Si t'es fier d'être un Chaillot tape dans tes mains - Partie 1
Nagqu, Chine, 30 décembre 1969
Un pleur déchira la salle de soins. La femme qui venait de donner naissance souffla longuement, et laissa sa tête retomber contre le fauteuil de cuir sur lequel elle était allongée. Une infirmière chinoise prit délicatement le nouveau-né dans ses mains protégé par de longs gants, inspecta son corps frêle et encore tâché de sang, plissa les paupières ; finalement, son regard sombre s'éclaira.
« C'est une fille... Elle est vivante ! » s'exclama-t-elle en chinois. On a réussi... pensa Wang Gang, le sergent présent dans la pièce. La nouvelle mère entrouvrit les lèvres. Un immense soulagement naquit dans ses grands yeux bleus. Elle souffla quelque chose dans un français que le militaire ne comprit pas.
Le médecin de l'armée, un petit homme baraqué, sectionna le cordon. « Comment voulez-vous l'appeler ? » L'intéressée eut un sourire noyé de larmes.
« Shihong. Le monde sera rouge... »
***
Shiganshina, 18 février 852
Erwin franchit la porte de l'infirmerie. Elle était toujours aussi allongée, mal éclairée, et dotée de lits assez inconfortables... Mais Livaï n'était pas de nature à s'en soucier. Ce fut donc sans surprise qu'il le retrouva assis sur son matelas, impassible, les yeux fixés sur son bras en écharpe.
Il devinait aisément que son subalterne n'appréciait pas la longue période de repos qu'avait préconisé Weierstrass. Il servait principalement à protéger la base – et Marion et Eren, depuis plus d'un an. Si ses entailles au visage ne le dérangeaient pas, ses points de sutures, eux, devaient l'irriter au plus haut point, puisqu'elles forçaient l'immobilisme de son bras et entravaient les mouvements de sa jambe.
Il le vit alors. Le blond tira une chaise à lui, et s'assit à sa gauche.
« Comment tu te sens ?
— Je ne me suis jamais retrouvé dans un état aussi sale que ça. Ça doit te donner une idée.
— En effet, sourit-il. Marion m'a rapporté le combat... Il semblerait qu'ils aient mis la priorité sur ta mort plutôt que sur son enlèvement.
— On dirait bien.
— C'est une bonne chose qu'ils n'y soient pas arrivés. On a besoin de toi ici. »
L'autre ne dit rien. « Elle est avec Eren et Armin, ils sont gardés par Annie et Mikasa en attendant ton rétablissement. Et puisqu'ils veulent ta peau à ce point... J'ai prévu que tu restes avec eux. » Il plissa les yeux.
« On ne peut pas se permettre de perdre un élément comme toi.
— C'est une prise de risques, de tous les foutre dans un même dortoir. Sans parler du bordel qu'ils risquent de mettre, articula-t-il sombrement, si les ennemis attaquent, on n'est pas dans la merde.
— C'est vrai, mais ce n'est pas grand-chose par rapport à celui auquel on fait face actuellement. Avec Mike qui part bientôt à l'ouest, la protection doit être renforcée. J'ai réussi à négocier avec Pixis pour modifier son escouade. Luise et Armin resteront ici... De plus, les effectifs de la Garnison vont être renforcés à Shiganshina, et les nouvelles recrues arriveront bientôt. »
Le plus petit se tut un moment. « Je vois. Je te fais confiance là-dessus. » Le blond le scruta un instant. Puisque son visage restait toujours aussi neutre, il enchaîna sur la suite.
« Tu voulais me parler de quelque chose.
— Oui... Sur les Ackerman. Kenny nous a raconté deux ou trois trucs...
— Je t'écoute. »
Le plus petit baissa le menton. « Ça commence le 30 décembre 1969. Ma grand-mère, Shihong Chaillot, est née en Chine, dans un pays d'Orient. Sa mère était française, mais elle s'est offerte à leur armée pour qu'elle en devienne un pionnier. Un geste assez noble pour que ça me donne envie de gerber, mais les emmerdes ont commencé à ses quatorze ans... »
***
Ouest de la région du Sichuan, Chine, 15 juin 1976
Dans le vaste espace de terre battue éclairé par le soleil de fin de matinée, Shihong cour...
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Shiganshina, 18 février 851
« Attends, le coupa le major. Il n'y a pas un problème de dates ?
— Si, lâcha-t-il, mais j'allais l'expliquer.
— Oh.
— Je disais : les choses se sont un peu pimentées à ses quatorze ans. »
***
Ouest de la région du Sichuan, Chine, 15 juin 1976
Dans le vaste espace de terre battue éclairé par le soleil de fin de matinée, Shihong courait. Ses cheveux auraient pu se balancer au rythme de ses pas... S'ils ne brillaient pas par leur absence. Mais cela l'importait peu. Elle aimait bien son crâne, il était luisant et doux.
Et elle aimait bien le sport, aussi.
Ils avaient d'abord « réveillé leurs muscles », comme le disait si bien leur sergent. Puis, ils avaient couru, pratiqué le corps-à-corps, couru, tiré au fusil, couru... Et ils en étaient là.
Même si elle arrivait désormais à deux heures d'endurance ponctué de quelques obstacles, elle s'en foutait pas mal, puisque c'était son activité préférée après le combat. La transpiration qui trempait son dos et l'espace entre ses seins naissants n'était même pas témoin d'une quelconque fatigue. Elle aurait pu continuer toute la journée comme ça, puisque ses mollets particulièrement musclés le lui permettaient largement.
Elle promena distraitement ses yeux clairs sur le terrain d'entraînement. Un grand grillage surplombé de barbelés entourait la base militaire chinoise ; de vastes blocs bas de béton, au centre, concentrait les bureaux, l'infirmerie, les chambrées, et patatras ; quelques tunnels de ronces de fer s'étalaient çà et là...
D'ailleurs, je fonce sur l'un d'eux, là. Elle vérifia une énième fois que son Nambu type 99* était bien accroché dans son dos, que ses grenades n'allaient pas se dégoupiller par accident, et que son poignard était encore attaché à sa ceinture kaki pour se jeter à terre et ramper vivement.
*Mitraillette légère d'un mètre de long.
Un jeu d'enfant – sauf pour son uniforme vert-militaire interminablement tâché de poussière. Elle ressortit de l'autre côté sans problème, et jeta un regard derrière elle lorsque ses oreilles détectèrent des bruits de botte. Elle avait oublié la trentaine de ses camarades qui s'entraînaient également. Ils semblaient avoir abandonné toute perspective de suivre son rythme. Une légère tristesse lui pinça le cœur ; elle l'ignora.
C'est quoi, la prochaine étape ? On tourne en rond depuis tout à l'heure... songea-t-elle avec déception. Le sergent Wang Gang, planté plus loin, parut lire dans ses pensées, car un petit sourire naquit sur son visage carré et légèrement ridé. Il lui désigna discrètement l'un des hauts obstacles de bois du bout du doigt.
Ce fut donc avec un entrain débordant qu'elle s'y dirigea. Elle prit son élan, sauta, attrapa la seconde prise. Elle grimpa avec rapidité ; ses biceps développés la portèrent sans difficulté en haut des trois mètres. Puis, elle fit volte-face, s'accrocha à la dernière planche, et retomba agilement au sol.
Au même instant, leur supérieur siffla, sonnant la fin de l'entraînement. Elle essuya la sueur qui coulait de son front haut, pour le rejoindre sans attendre. Ce fut une belle occasion pour elle de retrouver un rythme cardiaque normal. L'exercice avait beau être simple pour elle, elle restait une personne normale... Ma maladie mise à part. Mais elle s'en carrait : ils avaient dit que cela n'enlevait rien à son humanité.
L'adolescente en était d'ailleurs d'autant plus heureuse. Elle avait conscience que réussir toutes ces épreuves à son âge était une prouesse. Les officiers semblaient partager son sentiment ; si quelques-uns de ses compagnons la jalousaient, la plupart étaient également fiers d'avoir un élément comme elle à leurs côtés.
En bref, tout le monde était content. Et puis, si grandir deux fois plus vite que les autres était le prix à payer pour rendre à la Chine ce qu'elle lui avait offert, elle n'en avait cure.
***
Shiganshina, 18 février 851
« Oh, d'où le problème de d...
— Putain, Erwin. Ça m'arrache assez la tronche de jouer aux conteurs, tu vas pas m'interrompre tous les quatre matins.
— Certes... Je t'en prie.
— Donc, ça lui en touchait l'une sans faire bouger l'autre, et ils avaient enfin fini leurs foutus exercices. »
***
Ouest de la région du Sichuan, Chine, 15 juin 1976
« On arrête là. Maintenant, au réfectoire. » Ils lancèrent un « sergent, oui, sergent ! » unanime, posèrent leurs armes à la réserve, et obéirent immédiatement.
Le reste de la journée passa très vite. Riz et eau à midi, patrouilles juste après, nettoyages d'armes et de matériels en fin d'après-midi. Shihong et les autres se retrouvèrent ainsi dans le hangar de la réserve à dix-huit heures ; elle s'assit sur un banc de bois, son type 99 posé sur une table devant elle.
Jian eut tôt fait de s'installer à côté d'elle. C'était un homme très baraqué d'une quarantaine d'années, aux cheveux parfaitement ras. Avec son mètre soixante-quinze, la jeune fille le dépassait de plus d'une demi-tête... Mais il faisait tout de même l'effort de lever le menton pour lui parler.
« Tu nous a encore soufflés », dit-il en maniant sa propre arme avec soin. Il commença à en démonter une partie ; elle fit de même, un petit sourire collé aux lèvres.
« Je ne dirais pas ça... Vous êtes aussi puissants, pour avoir été sélectionnés ici. Je ne sais toujours pas pourquoi cette base est si spéciale... » Elle passa un bout de tissus blanc sur le long canon du fusil.
« Mais en cas de problème, l'Armée Populaire de Libération peut compter sur vous !
— Peut-être bien. Seulement... »
Il promena rapidement ses yeux bridés sur le vaste espace envahi par un brouhaha assez modéré. Tout le monde était occupé à ses affaires. « Toi, tu n'es pas originaire d'ici, mais tu es affiliée à cette division depuis que tu es petite. Et puis, tu grandis à une vitesse... Je veux dire, une année chez toi en vaut deux chez nous. » Il parut hésiter. « Tu ne trouve pas ça... » chuchota-t-il. « ... un peu bizarre ? »
Il recommence avec ça... « Non », répliqua-t-elle. « Ma croissance est due à une anormalité génétique, et tu le sais. Ma mère, elle, a dédié sa vie à la République Populaire de Chine, et je suis fière d'en faire partie. Ma famille a été sauvée du capitalisme qui dévore la France, et seule notre République peut faire face à l'Occident et à ces imposteurs de russes ! » L'autre pinça les lèvres.
« Bien entendu », murmura-t-il. « Mais depuis quand est-ce que tu ne l'as pas revue ? »
Ses paroles auraient tout aussi pu être des balles ennemies : inattendues, terriblement douloureuses. Elle ouvrit la bouche... Et resta muette. Sa gorge s'était serrée trop brutalement pour l'autoriser à répondre quoi que ce soit. Elle finit par déglutir, et reporter son attention sur son activité.
« Je ne sais pas, énonça-t-elle. Peut-être quand j'étais gosse. Je n'ai pas de souvenir d'elle.
— Et tu n'as pas envie de la rencontrer ?
— Bien sûr que si ! Mais je peux comprendre que les supérieurs ne veulent pas... La famille, ça perturbe la formation militaire.
— Ils ne nous interdisent pas de voir la nôtre. »
Elle serra les dents. « Je leur fais confiance », protesta-t-elle faiblement. « C'est tout ce que j'ai à dire là-dessus. » Jian ne parut toutefois pas convaincu, car il s'apprêta à la contrer encore ; l'arrivée du sergent Wang Gang le stoppa dans son élan. Ils retournèrent à leurs tâches en silence.
« Tu es une fille intelligente, Shihong », reprit-il lorsqu'il se fut de nouveau éloigné. Sa voix était plus basse, si basse qu'elle-même eut du mal à l'entendre. « Et il faut que tu apprennes à réfléchir par toi-même... Après tout, tu n'as aucune preuve de ce qu'ils avancent. »
Les paupières de la plus jeune s'écarquillèrent. Elle le gratifia d'un air stupéfait, qu'il ignora. Qu'est-ce que c'était que ça... ? Ce fut machinalement qu'elle prit soin du Nambu ; ses pensées, elles, n'y étaient pas.
Réfléchir par moi-même... « Rangez le matériel. » Elle se leva, attrapa le tout, se dirigea vers la réserve. Je ne l'avais jamais remarqué avant... Elle attendit en bout de file face aux caisses de bois ; son tour arriva enfin. Mais tout ce que j'ai fait jusque-là... Elle suivit les autres jusqu'aux salles d'eau, et rentra dans le compartiment des femmes.
... a été d'avaler ce qu'ils me disaient, sans me poser de question.
L'eau fraîche qui tomba sur son crâne la rappela à l'ordre. Elle vit enfin la douche étroite et blanche dans laquelle elle se tenait. Elle s'était déshabillée et avait fermé le rideau par automatisme... Ne manquait plus que le savon, qu'elle attrapa sans attendre.
Mais elle eut beau frotter sa peau avec acharnement, le doute s'était enraciné en elle à une vitesse fulgurante. Pourquoi lui rabâchait-il depuis des mois que cette situation était étrange ? Non... Pourquoi est-ce que je n'ai rien vu ?
Elle soupira longuement. Elle aurait beau réfléchir à la véracité de ce qu'on lui racontait, rien ne pouvait faire pencher la balance en faveur de quoi que ce soit. Les éléments qu'elle possédait étaient trop épars pour ça. Elle se rinça donc sans s'embêter plus avec ça.
Une fois sortie, Shihong contempla un moment l'étoile rouge et jaune cousue sur son haut kaki, côté cœur. Le monde sera rouge. Elle enfila son uniforme, et se dirigea à grands pas vers le réfectoire. Il sera rouge, hein...
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