D'un coup, il tendit les bras et l'attira vers lui. NamJoon saisit le châtain à bras le corps, agrippant ses hanches. Leurs torses s'entrechoquèrent presque, et ils n'étaient partiellement séparés que par les bras de SeokJin, qui se retenait à lui par les épaules.
Il sentait son souffle sur son menton. Ainsi dans l'obscurité, il était certain que personne ne pouvait les voir, et c'était bien trop tentant. SeokJin tendit son cou au moment même où NamJoon se décida. Leurs bouches se rencontrèrent maladroitement, hésitantes malgré la nuit qui les couvrait. Les vaguelettes se brisaient contre leurs chevilles, et le sable chatouillait leurs pieds.
Ombre parmi les ombres, aucun des deux n'aperçu la silhouette qui s'évanouit dans le noir, en direction des milles feux de l'hôtel.
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Allez, encore 50 chapitres ?
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