Quarante deuxième tintement
Yoongi se trouvait dans le hall de l'hôpital. Il avait signé les papiers de sortie avec un certain soulagement et avait décidé d'attendre ses amis dans ce lieu ouvert sur l'extérieur que les rayons du soleil inondaient de chaleur.
Il s'avança vers le distributeur après avoir posé au sol le sac contenant ses maigres affaires.
Il allait choisir un café quand il se souvint des paroles du médecin et finit par prendre un chocolat.
Pas d'excitants, lui avait-il dit.
Il s'assit sur l'un des fauteuils qui décoraient l'entrée et laissa son regard errer sur les personnes qui s'y trouvaient.
Les hôpitaux et les églises avaient cela en commun, les gens s'y mélangeaient sans distinction de classe, d'âge ou de sexe. On y touchait le bonheur comme ce couple qui se penchait avec un sourire sur un berceau dans lequel un enfant de quelques jours dormait. On y croisait le malheur, comme cette jeune fille vêtue de noir qui pleurait l'un de ses disparus.
On y côtoyait la vie, on y côtoyait la mort.
Chacun redevenait égal face aux événements de la vie.
Il se sentait étranger à tout cela, comme si son cœur s'était mis sur pause pour ne battre à nouveau que le jour où il croiserait son visage.
Sera-t-il capable de continuer à vivre malgré le trou béant dans sa poitrine ?
Il finit son gobelet avec une grimace et se leva pour le jeter dans une poubelle quand il fut interpellé au loin par Jungkook qui arrivait en courant, Hoseok sur les talons.
Ils s'arrêtent devant lui en riant, lui tirant un sourire malgré son humeur morose.
- Il faut qu'on se dépêche, Taehyung est garé en double file et jure comme un charretier de ne pas avoir pu descendre, dit le régisseur.
- Ce qu'il laisse présager un après-midi de merde, conclut Hoseok avec un sourire. Donne-moi ton sac, dit-il en se penchant vers Yoongi pour récupérer son bagage, mais celui-ci devança son geste et le serra contre lui.
- Ça va, Hoseok ! Je vais bien, je peux le faire.
Son ami hocha la tête sans se formaliser de son ton un peu sec et s'approcha de lui.
- Et c'est tant mieux, dit-il en lui ébouriffant les cheveux.
- Hey !!
- Rhoo, j'ai peur, répondit-il avant de lui prendre le sac de force et de se mettre à courir vers la sortie.
- Je vais lui botter le cul ! dit Yoongi.
- Il est simplement heureux, répondit Jungkook, qui les avait vu faire d'un air amusé. On l'est tous... Allez viens, dit-il en lui passant un bras autour des épaules. "Princesse" nous attend.
Yoongi eut un sourire et calqua son pas sur celui du régisseur. Il avait perdu quelque chose de très précieux, quelque chose dont il sentirait le manque toute sa vie, mais il était chanceux d'avoir des amis tels que ces trois-là.
Ils quittèrent les lieux sous le regard d'un homme qui les avait observés de loin, souriant de constater que leur complicité était toujours présente.
Il les suivit à distance jusqu'à ce qu'ils rejoignent une voiture qui était stationnée en double file. Il regarda le jeune homme brun sortir du véhicule pour sauter dans les bras de son ami qui fit mine de le repousser avec une expression agacée, mais dont le sourire trahissait le bonheur de le revoir.
Il les fixa encore un court instant de ses yeux d'émeraude et détourna le regard avec un soupir pour prendre la direction opposée.
- Attends-moi, murmura Malone Jace Devereaux.
...
Le trajet de retour se fit dans une cacophonie qui lui donna mal à la tête. Taehyung et Hoseok ne cessaient de babiller sur tout et sur rien sous le regard blasé de Jungkook.
Yoongi posa sa tête contre la vitre et se laissa bercer par les vibrations du véhicule, faisant abstraction des voix autour de lui et de la radio qui diffusait un air de jazz.
Cela le ramena quelques mois plus tôt, quand il avait pour la première fois pris le chemin de la plantation, ne s'attendant pas à ce que sa vie soit bouleversée jusque dans ses fondations.
Les odeurs et les couleurs y étaient différentes d'alors, l'hiver commençait à laisser sa place au printemps, mais la sensation était la même, celle d'être happée.
Il appréhendait le retour autant qu'il était impatient. Il se réjouissait de retrouver ce qui était devenue sa maison au fil des semaines, mais ne pouvait s'empêcher de craindre le souvenir omniprésent de Jimin dans chaque pièce qu'il traverserait.
Chaque pierre, chaque meuble, chaque rayon de lumière qui viendrait s'écraser sur le parquet lui rappellerait qu'il n'était plus là.
Un échiquier abandonné, une montre qui s'était arrêtée, un fantôme disparu.
Il fut tiré de ses pensées par l'arrêt du moteur.
Il regarda autour de lui et descendit de la voiture pour inspirer à pleins poumons cette odeur de végétation, mélangée à la vase du bayou qui était la signature olfactive de la propriété.
Sans un mot et sous les regards anxieux de ses amis, il récupéra son bagage et se dirigea vers l'entrée où Paisley l'attendait, un sourire de bienvenue sur les lèvres. Elle le serra dans ses bras et s'effaça pour le laisser entrer.
La première chose que Yoongi vit, fut le portrait de Jimin qui le regardait de son regard magnétique. Il s'y perdit un instant avant de détourner la tête.
- Je vais poser mes affaires, déclara-t-il sans se retourner, la gorge nouée, avant de se diriger vers les escaliers.
Il ouvrit sa porte et s'arrêta en sentant une caresse contre sa jambe. Il baissa les yeux et rencontra le regard péridot de Casper qui l'observait.
Il se pencha et caressa le petit corps avant d'entrer dans sa chambre.
Il jeta son sac sur le lit et embrassa la pièce du regard pour redécouvrir cet endroit qui avait abrité les soupirs de ses étreintes.
Il fut pris d'un élan de panique quand il s'aperçut que l'odeur de vanille qui y flottait avant, avait été remplacée par celle de lessive des draps fraîchement changés et par un vague relent de peinture qui persistait dans l'air, malgré l'éloignement des pièces rénovées.
Il porta la main à sa gorge. Il se sentit étouffer et se dirigea vers la fenêtre pour l'ouvrir, espérant que l'air de l'extérieur lui ferait du bien, mais son regard tomba au loin sur le bouquet d'arbres qui abritait le mausolée.
Il fit aussitôt demi-tour et ressortit de la chambre pour descendre les escaliers quatre à quatre et se précipita dehors sous le regard surpris de ses amis qui le virent passer en courant, à travers les fenêtres de la cuisine dans laquelle ils s'étaient réunis.
Taehyung voulut le suivre, cependant Jungkook l'en empêcha.
- Reste là, je m'en occupe, lui dit-il avec une caresse sur sa joue. Il posa un baiser léger sur ses lèvres avant de sortir de la pièce.
...
Yoongi continuait de courir, son cœur battait la chamade et il eut peur un instant qu'il lâche à nouveau. L'angoisse déroulait ses tentacules et l'enserrait de ses bras glacés. Les souvenirs revenaient par vagues, lui arrachant des plaintes de désespoir.
Il eut l'impression qu'il allait mourir, puis se rappela que la mort n'avait pas voulu de lui, qu'il avait fait la promesse de vivre envers et contre tout, même si chaque souffle qui sortirait de ses lèvres ne serait que douleur.
Il arriva enfin au pied de l'ange et s'y assit comme il l'avait fait plusieurs fois auparavant. Il n'y sentait plus la présence de Jimin, il était parti à jamais.
Il aurait voulu pleurer, mais il n'avait plus de larmes.
Il resta ainsi, prostré dans les bras de la statue, à observer les remous hypnotiques de la rivière qui brillait de reflets orangés dans le couchant, la tête emplie de lui.
Il ne bougea pas quand Jungkook vint s'asseoir à ses côtés.
- Tu veux en parler ? demanda doucement le régisseur.
Yoongi secoua la tête.
- Je crois qu'il n'y a rien à dire.
- Peut-être que parler te soulagerait...
- Je savais que ce serait dur, je dois apprendre à vivre avec la douleur de son absence dorénavant. C'est une chose que moi seul peut gérer.
Jungkook leva le bras et le passa autour de ses épaules.
- Je le sais et nous le savons tous, mais n'oublie pas que nous sommes là pour toi et que nous ne te jugerons jamais.
Yoongi tourna la tête vers lui.
- Je sais...
Ils restèrent un moment sans parler. Jungkook avait ôté son bras et s'amusait à arracher des brins d'herbes, en écoutant la respiration de Yoongi qui avait repris un rythme normal.
Il savait que son ami serait soumis désormais à des crises d'angoisses parfois violentes.
Son corps se défendait de cette façon des traumatismes qu'il avait vécus, la mort, la peur, le manque, le deuil.
- Jimin me manque, j'ai l'impression que l'on m'a amputé d'une partie de moi alors que je n'ai jamais ne serait que vécu une journée normale avec lui, déclara Yoongi à voix basse. Notre histoire m'a pratiquement amené aux confins de la folie. J'ai vécu des choses que personne n'a jamais pu voir et j'ai failli perdre la vie deux fois. Je porterai son deuil toute ma vie et pourtant tu sais quoi ?
- Quoi ? demanda Jungkook.
Yoongi soupira.
- J'ai l'impression de toucher du doigt quelque chose que je n'arrive pas à atteindre.
- Comment ça ?
- Je ne sais pas, si je fais abstraction de toutes ces émotions qui noient mon cœur de larmes, j'ai l'impression qu'il reste encore quelque chose de positif.
- De l'amour ?
- Oui et surtout de l'espoir, répondit Yoongi en se levant et en ôtant la poussière qui s'accrochait à son jean.
Il tendit la main à Jungkook et l'aida à se redresser.
- Et j'ai décidé de m'accrocher à ça. L'espoir...
...
Ils regagnèrent la plantation en marchant côte à côte.
Au loin, la lumière du porche brillait et Yoongi pouvait distinguer la silhouette de Taehyung qui faisait les cent pas.
Il eut un sourire et se retourna vers Jungkook dont le regard était fixé vers l'écrivain.
- Alors raconte...
Le régisseur se retourna brusquement vers lui.
- Raconter quoi ?
- J'ai peut-être le cœur brisé, mais je ne suis pas complètement aveugle, tu sais.
Il eut la surprise de voir Jungkook détourner le regard en rougissant.
- Tu sais, vous n'êtes pas obligés de vous cacher, ça se lit dans vos yeux.
- On ne voulait pas...
Yoongi s'arrêta de marcher, le faisant stopper net.
- Tu es un abruti, Jeon Jungkook, si tu crois que je suis incapable de me réjouir pour vous. Quel que soit le poids de mon fardeau, quels que soient mes peines et mes douleurs, mes larmes ou mes cris, votre amour ne peut m'apporter que du réconfort, tout comme celui de Hoseok et Paisley.
Je ne sais pas comment tourneront les choses, mais chaque parcelle de bonheur que je verrais autour de moi et qui m'apportera des étincelles sera une bataille de gagnée sur ce qui me ronge.
Aimez-vous, vivez comme je ne peux le faire, ne vous cachez pas. Vous, mes amis, êtes ma lumière dans les ténèbres.
- Nous ferons tout pour que ça marche, répondit Jungkook, la voix enrouée par l'émotion.
Yoongi eut un sourire qui pour la première fois depuis longtemps atteint ses yeux.
- Je n'en ai jamais douté et je sais que si quelqu'un peut le rendre heureux à nouveau, c'est toi. Allez viens, dit-il en lui donnant un coup sur l'épaule. Ton homme nous attend.
Dans les ombres de la nuit, le bruit de leurs rires couvrit celui des larmes qui avaient été versées.
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