Le marchand de thé - Partie 3
L'homme se releva, manifestement fier de lui.
« Je te présente Chèvre.
— Chèvre... murmura-t-elle. »
Elle tendit sa main vers l'animal, qui la renifla. Puis, il y frotta son museau, la laissa le grattouiller un moment, et fit un bond complètement aléatoire qui arracha un faible sourire à la chercheuse. Livaï se pinça l'arête du nez.
« Kenny, c'est quoi, ce bordel ?
— Bah, elle adore les chèvres.
— J'ai bien vu. Mais quand je lui ai répété des trucs qu'elle appréciait, elle n'a pas réagi.
— Ah, ça ! C'est parce-que tu l'as pas hurlé !
— Donc si j'avais gueulé « Sakamoto desu ga » dans son tympan, sa crise suicidaire se serait envolée ? jeta-t-il.
— Tu connais Sakamoto desu ga ?!
— Je...
— C'est le meilleur anime du monde ! Si je l'avais su... Non, attends, tu peux pas t'en souvenir, réalisa-t-il en fronçant les sourcils.
— Ce n'est pas la question.
— Quand même, comment t'en as entendu parler ?
— Putain de merde. »
L'officier s'approcha de lui, et pointa un doigt menaçant sur son thorax.
« Premièrement : pourquoi est-ce que « chèvre », ça fonctionne, et pas « Leah » ou « Annie » ?
— Peut-être qu'elle est pas assez pédé.
— Réponds-moi sérieusement, articula-t-il.
— Je vois pas pourquoi tu chipotes comme ça, c'est juste le fonctionnement de Marion, y a pas de quoi...
— Parce-que ce n'est pas normal ! »
Tout le monde se raidit – cabri compris. Lui-même saisit trop tard qu'il avait haussé le ton. Son oncle resta immobile un moment, puis éclata de rire.
« T'as le nez fin ! admit-il. Y a en effet une raison pour laquelle « chèvre », ça marche mieux que le nom de ses amours les plus fous. Quoique, t'as pas essayé ton propre prénom, peut-être que ça aurait été plus percu...
— Laquelle ? le coupa-t-il.
— Elle s'en souvient pas. »
Qu'est-ce que c'est que ce bordel...
« Soit, lâcha-t-il. Maintenant, pourquoi est-ce que t'as une foutue biquette chez toi ?
— Si tu t'en fais pour son mode de vie, je vais la promener tous les jours.
— Je me fous royalement de ça. Pourquoi ?
— T'es tête de mule ! Bon, de toute façon, je m'en tape de garder ça secret ou pas. »
Il plissa les yeux. « A cause de la Trinité Poitevine. » Cette fois-ci, il tourna les talons... Mais Marion attrapa sa main au même moment. Il la regarda avec surprise. « Je veux savoir. » Il serra les dents. Quelle plaie. Putain, quelle plaie.
« Bon, céda-t-il avec agacement. C'est quoi, la Trinité Poitevine ?
— Un truc qu'a créé Marion pour sceller le la machine numéro sept. »
Silence.
« Attends, énonça-t-il lentement. T'es en train de me dire que tu savais depuis le début comment déclencher le scellement de la machine numéro sept ?
— Oui.
— ... Où est-ce que t'as appris ça ?
— J'ai pas bossé chez les 'ricains pour rien. Mais j'ai aussi aidé un peu Stéphane Bern ! Un grand homme, celui-là. Petit, mais...
— Dis-en plus sur la Trinité Poitevine, lâcha-t-il avant qu'il ne parte sur un autre sujet. »
Il se gratta l'arrière de la nuque.
« Trois chèvres. Après avoir créé la machine numéro sept, Marion a choisi trois chèvres.
— Non, trancha-t-elle. Je n'ai jamais été chez les américains.
— T'es juste amnésique ! Ils sont doués, avec le cerveau.
— Ce n'est pas possible, siffla-t-elle entre ses dents serrés. Il n'y a pas un moment où j'aurais possiblement pu m'absenter. Lorsque j'étais en France, je n'ai jamais disparu. Lorsque je me suis fait enlever... »
Elle se tut d'elle-même. Elle a créé la machine numéro sept... « Lorsque je me suis fait enlever, c'était par la R2.0. C'était par la R2.0, n'est-ce pas ? » L'autre gratouilla Chèvre un moment.
« Non. C'était par les américains, le quinze juin deux mille dix-sept.
— Mais Stéphane Bern...
— ... est un excellent menteur. Ils t'ont rameutée dans les années deux mille, par là, et t'ont fait bosser sur le voyage dans le temps et patatras pendant trois bonnes années. T'étais un sacré cas, pour avoir réussi à accomplir en si peu de temps le casse-tête sur lequel les plus gros cerveaux du monde se sont pétés le pif. Après ça, des rebelles se sont pointés, t'ont récupérée, t'ont ramenée en deux mille dix-sept, et la suite, tu connais. »
Elle resta bouche bée un moment. Elle a créé la machine numéro sept. Puis, elle baissa le menton, les yeux écarquillés. « Je suis une enfoirée », murmura-t-elle. L'oncle haussa les épaules. « C'est pas comme si t'avais eu le choix. » Au bout de quelques temps, le caporal-chef trouva la force de s'adosser au mur.
« Et elles sont où, ces trois chèvres ?
— Quelque part dans les Murs. Elle les a envoyées avec son bidule à transfert temporel. J'en ai récupéré une par hasard. Je l'ai reconnue car elle a des traits poitevins. Tu trouves pas de ça dans l'Est de l'Europe. J'ai égorgé son propriétaire – un fermier, je sais pas comment il l'a obtenue. Puis, j'ai trouvé ça amusant de s'en occuper. Une chèvre, c'est mignon. »
Son neveu manqua de s'étrangler.
« C'est mignon ?
— Tu trouves pas ? »
Ce type est pas croyable. Il inspira profondément. Ce flot d'informations était aussi dense qu'une purée signée Hansi. Le digérer était compliqué, mais il fallait bien qu'il réussisse d'une manière ou d'une autre.
« Et les deux autres ?
— Aucune idée.
— Est-ce que les américains connaissent le code ?
— Non.
— Donc ils sont dans la merde.
— Oui.
— Et tu ne t'es même pas dit, dans ta petite tête de fiente, qu'on aurait besoin de cette info ?
— Je ne m'implique pas dans votre conflit, moi, je regarde !
— C'est pour ça que t'es venu dans les Murs. »
Kenny marqua un arrêt.
« Voilà que tu te mets à fourrer ton nez dans ce qui te regarde pas ! finit-il par s'exclamer.
— Peu importe. Je n'ai plus de temps à perdre avec ça. »
Il se tourna vers Marion. Elle s'était assez renfermée pour ne plus participer à la discussion, mais était toujours agenouillée auprès de Chèvre. Mais alors qu'il allait ouvrir la bouche, quelque chose bougea subitement dans la rue. Il écarquilla les yeux.
« Marion ! » Celle-ci n'eut pas le temps de lui jeter un coup d'œil que la porte explosa. Il se jeta sur la scientifique, et les recouvrit de son manteau. Son dos se prit quelques débris : il serra les dents.
Lorsque le silence retomba, il risqua un regard derrière eux. Son oncle l'avait imité, mais avec Chèvre. Le battant de la boutique était merveilleusement défoncé, une quinquagénaire se tenait devant son cadavre. « Li... » commença à chuchoter la chercheuse. Il appuya un peu plus sur son thorax pour la faire taire : elle se raidit légèrement.
L'inconnue prit le temps de remettre une courte mèche de cheveux roux derrière son oreille pointue. Il remarqua facilement le pistolet qu'elle portait à sa ceinture. « Vous en avez déjà mis une nouvelle... »
Livaï plissa les paupières. Je n'ai pas mon équipement tridimensionnel. On est dans la merde... Il fallait que ça tombe un jour de permission... Il sentit la main de sa subalterne se crisper sur son haut noir. Avec un peu de chance, elle en a après Kenny, et on va pouvoir se barrer tranquille. Celui-ci se releva lentement, et fit face à l'autre avec un rictus. Quoique, il faut que Chèvre...
« Monsieur Ackerman.
— Oui !
— Cette fois-ci, ce sera la bonne.
— Toujours la même chose.
— Oui. »
Le petit homme fronça les sourcils. « Pas avec l'état dans lequel tu as laissé ma porte. » Elle ne nous a même pas vus. Elle n'a pas l'air d'être agressive. Et quand bien même, avec Kenny et moi... Il détendit ses muscles, et se releva. Elle posa alors ses yeux bruns sur lui avec surprise.
« Bonjour ! » s'exclama-t-elle. « Qu'est-ce que vous faisiez par terre ? Vous avez trébu... » Elle remarqua la jeune femme.
« Oh. Monsieur, vous acceptez ça dans votre magasin ?
— Ne sois pas stupide. Le gamin est un garde du corps.
— D'accord. Donc ? »
L'oncle ne bougea pas.
« Toujours pas. Tu veux que je te défonce la gueule encore une fois ?
— Elle me revient de droit !
— N'applique pas tes lois stupides chez moi. »
Son regard se fit subitement noir. Elle pointa son revolver sur lui. « Donnez-la-moi », cracha-t-elle. Il laissa échapper un soupir exaspéré. « Puisque tu insistes tant... »
Il s'avança vers elle : elle eut un mouvement de recul. Lorsque Livaï vit sa main trembler, il haussa un sourcil. Finalement, le grand homme s'arrêta juste devant elle, leva une main, et lui mit une patate digne des forains les plus baraqués.
Elle se vit projetée contre le mur abîmé du seuil. Elle n'a même pas tenté d'esquiver. Il crut qu'elle ne se redresserait pas, mais elle y parvint, et planta de nouveau ses prunelles dans celles du plus grand. « Je ne cèderai pas ! »
« Marion », appela-t-il. Elle hocha la tête. Il se pencha sur le sol en bordel, ramassa les deux boîtes de thé, et quitta les lieux. Ils évoluèrent ensuite dans la rue. Ils pouvaient toujours entendre l'inconnue baragouiner des menaces toutes moins crédibles les unes que les autres.
Au final, ça n'avait rien à voir avec Marion. Il lui jeta un regard. Elle avait retrouvé son expression dangereusement morose. « A votre avis, qu'est-ce qu'elle voulait ? » dit-elle finalement, au prix d'un effort manifestement colossal.
Un coup de feu retentit. Ils s'arrêtèrent un instant. Elle se retourna vers la baraque : la rousse venait de se faire jeter dehors, désarmée. Elle a de la dynamite sur elle, et arrive à perdre aussi facilement ? « Je crois avoir une idée. » Ils reprirent leur route. « Si ce qu'il a dit est vrai, il va falloir agir rapidement. »
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