2. Le massacre
J'aurais dû mourir.
Pourtant j'ai survécu grâce à ce qui fait de moi une anomalie.
Mes parents avaient transgressé les lois de la Nouvelle Société en s'aimant malgré leurs différences.
L'union entre un vampire et un mage était considérée comme une ignominie et tout enfant né de cet amour interdit devait périr par le feu.
Ils en avaient été conscients.
Ils avaient été élevés ainsi dans la connaissance des règles, cependant rien ne les avait préparés à la profondeur des sentiments qui les avaient envahis la première fois que leurs regards s'étaient croisés.
Leurs cœurs s'étaient unis bien avant leurs corps pour ne faire plus qu'un.
Des diktats de cette société qui prohibait les unions inter-espèces, ils n'en avaient cure.
Ils avaient vécu leur amour jusqu'au bout, magnifiquement, tragiquement et étaient morts en voulant protéger le fruit de leurs entrailles.
C'était une histoire d'amour, comme celle qu'on aurait pu lire dans un roman classique.
Une rencontre, un regard puis le tourbillon des sentiments qui annihilaient toute raison.
Lui, le vampire sans cœur, était tombé amoureux de la seule femme qu'il ne pouvait avoir, lui, la nuit, était tombé amoureux de la lumière.
Quand ma mère était tombée enceinte, ils avaient fui, trouvant refuge dans une maison au fin fond de la forêt.
Cela aurait pu ressembler à un conte de fées...
Ils m'avaient accueilli et m'avaient élevé comme le plus précieux des cadeaux.
Ils m'avaient enseigné la vie, l'amour, le bonheur, la simplicité.
Ils savaient que ce bonheur ne durerait pas éternellement et qu'un jour, malgré la prudence dont ils faisaient preuve, les brigades les retrouveraient et les condamneraient à subir le châtiment de leur trahison.
Pourtant, en posant les yeux sur moi qui grandissais un peu plus chaque jour, ils se surprenaient à espérer.
Souhaiter que je m'en sorte, que mes pouvoirs me guident et que je puisse ouvrir la voie à d'autres, pour peut-être, faire tomber les barrières de l'interdit.
Ils m'avaient appris la bonté et la candeur de certains et m'avaient mis en garde contre la cruauté et l'esprit vil d'autres.
Mais jusqu'à ce fameux jour, je n'y avais pas été confronté.
Cela avait duré vingt années que j'avais passé entouré de leur amour, jusqu'au jour où ils nous retrouvèrent.
Je me souviens de chaque minute de cette journée qui fut la plus terrible de ma vie, moi l'enfant protégé, je me retrouvais au pris avec la vérité des êtres et leur bestialité.
J'aurais dû mourir ce jour-là.
Peut-être le suis-je vraiment...
Je me souviens encore du froid mordant de l'hiver qui piquait ma peau et rougissait mes joues. J'aimais l'hiver, cela avait toujours été ma saison préférée.
Mon père disait en souriant que c'était à cause du sang de vampire qui coulait dans mes veines qui m'empêchait d'apprécier la morsure des rayons du soleil, j'en riais souvent.
Contrairement au mythe, les vampires ne craignaient pas le soleil, ils ne mouraient pas brûlés dans d'affreuses souffrances sous ses rayons.
Cela leur provoquait une gêne, tout au plus une certaine faiblesse.
Par nature, ils étaient des êtres nocturnes, voyant leurs capacités se décupler dès que la lune était haute dans le ciel étoilé.
Ils avaient ce point commun avec les lycans, qui avaient la possibilité de prendre une forme animale, pas seulement les jours de pleine lune, mais à chaque fois qu'ils le souhaitaient.
Mes parents me parlaient fréquemment des différentes espèces, néanmoins, ils évoquaient rarement les humains, si ce n'était pour me dire de m'en méfier.
Chacune avait ses qualités et ses défauts, mais l'humain était certainement, de toutes, le plus dur à cerner.
Il cachait ses véritables intentions sous un masque et à ce titre, cela en faisait pour eux, probablement la race qu'ils craignaient le plus, même si elle était réduite à l'état de nourriture pour beaucoup.
L'humain, disaient-ils, est plein de ressources. Il possède un instinct de survie bien supérieur aux mages qui se pensent protéger par leurs dons, aux lycans, qui malgré leurs statuts d'esclaves, détiennent en eux le pouvoir animal et aux vampires.
Ces derniers ne craignaient personne, leurs cœurs immobiles leur donnant une fausse impression d'immortalité.
Mes parents avaient raison, car la main qui leur porta le coup fatal fut celle d'un humain.
Nous étions en plein après-midi, le soleil hivernal avait du mal à percer la couverture nuageuse qui s'étendait dans le ciel. Il avait neigé pendant plusieurs jours et une épaisse couche de poudreuse recouvrait la nature endormie.
J'étais parti me promener près du lac, j'aimais m'y rendre et m'asseoir sur le ponton de bois qui s'y trouvait.
Le dos calé contre l'une de ses vieilles barrières, je laissais mon esprit vagabonder, en imaginant comment était la vie dans les villes que décrivaient les livres que je dévorais chaque soir, dans la chaleur de mon lit.
Je me laissais aller à rêver, me demandant quel était le destin qui embrasserait ma vie.
Quitterais-je un jour ce havre de paix qu'avaient construit mes parents ?
Je le souhaitais parfois autant que je le redoutais, mon père m'avait appris les dangers de ma condition, celui que je courais à cause du sang mêlé qui coulait dans mes veines.
Le silence feutré de la nature explosa quand les premiers cris retentirent.
Des hurlements qui me glacèrent le sang, car même si j'en ignorais la cause, j'avais senti l'horloge du destin se mettre à sonner.
Je me souviens m'être précipité vers la maison, glissant dans la neige, tombant à de nombreuses reprises, les mains et les genoux écorchés par les racines qui transperçaient la poudreuse.
J'avais couru comme si ma vie en dépendait et c'était certainement le cas, cependant j'étais arrivé trop tard.
Mon regard s'était posé sur une horde d'hommes, une excitation malsaine faisait palpiter leurs sangs. Ils trainaient le corps de mes parents à l'extérieur de la bâtisse.
Je fixais de mes yeux épouvantés, le sang de ma mère qui se déversait sur la neige, sa tête était tournée vers moi et je pouvais voir le voile blanc de la mort qui recouvrait déjà ses yeux d'opale.
De mon père ne restait qu'une carcasse asséchée qui ne portait même plus ses traits.
Cette image resterait à jamais gravée en moi.
J'avais trouvé la force d'avancer pour faire face aux six hommes qui avaient perpétré ce massacre.
Des individus dont le biceps était barré du brassard de la brigade, des humains dont je sentis l'odeur pour la première fois et qui devint insupportable pour moi à partir de ce jour.
Je me souviens de la rage qui m'avait submergée même si je gardais peu de souvenirs du carnage qui suivit.
Mon âme et mon cœur de mage s'étaient endormis, faisant taire cette partie de moi qui renfermait la bonté. Ma nature vampirique avait pris le dessus, teintant de rouge ma vision.
J'avais égorgé à coup de dents acérées ces hommes. J'avais arraché leurs membres en l'espace d'un instant et laissé le feu bruler ceux qui respiraient encore.
Ils n'avaient pas vu la mort venir à eux sous les traits du jeune homme brun et aux yeux vairons que j'étais.
La neige avait pris une teinte carmin.
Je trouvai cela du plus bel effet, avais-je pensé avant sombrer dans les profondeurs de l'inconscient.
Mon réveil n'avait été que douleurs et cris déchirants, je pensais que la souffrance qui me tenaillait me tuerait, et pourtant la mort m'avait refusé cette délivrance.
J'avais enterré ma mère, après avoir recouvert son corps des restes de mon père.
Comme ils me l'avaient appris, j'avais quitté notre demeure pour fuir, laissant derrière moi ma maison et n'emportant que l'or qu'ils avaient caché à mon intention.
Ils n'avaient eu de cesse de préparer leur mort qu'il sentait rôder autour d'eux alors qu'ils n'avaient voulu que la vie.
J'avais marché longtemps, m'écroulant la nuit d'épuisement dans la neige, les mains serrées autour de mon sac à dos qui, en plus de l'argent, contenait une photo et quelques vêtements.
J'avais erré pendant des jours, ma bonté de mage n'était pas réapparue, seul mon instinct de prédateur subsistait.
Je chassais des animaux que je dévorais à peine mort, leur sang chaud coulait dans ma gorge et nourrissait mon côté démoniaque qui ne cessait de grandir.
Mes pas me conduire enfin dans une ville, elle m'étouffa de son parfum.
L'humain était partout et son odeur me rendait nauséeux.
Je sentais en moi l'envie de les tuer, tous, sans exception, je n'avais de cesse de vouloir faire périr cette race qui m'avait enlevé mon bien le plus précieux.
Il me trouva quelques jours après mon arrivée, alors que je me cachais dans une ruelle sombre. Il avait dit s'appeler Jin et être un vampire.
Je ne l'avais pas vraiment compris tant je luttais pour ne pas laisser la folie meurtrière qui m'habitait fondre sur moi. Je n'avais qu'une envie, celle de sauter à la gorge de ces humains qui déambulaient en me lançant des regards de pitié pour certains, de peur pour d'autres.
À ce moment-là, ma folie n'était pas encore totale, mais mon corps était dans un état d'épuisement intense.
Je sentais ma lumière de mage essayer de reprendre sa place en moi et je la rejetais de toutes mes forces restantes. Elle signifiait le retour de la peur, de la douleur, de la réalité que j'enterrais sous mon côté sombre.
À bout de force, j'avais fini par m'évanouir. Je m'étais réveillé dans une chambre que je ne connaissais pas. Il m'avait expliqué d'une voix douce qu'il m'avait emmené chez lui.
Je n'avais pas eu peur, je ne ressentais plus rien.
Il m'avait nourri, lavé comme on l'aurait fait d'un enfant alors que la démence étendait ses tentacules en moi.
Je n'avais pas parlé pendant des jours, je refusais tout contact visuel.
Je restais assis, tapi dans un coin de la chambre, mon sac à dos serré contre moi.
Il me forçait à m'alimenter, portant les bouchées à mes lèvres, que j'avalais sans en sentir le goût, parfois, j'étais pris de vomissements.
Je n'étais plus qu'une ombre mourante.
Cela dura des jours, peut-être des semaines. Il me parlait doucement, cependant je restais sans bouger, la tête posée sur mes genoux que j'entourais de mes bras comme pour me procurer une étreinte rassurante.
Puis la lumière finit par revenir, doucement et avec elle, la douleur se réveilla
D'un état catatonique, je passais à une colère destructrice, je hurlais et criais, je cassais tout ce qui se trouvait à ma portée.
Jin n'avait aucun mal à me maitriser. Je finissais par m'écrouler, épuisé dans ses bras, mais jamais, je ne pleurais.
Je ne comprenais pas pourquoi cet homme, que je ne connaissais pas, prenait soin de moi, cependant je me laissais faire, car je trouvais dans son odeur le souvenir de la présence rassurante de mon père.
Il fallut des mois avant que je parle, des années avant que la lumière luise d'une faible lueur dans mon cœur, bercé par les paroles douces et les égards de celui qui deviendrait mon meilleur ami.
Les gens apprirent qui j'étais.
Le seul hybride à avoir survécu alors que la loi nous condamnait au péril du feu à notre naissance, cependant après ce qu'il appelait le massacre des bois, personne ne vint me chercher, ni même taper à notre porte.
Tout le monde savait que je renfermais en moi un pouvoir immense et ils me craignaient.
L'ironie voulait que j'avais hérité de ce pouvoir qui aurait dû me voir mourir.
Je devins une légende malfaisante, celle que l'on raconte aux enfants au coin du feu pour les effrayer. Les gens baissaient la tête sur mon passage, toutes espèces confondues.
Je n'aspirais pourtant qu'à la paix et me fichais de ce semblant de respect que la population me témoignait, à moins que ce ne soit que de la pure terreur en sachant ce que j'avais fait.
L'ombre cohabitait avec la lumière dans un équilibre précaire.
Un jour, Jin me demanda de l'aider à sauver les gens comme moi.
Il savait que d'autres viendraient, bercés par la légende de l'homme aux yeux vairons, celui qui portait en lui le sang des deux races les plus puissantes.
Des hybrides peut-être, mais aussi des êtres de toutes espèces qui chercheraient ma protection.
J'étais devenu intouchable, du moins c'est ce que je pensais.
J'acceptais, déterminé à donner un sens à cette vie qui refusait de me quitter, cependant j'émis une condition.
Jamais je ne protègerai d'humains.
Le Diner's était né et avec lui, ma réputation de protecteur.
La vie me donna une raison de l'accepter, je vivais, mais j'étais mort de l'intérieur.
... jusqu'à lui.
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